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27 mai 2015 3 27 /05 /mai /2015 15:44

Elle nous supporte bien...

Sébastien DEVILLERS : Supporter la Terre.

Une jeune femme découverte suicidée dans un appartement qui n'est pas celui dans lequel elle vit habituellement, voila de quoi nourrir les questions que se pose Louis Dommage, détective privé.

Le crochet auquel elle s'était pendue avec une corde à linge n'a pas tenu sous le poids, mais de petits détails font tiquer le détective. Par exemple, pourquoi le plâtre qui est tombé du plafond sur la figure de la victime est quelque peu poisseux, comme si du sparadrap avait été apposé sur la bouche de la jeune femme. Une bizarrerie à approfondir pense-t-il. Tout comme la découverte de lingerie fine dans un tiroir. Tout comme la découverte de la pièce d'un Euro que la jeune femme porte sur elle. Un Euro, ce n'est pas grand chose, mais cela veut dire beaucoup, lorsque le côté face représente une chouette. Mais auparavant il prévient la police de sa découverte macabre.

Louis Dommage travaille depuis quelques années dans une agence de détectives avec Jérôme Taillefer, le patron bon garçon, et Stéphane, spécialiste en informatique. Il recherchait Laurence pour le compte de ses parents, qui vivent encore dans le Limousin, et n'avaient plus de nouvelles de leur fille depuis quelque temps.

Laurence était une fille simple, sans problème, qui travaillait à la vente de billets d'avion, et aidait des associations caritatives. Une apparence car en réalité la vie de Laurence était plus complexe que ses proches pouvaient imaginer. Pour les parents, elle était hôtesse de l'air, pourtant ils auraient dû penser qu'elle affabulait, vu son embonpoint. Et pour ceux avec qui elle était en relation, au dépôt des Restos du Coeur par exemple, elle était native soit de Dunkerque, soit du Sud de la France, ou d'une autre province profonde. Et lorsque Stéphane effectue des recherches en explorant le disque dur de son ordinateur, c'est pour s'apercevoir qu'elle correspondait avec de nombreux hommes, et des femmes, via des sites de rencontre. Et le travail de Stéphane est de dénicher qui se cache derrière les nombreux alias utilisés.

 

A la clinique Saint-Jean, dans un des beaux quartiers de la capitale, Jean-Charles Letailleur officie comme Directeur des Relations Humaines ou des Ressources Humaines, selon le critère que l'on veut accorder à ces nouvelles appellations de Directeur du Personnel. Soit on se met à la portée et à l'écoute de ses subordonnés, cas N°1, soit on se conduit en esclavagiste, Cas N°2. Jean-Charles Letailleur serait plutôt à placer dans la catégorie du cas N°1, car il n'aime pas voir les gens souffrir. Les bêtes non plus d'ailleurs. Il est pétri de compassion envers les malades en fin de vie, comme sa grand-mère Guillemette, Mimette pour les intimes dont il fait partie. Son corps rongé par le cancer. Et un soir, il l'aide à trépasser en douceur, il lui semble bien qu'elle le lui a demandé. Sa Grand-mère l'a élevé, il lui devait bien ça. Car son père, directeur de la clinique et principal actionnaire, et sa mère responsable dans une grande entreprise et toujours par vaux et par monts, n'avaient pas eu le temps l'éduquer. Ils sont très riches et lui aussi par conséquent.

 

Autre lieu, dans un restaurant, Béatrice et Paul s'alimentent. Nourritures spirituelles et terrestres sont au menu. Béatrice aimerait un peu plus de contact de la part de Paul alors que lui s'enferme dans une discussion philosophique. Passera-t-il à l'action, lui touchera-t-il la main, lui proposera-t-il une soirée agréable, ce jeune homme qu'elle a connu via un site de rencontre ?

 

Laurence n'est pas seule à être retrouvée suicidée. D'autres cadavres viennent s'ajouter à ce début de liste tenue par Louis Dommage et ses compagnons de l'agence. Des suicides qui ne souffrent pas de déni, et pourtant. L'un a été retrouvé au pied d'un précipice dans le parc des Buttes Chaumont tandis que l'autre s'est noyé volontairement. Mais pourquoi donc ceux-ci portaient sur eux une pièce d'un euro représentant une chouette ?

 

En général je n'apprécie guère les digressions dans un roman, jugeant que cela gâche la lecture et ralentit l'action. Mais dans ce livre elles sont les bienvenues car elles apportent de l'épaisseur indispensable aux personnages, ce que l'on pourrait appeler du "bon gras".

Par exemple les échanges sur Facebook entre jeunettes cachées sous un pseudo, comme il va de soi, une conversation parasitée par un individu qui se dissimule sous l'alias d'Hadès. Ou comme le fait remarquer à Dommage l'une des personnes qu'il rencontre :

Internet a bien des défauts, en particulier celui de donner la parole aux imbéciles, mais il permet aussi enfin la rencontre des esprits, sans l'obstacle des corps.

 

Ou la descente aux enfers et sur le pavé d'un agriculteur qui en mal d'affection avait pensé trouver sa promise, sur les conseils de l'adjoint au maire de son village, auprès d'une fille de l'Est. Ou comment un bon futur père de famille devient homosexuel par frustration, sa femme se refusant afin de ne plus se consacrer qu'au bébé à naître.

Ou la conversation entre Dommage, Stéphane et Taillefer qui discutent sur la position de l'Eglise par rapport au suicide. C'est l'occasion pour Louis, alors que Sylvie leur secrétaire a mal aux dents, ou à une dent, dans ces cas là on ne sait plus trop, de se remémorer ce que disait son curé à propos de l'éternité.

Et puis tu as mal toujours, la douleur ne te quitte jamais. Jamais, tu sais ce que ça veut dire, jamais, petit enfant ? Ça veut dire pour l'éternité. L'éternité, c'est comme une infinité de secondes et d'heures. Infini c'est comme le nombre de grains de cailloux qui font les rues de Paris multiplié par le nombre de grains de cailloux qui font les rues de toutes les villes du monde, multiplié par le nombre de grains de sable qui font les déserts du monde, multiplié par le nombre de mondes qui flottent dans le ciel ! Et quand tu en es là, ce que tu obtiens est comme le sable que ta main peut contenir par rapport au désert qui t'environne.

 

Un roman passionnant, qui s'articule comme un film à sketches, les chapitres se poursuivant les uns les autres, sous forme de petites nouvelles qui s'imbriquent les unes les autres, en apparence sans lien et pourtant qui constituent une intense réflexion sur les sites de rencontre par exemple, le comportement des personnes qui professent trop d'empathie à l'encontre de personnes dépendantes ou faiblardes mentalement. Un roman à tiroirs qui décèlent à leur ouverture les faiblesses de la vie.

L'on retrouve avec plaisir Louis Dommage, dont nous avons pu faire la connaissance en 1987 dans le premier roman de Sébastien Devillers Otage, après avoir subi quelques avatars rapidement expliqués et trouvé une compagne nommée Muriel. Un homme sympathique, qui aime comprendre les tenants et les aboutissants d'une affaire, les positions des uns et des autres, rechercher la faille qui se cache dans l'esprit des divers protagonistes liés de près ou de loin qu'il rencontre.

Pour découvrir les éditions Assyelle :

Sébastien DEVILLERS : Supporter la Terre. Editions Assyelle. Parution 23 janvier 2015. 298 pages. 18,00€.

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26 mai 2015 2 26 /05 /mai /2015 10:58

Ah bin, chat alors !

Jérémy BOUQUIN : A mort le chat !

Le lecteur entre dans ce bouquin, pardon, dans ce livre comme on saute à pieds joints dans une mare de boue. Cela éclabousse de partout, ça laisse des traces dans les neurones, et on se dit que pour une fois le héros n'est vraiment pas quelqu'un de sympathique, quelqu'un avec qui on aimerait passer ne serait-ce qu'un après-midi.

D'ailleurs, dès le premier Chat pitre, le ton est donné. Aujourd'hui j'ai tué mon chat. Pas par accident, non, volontairement. Tout ça parce que son chat a eu le malheur de parler. De l'invectiver, de l'insulter, lui, son maître. De le traiter de tous les noms, au nom de quoi, je vous le demande. Non, vous ne pouvez pas savoir... Bref, Jarring, c'est le nom du massacreur de chat, a écrasé, balancé contre les murs, écrabouillé la tête de son félidé, tout ça à cause de quelques paroles malheureuses. Comme s'il n'y avait pas assez de son père pour lui parler, son père est décédé depuis des années je précise, qui se rappelle à son bon souvenir.

Jarring est perpétuellement sous tension. Il banque pour 3000 euros par semaine, c'est lui qui l'affirme, en ecstasy, cannabis, résine, herbe, et autres médicaments dopant le tout ingéré avec de nombreux verres d'alcool afin de mieux dissoudre ce qu'il ingurgite. Ce qui veut dire qu'il n'est pas toujours frais et stable dans ses baskets. Cela ne l'empêche pas de travailler comme lobbyiste, c'est à dire en bon français qu'il est une personne qui organise un groupe de pression auprès d'autorités politiques afin de défendre des intérêts économiques, professionnels.

Je ne crois en rien pourtant je vends de tout ! Mais pas à n'importe quel prix !

L'entretien avec son nouveau client s'établit au restaurant. L'homme veut vendre des produits compliqués, des OGM, seulement l'Europe renâcle entraînant à sa suite le refus des gouvernements et des fonctionnaires. Il représente de nombreuses entreprises agroalimentaires. Pourtant, c'est lui qui l'affirme, il faut motiver les Français à le consommer. Un travail comme un autre même si les carottes râpées dans l'assiette de Jarrings, il est végétarien, ont du mal à rejoindre son estomac. Néanmoins il accepte la mission après mûre réflexion, contre un chèque à six chiffres, il aura des frais, et il se retourne auprès de Catherine, sa fidèle amie amante, toujours disponible à l'aider. Auparavant il se rend chez son psy, comme toutes les semaines, il se procure une arme de poing, et achète un chaton. Son appartement est si vide.

Catherine est une belle plante nourrie aux OGM, c'est à dire qu'elle est botoxée, siliconée, ravalée, entièrement de la tête aux pieds, surtout aux endroits stratégiques. Mais ça lui va bien. Elle possède un carnet d'adresses indispensables, effectue ses recherches et trouve le client idéal, celui qui devrait porter haut les couleurs des OGM à l'Assemblée Nationale et convaincre ses petits copains de l'hémicycle.

Un député-maire d'une petite commune du Sud, favorable aux OGM, peut-être ancien communiste et dont les parents sont écolos. L'homme idéal pour porter la bonne parole.

 

Et c'est comme ça que notre "Héros", va à la rencontre de celui qui pourrait assumer cette mission. Les ennuis commencent lorsqu'il veut louer une voiture, lui qui n'a pas de permis. Et son chaton, qu'il emmène, se méfie de lui. Il doit savoir qu'au bout d'un certain temps son maître, son esclavagiste, va se débarrasser de lui. Il en perd ses poils le matou.

 

Drogué, alcoolique, cynique, violent Jarring est un être malsain, mais très demandé, les hommes politiques étant tout le temps sur la brèche, à cause d'une maîtresse, de trafics d'influence, de perte de vitesse, les petits ennuis inhérents de la vie courante de nos édiles.

Je suis un cuisinier de la vie sociale, je bricole, concocte, je jette de l'huile sur le feu. Je conditionne mes concitoyens.

En nous imposant ce triste personnage, Jérémy Bouquin nous montre l'autre facette de la vie politique et des magouilles qui se trament dans notre dos, grâce à des individus peu recommandables.

Je suis ressorti de cette histoire, qui ne manque pas d'humour, l'esprit mitigé car rien dans ce personnage n'attire la sympathie, au contraire. Dès les premières pages on est révulsé par la violence avec laquelle il se déchaîne envers son pauvre félidé qui ne lui a rien fait, sauf lui parler, mais tout ce passe dans son esprit perturbé. Et mettre en scène un drogué alcoolique, limite schizophrène, destructeur de chats, lui faire endosser le beau rôle, car les clients se pressent afin de requérir ses services, être riche tout en ayant l'esprit en vrac la plupart du temps, cela n'est guère moral.

Et pourtant Jérémy Bouquin parvient à nous scotcher à cette intrigue, et malgré le dégoût ressenti, on ne peut lâcher ce livre. On veut savoir jusqu'où cela va aller dans la démesure. Et heureusement l'épilogue redresse la situation.

 

Jérémy BOUQUIN : A mort le chat ! Editions Lajouanie. Parution le 17 avril 2015. 272 pages. 18,00€.

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23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 15:46

La qualité française s'exporte !

Pour preuve, le roman de Gilbert Gallerne, Au pays des ombres, Prix du quai des Orfèvres 2010, vient d'être édité en Espagne. Une reconnaissance et la possibilité de tester ses connaissances en langue hispanique pour les vacances.

 

Gilbert GALLERNE : Au pays des ombres.

Le prix du Quai des Orfèvres, c’est un peu comme le vin. Il existe des millésimes passables, moyens, bons, plus rarement très bons, ou exceptionnels. Cette année nous avons droit à un très bon cru, ce qui nous change des fadasseries habituelles. Depuis 1946, date à laquelle ce prix a été créé par Jacques Gatineau, certains auteurs ont été révélés par l’obtention de cette récompense, d’autres connaissaient déjà une certaine notoriété, la plupart sont tombés dans l’oubli. On peut relever au hasard des trois décennies passées les noms de Pierre Magnan, Maurice Périsset, Gérard Delteil ou encore Roger Le Taillanter. Cette année l’heureux lauréat se nomme Gilbert Gallerne, un écrivain confirmé qui possède quelques belles pages à son actif, dont, parmi ses dernières parutions, L’ombre de Claudia ou Le Patient 127. Il me faut préciser que l’article 1 stipule que : Le PRIX DU QUAI DES ORFÈVRES, créé par M. Jacques CATINEAU en 1946, est destiné à couronner chaque année un roman policier sur manuscrit inédit et anonyme, œuvre d'un écrivain de langue française, et donc que l’attribution de ce prix s’effectue sur des qualités littéraires et non sur un patronyme.

 

Depuis le décès de sa femme un an auparavant, Vincent Brémond, officier de la police judiciaire de la capitale, est un homme déboussolé, s’occupant de sa fille Julia en pointillé. Sa femme s’était-elle suicidée avec une arme à feu ? Selon les premières constatations, il semblerait que oui, malgré les doutes, les suspicions de certains collègues et supérieurs, qui sans le dire ouvertement n’en pensent pas moins. Il avait découvert le corps chez eux, au retour d’une mission, mais aucune lettre ou petit mot pouvant expliquer ce geste n’avait été retrouvé. Il s’est mis à boire plus que de raison et Julia du haut de ses douze ans gère tant bien que mal la situation.

Alors qu’il passe un week-end à Cabourg dans sa résidence secondaire, Brémond assiste de sa fenêtre à un assassinat. Il fait nuit et malgré les vapeurs de l’alcool il se lance sur les traces du meurtrier qui lui échappe. Il retourne près du cadavre, par réflexe ou reste de conscience professionnelle, et procède aux premières vérifications. Les forces de l’ordre arrivées sur place ne sont guère convaincues par ses explications, d’autant que dans les poches du mort ils trouvent un billet comportant son adresse. Or, coïncidence, le défunt habitait Nanterre, tout comme Brémond, et venait de purger une année de geôle. D’autres éléments démontrent que théoriquement les deux hommes devaient sinon se connaître, du moins être en relations. Avec son ami Michel, son ancien coéquipier en retraite qui a dû abandonner son métier à cause d’une enquête mal bouclée, il entame une enquête parallèle.

Première résolution, primordiale, arrêter de boire. Ensuite, les idées plus claires, il lui faut échapper aux pièges qui sont tendus sur sa route. Car, quelque chose cloche, comme si des peaux de bananes étaient glissées intentionnellement sous ses pieds. Et surtout s’occuper plus attentivement de sa fille, ne plus la délaisser comme il l’a fait pendant trop longtemps. Il se rend compte qu’elle a mûri depuis le décès de sa mère, et à douze ans, certains gestes, certains regards, certaines paroles n’ont plus la douceur, la naïveté, l’ingénuité de l’enfance.

 

Gilbert Gallerne sait planter le décor, l’atmosphère, les personnages de ses romans, utilisant une narration simple, limpide, fluide, dénué d’effets de manches ostentatoires et d’esbroufe, ce qui n’exclut pas une recherche certaine dans la construction. Le style est plaisant, dépourvu de vulgarité, avec une progression, une montée en puissance dans la narration qui imprègne le lecteur. Insidieusement Gilbert Gallerne fait monter la pression et même si on connaît par qui et pourquoi toute cette histoire est arrivée au trois quarts de l’intrigue relatée de main de maître, des zones d’ombre et de suspense perdurent. Des moments d’intensité qui plongent le lecteur dans le doute et l’angoisse.

Gilbert GALLERNE : Au pays des ombres.

 

Vous pouvez vous procurer cet ouvrage version espagnole chez votre fournisseur amazonien habituel. Ce roman est toujours disponible en version originale française, au cas où, improbable, vous ne l'auriez pas encore lu.

 

Gilbert GALLERNE : Au pays des ombres. Prix du Quai des Orfèvres 2010. Fayard. Parution 18 novembre 2009. Réédition en Espagne parution le 20 avril 2015.

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22 mai 2015 5 22 /05 /mai /2015 12:27

Un cerf-volant n'est pas le renne du Père Noël !

Philippe GEORGET : Le paradoxe du cerf-volant.

Vingt-sept ans, toutes ses dents, mais les yeux tuméfiés, les muscles endoloris, le corps meurtri, Pierre Couture vient d’encaisser une flopée de coups et une nouvelle défaite. Un combat de boxe qui a tourné à son désavantage, une leçon donnée par un adversaire, plus jeune il est vrai, mais surtout mieux préparé.

Pourtant Pierre lors de ses débuts pugilistiques était promis à un fort bel avenir, mais les aléas de la vie et du cœur en ont décidé autrement. Son amie, son amour, Sarah est partie, et Pierre est orphelin. Son père diplomate est décédé dans un accident et sa mère s’est suicidée peu après. Du moins c’est ce qu’il affirme, et il en est persuadé. Il a vécu dans des familles d’accueil. Arrivé aux portes de la gloire, il a négligé les entraînements et l’entretien de sa forme physique. Et ce soir-là Emile, son entraîneur, pense que Pierre vient de livrer son dernier combat.

Il ne lui reste plus qu’un métier qu’il exerce à mi-temps, serveur dans le bar de Josy et René. Son ami Sergueï, plus âgé que Pierre, d’origine croate et chauffeur de taxi, lui propose un petit boulot dans ses cordes : devenir l’un des gros bras de Lazlo, lequel prête de l’argent, à un taux usuraire, à des personnes en difficultés passagères et qui oublient parfois de rembourser l’avance largement augmentée des intérêts. Il pratique également le racket. Accompagnant un dénommé La Fouine, Pierre se rend donc chez un certain monsieur Arnoult lequel rechigne à débourser, et ose même vouloir s’emparer d’une arme dans un tiroir. Mal lui en prend, Pierre plus vif se sert de ses deux mains, l’une pour asséner un coup de poing, l’autre pour subtiliser l’arme par le canon, et la donner à La Fouine qui la prend délicatement avec un mouchoir.

Mais Pierre n’est pas satisfait de la tournure des événements, ce n’est pas un emploi pour lui, et il commence à faire la tournée des troquets. Il termine sa soirée sur un banc du parc des Buttes-Chaumont et se réveille pas très frais le lendemain matin. Deux inspecteurs de la Criminelle lui rendent une petite visite dans le café où il travaille, mais ce n’est pas pour consommer. Lazlo a été découvert assassiné, après avoir été torturé, et évidemment comme les empreintes de Pierre figurent sur l’arme du crime, il devient le principal suspect. Mis en garde à vue, notre boxeur barman nie l’évidence et affirme ne pas connaître Lazlo. De la fierté de sa part, car il regrette son acte chez Arnoult, mais aussi parce qu’il a, durant son adolescence, eu maille à partir avec la justice. Normalement ses incartades auraient dû être effacées de son casier judiciaire, seulement les services de police sont en possession de ses antécédents et surtout de ses empreintes.

Ses souvenirs sont confus, malgré tout dans son cerveau embrouillé surgit une image. Il possède un alibi, tout ce qu’il y a de plus officiel. Durant l’heure présumée du meurtre il a arraché des mains d’une Pervenche, ex-Aubergine, son carnet à souches de procès-verbaux et l’a balancé dans le caniveau. D’ailleurs la policière reconnait cet incident et celui qui l’a provoqué. Les flics de la Criminelle ne peuvent qu’encaisser cet affront, mais en vérité ils se doutaient qu’ils faisaient fausse route et que la procédure n’avait pas été respectée. Remis en liberté, Pierre se rend compte qu’il est filé par deux individus qui pourraient être originaires d’ex-Yougoslavie. La Fouine est retrouvé égorgé et un commissaire, Cyril Lefèvre du service de coopération internationale, apprend à Pierre qu’il enquête à l’instigation de la police croate.

Les deux individus louches, les Dupont-Dupond comme les a surnommés Pierre, sont dans le collimateur des services de police, mais plus surprenant, Lefèvre reprend l’enquête concernant la mort soi-disant accidentelle du père et de la jeune sœur de Pierre. Diplomate, en poste longtemps en Amérique latine, il avait terminé précocement sa carrière dans les Balkans en 1993. Et cette piste qui conduit aux pays éclatés de la Yougoslavie, les dissensions, et plus, entre la Croatie et la Serbie, touche apparemment de près Pierre, puisque son ami Sergueï a disparu dans la nature.

Pierre Couture, après un mauvais passage à vide a décidé de reprendre la boxe avec sérieux, détermination et conscience, justement pour s’en redonner une bonne, d’autant qu’il retrouve la fliquette aux P.V., Julie, courant dans le parc des Buttes-Chaumont. Débute entre les deux jeunes gens un sentiment d’amitié, mais cela ne fait pas oublier à Pierre ses devoirs. Découvrir ce qui se cache dans ce sac de nœuds dans lequel son père semble impliqué, le meurtre de Lazlo et celui de La Fouine, la disparition de Lazlo, et autres événements et personnages, auxquels il doit faire face alors qu’il est complètement paumé dans cet imbroglio. Il doit penser au passé, mais également à son avenir pugilistique, un promoteur de combats de boxe ayant décidé d’organiser un combat entre lui et l’étoile montante de ce noble sport.

Entre le passé et l’avenir s’immisce le quotidien, c’est-à-dire gérer ses relations avec Julie et échapper à des gros bras issus de la légion étrangère qui tourbillonnent autour de lui. Dans un panachage comprenant passé historique, action, émotion, humour sobre, plus quelques autres ingrédients utiles à la rédaction du roman passionnant en tout point, cette histoire se décline en trois rencontres de douze rounds chacun. Le personnage de Pierre Couture, essayant de surmonter ses problèmes familiaux, affectifs, professionnels, est attachant et le lecteur, s’il ne peut s’identifier à lui, vibre en même temps que lui au cours des différents obstacles qu’il doit surmonter. Et chantonner les chansons françaises que Pierre apprécie, un héritage parental, des interprètes comme Ferré, Lavilliers, Brel, Michel Berger, Piaf, et bien d’autres. Hors le contexte géopolitique, des exactions entre Serbes et Croates, des conflits interethniques, des rivalités religieuses, des ravages, des haines et des antagonismes de toutes sortes et de toutes origines qui forment la trame de l’histoire, la déchéance et la résurrection possible du boxeur entretiennent également le suspense et font penser à ces vieux films en noir et blanc qui mettaient en scène des boxeurs sur le déclin en proie à l’alcoolisme et aux mafieux.

C’était beau, mais c’était triste ! Un boxeur pleurait dans ses gants.

C’est fou comme la tiédeur d’un soir peut réveiller les odeurs. Elle les soulève, les détache, les fait roter de bonheur. Les parfums, c’est comme le vin, il faut qu’ils soient chambrés pour exhaler leur âme.

J’ai choisi d’adopter la tactique des hommes politiques corrompus et des cyclistes dopés : nier malgré les évidences.

Un hôtel de police, finalement, c’est plus bruyant qu’un hôtel de passe.

Philippe GEORGET : Le paradoxe du cerf-volant.

Philippe GEORGET : Le paradoxe du cerf-volant. (Première édition Collection Polar, éditions Jigal. Février 2011). Réédition Pocket N° 16372. Parution 15 mai 2015. 468 pages. 7,70€.

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21 mai 2015 4 21 /05 /mai /2015 16:39

En ce temps-là, il ne faisait pas bon être transformiste...

Phil BECKER : Le Lycan blanc.

Dans les bois de la Karanza vivent Corcinos et Esteban, deux jeunes adolescents d'à peine quinze ans. Si tous deux possèdent la particularité de pouvoir se transformer d'être humain en loup, et inversement, Corcinos se distingue par ses yeux rouges et ses poils blancs. Il est albinos.

A l'heure où nous faisons leur connaissance, ils se dirigent vers l'auberge de Manta, entre Perpinya et Barcelona, où se croisent Katalans, Kastillans et Maurisques. Ils doivent ramener quelques pièces d'or à Maître Zoan, le vieillard d'origine asiatique qui les élevés depuis une dizaine d'années. Pour ce faire ils n'ont qu'un moyen, affronter en combat singulier l'un des nombreux voyageurs qui s'arrêtent dans l'établissement. Les paris sont lancés, Corcinos affronte un Franc et gagne son combat. Seulement il est attiré par la petite serveuse qui l'observe alors qu'un homme en noir lance à la cantonade : c'est un loup-garou.

Obligés de décamper rapidement ils sont poursuivis par la foule en délire et en colère. Esteban est loin, Corcinos a trop traîné et il est rattrapé. L'homme à la cape noire l'a poursuivi et même dépassé. Il se présente comme étant Achôris, mage d'Egyptis. Puis il ameute les chasseurs en leur signalant l'emplacement du métamorphe. Corcinos est sauvé par Esteban qui le prend sur son dos et les deux adolescents parviennent à échapper à la meute.

Lorsqu'il se réveille, Corcinos est allongé dans la caverne de Zoan. Lequel n'est pas satisfait de la prestation de ses deux élèves. Esteban est parti du côté du Canigó afin d'acheter des simples, des plantes médicinales pour hâter la guérison de Corcinos. Le mage noir, Achôris, est présent et si auparavant Zoan et lui avaient combattu ensemble, il est évident pour Corcinos que l'entente n'est pas, n'est plus, parfaite. Ce qui fait croasser le goelak royal, condensé de corbeau, de vautour et autre volatile. Selon Achôris, Zoan serait en mesure de dévoiler enfin la vérité sur la naissance de Corcinos, de lui révéler qui sont ses parents.

Car Corcinos cauchemarde quasiment toutes les nuits, à la recherche du secret de son enfance. Des images défilent, se projettent dans son esprit, toujours les mêmes. Un enclos, une gamine, et d'autres visions, des ressentis. Esteban est enfin de retour, mais brûlé à cause des salamandres qu'il a dû affronter au cours de son périple.

Les mercenaires débusquent Corcinos et ses compagnons. Zoan reste sur le carreau à cause des flèches. Le mystère de la naissance de Corcinos et d'Esteban risque bien de rester secret, seul le goelak pourrait l'aider dans la recherche de ses souvenirs. Seulement, Corcinos est trop gourmand. Il avale en entier le cerveau du volatile au lieu de le déguster à la petite cuiller. Le résultat n'est pas à la hauteur de l'effet escompté. Esteban et Corcinos restent seuls à vivoter. Mais l'albinos pense à la jeune serveuse qui l'a aidé lors de la confrontation à l'auberge de Manta. Il la retrouve, c'est le début de l'amour entre les deux jeunes adolescents, seulement Corcinos ne parvient pas à se contrôler. Il mute, le loup devient prédateur et il griffe, blesse, la perd.

Il ne lui reste plus qu'à partir, fuir vers son destin qui l'emmène vers Kotlliure, guidé par un berger, un guide Vasq. Ce ne sera pas une partie de plaisir, loin de là. Esteban est mordu par une vipère de Barcelona, et sa vie est en danger. Enfin ils arrivent au fort Snek demandant l'aide de guérisseurs. Corcinos reconnait en Venceslau, le seigneur du lieu, un personnage qui hante ses rêves. Quant à Venceslau, il se contente de déclarer voyant le blanc et le brun, Corcinos et Esteban : Je me doutais bien que vous alliez me revenir...

Le chemin de la mémoire est long à gravir, à défricher, à débroussailler, et après Kotlliure, Corcinos se rendra à Perpinya, les embûches s'accumulant sur lui comme autant de nuages d'orage.

 

Ce roman qui s'ancre, et s'encre, avec délectation dans le Merveilleux héroïque (heroic fantasy pour les anglophones) nous emmène au temps des Kathars, entre Pays d'Ock et royaume Franc. En filigrane se profile la silhouette de Simon de Malfort. Le lecteur est plongé dans un monde parallèle à celui que nous connaissons, d'après les livres d'histoire quand cette discipline était encore enseignée à l'école, la religion cathare défiant l'église catholique, le roi de France profitant de ce schisme pour étendre sa domination sur le Languedoc et l'Aquitaine. Mais partant d'une page d'histoire réelle, Phil Becker et les auteurs des deux premiers volumes de Xavi El Valent, intègrent leurs personnages issus d'une imagination débridée.

Les combats entre vipères, sangliers, salamandres et autres animaux provenant d'un bestiaire fantastique ou mythologique, sont détaillés avec vivacité, brutalité, réalisme, un côté sanglant, comme les hommes de cette époques et leurs prédécesseurs devaient se défendre contre des animaux sauvages sans les moyens actuels de la vénerie. Coricinos va combattre notamment un Minotaure, un homme à tête de taureau. Et c'est ainsi que les prémices de la corrida vont être établis, sans règles définies, sauf celle de vaincre à tout prix.

La magie n'est pas en reste, dans cet univers de bruit, de fureur, de sang, et d'amour juvéniles. Des amours qui se passent mal, à cause de Corcinos et de son état de métamorphe mais également par la rouerie d'une femme qui en veut toujours plus et qui aime être lacérée, qui s'adonne à la scarification pour un plaisir malsain.

Mais ce qui mène cet adolescent bipolaire, mi-homme mi-loup, consiste en cette quête effrénée à la recherche de ses géniteurs, de son origine, des éléments perturbants agissant sur le psychisme. Savoir d'où on vient est plus important que de savoir où on va.

Phil Becker, une nouvelle plume à l'avenir prometteur !

 

Pour commander cet ouvrage, et d'autres, une seule adresse :

Phil BECKER : Le Lycan blanc. Le Monde de Xavi El Valent. Collection Blanche. Editions Rivière Blanche. Parution mai 2015. 228 pages. 17,00€.

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19 mai 2015 2 19 /05 /mai /2015 15:31

Embarquement immédiat même si vous n'avez pas le pied marin !

Jean-Luc BANNALEC : Etrange printemps aux Glénan

Trois cadavres sur une plage, cela dénote un esprit de laisser-aller qui pourrait faire fuir les éventuels touristes. Heureusement ils ont été déposés probablement par la marée, sur une plage abandonnée, et pour l'heure tout concorde à un décès accidentel, les seules marques visibles étant les lacérations provoquées par la rencontre des corps contre des rochers.

C'est un Anglais qui a aperçu de son kayak les trois cadavres, deux côte à côte et l'autre un peu plus loin, sur une plage de l'île du Loc'h, l'un des îlots qui compose l'archipel des Glénan, au large de Concarneau.

Le commissaire Dupin se rend immédiatement sur les lieux. Il aurait préféré emprunté un hélicoptère mais il est obligé d'embarquer à bord d'un bateau de la gendarmerie maritime, ce qui lui vaut quelques désagréments. En attendant la venue du légiste, le docteur Savoir, un homme qu'il n'apprécie guère, Dupin effectue les premières constatations en compagnie de Goulch, capitaine de gendarmerie, et de ses hommes. A première vue, les cadavres auraient été apportés par la marée. Durant la nuit une tempête avait agité les flots et les vagues ont fait le reste.

Nolwenn, sa fidèle et très précieuse secrétaire, l'appelle pour l'informer qu'il doit appeler le préfet, Guenneugues, un homme qu'il n'apprécie guère non plus. N'ayant plus grand chose à faire sur l'île Loc'h, Dupin demande à ce qu'on l'emmène sur celle de Saint-Nicolas, la métropole locale des Glénan. Il a un besoin urgent de café, de toute façon il ne carbure qu'au café. Et c'est du café-restaurant des Quatre-vents qu'il va diriger son enquête, avec Le Ber et Labat, ses deux adjoints, qui se démènent comme ils peuvent, devançant même parfois ses désirs.

Nolwenn l'informe que Guenneugues, qui participe à une réunion à Guernesey, va se mettre en contact avec lui. Un de ses amis, Yannig Konan, entrepreneur et investisseur, a disparu en compagnie d'un copain avec lequel il était sorti naviguer. Dupin sent que les ennuis s'accumulent comme les nuages avant l'orage. Ce qui ne l'empêche pas de déguster un homard aux Quatre-vents. L'établissement, tenu par Solenn Nuz secondée par ses deux filles, va devenir le temps de l'enquête le quartier général de Dupin. Il interroge les clients habituels, ou il délègue à ses adjoints le soin de le faire, prenant notes sur notes dans son petit carnet rouge qui ne le quitte jamais.

Yannig Konan est, était plutôt car il s'agit bien de l'un des cadavres, un homme à la réputation sulfureuse, mais peu connu dans la région. Les deux autres le sont un peu plus, dont Lefort, une célébrité régionale. Et d'après les éléments recueillis à gauche et à droite, auprès de la directrice de l'école de voile ou celle du centre de plongée, auprès de divers intervenants, il semblerait que plusieurs pistes se dessinent, des affaires plus ou moins louches dans lesquels tous les trois seraient plus ou moins impliqués. Cela va d'un centre de recherches de biologie marine, qui dispenserait des brevets auprès de laboratoires, à la légende toujours active de trésors enfouis dans les passes qui séparent les îles de l'archipel et qui seraient le cimetière de nombreux navires. En passant par la folie des grandeurs de Lefort qui envisageait des travaux afin de transformer les Glénan en vaste complexe touristique.

Dupin est constamment dérangé au téléphone par le préfet qui veut, exige des résultats le plus rapidement possible. Aussi il s'arrange pour être le plus souvent dans un endroit où la réception est difficile, voire nulle. Mais Dupin ne ménage pas son portable, ayant besoin de confier des recherches de renseignements auprès de Nolwenn, qui se met en quatre pour le servir et lui apporter les réponses à ses questions. Et puis il y a sa mère qui doit quitter Paris pour venir le voir, elle qui considère que sortie de Paris elle est en terrain étranger et dangereux, non civilisé. Sans oublier Claire, une femme du passé;

 

On ne peut s'empêcher d'accoler la silhouette de Maigret ainsi que celle de Columbo à Georges Dupin, le commissaire qui porte d'ailleurs le prénom de Simenon. Mais à surtout sa façon de travailler, ses tics, ses pensées qui font des va-et-vient en jouant au coq-à-l'âne.

Dupin était mécontent. Cette affaire avançait trop lentement à son goût.

Nolwenn connait son patron, peut-être mieux que lui-même se connait, et anticipe souvent ses désirs lors de ses enquêtes.

Nolwenn savait que chaque enquête du commissaire comptait un moment précis où il flairait une piste - parfois diffuse, parfois quasi inconsciemment mais à chaque fois il devenait alors comme obsessionnel : il lui fallait suivre son inspiration, si fantaisiste puisse-t-elle paraître. Tout le reste devenait secondaire - ce qu'il exprimait parfois avec entêtement, voire grossièreté.

Tout comme Columbo il possède une voiture hors d'âge.

Sa vieille Citroën XM l'attendait devant la porte. Il était attaché à cette voiture particulièrement laide au point de refuser, malgré les innombrables injonctions du préfet, de la remplacer par un véhicule de fonction plus moderne.

Dupin, souvent en conflit avec le préfet, se cabre devant d'autres hommes politiques dans cette enquête. Notamment avec du Marhallac'h, le maire de Fouesnant, commune dont dépendent les Glénan.

Dupin ne détestait rien autant que les hommes politiques. Lisses comme des anguilles, versatiles et sans scrupules, ils savaient à merveille faire leur petit show rhétorique pour cacher autre chose, généralement leurs intérêts propres, tout en traçant impeccablement leur route.

Des dialogues parfois surréalistes émaillent ce roman lui apportant une touche d'humour, une légèreté, une vivacité de bon aloi. Et le commissaire Dupin avec ses quelques défauts, un peu bourru, proche des autochtones malgré l'étiquette d'étranger qui lui est accolée, ayant longtemps vécu à Paris et n'étant en place que depuis quelques années, se montre sympathique et fréquentable.

Jean-Luc BANNALEC : Etrange printemps aux Glénan (Bretonische Brandung - 2013. Traduction de Amélie de Maupéou). Editions Presses de la Cité. Parution le 23 avril 2015. 432 pages. 21,00€.

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18 mai 2015 1 18 /05 /mai /2015 15:49

L'humour n'est pas l'épée mais le bouclier...

J.J. MURPHY : Le cercle des plumes assassines

C'est ce que déclare Dorothy Parker au capitaine Church qui lui reproche ses singeries et ses clowneries journalistiques, ou tout simplement dans ses réparties incisives avec ses interlocuteurs.

Mais pourquoi Dorothy Parker s'exprime-t-elle ainsi face à un policier ? Pour trois fois rien, juste un cadavre sous une table.

En effet, alors que la célèbre journaliste et poétesse s'apprête à s'installer à la table où elle déjeune tous les midis en compagnie de confrères et amis (?), elle découvre des pieds qui dépassent de sous la nappe. Les pieds appartiennent à un inconnu qui ne s'est pas enivré, qui ne dort pas non plus, mais qui est mort.

Pour une fois qu'elle pensait être en avance Dorothy Parker est dans de beaux draps, ou plutôt de belles nappes. Mais où sont les autres convives habituels ? se demande-t-elle à juste raison. Dans le hall de l'hôtel Algonquin, où elle réside, c'est l'effervescence. Alors qu'elle aperçoit Robert Benchley, qui travaille également en tant que journaliste comme elle au Vanity Fair, le seul des compagnons qu'elle apprécie vraiment, un jeune homme l'aborde. Il se prétend écrivain, venant du Mississippi, et lui demande humblement de bien vouloir jeter un œil, et même les deux, sur une poignée de feuilles qu'il lui tend. Il se nomme William Faulkner et est tout tremblant, d'abord de pouvoir enfin rencontrer la célèbre journaliste, ensuite parce qu'il a une envie pressante.

Dorothy Parker narre son aventure à Benchley, sa découverte de l'inconnu assassiné à l'aide d'une stylo-plume planté en plein cœur. Les autres participants au gueuleton quotidien, Dorothy en général se contente d'un œuf dur, arrivent peu à peu, et elle les présente à son nouveau protégé. Sherwood, qui travaille lui-aussi à Vanity Fair, Woollcot, critique d'art au New York Times, Benchley en profite pour signaler qu'il préfère qu'on l'appelle Woolcoït, petite digression de ma part mais qui démontre l'esprit facétieux qui anime Miss Parker et Mister Benchley, puis les autres, que l'on retrouvera d'ailleurs tout au long du roman. Enfin surgit l'inspecteur O'Rannigan, rapidement surnommé Ouragan, et autres petits surnoms tout autant agréables, qui veut connaître l'identité de tous ceux qui siègent dans le hall. Faulkner est présenté comme William Teckel, alias qui ne le quittera pas ou presque.

Seulement William Faulker, déambulant dans le hall en attendant la chroniqueuse, a attiré l'attention d'un serveur, et l'inspecteur O'Rannigan soupçonne immédiatement le futur Prix Nobel de Littérature d'être un possible coupable. Benchley reconnait en le défunt Leland Mayflower, journaliste et chroniqueur de théâtre au Knickerbocker News. Un journal à scandales fort peu prisé des journalistes mais apprécié du peuple qui trouve dans ses colonnes pâture à alimenter les rumeurs. Battersby, le directeur et propriétaire du Knickerbocker, prend la relève de son collaborateur, et est toujours fourré entre les jambes (c'est une image) des membres de la petite troupe.

Commence alors une sorte de chassé-croisé entre Dorothy Parker, qui a pris sous son aile le jeune Faulkner alias Teckel pour tous, et Benchley, d'une part, et O'Rannigan et le capitaine Church d'autre part, et, voyageant comme une bille de flipper entre les uns et les autres, Battersby toujours à l'affût d'une information croustillante.

 

Cavales en taxi, jeu de cache-cache, descente non contrôlée d'alcool dans un speakeasy, et tentatives d'assassinat ponctuent ce roman course-poursuite contre le temps. D'ailleurs on le sait, pour les journalistes c'est toujours la corde raide avec le bouclage des journaux.

Le lecteur suit toutes ces péripéties avec l'impression d'être dans un film au rythme échevelé, noir et blanc bien entendu, mais pas muet, car les bons mots fusent même dans les cas les plus graves, voire dramatiques.

La reconstitution d'une époque, celle de la prohibition ce qui n'empêche pas les protagonistes de déguster des liquides illicites, soit dans les bars pas forcément clandestins soit grâce aux flasques qu'ils trimballent en permanence dans leurs poches. Et l'on rencontre au détour d'un ascenseur des personnages connus, Jack Dempsey par exemple. Quant au final, il restera... imprimé sur les rétines des lecteurs !

 

Les bons mots, qui souvent ne sont que des répliques acrimonieuses enveloppées d'humour, se télescopent, grâce à la verve de Dorothy Parker et de son complice Benchley, et que souvent l'inspecteur O'Rannigan ne comprend pas. Mais il est vrai qu'il est quelque peu limité culturellement. Et derrière tout ça, règne encore le spectre de la guerre de 14-18, que quelques personnages ont connu pour y avoir participer sur le front européen.

Les rendez-vous quotidiens à la Table Ronde de l'hôtel Algonquin, le Cercle des Vicieux comme aime à surnommer ces réunions Dorothy Parker dans l'ouvrage, se sont réellement déroulés, mais pas dans les conditions décrites par l'auteur, comme d'ailleurs cela est précisé en postface. La plupart des protagonistes ont eux aussi réellement existés et l'amitié et les antagonismes prévalaient comme dans toute bonne assemblée qui se fait concurrence. Cet ensemble d'actions parfois surréalistes, farfelues, dangereuses, possède un petit air suranné que l'on ne trouve plus guère dans les romans de littérature policière de nos jours, et c'est dommage, et souvent j'ai eu l'impression d'être plongé dans un roman de P.G. Wodehouse, avec un petit côté Incorruptibles.

 

- Et ne cessez pas de lire. Moi, en tant qu'écrivain, j'adore ça.
- Moi aussi. Qu'aimez-vous lire en particulier ?
- Une signature au bas d'un chèque. Dommage que ça n'arrive pas plus souvent.

Je ne supporte pas les librairies, disait-il toujours avec une grimace qui tirait vers le bas les pointes de sa moustache. Ces milliers de volumes aux jaquettes éclatantes, chacun enserrant hermétiquement les rêves, espoirs et passions de leurs auteurs comme autant de petites momies dans leur sarcophage, attendant qu'on vienne les libérer... Brrr...

J.J. MURPHY : Le cercle des plumes assassines (Murder your darlings - 2011. Traduction de Hélène Collon). Editions Baker Street. Parution le 02 avril 2015.

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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 15:04

Ça peut rapporter gros !

Raphaëlle ADAM : Chasse au trésor.

Cela faisait vingt et un ans que Paul, professeur d’histoire dans une université d’Ohio, n’avait pas eu un contact quelconque, ou même des nouvelles, avec Plume de corbeau.

Un mail dans sa boîte aux lettres et ce sont les souvenirs, bons ou mauvais, qui affluent tels des nuages d’orage lors d’une tempête tropicale. Franck et Joe, reçoivent eux aussi un message similaire les invitant à une chasse au trésor.

Franck réside à Sacramento et végète dans un cabinet d’architecte, tandis que Joe est installé à Dallas et vit en compagnie d’Angela qui fut sa psychiatre des années auparavant, alors qu’il avait des pulsions de suicide.

Paul l’Encyclopédie, Franck l’Eclaireur, Joe l’Ingénieux, tels étaient leurs surnoms à l’époque où adolescents ils se fréquentaient assidument dans la petite ville de Cottenbourg dans le Kansas. Partageaient leurs jeux, Eddie alias Plume de corbeau, la seule fille du groupe, et Tim l’Intrépide qui aujourd’hui n’est plus. Paul, Franck, Joe, Tim et Eddie, l’Hispanique étaient inséparables et s’amusaient à la recherche de trésors sur des pistes concoctées par Tim. C’était le bon temps jusqu’au jour du drame.

Peu après ils avaient été séparés, déménagement ou autre, et avaient suivi des voies divergentes se perdant de vue. Alors, qu’aujourd’hui Plume de corbeau les contacte, en cette année 1990, et leur propose une chasse au trésor en Louisiane afin de se retrouver et d’évoquer le bon vieux temps, cela émoustille nos trois protagonistes. Paul, Franck et Joe sont accueillis par Eddie, plus resplendissante que dans leurs souvenirs, il est vrai qu’elle a bien changé et changé en bien, la petite Plume de corbeau de leur jeunesse.

Elle les accueille donc en haut du perron de CypreyHall, une immense bâtisse coloniale, une demeure historique datant des années 1720. Le premier propriétaire, concepteur de cette résidence garnie de meubles d’époque, est décédé tragiquement en 1734. Alice MacBride, qui n’avait pas d’héritiers directs, et dernière descendante de cette lignée de coloniaux ayant possédés champs de cotons et esclaves noirs dans la plus pure tradition louisianaise, a légué cette ancienne plantation à Eddie, l’infirmière qui s’est occupée d’elle durant les dernières années de sa vie. Un remerciement de valeur dont elle veut faire profiter ses anciens amis en organisant cette fameuse chasse au trésor. Elle leur fait visiter le domaine, les bayous, le village des esclaves, et dévoile une partie de son plan : retrouver les souterrains qui reliaient différents sites.

 

Trois époques qui s’interfèrent composent la trame de ce roman dont l’atmosphère adroitement et astucieusement décrite happe le lecteur. Les retrouvailles entre les différents membres de cette bande d’adolescents séparés par une fracture pas forcément indépendante de leur volonté, leurs années de joyeuse insouciance entre 1965 et 1969 jusqu’à cette séparation, le mystérieux drame qui se déroula en 1734, tout est dévoilé peu à peu, progressivement, subtilement, jusqu’à l’épilogue ou plutôt les épilogues de ces trois tranches de vie.

Un panachage de trois destinées qui se chevauchent, s’entremêlent, se superposent, se complètent, pour le plus grand plaisir du lecteur. Comme une tranche napolitaine dans laquelle dominent le rose, le vert et le noir. Le rose de la jeunesse et de l’insouciance, le vert de l’espérance et de la flore, et le noir de la mort. Si la note exotique avec description des bayous est quasiment occultée, celle de l’esclavagisme est présente, avec le rappel du Code Noir datant de 1685 dont le but premier était d’interdire le mariage et le concubinage interraciaux et qui fut adapté par Louis XV en 1724 pour la Louisiane.

Et quand on vous dit que les Américains ont un siècle d’avance sur les Européens, ce n’est pas une affabulation. La preuve, le père de MacBride, le bâtisseur de CypreyHall, cette magnifique demeure enfouie dans les bayous de Louisiane, avait été un pionnier dans les transports ferrés. Etonnant, non ?

Raphaëlle ADAM : Chasse au trésor. Pascal Galodé éditeurs. Parution octobre 2010. 256 pages. 17,90€.

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14 mai 2015 4 14 /05 /mai /2015 14:57

Dans les arcanes de la franc-maçonnerie...

Jean VERDUN : La franc-maçonne du Lubéron.

Dès le prologue, à ne pas manquer, le lecteur est averti.

Titou, le narrateur, Jean Verdun se contentant de tenir la plume et de corriger son texte, n'est pas un écrivain professionnel. Il est employé comme homme à tout faire dans une coopérative vinicole de La Roquebrussanne, et n'a pas fait d'études. Toutefois, il est le secrétaire de la Loge Justice, du Grand Orient de France, l'une des trois loges qui siègent dans la rue Tournefort.

Il s'est mis en tête d'écrire l'histoire de l'affaire de cette franc-maçonne disparue, puis une fois son manuscrit achevé, un client de la coopérative lui a conseillé de l'envoyer chez Gallimard. C'était peut-être viser un peu haut pour un premier ouvrage, mais de toute façon Titou ne l'entendait pas de cette oreille :

Comme je ne suis pas un philosophe, mais l'homme à tout faire d'une coopérative vinicole, je me suis dit que Gallimard allait me ranger avec les polars.

Je ne veux pas de ça. Je ne méprise pas le roman policier, mais s'il y a un meurtre dans mon manuscrit, cela n'est pas de ma faute.

 

Pas de mépris donc, mais une certaine réserve envers un genre dit populaire. Mais il est vrai que cette histoire relève plutôt du docu-fiction car tout ramène à la franc-maçonnerie. Et donc ce n'est pas l'à-priori affiché envers le genre policier qui m'a fait lire ce livre en pointillé, mais parce qu'il traite d'un thème auquel je n'accroche pas.

Une femme disparue, ou morte, on ne sait pas trop au départ, est au cœur de l'enquête menée par le commandant de police Jean-Louis Moret, surnommé Fantoche. Or ce policier qui investigue à La Roquebrussanne et ses environs, a pris pour cible et principaux témoins, voire susceptibles coupables, les francs-maçons de cette paisible cité.

Les francs-maçons sont plus nombreux que l'on pourrait penser. Ceux de La Roquebrussanne se répartissent en trois loges distinctes mais qui se partagent le même local, à l'ombre de l'église Saint-Sauveur dans la rue Tournefort. La Justice, Grand Orient de France, Le Chemin, Grande Loge de France, La Lumière, Ordre mixte international du Droit Humain. Seulement l'affaire de la franc-maçonne du Lubéron attise la curiosité de même que la Coupe des Deltas, une confrontation de pétanque. Des touristes affluent, des joueurs de pétanques mais aussi des francs-maçons d'obédience diverses. Ce qui crée des confrontations d'idées, des antagonismes, les uns prêchant pour le secret entourant la franc-maçonnerie, les autres préférant s'exprimer ouvertement afin de mieux faire comprendre et accepter leurs prises de position absconses.

 

Selon la Grande Loge unie d'Angleterre, La franc-maçonnerie est l'une des organisations non religieuses, non politiques, fraternelles et charitables les plus anciennes et les plus grandes au monde. Mais en général les francs-maçons revendiquent leur appartenance à des valeurs de gauche tout en gardant l'esprit philanthropique, philosophique et progressiste qui est le leur depuis des siècles. Ce rejet de l'église, certaines loges, particulièrement aux USA, dans l'état du Maine, l'ont aboli, et lorsque l'un des représentants de la Grande Loge du Maine arrive dans le village, les dissensions ne manquent pas de même que les récriminations. S'ensuit une sorte de conflit sectariste entre les différentes obédiences.

 

Evidemment ce roman est plus un plaidoyer pour la franc-maçonnerie qu'une histoire véritable et une enquête. Il s'agit plutôt d'un document déguisé en roman, une apologie affirmant les valeurs des francs-maçons, et encore pas de toutes les composantes nombreuses qui se réclament de la franc-maçonnerie.

Il est évident que pour Titou, le narrateur, et pas voie de conséquence Jean Verdun, sa plume, la franc-maçonnerie locale et ses adeptes ne pourraient être tenus pour responsable dans cette disparition et qu'il serait plus logique d'aller voir ailleurs, soit chez ceux qu'ils considèrent comme des dissidents, soit chez les profanes, ceux qui vivent sans bénéficier de l'enseignement maçonnique, ceux qui n'ont pas eu le plaisir d'être cooptés et bénéficiés des rites initiatiques.

Cet ouvrage devrait passionner tous ceux qui s'intéressent à la franc-maçonnerie et à tout ce qui s'y rapporte, mais personnellement je dois avouer que je me suis ennuyé. Peut-être est-ce pour cela que mon billet est quelque peu décousu et ne reflète pas la véritable philosophie exprimée par l'auteur, du moins telle qu'il l'a voulu.

Jean VERDUN : La franc-maçonne du Lubéron. Collection Les inédits. Editions Retrouvées. Parution le 19 mars 2015. 366 pages. 14,00€.

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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 12:53

Cela ne nous rajeunit pas !

Frédéric PAULIN : Rappelez-vous ce qui est arrivé aux dinosaures.

Imagez un feu d’artifice : Oh la belle bleue (Pour les policiers de la BAC) ! Oh la belle rouge (Label rouge ? pour les jeunes femmes de l’association d’Entraide et vous) ! Oh la belle verte (Pour l’herbe qui circule dans la ZUP Sud) ! Oh la belle blanche (Pour les masques destinés à se protéger du virus H1N1) ! Oh encore une blanche (Pour la drogue dite dure)… C’est ainsi que débute le roman de Frédéric Paulin, stylistiquement parlant.

L’action, un catapultage d’événements, se déroule dans une ville de l’ouest de la France, Rennes plus précisément quoique le nom ne soit jamais cité. Le lieutenant Paul Gascogne, qui officie à la BAC (Brigade Anti-Criminalité) tente d’intercepter deux petits loubards qui circulent en scooter et s’amusent à bousculer les piétons sur leur passage, au risque d’en blesser comme l’a été la copine de l’un des fils de Gascogne, d’où son ressentiment. La souricière mise en place s’avère efficace, à tel point que les loustics dérapent et l’un d’eux est grièvement blessé. Aussitôt les policiers appellent les secours qui tardent à arriver. D’abord c’est le toubib, Elvis Dubrinfaux qui arrive, puis les pompiers. Enfin soupire Gascogne qui poireaute depuis de longues minutes en compagnie de ses hommes, Newel Österberg, un vieux de la vieille, et Pablo Ruiz, un jeunot. Pour Gascogne, Österberg est plus qu’un membre de sa section, c’est presqu’un ami. Cela ne l’empêche pas d’être irrité par les propos racistes que Newel, surnommé Jean-Marie c’est tout dire, tient des propos que confirment Ruiz et dont la teneur devrait être aboli dans le langage policier. Le docteur Dubrinfaux et les pompiers ont été appelés afin de secourir une dame âgée qui semblerait atteinte de la grippe A, dite aussi aviaire, porcine, mexicaine ou encore H1N1.

Pendant ce temps, ou presque, Farid, son cousin Zinedine et Ronald, se partagent un pétard au pied d’une tour de la ZUP sud, pensant à leur avenir de petits loubards, sections dealers et racketteurs. Ils aimeraient bien se voir en leaders de dealers. Ils sont abordés par deux salariées d’une association qui travaille en partenariat avec les services sociaux de la mairie. Martine Miossec et Eve Mauléon, d’Entraide et Vous, sont chargées de recruter des jeunes dans le cadre de la réinsertion et de leur proposer de les aider à créer leurs entreprises. Ce qui, vous l’avouerez, part d’un bon sentiment. Mais personne n’est intéressé par ces projets aléatoires. Alors les deux jeunes femmes décident d’inverser la tendance. Elles savent que Farid et ses deux compagnons traficotent dans l’herbe. Elles leur suggèrent que, en investissant leur temps dans la confection et la vente de kebabs et autres spécialités pas forcément locales mais prisées par une population grandissante d’adolescents, ils pourraient, éventuellement, si cela les tentait, en se partageant les tâches, cumuler les emplois. Par exemple tandis que l’un des trois compagnons est aux fourneaux, les autres pourraient étendre leurs activités de dealers en pourvoyant d’autres substances, et que l’argent ainsi acquis serait absorbé dans le chiffre d’affaire de la restauration. Justement, à quelques kilomètres de là, une échoppe dans un centre commercial pourrait leur convenir. Marché conclu.

Et c’est ainsi qu’un aréopage de personnalités, la mairesse en tête et quelques pontes, organise l’ouverture du Kebab Babek (Original, non ?) et se presse lors de l’inauguration. Félicitations, petits fours et champagne à l’appui, sont adressées aux jeunes entrepreneurs.

Par un de ses informateurs, Mytho Yann, le lieutenant Mordefroid qui lui travaille à la Brigade des Stups, est informé de la venue d’un grossiste en provenance de la région parisienne, Black Francis. Une bonne prise se profile à l’horizon !

Oui mais, il y a toujours un os dans le potage, et dans ce cas précis, ce seraient plutôt des charançons dans la farine. Pendant ce temps la grippe H1N1 se développe, s’étend dans toutes les couches de la société, même les couches culottes et les couches de protection pour personnes âgées. Personne n’est à l’abri de cette invasion qui n’a pas été déclarée en douane. Manque à gagner ? Pas pour tout le monde ! Ce qui n’empêche pas que les toubibs, les infirmières sont sur les dents et les rotules et que les cadavres commencent à envahir les salles dédiées aux défunts. Un véritable engorgement des bronches et des hôpitaux.

 

Frédéric Paulin pratique l’humour à froid, et cette histoire nous offre une vue personnelle mais pas innocente de plusieurs tableaux. D’abord, les personnages qui gravitent dans cette histoire et leurs patronymes qui ne manqueront pas d’interpeller le lecteur. J’ai omis de citer qu’il existait aussi un Jean-Marc Rouillan parmi les policiers. Les personnages donc, qui sont tous plus ou moins atteints de fractures familiales, ce qui peut éventuellement interférer dans leur métier. Et puis, que faire quand la société, et ses instances dirigeantes, est confrontée à une pandémie puis une épidémie ? Et que penser de la politique du chiffre qui régit tout alors que la réinsertion n’est pas forcément quantifiable et surtout ne doit pas l’être à tout prix ? Mais tout ceci est bien évidemment sorti de l’imagination fertile de l’auteur, et il ne faudrait pas que le lecteur relie des faits ayant existé à des affabulations littéraires. Quoi que…

Frédéric PAULIN : Rappelez-vous ce qui est arrivé aux dinosaures. Editions Pascal Galodé. Parution septembre 2011. 206 pages. 18,50€.

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  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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