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27 mai 2015 3 27 /05 /mai /2015 15:44

Elle nous supporte bien...

Sébastien DEVILLERS : Supporter la Terre.

Une jeune femme découverte suicidée dans un appartement qui n'est pas celui dans lequel elle vit habituellement, voila de quoi nourrir les questions que se pose Louis Dommage, détective privé.

Le crochet auquel elle s'était pendue avec une corde à linge n'a pas tenu sous le poids, mais de petits détails font tiquer le détective. Par exemple, pourquoi le plâtre qui est tombé du plafond sur la figure de la victime est quelque peu poisseux, comme si du sparadrap avait été apposé sur la bouche de la jeune femme. Une bizarrerie à approfondir pense-t-il. Tout comme la découverte de lingerie fine dans un tiroir. Tout comme la découverte de la pièce d'un Euro que la jeune femme porte sur elle. Un Euro, ce n'est pas grand chose, mais cela veut dire beaucoup, lorsque le côté face représente une chouette. Mais auparavant il prévient la police de sa découverte macabre.

Louis Dommage travaille depuis quelques années dans une agence de détectives avec Jérôme Taillefer, le patron bon garçon, et Stéphane, spécialiste en informatique. Il recherchait Laurence pour le compte de ses parents, qui vivent encore dans le Limousin, et n'avaient plus de nouvelles de leur fille depuis quelque temps.

Laurence était une fille simple, sans problème, qui travaillait à la vente de billets d'avion, et aidait des associations caritatives. Une apparence car en réalité la vie de Laurence était plus complexe que ses proches pouvaient imaginer. Pour les parents, elle était hôtesse de l'air, pourtant ils auraient dû penser qu'elle affabulait, vu son embonpoint. Et pour ceux avec qui elle était en relation, au dépôt des Restos du Coeur par exemple, elle était native soit de Dunkerque, soit du Sud de la France, ou d'une autre province profonde. Et lorsque Stéphane effectue des recherches en explorant le disque dur de son ordinateur, c'est pour s'apercevoir qu'elle correspondait avec de nombreux hommes, et des femmes, via des sites de rencontre. Et le travail de Stéphane est de dénicher qui se cache derrière les nombreux alias utilisés.

 

A la clinique Saint-Jean, dans un des beaux quartiers de la capitale, Jean-Charles Letailleur officie comme Directeur des Relations Humaines ou des Ressources Humaines, selon le critère que l'on veut accorder à ces nouvelles appellations de Directeur du Personnel. Soit on se met à la portée et à l'écoute de ses subordonnés, cas N°1, soit on se conduit en esclavagiste, Cas N°2. Jean-Charles Letailleur serait plutôt à placer dans la catégorie du cas N°1, car il n'aime pas voir les gens souffrir. Les bêtes non plus d'ailleurs. Il est pétri de compassion envers les malades en fin de vie, comme sa grand-mère Guillemette, Mimette pour les intimes dont il fait partie. Son corps rongé par le cancer. Et un soir, il l'aide à trépasser en douceur, il lui semble bien qu'elle le lui a demandé. Sa Grand-mère l'a élevé, il lui devait bien ça. Car son père, directeur de la clinique et principal actionnaire, et sa mère responsable dans une grande entreprise et toujours par vaux et par monts, n'avaient pas eu le temps l'éduquer. Ils sont très riches et lui aussi par conséquent.

 

Autre lieu, dans un restaurant, Béatrice et Paul s'alimentent. Nourritures spirituelles et terrestres sont au menu. Béatrice aimerait un peu plus de contact de la part de Paul alors que lui s'enferme dans une discussion philosophique. Passera-t-il à l'action, lui touchera-t-il la main, lui proposera-t-il une soirée agréable, ce jeune homme qu'elle a connu via un site de rencontre ?

 

Laurence n'est pas seule à être retrouvée suicidée. D'autres cadavres viennent s'ajouter à ce début de liste tenue par Louis Dommage et ses compagnons de l'agence. Des suicides qui ne souffrent pas de déni, et pourtant. L'un a été retrouvé au pied d'un précipice dans le parc des Buttes Chaumont tandis que l'autre s'est noyé volontairement. Mais pourquoi donc ceux-ci portaient sur eux une pièce d'un euro représentant une chouette ?

 

En général je n'apprécie guère les digressions dans un roman, jugeant que cela gâche la lecture et ralentit l'action. Mais dans ce livre elles sont les bienvenues car elles apportent de l'épaisseur indispensable aux personnages, ce que l'on pourrait appeler du "bon gras".

Par exemple les échanges sur Facebook entre jeunettes cachées sous un pseudo, comme il va de soi, une conversation parasitée par un individu qui se dissimule sous l'alias d'Hadès. Ou comme le fait remarquer à Dommage l'une des personnes qu'il rencontre :

Internet a bien des défauts, en particulier celui de donner la parole aux imbéciles, mais il permet aussi enfin la rencontre des esprits, sans l'obstacle des corps.

 

Ou la descente aux enfers et sur le pavé d'un agriculteur qui en mal d'affection avait pensé trouver sa promise, sur les conseils de l'adjoint au maire de son village, auprès d'une fille de l'Est. Ou comment un bon futur père de famille devient homosexuel par frustration, sa femme se refusant afin de ne plus se consacrer qu'au bébé à naître.

Ou la conversation entre Dommage, Stéphane et Taillefer qui discutent sur la position de l'Eglise par rapport au suicide. C'est l'occasion pour Louis, alors que Sylvie leur secrétaire a mal aux dents, ou à une dent, dans ces cas là on ne sait plus trop, de se remémorer ce que disait son curé à propos de l'éternité.

Et puis tu as mal toujours, la douleur ne te quitte jamais. Jamais, tu sais ce que ça veut dire, jamais, petit enfant ? Ça veut dire pour l'éternité. L'éternité, c'est comme une infinité de secondes et d'heures. Infini c'est comme le nombre de grains de cailloux qui font les rues de Paris multiplié par le nombre de grains de cailloux qui font les rues de toutes les villes du monde, multiplié par le nombre de grains de sable qui font les déserts du monde, multiplié par le nombre de mondes qui flottent dans le ciel ! Et quand tu en es là, ce que tu obtiens est comme le sable que ta main peut contenir par rapport au désert qui t'environne.

 

Un roman passionnant, qui s'articule comme un film à sketches, les chapitres se poursuivant les uns les autres, sous forme de petites nouvelles qui s'imbriquent les unes les autres, en apparence sans lien et pourtant qui constituent une intense réflexion sur les sites de rencontre par exemple, le comportement des personnes qui professent trop d'empathie à l'encontre de personnes dépendantes ou faiblardes mentalement. Un roman à tiroirs qui décèlent à leur ouverture les faiblesses de la vie.

L'on retrouve avec plaisir Louis Dommage, dont nous avons pu faire la connaissance en 1987 dans le premier roman de Sébastien Devillers Otage, après avoir subi quelques avatars rapidement expliqués et trouvé une compagne nommée Muriel. Un homme sympathique, qui aime comprendre les tenants et les aboutissants d'une affaire, les positions des uns et des autres, rechercher la faille qui se cache dans l'esprit des divers protagonistes liés de près ou de loin qu'il rencontre.

Pour découvrir les éditions Assyelle :

Sébastien DEVILLERS : Supporter la Terre. Editions Assyelle. Parution 23 janvier 2015. 298 pages. 18,00€.

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commentaires

A
Sa construction m'intéresse, je note.
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O
Un roman très intéressant, et une maison d'édition à découvrir..

Présentation

  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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