A onze ans Mattia a déjà un drôle de passé derrière lui, enfin drôle ce n'est pas tout à fait le mot qui convient. Un passé de bric et de broc, aux nombreuses fractures.
Gabrielle, la copine plus âgée de son tuteur, est à l'hôpital. Elle a tenté de se suicider en se tailladant les veines. Zé, le tuteur de Mattia, n'a que vingt quatre ans, et il est vigile dans un magasin. Il travaille de nuit. Il a obtenu la garde de Mattia quelques années auparavant, avec l'accord de la mère de l'enfant, et de ses frère et sœur, plus vieux que lui. Zé a toujours un livre à la main ou près de lui. Il peut réciter par cœur des passages entiers de Rimbaud, Lamartine et bien d'autres poètes qu'il affectionne.
Il faut dire que le père de Mattia s'est pendu dans sa chambre à l'Hôpital Psychiatrique où il était détenu depuis un épisode qui l'avait complètement chamboulé. Zé aussi était dans le même service. Les deux hommes étaient devenus amis, une amitié d'entraide forgée par des destins quasi parallèles.
Le père de Mattia était éducateur spécialisé. Depuis cet incident tragique, ses neurones avaient court-circuité. La famille s'est éparpillée en morceaux. Mattia ne voit plus sa mère, ou rarement. Son frère, ou plutôt son demi-frère Stephano vit dans les beaux quartiers, il est médecin. Sa sœur Gina est partie courir le monde à la recherche d'illusions perdues. Et Mattia qui n'a que onze ans, vit entouré de Zé, qui essaie de l'éduquer comme il peut, et de Gabrielle qui ne pense qu'à s'échapper de la vie en se donnant la mort.
Depuis un certain temps, des graffitis fleurissent sur les murs des immeubles, des tags représentant Saïd, un adolescent mort quinze ans auparavant. Et Mattia s'aperçoit que deux individus le surveillent à la sortie de l'école, le suivent. Il en fait part à Zé qui ne croit pas trop à ce que lui dit Mattia. Des mensonges édictés par le gamin qui n'apprécie pas l'école. Jusqu'au jour où il est bien obligé de reconnaitre que Mattia n'affabule pas. Sont-ce des policiers ou des truands ?
Gina revient à improviste, serait-ce le début de la réconciliation familiale ? Mattia peut toujours rêver. Et puis il est comme Zé, comme Gabrielle qui a elle aussi fait des séjours en HP. Il a vécu son traumatisme à lui, et il est suivi par une psychologue. Heureusement Nouria, c'est son nom, est sympathique et compréhensive. Seulement Mattia n'aime pas l'école
Je déteste l'école parce qu'elle me vole du temps - un temps considérable. Il y aurait tellement intéressant à faire que d'être là, assis sur une chaise, à attendre bêtement qu'on te remplisse la tête de savoir inutile en chassant tout ce qui est important pour faire plus de place.
Mattia est un gamin issu des Verrières, quartier déshérité, aujourd'hui réduit à un vaste chantier. Les barres d'HLM (habitations à loyer modéré) ont été rasées et sur le terrain sur lequel s'élèvent les grues, seront construites des HLD (habitations à loyer dispendieux).
Cloé Mehdi écrit en trempant sa plume dans l'encrier de la rage, elle dénonce l'injustice, l'impunité, dont font preuve les forces de police lorsque l'un de ses membres commet, sous couvert de légitime défense, un meurtre. Une diatribe virulente, un réquisitoire, plus qu'un constat.
Cloé Mehdi n'a que vingt-quatre ans, mais elle écrit comme si elle était beaucoup plus vieille, accumulant des expériences vécues et avait connu personnellement ce genre de situation.
Mattia est un gamin de onze ans, beaucoup trop mature pour son âge, dont les réflexions sont celles d'un adolescent déjà aigri par les inégalités.
Pourquoi ton père il a envoyé en taule des tas de gens des Verrières qu'avaient pas fait grand chose, alors que le flic qui a tué Saïd, personne ne l'a condamné.
Mais il n'est pas le seul à regretter cet état de fait. Ce corporatisme à outrance dont devait nous débarrasser la Révolution mais dont on voit et subit tous les jours les outrances.
Depuis que tu es entré à l'école de police, tu ne fréquentes plus que tes copains flics. Tu ne sais même plus comment ça fonctionne le monde au-delà de ton petit cercle de collègues dont la vision des réalités sociales s'arrête au bout de leur képi.
Il y a la parole des témoins, lorsqu'on en trouve, et celle des policiers. Certains s'élèvent contre les matraquages, mais les excuses en faveur des policiers ne manquent pas. Pourtant :
Ils étaient à quatre contre un mais ce n'était pas suffisant apparemment, parce que ce flic lui a défoncé le crâne pour le calmer.. C'est drôle cette tendance qu'ils ont à toujours taper là où ça peut tuer, par erreur.
Ce ne sont que quelques exemples, significatifs, mais devant les médias, les représentants syndicaux de la police vous démontreront, alors qu'ils n'étaient pas sur place, que tout ce qui est arrivé lors d'une manifestation, les bavures, ne peuvent imputées à un policier mais à celui qui reçoit les coups de matraque, ou autre. Des balles, dans le dos par exemple, parce que l'individu les menaçaient.
Au début le lecteur est perdu. Comme si Cloé Mehdi avait enfoui son intrigue sous une multicouches de voiles qu'elle soulève peu à peu. Lentement, pour que le lecteur ressente bien qu'elle a des choses à dire, que les révélations vont secouer le lecteur, que tout n'est pas joli dans le passé de Mattia, et même avant.
Malgré l'incompréhension dans laquelle le lecteur (moi en l'occurrence) patauge, il ne peut lâcher ce livre, happé par cette histoire qui se déshabille et prend forme, tout doucement, car le tragique n'en est que plus fort que lorsqu'il se révèle par degrés. Si tout avait dit ou présenté au début, cela aurait fait comme une petite claque et on s'en remet vite. Là, au contraire, c'est une accumulation de crochets au foie, ou au cœur, qui sont assenés, et lorsque l'on sait tout, qu'on a tout compris, on reste groggy sur le tapis.
Plus qu'un roman policier noir, Cloé Mehdi a écrit un roman social, comme pouvait en écrire Emile Zola, Victor Hugo, Eugène Sue et d'autres, mettant en exergue les dérives policières absoutes par l'état et la justice.