Initialement intitulé Le Comte de Moret, Le Sphinx rouge fut publié pour la première fois en feuilleton dans Les Nouvelles en 1865. La première version intégrale en volume fut éditée dans la collection Marabout Roman, aux éditions Gérard en 1960 sous son nouveau titre, qui est plus conforme au contenu du roman.
Si ce volume comporte en outre une longue nouvelle, La Colombe, c’est parce qu’elle reprend deux personnages du Sphinx rouge, le Comte de Moret et Isabelle de Lautrec. Or cette nouvelle fut publiée en 1850 et donc antérieure au Sphinx rouge, mais l’action se situe quelques années après la fin du Comte de Moret. Il s’agit donc d’une suite anticipée et les deux textes peuvent se lire indépendamment l’un de l’autre sans que cela nuise à la lecture.
Toutefois, désirant me mettre dans la peau et la tête du lecteur à l’époque de la parution de ces deux romans, j’ai lu en premier La Colombe puis j’ai continué par Le Sphinx rouge. Ce qui ne m’a pas du tout perturbé, comme ces romans qui narrent un épisode de la saga d’un héros en cours d’existence puis la série connaissant du succès, un roman dit des origines est rédigé afin de mieux cerner le ou les personnages. Mais ce n’est qu’un choix personnel.
La Colombe :
Dans ce roman épistolaire, le lecteur ne sait pas quelle est l’identité des deux correspondants. Cela sera dévoila au fil des échanges, expéditions et réceptions des missives qui sont acheminées par une colombe.
Le scripteur masculin, qui se révèlera être le Comte de Moret, remet en liberté une colombe qu’il a recueillie, plaçant sous son aile un billet, daté du 5 mai 1637, destiné au légitime propriétaire du volatile.
Quelques jours plus tard, par la même messagère, il reçoit une missive de remerciements, mandant dans quelles conditions cette colombe prénommée Iris est parvenue jusqu’à lui. Et comme Iris se morfond apparemment de son sauveteur, elle l’a renvoie avec la réponse à ce message, espérant qu’une liaison épistolaire puisse s’établir dans la durée.
Et c’est ainsi qu’au fur et à mesure des échanges des révélations sont effectuées par les deux épistoliers qui se rendent compte que non seulement ils sont éloignés de quelques dizaines de lieux, qu’ils sont tous deux dans un couvent en attendant de prononcer leurs vœux mais qu’ils se connaissent.
Ils s’aimaient mais les événements, qui sont décrits, les ont séparés, et ils souhaitent ardemment se retrouver et pouvoir s’aimer au grand jour. Seulement… Eh oui, il y a un seulement car le jour de la prononciation des vœux du comte de Moret est proche, et Isabelle de Lautrec ne sait si elle parviendra à temps et si elle-même pourra être relevée de son engagement.
Les événements décrits dans cet échange de missives se sont déroulés cinq ans auparavant et donc quatre ans après l’épisode au cours de laquelle ils se sont connus.
Un roman d’amour charmant et épistolaire, dont le suspense est toujours entretenu et qui aurait pu être écrit en collaboration avec la comtesse Dash, selon le site Dumas père.
Le début de l’intrigue historique du Sphinx rouge se déroule le 5 décembre 1628, soit quatre jours après le retour du cardinal de Richelieu, siège de La Rochelle qui a fait l’objet d’un des épisodes du roman d’Alexandre Dumas Les Trois Mousquetaires, ce que ne manque pas de rappeler l’auteur.
La première a pour décor l’auberge de La Barbe peinte, rue de l’Homme-Armé, à Paris (actuellement une partie de la rue des Archives). Un homme est allongé sur un banc en bois attendant de trouver de l’argent pour régler ses dépenses à son hôtelier. Il s’agit d’Etienne Lathil, homme de main, sbire, spadassin, prêt à donner de sa personne lors de duels et même à suppléer le cas échéant l’offensé.
Surgissent trois hommes qui veulent lui confier une mission contre une forte somme d’argent, des pistoles qui lui permettraient de vivre durant quelques semaines et rembourser ses dettes auprès de l’aubergiste. Seulement il refuse, car l’homme qu’il doit combattre n’est autre que le comte de Moret, fils naturel d’Henri IV et de Jacqueline du Bueil. S’attaquer à la personne sacrée d’un fils du défunt roi Henri IV n’entre pas dans ses projets, dans sa morale pourtant élastique. S’engage alors un combat au cours duquel il est blessé grièvement, les agresseurs s’enfuyant en le laissant sur le sol de l’auberge. Mais ses trois offenseurs en viennent eux-mêmes aux mains, ou plutôt à la pointe de l’épée à cause d’un malentendu amoureux. Et l’un d’entre eux, sinon tous plus ou moins, sont proches du cardinal de Richelieu, pour des raisons dont il a le secret.
En parlant de secret, découvrons le comte de Moret, qui lors de cet incident, se trouvait dans une des chambres de l’auberge, en compagnie de Madame de Fargis, l’une des dames d’honneur de la reine Anne d’Autriche, à qui elle a été présentée par la reine mère Marie de Médicis. Le comte de Moret revient d’Italie et il est chargé de remettre trois lettres aux deux reines. Il se rend au Louvre et est convoyé dans le dédale des couloirs par une jeune personne dont il tombe tout de suite amoureux, alors qu’il est déjà l’amant de deux autres attitrées de la cour. Il s’agit d’Isabelle de Lautrec, qui alors n’a que seize ans, mais qui elle aussi ressent plus que de la sympathie envers ce jeune homme.
C’est ainsi que nous faisons la connaissance de ces deux protagonistes qui figuraient dans la Colombe mais qui n’apparaissent qu’épisodiquement dans ce roman. Car tout est axé sur le cardinal Armand Duplessis, duc de Richelieu, lequel est au centre d’une conspiration menée par la reine mère, la reine Anne d’Autriche et Gaston d’Orléans, le frère de Louis XIII et quelques autres favoris qui n’apprécient pas la prépondérance du ministre auprès du roi.
Se greffe alors l’épisode tragique de l’assassinat du roi Henri IV, le 14 mai 1610, par un fanatique charentais, François Ravaillac. Une scène bien connue des écoliers mais qui garde toujours une partie de son mystère, et dont les historiens abordent des solutions, souvent logiques mais laissent planer le doute. Ravaillac se serait confié avant d’être exécuté à une personne qui aurait consigné ses révélations sur une lettre. Depuis la dépositaire de cette missive est gardée au secret dans une geôle d’un couvent, survivant depuis dix-huit ans de pain sec et d’eau, dans des conditions insalubres. La lettre n’a jamais été retrouvée, et Richelieu met tout en œuvre pour délivrer cette femme et connaître le fin fond du drame afin de pouvoir avoir prise sur les deux reines et leurs partisans, et en informer, si besoin est Louis XIII.
De nombreux critiques littéraires et historiens sont unanimes lorsqu’ils déclarent qu’Alexandre Dumas détournait l’histoire de France dans ces romans. Le fait est que si le Comte de Moret a réellement existé, de même que la plupart des protagonistes de ce roman, il n’est pas présenté tout à fait comme il le fut et des zones d’ombres entourent sa mort.
Ce roman fourmille d’anecdotes, de retours sur le passé, d’explications nécessaires à la bonne compréhension du récit et l’analyse des personnages évoluant dans un contexte de suspicions et des événements qui se sont déroulés des décennies auparavant.
Comme nous avons la prétention que nos livres deviennent, sinon de notre vivant, du moins après notre mort, des livres de bibliothèques, nous demanderons à nos lecteurs de leur faire passer sous les yeux au commencement de ce chapitre une revue de la situation de l’Europe, revue nécessaire au frontispice de notre seconde partie et qui, rétrospectivement, ne sera point inutile à l’intelligence de la première.
Et Alexandre Dumas justifie quelque peu ce que l’on a appelé des distorsions historiques en ces termes :
L’histoire est curieuse et mérite que nous ouvrions une parenthèse pour la raconter, cette parenthèse dut-elle être un peu longue. Il n’y a pas de mal d’ailleurs que l’on apprenne chez les romanciers certains détails qu’oublient de raconter les historiens, soit qu’ils les jugent indignes de l’histoire, soit que probablement ils les ignorent eux-mêmes.
Il aurait pu ajouter que l’on peut parfois douter de l’impartialité de certains historiens surtout du vivant de ceux qu’ils encensent ou au contraire dénigrent pour des raisons politiques.
Louis XIII est montré comme un personnage ennuyeux, triste, effacé, mais il possède ses raisons pour se conduire ainsi. La reine mère, Marie de Médicis, et la reine Anne d’Autriche sont décrites comme des intrigantes, aidées en cela par des proches tout acquis à leur cause, mais également par jalousie.
Mais le personnage principal, autour duquel tourne toute l’intrigue, est bien ce cardinal de Richelieu, qui grâce à de nombreux indicateurs, est au courant de tout, ou presque, ce qui se trame en cachette. C’est un joueur d’échecs qui parfois a des doutes sur le placement de ses pions, sur les tactiques à envisager, mais qui ne se laisse jamais débordé. Si dans les Trois Mousquetaires, la reine Anne d’Autriche était dessinée à son avantage et le cardinal comme un homme implacable et parfois antipathique, ici c’est tout le contraire, déjouant les intrigues et les complots de la cour. Il aide Louis XIII a s’affirmer en tant qu’homme et roi.
Ce dialogue entre le comte de Moret et la duchesse de Chevreuse est assez explicite à ce sujet :
Ah ! que vous êtes bien le fils – légitime s’il en fut – de Henri IV ; tous les autres ne sont que des bâtards.
Même mon frère Louis XIII ? dit en riant le comte.
Surtout votre frère Louis XIII, que Dieu garde ! Que n’a-t-il un peu de votre sang dans les veines !
Nous ne sommes pas de la même mère, duchesse.
Et, qui sait, peut-être pas du même père non plus.
Et au détour des pages on retrouvera des personnages qui n’influent guère sur le récit mais feront parler d’eux, Marion Delorme en tant que courtisane, maîtresse du marquis de Cinq-Mars et de Richelieu selon des historiens, et Pierre Corneille, qui débutait comme auteur de pièces de théâtre et qui, dans le récit, aide Richelieu en compagnie de quelques autres poètes, à écrire une tragédie en cinq actes dont il a ébauché quelques scènes et écrit une partie des dialogues : Mirame. Un aspect méconnu du ministre de Louis XIII.