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29 mars 2016 2 29 /03 /mars /2016 09:44

Lorsqu'Adrien Sobra ne s'appelait pas encore Marc Agapit.

Ange ARBOS : La tour du silence.

Ce sont les gens qui disent... rétorque le narrateur à son ami et voisin Julien Delambre qui affirme qu'il vient d'émettre une hypothèse idiote. Et les gens ont vite fait d'échafauder des conjectures non vérifiées.

Il paraitrait qu'un cadavre a été retrouvé dans le parc du pépiniériste, leur voisin, et que ledit pépiniériste aurait tué l'amant de sa femme.

Delambre, afin que son voisin ne s'échappe pas et aille raconter n'importe quoi, l'enferme dans son salon puis entreprend de narrer la genèse de cette découverte macabre. Mais auparavant il lui pose quelques questions concernant cette découverte, notamment si le bahut dans lequel le squelette a été retrouvé était un magnifique meuble sculpté. Si une épée en bois peint reposait à côté du mort et si la tête de celui-ci était ceinte d'une couronne en bois peint également.

Suite aux affirmations de son voisin, il raconte cette histoire édifiante :

Lors d'une réception costumée, alors qu'un diseur accapare l'attention des invités, le majordome informe le maître des lieux qu'il est mandé au téléphone pour une affaire importante. Puis peu après, le majordome revient dans la pièce prévenant le secrétaire du comte que celui-ci l'attendait dans son bureau un quart d'heure plus tard. Le temps imparti étant écoulé, le secrétaire s'éclipse puis revient et parle à voix basse à la comtesse qui sort de la pièce puis réapparait en poussant des cris et s'évanouit.

Dans le bureau situé à l'autre bout du château les invités ne peuvent que constater l'absence du comte, mais relèvent néanmoins quelques indices prouvant qu'un attentat aurait été commis à l'encontre du noble. Des traces de sang, une statuette brisée, des douilles d'arme à feu.

Immédiatement averti le juge d'instruction pose les questions rituelles à la comtesse, une jeune femme d'une vingtaine d'années et mariée depuis peu. Et bien évidemment il s'agit de savoir si le comte possédait des ennemis. Et c'est à partir de ce moment que l'affaire se corse, même si elle se déroule en région parisienne.

Peu avant, Eloi, un vieux serviteur du comte, et sa fille Véronique, avaient été congédiés. Eloi, veuf de bonne heure, avait donné à Véronique une instruction raffinée et celle-ci âgée de dix-huit ans était entrée au service de la nouvelle comtesse comme lectrice. Les deux jeunes femmes n'étaient séparées que de quatre ans, mais, coïncidence troublante, elles se ressemblaient comme deux sœurs. Et Véronique entretint cette ressemblance en prenant la démarche, la coiffure, la voix même de sa maîtresse. Maîtresse qui fut bafouée semble-t-il car Véronique aurait effectué des avances éhontées au comte, d'où son renvoi et celui de son père.

Or Eloi et sa fille Véronique sont partis en Normandie, dans un petit village où le vieil homme possède une demeure. Les enquêteurs interrogent évidemment les voisins, les fonctionnaires dont le chef de gare, et selon tout ce beau monde, Eloi et Véronique ne se seraient pas absentés de leur villa, ou tout au moins du village.

Mais le doute s'installe. La comtesse est-elle celle qu'elle prétend être, ou Véronique aurait-elle pris sa place ? Commence un chassé-croisé qui embrouille les enquêteurs, une sombre histoire de substitution de personnes, et il est difficile de démêler le vrai du faux du faux du vrai. D'autant que selon les circonstances, la comtesse avoue être Véronique, puis se rétracte, revenant sur ses déclarations.

 

Ange Arbos, dont ce roman figure parmi ses premiers écrits, propose un jeu de miroir, proche d'une affaire de gémellité sans en être une puisqu'il s'agit de sosies. Mais le lecteur sait d'avance que les deux femmes se ressemblent, qu'elles peuvent se substituer l'une à l'autre. Ange Arbos ne sort pas un protagoniste de son chapeau en fin d'intrigue mais la présence de ces deux femmes est toujours constante. A moins que l'une d'elle joue deux rôles.

Dans un registre résolument policier classique, le futur Marc Agapit imprègne toutefois son histoire d'une once de fantastique, avec subtilité, la mise en scène du départ y influent pour beaucoup, de même que l'approche du récit par Delambre.

Le narrateur aperçoit quelques photos dont une de groupe représentant des personnages costumées et une autre le portrait de Jeanne la Folle. Or s'il s'agit de la comtesse et des membres participant à la soirée organisée par le comte, ceci n'est pas anodin. Car le comte était déguisé en Philippe le Beau et la comtesse en Jeanne la Folle, deux personnages historiques. Jeanne la Folle ainsi dénommée suite à la douleur ressentie à la mort de son mari.

Sans oublier les quelques allées et venues du domestique de Delambre lors de la narration de cette affaire, qui jette un doute sur les motivations du conteur vis-à-vis de ce voisin-narrateur pressé d'arriver à une conclusion qui au départ est erronée, puisque puisant dans des rumeurs.

Le sens de la narration est déjà présent, mais trouvera son développement par la suite lorsque Ange Arbos alias Marc Agapit se tournera résolument vers le fantastique et l'angoisse pour ses romans édités au Fleuve Noir, et qui restent des ouvrages de référence recherchés par les amateurs et les collectionneurs.

 

Ange ARBOS : La tour du silence. Collection Police N°155. Editions Ferenczi & fils. Parution 4 avril 1936. 64 pages.

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28 mars 2016 1 28 /03 /mars /2016 08:32

Elle a fait un bébé toute seule...

Daniel CARIO : Les chemins creux de Saint-Fiacre.

Et dans les années 1930, c'était fort mal vu. Les mères devaient cacher leur honte et les enfants nés hors mariage en subissait les conséquences. Surtout dans les petits villages ou hameaux comme Saint-Fiacre au sud du Faouët.

Né en 1932, Auguste n'a jamais connu son père. Il a été élevé par sa mère et sa grand-mère, qui ignoraient la tendresse. La "faute" de l'une étant mise au négatif du gamin. Seul le grand-père lui voue une affection sincère mais il est si peu souvent à la ferme, étant de profession couvreur et sillonnant la région.

Auguste est éduqué à coups de taloches et d'indifférence. Il vagabonde et se trouve des compagnons en forêt. Des animaux, parfois en perdition, qu'il soigne. Un oiseau, un renardeau qui finit en renard d'eau.

C'est l'âge des découvertes, bien avant d'aller à l'école. C'est ainsi qu'en vagabondant il fait la connaissance de Daoudal, un ermite volontaire et presqu'obligé de vivre en dehors de la communauté villageoise. Car Daoudal est un rebouteux, un magnétiseur, un radiesthésiste, qui soigne certaines maladies. Mais il est considéré comme un sorcier dont la fréquentation est mal vue. Pourtant, malgré le rejet maternel, la santé d'Auguste, sans être sacrée, importe. Ne serait-ce que pour taire les médisances qui foisonnent à la moindre peccadille. Daoudal va guérir Auguste d'un zona juvénile, affection rare chez un gamin. Et comme on dit, lorsque c'est rare, c'est que cela existe.

A la ferme, il n'y en a que pour le petit frère, né lui après un mariage de la mère. Un enfant légitime dont le père mourra peu après, mais l'important est qu'il eut un père officiel et déclaré. Auguste aimerait bien ce petit frère si celui-ci n'était pas si taquin et rejetait sur Auguste les bêtises commises, se montrant même cafteur. Pourtant Auguste est utile, ne serait-ce que par les poissons qu'il pêche avec des gaules de fortune ou à la main. Un supplément de nourriture qui n'est pas négligeable.

Entre Daoudal et Auguste se lie une forme d'amitié proche d'une relation filiale. L'ombre tutélaire paternelle projeté par le rebouteux sur l'enfant en manque d'affection et de repères.

Les années passent, cahin-caha, Auguste entre à l'école et se montre un relatif bon élève. Surtout il fait la connaissance d'une gamine de son âge, Lise. Entre les deux gamins, c'est une histoire d'amitié amoureuse, telle que deux enfants peuvent vivre et ressentir pleinement et sans arrière pensée. D'autant que les parents de Lise ne sont installés dans la région que depuis peu. Et le regard des villageois sur ces "étrangers", ces "horsains" comme sont définis en Normandie ceux qui ne sont pas du canton, n'est pas tendre. Suspicieux même.

Les années passent et bientôt se profile la guerre, et son lot d'avanies.

 

Le parcours d'un gamin qui ne connait pas son père, qui ne le connaitra jamais quelle qu'en soit la raison, ne laisse jamais indifférent. Surtout lorsque les deux femmes de la famille, la mère et la grand-mère s'érigent en marâtres, non plus dans le sens originel de belle-mère mais bien dans celui de la personne maltraitante.

Et l'amitié entre le vieil homme et l'enfant en est émouvante de par sa simplicité. Et pourquoi Daoudal ne serait pas son père ? C'est ce que peut penser l'enfant.

Ce sont des années d'apprentissage avant l'entrée réelle dans la vie scolaire, puis l'apprentissage de l'amitié, mais lorsque la guerre sévira, que l'envahisseur essaimera dans le pays, ce sera l'apprentissage de la vie au quotidien avec son lot de forfaitures, de jalousies, de mensonges, le tout entrecoupé de petits bonheurs et de grands malheurs. L'apprentissage de la mort, soit à cause de la maladie, soit à cause de la guerre. Une éducation rude qui forge le caractère, et révèle celui des adultes.

Si Les chemins creux de Saint-Fiacre est un roman, il est toutefois un héritage émaillé de souvenirs familiaux.

 

Daniel CARIO : Les chemins creux de Saint-Fiacre. Collection Terres de France. Editions Presses de la Cité. Parution le 3 mars 2016. 416 pages. 19,50€.

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27 mars 2016 7 27 /03 /mars /2016 14:13

Bon anniversaire à Jean Mazarin né le 27 mars 1934.

Jean MAZARIN : Sus aux pointus.

Sus aux pointus est le dixième roman consacré à la saga de Frankie Pat Puntacavallo, le détective niçois surnommé le Privé au soleil, sur les douze titres qui constitueront cette série.

L'on retrouve avec plaisir les habituels protagonistes : Muriel Kerdah, sa secrétaire depuis peu, René-Charles (clin de l'auteur au véritable prénom de l'auteur) agent immobilier, Ange Culculnacci, commissaire de police de son état, Gisou, le repos du docker et d'autres, ainsi que la famille Puntacavallo composée de Marylin, la sœur chanteuse dans une boîte de nuit, et les parents, le père, un peu de l'autre côté de la barrière et la mère expansive, protectrice, la Mamma par excellence.

En réalité, lorsque l'on plonge dans un livre ayant Frankie Pat comme héros, l'histoire, la trame, l'énigme deviennent secondaires, ce qui ne veut pas dire qu'elles n'existent pas, loin de moi ce propos. Les avatars subis par ce détective naïf, que ce soit dans sa vie familiale ou professionnelle, valent en eux-mêmes que l'on ouvre le volume.

Têtes de chapitres, dont le style rappelle curieusement celles employées par Charles Dickens dans Les Papiers posthumes du Pickwick Club, renvois, notes, notules, tout concourt pour nous livre un roman extrêmement jubilatoire.

Et je ne parlerai pas du délire verbal employé par Jean Mazarin dans ce qu'il appelle ses romans de détente. Romans qu'il s'amuse à écrire et que le lecteur s'amuse à découvrir dans ces aventures puntacavalliennes.

 

Dans ce volume se dégagent un petit air de réalisme, de nostalgie, de mélancolie. De nombreux faits troublent Frankie Pat, le narrateur-héros. Le décès de son père, la diatribe relativement douce-amère de Muriel Kerdah concernant ses possibilités inductives et déductives ainsi que sa renommée.

Alors virage ? Changement de cap ? Frankie Pat ne sera-t-il plus dans ses prochaines aventures le sympathique naïf ayant Humphrey Bogart comme idole et image de marque ? Espérons que si et qu'il vivra de nombreuses aventures qui lui laisseront certes un arrière goût d'amertume comme à l'habitude mais réjouiront le lecteur. C'est ce que j'écrivais dans une chronique datée de 1985.

Mais ce n'était qu'un vœu pieux puisque, au bout de douze aventures, Frankie Pat tirera sa révérence.

 

Titres composant la série Frankie Pat Puntacavallo, tous dans la collection Spécial Police :

 

1642 : Un privé au soleil

1665 : Ormuz, c'est fini

1678 : Adieu les vignes

1754 : Monaco morne plaine

1772 : Basta C.I.A.

1824 : Catch à Cannes

1838 : Un doigt de culture

1881 : Touchez pas la famille

1913 : Camora mia

1982 : Sus aux pointus

2013 : Nocturne le jeudi

2069: Canal Septante.

 

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26 mars 2016 6 26 /03 /mars /2016 10:44

Bon anniversaire à Pierre Marcelle né le 26 mars 1952.

Pierre MARCELLE : Conduite intérieure.

Taxidermiste, ou plutôt empailleur, terme issu de son enfance, Artigalas est un jeune homme pondéré, renfermé, qui vit de l’autre côté du périphérique. Sitôt sa journée terminée, il se prélasse dans son bain, se lave des odeurs de la profession et regarde défiler sur le bitume les traînées lumineuses des véhicules passant douze étages sous lui. Il rafistole dans son laboratoire personnel des animaux de compagnie que les propriétaires lui confient en dernier recours.

Un jour d’octobre, une jeune femme l’aborde à la sortie d’un musée. Suzanna est belle et désire que le jeune homme naturalise son chat, une bête de race, et ce avant le cinq décembre. Une rencontre provoquée, Artigalas s’en doute, car il a aperçu une Mercédès grise le suivre. Il accepte le travail, aussi bien pour l’argent que pour les beaux yeux de Suzanna. Elle pique le félidé qui était toujours en vie et Artigalas se met au travail sur la dépouille. Il n’est pas dupe mais il est attiré par la jeune femme qui le frôle, s’incruste presque chez lui et lui abandonne son corps. Car elle a une requête : Artigalas doit effectuer un véritable chef d’œuvre d’ébénisterie, habiller l’animal de bois de la fourrure et creuser un système de tiroir secret capable de contenir un objet gros comme un œuf de caille, sans recourir aux artifices de pièces métalliques. En bas, stationne la Mercédès avec à l’intérieur un vieux monsieur et deux seconds couteaux qui se relaient au volant.

Artigalas s’est mis en congé de maladie afin de terminer sa commande. Le 4 décembre il a terminé. L’objet que la jeune femme lui a confié n’est pas décelable au passage de la douane aéroportuaire. Mais Suzanna ne le considère plus que comme un artisan ; un affront ressenti par le dépôt sur la table d’une enveloppe contenant le reliquat de la rémunération, sans un mot, sans un sourire. Lorsque le dernier soir, Artigalas aperçoit les sbires armés, un pan de sa vie se déchire. Suzanna n’est plus qu’une cliente. Il n’a plus envie de lui remettre son œuvre. Il emprunte l’escalier de secours, le chat dans une caisse et tandis que les autres attendent devant sa porte, il étrangle le vieux monsieur et s’enfuit à bord du véhicule.

Il roule autour du périphérique, échange la conduite intérieure contre une vieille fourgonnette, le petit cercueil posé près de lui, puis il repart, avalant les tours de piste les uns après les autres. Lorsque la fourgonnette rend l’âme, il continue son périple à pied, marchant sur la bande d’urgence, couchant sous les ponts au pied des piles qui enjambent fleuve et boulevards, accompagné d’un chien qu’il a recueilli.

 

L’écriture de Pierre Marcelle s’avère sobre, raffinée, et malgré le manque d’action de ce roman, le lecteur se trouve entraîné malgré lui dans cette histoire.

Il découvre en Artigalas un être frustre, agoraphobe, et dont les amours se sont réduites à de brèves étreintes dans les bordels militaires. Sa vie est régie par son travail de taxidermiste, et l’intrusion de Suzanna lui révèle autre chose qu’un quotidien banal.

La désaffection de la jeune femme lui dessille les yeux, le laisse veuf et célibataire et l’entraîne dans une spirale routière. Les motivations de Suzanna s’éclairent peu à peu mais ce sont la femme et l’empailleur — la femme et le pantin ? — qui tiennent la vedette sous les feux des projecteurs.

Envoûtant, ce faux roman noir et rose prend sa plénitude dans la grisaille. La naissance du roman gris, alliance de la Noire et de la Blanche.

Réédition Points février 2001. 240 pages.

Réédition Points février 2001. 240 pages.

Pierre MARCELLE : Conduite intérieure. Editions Manya. Parution 1993. 162 pages.

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25 mars 2016 5 25 /03 /mars /2016 15:24

Surtout ceux qui veulent s'affranchir 

d'un conformisme académique...

Maurice GOUIRAN : Maudits soient les artistes.

Maurice Gouiran soulève les tapis sous lesquels les femmes de ménage de l'Histoire ont glissé les poussières allergènes qui font éternuer les hommes politiques.

 

Afin de pouvoir payer la rénovation du toit de sa bergerie, Clovis Narigou, qui ne veut pas laisser d'ardoises, a accepté de faire quelques piges pour Les Temps Nouveaux, un magazine national. Ce n'est pas pour autant qu'il ne va pas accumuler les tuiles.

La première, et de taille, est l'annonce qui lui est faite par son fils Eric. A première vue ce serait une bonne nouvelle, car il va passer quelques jours à la Varune, le hameau au dessus de Marseille, où vit Clovis, en compagnie de Gaëlle, sa Galline, qui est enceinte. Et Clovis est tout content de revoir son fils et sa compagne. Ça c'est pour la bonne nouvelle. Car ils ne vont pas arriver seuls. Trois couples et dix gamins seront de la partie. Des amis parisiens qui se conduisent comme des mal embouchés, surtout les gamins.

Un triste spectacle que découvre Clovis en revenant d'un reportage dans l'Ariège. Il était parti avec la mission d'obtenir des renseignements sur un mathématicien illustre mais méconnu, qui venait de décéder en ermite dans un incendie. C'est ainsi qu'il découvre qu'Alexander Grothendieck, le matheux en question, avait été interné tout jeune au camp de Rieucros, en Lozère, avec sa mère anarchiste allemande durant les années de guerre en 1940, en compagnie de nombreuses autres détenues. Il ne reste guère de survivants mais Clovis obtient toutefois l'adresse d'une vieille femme qui vit à Nice.

Ce qui vaut à Clovis une demande de la part de son rédacteur en chef, un deuxième papier sur ce camp d'internement, et par la même occasion un troisième article lui est proposé concernant une certaine Valentine Bertignac qui réclame à corps et à cris la restitution d'une douzaine de toiles de maîtres. Or coïncidence, cette Valentine Bertignac, qui rêvait d'un autre monde, aurait elle aussi été élevée avec sa mère au camp de Rieucros, ayant des antécédents juifs.

Voilà qui devrait mettre du beurre dans les épinards et l'apport d'argent frais pour la rénovation de sa bergerie. De quoi mettre de bonne humeur Clovis qui rentre donc à Marseille pour se plonger dans l'enfer de la tribu de campeurs indésirables. Or Clovis apprend coup sur coup le décès d'un habitant du quartier du Rove. Un vieil homme qui a été assassiné à la façon des chauffeurs des siècles derniers qui brûlaient les pieds des personnes susceptibles de détenir un magot chez elles afin de les obliger à dévoiler leur cachette. Et peu après c'est au tour de Valentine Bertignac et de son mari de subir le même traitement de défaveur.

Dans l'appartement d'un octogénaire munichois, des centaines d'œuvres d'art ont été retrouvées, et c'est cette affaire qui a déclenché la demande de Valentine Bertignac. Mais quelle corrélation entre son assassinat et celui de Bert, qui vivait chichement. Or son passé ne plaidait guère en la faveur de ce petit voyou qui avait essayé de racketter des pizzaïolos en camions, dans les années 70. C'est loin dans le temps, mais une vengeance serait toujours possible, à moins qu'étant un habitué des jeux de hasards, il aurait touché le gros lot. Evidemment les rumeurs vont bon train, et Clovis doit les éplucher afin de démêler le vrai du faux et inversement.

Commence alors pour Clovis une enquête à laquelle il associera son amie de cœur, la belle et jeune tatouée et percée Emma qui accessoirement travaille pour les forces de l'ordre.

Une enquête qui l'amènera à remonter le passé de peintres dit dégénérés, rencontrer des avocats défendant les intérêts de familles spoliées, et à renouer avec d'anciens amis correspondants de journaux allemands. Car même s'il ne les voit pas souvent, Clovis garde toujours dans un petit carnet les coordonnées de ses confrères, ce qui peut toujours servir, pour preuve.

 

Allié à une documentation impressionnante et rigoureuse qui pourrait faire penser que ce livre est plus un ouvrage historique et pédagogique, Maudits soient les artistes joue sur plusieurs tableaux. Bien évidemment le rejet par le parti nazi du renouvellement de la culture, les peintres et plasticiens novateurs étant considérés comme des dégénérés, forme l'ossature du roman, mais d'autres thèmes sont abordés. La spoliation des juifs par les Nazis, la difficulté de rendre à leurs propriétaires des œuvres d'art, la législation n'étant pas uniforme pour chaque pays. Autre difficulté, celle de prouver l'appartenance d'une œuvre familiale.

L'évocation du camp d'internement de Rieucros n'est qu'abordé, et devrait faire peut-être l'objet d'un prochain roman de la part de Maurice Gouiran. En effet, ce camp a été créé par décret le 21 janvier 1939, et accueillit les Républicains espagnols, des membres des Brigades internationales, qui étaient dénommé étrangers indésirables.

 

La touche d'humour, indispensable dans un roman noir, réside avec la colonisation par des familles et leurs gamins d'un domaine privé, en l'occurrence celui de Clovis par des trublions saccageurs.

Enfin, petite précision que j'ai eu sous les yeux dès premières les aventures de Clovis Narigou que j'ai lues et qui est si évidente que j'aurai dû la déceler depuis longtemps : Narigou n'est autre que l'anagramme de Gouiran. Bien des lecteurs ont dû faire ce rapprochement mais il a fallu que l'auteur me souffle la réponse pour que le déclic opère. Et ce que parce que dans sa jeunesse, à la fin des années soixante, Clovis s'était senti une âme de peintre, comme d'autres tentent de rimailler, et qu'il avait commis un tableau psychédélique qu'il n'avait pas osé signer de son patronyme et donc avait détourné son nom en Gouiran.

Maurice Gouiran ne manque pas d'humour en se moquant de lui-même. D'ailleurs c'est ça l'humour. Savoir se moquer de soi-même. En général quand on se moque des autres, cela devient vite de la méchanceté.

Maurice GOUIRAN : Maudits soient les artistes. Collection Polar Jigal. Editions Jigal. Parution le 17 février 2016. 232 pages. 18,50€.

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24 mars 2016 4 24 /03 /mars /2016 15:13

Un boulanger roulé dans la farine, du grain à moudre pour les médias.

Laurent MANTESE : Pont-Saint-Esprit. Les cercles de l'enfer.

En ce milieu du mois d'août 1951, Jacques, le narrateur, est de retour dans son village natal après une absence de trois ans, absence due à la poursuite de ses études à Lille.

Il réintègre sa chambre sous les toits, retrouvant avec plaisir les lieux et sa mère qui vit seule depuis le décès de son mari. Rien n'a changé ou presque.

A vingt-quatre ans, Jacques est encore célibataire, mais il a aperçu une ancienne condisciple, Julie, qu'il a connue sur les bancs de l'école et qui s'est muée en adorable jeune fille. Mais l'heure n'est guère au marivaudage car en ce 17 août la vie et la mort vont bousculer les habitudes des Spiripontains.

Des phénomènes étranges envahissent le corps et l'esprit de certains des habitants de la petite cité. Ils ressentent des troubles du comportement, sont atteints d'hallucinations, d'hystérie.

Se rendant dans un café, afin de boire un verre de lait et tenter de voir Julie, il peut constater certaines de ces manifestations sur des clients. L'un d'eux se plaint de dérangements intestinaux, l'autre regarde tout à coup le plafond et se conduit comme s'il venait de découvrir une bête monstrueuse, et son visage devient exsangue. Un gamin dans la rue est plié en deux et grimace affreusement. Ce sont les premiers symptômes qui vont bientôt prendre pour victimes quelques trois cents personnes. Certaines en décèderont dans de terribles souffrances. Et les animaux ne sont pas épargnés.

Le narrateur lui-même ressent certains troubles, mais sa jeunesse alliée au fait qu'il n'est à Pont-Saint-Esprit que depuis peu, font qu'il se remet assez vite, non sans en garder des séquelles. Tout comme la plupart des autres malades atteints de cette épidémie d'origine inconnue. Mais il sera dénombré toutefois environ une dizaine de morts.

Jacques assiste nuitamment de la fenêtre de sa chambre à de mystérieuses allées et venues, des hommes en noir décharnés, qui s'activent dans le cimetière voisin. Il croit les revoir les jours suivants, mais ne sont-ce que des visions provoquées par la maladie ?

Si le boulanger ne fut pas accusé de vive voix, il fut toutefois soupçonné d'être à l'origine de cette étrange épidémie. Tous ceux qui ont été atteints de cette forme d'intoxication s'approvisionnaient chez lui.

Inspiré par une affaire véridique, mais mettant en scène quelques protagonistes fictifs, Laurent Mantese a écrit un roman relevant du fantastique et de l'angoisse dans un contexte historique. Son personnage principal narre cet épisode, soixante ans après son déroulement, mais il se contente de relater ce qu'il a vu, entendu, constaté, ressentit, sans jeter l'opprobre sur qui que ce soit. Et avec le recul, les questions n'ont toujours pas eu de réponses. Un texte fort et émouvant complété par Jean-Pierre Favard dans son article : Pont-Saint-Esprit, autour de l'affaire du pain maudit.

En effet si Laurent Mantese traite ce sujet avec l'âme d'un poète torturé, Jean-Pierre Favard reconstitue cette affaire d'un point de vue historique. De nombreuses supputations ont été lancées, présence de mercure, rappel d'épidémies dans les siècles passés dont la fameuse Grande Peste, mais rien n'est définitif.

Et de temps à autre, Pont-Saint-Esprit est évoqué dans les médias au travers d'articles, recensés en fin de l'ouvrage, s'appuyant sur des recherches et des hypothèses. De nombreuses pistes furent explorées, mais certaines rapidement enterrées. Et comme le précise Jean-Pierre Favard, mais si cette piste fut rapidement abandonnée, c'est peut-être aussi, on peut l'imaginer, parce qu'elle constituait un risque majeur pour des intérêts économiques de tout premier plan.

Et l'on peut se poser moult questions notamment sur les agissements de certains ensemenciers, de laboratoires phytosanitaires et de décisions prises à Bruxelles. Mais chut, c'est top secret, et il y a trop d'argent en jeu pour vouloir remuer la vase.

 

Dans la même collection :

Laurent MANTESE : Pont-Saint-Esprit. Les cercles de l'enfer. Collection LoKhaLe N°2. Editions La Clef d'Argent. Parution 13 octobre 2015. 112 pages. 6,00€.

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23 mars 2016 3 23 /03 /mars /2016 16:43

Bon anniversaire à Philippe Bouin, né le 23 mars 1949.

Philippe BOUIN : L'homme du paradis.

Internet offre des possibilités inouïes en matière d'information sur la vie privée jusque dans le moindre petit village.

Ainsi Saint-Vincent-des-Vignes, paisible petite commune nichée dans le Beaujolais à quelques dizaines de kilomètres de Lyon, n'échappe pas à ce nouveau système de cafardage malsain. Village en folies, journal électronique sans concession, publie chaque jour les travers des habitants, lesquels ont été prévenus de ce nouveau mode de communication local. On n'arrête pas le progrès !

Prévenu, Archibald Sirauton, au nom prédestiné puisqu'il s'est reconverti comme vigneron, premier édile de la petite cité et ancien magistrat, ne peut laisser faire cet anonymographe perturbateur.

Mais bientôt Archibald va être confronté à une autre enquête, qui le touche de près, puisque Xa, sa chère et tendre Xa, comédienne de profession et amante à temps complet, lorsque sa vocation d'artiste lui en laisse le temps, est accusée de meurtre. Le crime s'est déroulé lors de la répétition d'une pièce de Molière, dans un théâtre lyonnais. Le metteur en scène est assassiné, et comme si cela ne suffisait pas, son remplaçant également.

 

Archibald, heureusement pour lui, ne se prélasse pas dans les Vignes du Seigneur, et cette double affaire va requérir toutes ses facultés d'enquêteur amateur.

Saint-Vincent-des-Vignes est un petit village comme tous les autres, un peu Clochemerle, avec ses habitants qui boivent ensemble des canons, mais qui ne manquent pas de se dénigrer, avec ses bigotes et ses anticléricaux, ses boute-en-train, ses grognons, ses malotrus et ceux qui sont toujours prêts à aider leur prochain.

Parmi ce petit monde, qu'observe d'un œil perplexe le chien de Sirauton, il est à noter qu'entre le curé, le père Goma originaire d'un pays d'Afrique et donc regardé parfois avec suspicion par ses paroissiens, et Archibald règne une entente plus que cordiale, amicale même. Nous sommes loin de l'animosité qui oppose Don Camillo et Peppone, au contraire. Et s'ils ne sont pas cul et chemise, ils se comprennent à demi-mot et se complètent dans leurs démarches.

 

Philippe Bouin, avec ce nouvel opus nous propose une tranche de vie villageoise mais également un aperçu des coulisses théâtrales qui ne manque pas de piquant. Une double enquête, rurale et urbaine, que mènera à bien notre vigneron dont la vêture intrigue ses concitoyens, mais comme l'on dit, ce n'est pas l'habit qui fait le moine.

Placé résolument sous le signe de l'humour, L'homme du Paradis nous plonge dans une atmosphère bon enfant, un peu comme aimait les décrire Charles Exbrayat dans ses romans de terroir situés la plupart du temps dans le Lyonnais. Et comme pour Charles Exbrayat je placerai Philippe Bouin du côté des Epicuriens et non loin de Rabelais qui disait : Pour ce que rire est le propre de l'homme...

 

Je vous propose de découvrir l'excellente chronique d'Yv sur son blog :

A lire de Philippe Bouin dans la même collection et avec les mêmes personnages :

Philippe BOUIN : L'homme du paradis. Collection Terres de France. Editions Presses de la Cité. Parution 11 juin 2015. 320 pages. 20,00€.

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22 mars 2016 2 22 /03 /mars /2016 15:49

Une Amandine à croquer...

Lucienne CLUYTENS : Amandine et les brigades du Tigre.

En ce joli mois de mai 1909, le 19 pour être précis, Amandine se promène à bicyclette dans les environs du Crotoy, la résidence d'été de ses parents, car le restant de l'année c'est à Amiens qu'ils habitent. Sa mère a hérité d'une chocolaterie, et s'active à la confection de nouvelles friandises. Son père est féru de mécanique, et en ce moment il aide les frères Caudron dans la construction d'un nouvel appareil volant.

Amandine elle aussi ne dédaigne pas mettre les mains dans le cambouis, mais pour l'heure elle roule vers Le Crotoy tout en pensant au bel Alexander Weather, son ami anglais connu trois ans auparavant alors qu'elle n'avait que dix-sept ans. Une amitié amoureuse, du moins de la part d'Amandine, et elle se sent si bien en sa compagnie, lorsqu'il passe ses vacances sur la côte bien évidemment. Et puis, avantage non négligeable, cela lui permet de parfaire son anglais.

Mais il n'est pas encore arrivé, sa tante non plus. Et Mesdames Colette Willy et son amie Mathilde de Morny, dite Missy, ne sont pas arrivées non plus. Les volets sont fermés. Les semaines passent, retour à Amiens car la chocolaterie doit produire, même si la mère d'Amandine ne s'occupe pas des papiers et de la direction.

Enfin, mi-juillet, retour au Crotoy. Colette et Missy sont déjà là depuis un mois, et Alexander est là lui aussi avec sa tante. Le 29 juillet, un bal costumé est organisé dans la riche villa des Weather, Lady Priscilla fêtant son anniversaire, et pour la première fois Amandine a le droit de sortir sans chaperon. Amandine se déguise en Charlotte Corday, son côté jeune fille émancipée, même si par d'autres côtés elle est un peu fleur bleue et oie blanche. Pour preuve, alors qu'elle visite la villa, elle aperçoit des invités massés dans une pièce à l'étage, s'occupant avec des sortes de pipes à longs manches. Elle se demande à quoi cela peut correspondre, surtout l'odeur étrange qui s'en dégage.

Alex n'apprécie pas du tout cette incursion et le lui fait savoir mais soudain un cri résonne. Lady Priscilla fait de grands gestes et semble affolée. Amandine se dirige vers la plage et s'endort sur le sable. Heureuse nature. Alex se charge de la réveiller en douceur et lui apprend que les bijoux de Lady Priscilla ont été dérobés. Personne n'y a vu quoi que ce soit, le voleur s'étant introduit par l'arrière grâce à une échelle.

Missy et Colette, comme les autres estivants et habitants du Crotoy ont appris l'indélicatesse. Missy propose de demander directement à ses amis Lepine, préfet de police de Paris, et Hennion, le directeur de la Sûreté Générale un renfort policier. Un inspecteur des Brigades du Tigre va donc être détaché pour enquêter sur ce vol.

Raoul Plantier, le policier parisien, interroge, entre autres personnes, Amandine puisqu'elle participait à la petit fête. Mais l'homme ne plait pas à la jeune fille qui le trouve quelconque, et surtout imbu de sa personne :

Il a des manières de Parisien qui se croit le centre du monde. Il ne fera pas mieux que nos gendarmes.

Quelque temps plus tard, le corps d'Anaïs, la petite bonne qui travaille chez les parents d'Amandine, est retrouvé sur la plage. De physique plutôt ingrat, il semble qu'elle avait eu un rendez-vous galant, les vêtements qu'elle porte le prouve. D'accord ce ne sont pas des habits neufs, mais donnés par la mère d'Amandine, afin de déblayer quelque peu les armoires, ils sont tout juste défraîchis, et encore. L'anomalie réside dans la bague que son doigt arbore fièrement : elle fait partie du lot qui a été dérobé à Lady Priscilla.

Amandine se lance à corps perdu dans cette enquête qui la touche de près, aidée par Juliette, son amie, puis par Plantier. Celui-ci rouspète car il l'a toujours entre les jambes (c'est une métaphore !), mais peu à peu ils vont collaborer. Il reconnait à Amandine des dons de déduction et d'observation, qui théoriquement sont incompatibles avec la condition féminine.

 

Dans ce roman policier de facture classique, deux personnages retiennent l'attention, Amandine et Plantier, même si un antagonisme certain les oppose.

Amandine se délecte à la lecture des romans, de Colette bien évidemment, mais également des ouvrages consacrés à Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Rouletabille. C'est cette fréquentation littéraire, de bon aloi, qui l'incite à vouloir enquêter sur le vol des bijoux ainsi que sur le meurtre d'Anaïs. Sans oublier qu'elle veut démontrer que son père et elle ne sont pour rien dans ces deux affaires. Naïve parfois dans ses réactions, elle n'en est pas moins femme en devenir, et la libido qui est en gestation en elle commence à la travailler au corps. D'ailleurs elle glisse au cours d'une conversation avec son amie Juliette :

Toi, tu as déjà pratiqué. Et moi, j'en suis toujours au même point que le jour de ma communion. Savoir les choses, c'est bien, mais les faire, c'est mieux !

Quant à Plantier, il s'agit d'un intrus, en provenance de Paris, et bien entendu, tout le monde s'en méfie. D'autant qu'il n'est guère abordable et pose ses gros sabots un peu partout.

Les autres protagonistes ne manquent pas non plus d'intérêt, même s'ils ne traversent le roman parfois qu'en coup de vent, comme Colette et Missy.

Un roman qui se lit avec d'autant plus de plaisir qu'il allie à l'intrigue, classique comme je l'ai écrit et fort bien menée, des références historiques et littéraires intéressantes. De même c'est la condition féminine à cette époque qui est explorée, les prémices du féminisme justement envahissant peu à peu la province. La libéralisation de la femme est en marche, elle connaîtra quelques arrêts intempestifs et des à-coups désordonnés, mais comme toute machine lancée avec force, elle traverse l'histoire pour mieux s'imposer.

Il serait bienvenu de la part de Lucienne Cluytens de donner une suite aux aventures d'Amandine, le personnage étant fort intéressant, et l'on aimerait la voir évoluer dans d'autres enquêtes.

Lucienne CLUYTENS : Amandine et les brigades du Tigre. Collection Belle époque. Pôle Nord Editions. Parution le 5 mars 2016. 214 pages. 10,00€.

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22 mars 2016 2 22 /03 /mars /2016 10:56

Méfiez-vous des contrefaçons !

Jan THIRION : Sex toy.

Derrière un roman policier, ou tout autre genre de la littérature dite populaire, se cache un écrivain qui regarde le monde tel qu’il est et l’intègre dans ses intrigues sans vraiment le déformer, juste en apportant sa sensibilité et ses phantasmes. Comme le fabuliste animalier mettait en scène ses contemporains, dénonçant leurs travers avec humour, et clôturait sa démonstration par une morale élégante, Jan Thirion avec Sextoy made in China, titre évocateur qui devrait se passer de commentaires, nous propose de nous plonger dans un épisode qui bizarrement colle à l’actualité.

Alors que Hu Jintao, le président de la République Populaire de Chine, est en visite officielle en France, les rues et les places de la capitale ont été décorées en son honneur. Ce n’est pas toujours de très bon goût, mais les Parisiens, et les Français en général, sont volontiers farceurs et frondeurs. Fayrouz Jasmin, journaliste d’investigation à Trustinfo, site d’informations sur le web, est réveillée brutalement, au sortir d’une nuit amoureuse, par son patron qui lui demande d’aller illico presto rue de la Butte aux Cailles, un attentat supposé venant de se produire. Les autres médias n’en ont pas encore parlé, et Lucas, son patron, est tout guilleret à l’idée de les griller.

Enfourchant son vieux scooter, Fayrouz se rend sur place et retrouve le commissaire Naseau, lequel manque parfois de nez, car il n’a pas flairé des indices laissés sur place par une des victimes. L’une d’elles n’est autre que Marie, la fille adoptive pour les uns, naturelle pour les autres, du ministre Ledamier, et qui joue aux dames. Marie était en compagnie d’une partenaire et l’objet du délit est un olibos en matière synthétique, fluo et vibrant. Fayrous se renseigne auprès d’un commerçant qui lui remet des clés qu’aurait perdues la jeune fille, clés qui justement mettent en marche une petite moto et permettent de découvrir à l’intérieur de la malle arrière un prospectus émanant d’une boutique vendant des articles de compensation à la libido des femmes en manque de satisfaction charnelle. Ni une, ni deux, Fayrous emprunte l’engin à deux roues et afin de ne pas éveiller la suspicion du marchand de succédanés sexuels achète un article du même acabit. Mais elle se fait enlever par quatre trublions masqués qui s’interpellent à l’aide de noms d’animaux.

Les rues que doit emprunter le cortège présidentiel sont très animées, surveillées par moult policiers, et l’ambiance se révèle plutôt électrique. C’est dans ce gentil foutoir qu’évoluent la belle Fayrouz et quelques protagonistes aux agissements pour le moins surprenant. Notamment le brave commissaire Naseau, qui semblait bien esquinté physiquement lorsque Fazyrouz l’a abordé rue de la Butte aux Cailles, ou encore Coralie, une autre journaliste de Trustinfo qui ne manque pas de battant, un inspecteur de l’IGS, une vieille dame qui joue à la Guerre des Etoiles avec les dildos que vend son fils, et les fameux agresseurs qui fomentent quelque chose de pas très net.

 

Jan Thirion nous entraîne dans une intrigue complètement débridée, et qui aurait pu se dérouler lors du séjour de Hu Jintao. Mais ça vous ne le saurez jamais. La réaction de quelques parisiens adeptes du lancer d’objets manufacturés en Asie, elle, ne s’est pas produite, mais je suis persuadé que bon nombre de personnes y ont pensé sans mettre leur idée en pratique.

Première édition : Sextoy made in China.Collection Forcément Noir, éditions Krakoen. Parution septembre 2010.

Première édition : Sextoy made in China.Collection Forcément Noir, éditions Krakoen. Parution septembre 2010.

Jan THIRION : Sextoy. Réédition Collection Noire Sœur. Editions SKA. 2,99€.

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21 mars 2016 1 21 /03 /mars /2016 14:56

Bon anniversaire à Maurice Gouiran né le 21 mars 1946.

Maurice GOUIRAN : Qui a peur de Baby Love ?

Hormis ces prénoms à manger un hamburger dans un restaurant trois étoiles, qu’est-ce qui peut bien relier cette succession de morts succombés à une mode de suicide à moins qu’il s’agisse de meurtres perpétrés par un individu particulièrement machiavélique ?

D’abord c’est Polycarpe Bouffaréou qui est retrouvé pendu au dessus d’une passerelle. Seulement il porte un bandeau orange, qui cache le trou effectué par une balle de SIG-Sauer. De plus un carré de tissu gris est accroché à son veston. L’arme du crime est retrouvée quelques mètres plus bas. Bref cela ressemblerait bien à une mise en scène selon le lieutenant Emma Govgaline mais il lui manque des éléments pour étayer cette hypothèse, d’autant que des traces de poudre sont relevées sur sa main. Le lendemain, un deuxième cadavre, du nom de Passionis Cimarosa est découvert dans une calanque. Selon toutes vraisemblances un nouveau suicide avec comme point commun le SIG-Sauer, le bandeau de couleur, différente cette fois, le morceau de tissu gris sur le veston. Et si cela ne suffisait pas un troisième trépassé est retrouvé dans un parking, Pamphile Bonfaloux.

Les trois défuntés occupaient un poste en vue dans la société marseillaise, parfois très proche du maire. Bizarrement leur décès était programmé dans le journal local, annoncé par la veuve, les enfants, la famille et un(e) certain(e) Baby Love. Manquaient la date de décès et celle des obsèques.

Pendant ce temps, Clovis, le héros récurrent des romans de Maurice Gouiran, est sollicité par Elodie, charmante jeune femme qui joue les intérimaires dans son lit, car son frère Paterne, installé comme professeur à Strasbourg se serait ôté la vie à l’aide d’une arme à feu le jour du 1er de l’an. Premièrement il n’avait aucune raison de quitter notre bonne vieille terre, ensuite des traces de poudre subsistaient sur sa main droite. Seul problème, Paterne était gaucher. Dans l’ordinateur de Paterne subsiste une vieille photo de classe avec huit condisciples vêtus de blouses grises. En 1972, un anachronisme.

Le lien est trouvé grâce à Raf, un policier qui renseigne pour le plaisir Clovis, et rejoint ce que notre héros va pouvoir confronter avec les informations recueillies auprès d’Emma. Huit collégiens, âgés de dix sept ans environ, étaient internes dans un institut catholique marseillais dont l’aumônier, le père Sylvain, ancien de l’OAS et auparavant de l’ORAF, Organisation de Résistance de l’Algérie Française, créé en 1956, honnissait les communistes, la gauche dans son ensemble et prônait les valeurs de l’extrême droite, fustigeant les ultra gauches. Les huit condisciples auraient flirté avec le GUD, une émanation de l’association Occident.

Lors d’un repas pris en compagnie d’Emma, qui vient d’être dessaisie de l’affaire par le juge d’instruction au profit d’une vague enquête concernant un supposé attentat envers une ligne ferroviaire, et d’un des survivants de cet établissement, Philogène ils apprennent que les autres condisciples se prénommaient Priam, décédé depuis, Philémon et Pancrace. Pendant qu’Emma et Clovis dissertent, Philogène prétextant une avarie de la prostate se rend aux toilettes où il est retrouvé une balle dans la tête, l’arme à ses pieds. Cette affaire de P sent vraiment trop mauvais.

 

L’histoire prend donc sa genèse dans un institut catholique, ferment d’idées extrémistes et favorisant les amitiés particulières. D’ailleurs les bandeaux enserrant les têtes des morts sont de couleurs différentes, un peu comme un arc en ciel ou les couleurs du Rainbow Flag, couleurs des homosexuels. Maurice Gouiran ne se gêne pas, et il a raison, pour tirer à gauche et à droite, pour dénoncer les politiciens qui veulent se faire un nom avant de prouver leurs compétences.

Ainsi : Décidément, ces socialos qui avaient mis le pays sur la paille n’étaient même pas capables de s’entendre entre eux. Comment pouvaient-ils pouvoir prétendre gouverner un jour ? Mais tout le monde en prend pour son grade, pour preuve : A Marseille, on interdisait systématiquement la passerelle lorsque le chef de l’Etat daignait gratifier la cité phocéenne de son auguste présence, question de sécurité probablement. Mais ce matin-là, le premier des Français, bien critiquable à d’autres égards, n’y était strictement pour rien.

Les hommes politiques ne sont pas les seuls visés. Les policiers et les journalistes également : Pour nous (journalistes), comme pour la police, l’affaire était close (décès de Paterne) et le sujet du jour, c’étaient les incendies de voitures, les vrais, les faux. La polémique enflait à ce sujet et les lecteurs avaient sacrément besoin d’infos croustillantes. L’auteur assène des vérités qui ne font pas toujours plaisir, mais c’est ça le rôle d’un écrivain honnête, au risque de déplaire. Ainsi les failles de l’école privée, comparée à l’école publique. Les bourgeois, mais aussi les ruraux confiants dans une éducation rigoureuse, qui n’hésitaient pas à dépenser moult argent pour des résultats peut-être probants mais aux méthodes discutables. Mais on peut sourire toutefois à cette affirmation : A Marseille, les filles sont si belles qu’un mec normalement constitué ne peut guère résister à l’appel de la chair.

Maurice GOUIRAN : Qui a peur de Baby Love ? Editions Jigal ; collection Jigal Polar. Parution septembre 2009. 276 pages. 18,25€.

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