Une Amandine à croquer...
En ce joli mois de mai 1909, le 19 pour être précis, Amandine se promène à bicyclette dans les environs du Crotoy, la résidence d'été de ses parents, car le restant de l'année c'est à Amiens qu'ils habitent. Sa mère a hérité d'une chocolaterie, et s'active à la confection de nouvelles friandises. Son père est féru de mécanique, et en ce moment il aide les frères Caudron dans la construction d'un nouvel appareil volant.
Amandine elle aussi ne dédaigne pas mettre les mains dans le cambouis, mais pour l'heure elle roule vers Le Crotoy tout en pensant au bel Alexander Weather, son ami anglais connu trois ans auparavant alors qu'elle n'avait que dix-sept ans. Une amitié amoureuse, du moins de la part d'Amandine, et elle se sent si bien en sa compagnie, lorsqu'il passe ses vacances sur la côte bien évidemment. Et puis, avantage non négligeable, cela lui permet de parfaire son anglais.
Mais il n'est pas encore arrivé, sa tante non plus. Et Mesdames Colette Willy et son amie Mathilde de Morny, dite Missy, ne sont pas arrivées non plus. Les volets sont fermés. Les semaines passent, retour à Amiens car la chocolaterie doit produire, même si la mère d'Amandine ne s'occupe pas des papiers et de la direction.
Enfin, mi-juillet, retour au Crotoy. Colette et Missy sont déjà là depuis un mois, et Alexander est là lui aussi avec sa tante. Le 29 juillet, un bal costumé est organisé dans la riche villa des Weather, Lady Priscilla fêtant son anniversaire, et pour la première fois Amandine a le droit de sortir sans chaperon. Amandine se déguise en Charlotte Corday, son côté jeune fille émancipée, même si par d'autres côtés elle est un peu fleur bleue et oie blanche. Pour preuve, alors qu'elle visite la villa, elle aperçoit des invités massés dans une pièce à l'étage, s'occupant avec des sortes de pipes à longs manches. Elle se demande à quoi cela peut correspondre, surtout l'odeur étrange qui s'en dégage.
Alex n'apprécie pas du tout cette incursion et le lui fait savoir mais soudain un cri résonne. Lady Priscilla fait de grands gestes et semble affolée. Amandine se dirige vers la plage et s'endort sur le sable. Heureuse nature. Alex se charge de la réveiller en douceur et lui apprend que les bijoux de Lady Priscilla ont été dérobés. Personne n'y a vu quoi que ce soit, le voleur s'étant introduit par l'arrière grâce à une échelle.
Missy et Colette, comme les autres estivants et habitants du Crotoy ont appris l'indélicatesse. Missy propose de demander directement à ses amis Lepine, préfet de police de Paris, et Hennion, le directeur de la Sûreté Générale un renfort policier. Un inspecteur des Brigades du Tigre va donc être détaché pour enquêter sur ce vol.
Raoul Plantier, le policier parisien, interroge, entre autres personnes, Amandine puisqu'elle participait à la petit fête. Mais l'homme ne plait pas à la jeune fille qui le trouve quelconque, et surtout imbu de sa personne :
Il a des manières de Parisien qui se croit le centre du monde. Il ne fera pas mieux que nos gendarmes.
Quelque temps plus tard, le corps d'Anaïs, la petite bonne qui travaille chez les parents d'Amandine, est retrouvé sur la plage. De physique plutôt ingrat, il semble qu'elle avait eu un rendez-vous galant, les vêtements qu'elle porte le prouve. D'accord ce ne sont pas des habits neufs, mais donnés par la mère d'Amandine, afin de déblayer quelque peu les armoires, ils sont tout juste défraîchis, et encore. L'anomalie réside dans la bague que son doigt arbore fièrement : elle fait partie du lot qui a été dérobé à Lady Priscilla.
Amandine se lance à corps perdu dans cette enquête qui la touche de près, aidée par Juliette, son amie, puis par Plantier. Celui-ci rouspète car il l'a toujours entre les jambes (c'est une métaphore !), mais peu à peu ils vont collaborer. Il reconnait à Amandine des dons de déduction et d'observation, qui théoriquement sont incompatibles avec la condition féminine.
Dans ce roman policier de facture classique, deux personnages retiennent l'attention, Amandine et Plantier, même si un antagonisme certain les oppose.
Amandine se délecte à la lecture des romans, de Colette bien évidemment, mais également des ouvrages consacrés à Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Rouletabille. C'est cette fréquentation littéraire, de bon aloi, qui l'incite à vouloir enquêter sur le vol des bijoux ainsi que sur le meurtre d'Anaïs. Sans oublier qu'elle veut démontrer que son père et elle ne sont pour rien dans ces deux affaires. Naïve parfois dans ses réactions, elle n'en est pas moins femme en devenir, et la libido qui est en gestation en elle commence à la travailler au corps. D'ailleurs elle glisse au cours d'une conversation avec son amie Juliette :
Toi, tu as déjà pratiqué. Et moi, j'en suis toujours au même point que le jour de ma communion. Savoir les choses, c'est bien, mais les faire, c'est mieux !
Quant à Plantier, il s'agit d'un intrus, en provenance de Paris, et bien entendu, tout le monde s'en méfie. D'autant qu'il n'est guère abordable et pose ses gros sabots un peu partout.
Les autres protagonistes ne manquent pas non plus d'intérêt, même s'ils ne traversent le roman parfois qu'en coup de vent, comme Colette et Missy.
Un roman qui se lit avec d'autant plus de plaisir qu'il allie à l'intrigue, classique comme je l'ai écrit et fort bien menée, des références historiques et littéraires intéressantes. De même c'est la condition féminine à cette époque qui est explorée, les prémices du féminisme justement envahissant peu à peu la province. La libéralisation de la femme est en marche, elle connaîtra quelques arrêts intempestifs et des à-coups désordonnés, mais comme toute machine lancée avec force, elle traverse l'histoire pour mieux s'imposer.
Il serait bienvenu de la part de Lucienne Cluytens de donner une suite aux aventures d'Amandine, le personnage étant fort intéressant, et l'on aimerait la voir évoluer dans d'autres enquêtes.
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Lucienne CLUYTENS : Amandine et les brigades du Tigre. Collection Belle époque. Pôle Nord Editions. Parution le 5 mars 2016. 214 pages. 10,00€.
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