Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, le Titanic
sombrait dans les eaux glaciales de l’Atlantique.
Le propre d’un écrivain digne de son métier, de sa vocation, c’est d’absorber, dès les premières pages de son œuvre, le lecteur.
Que celui-ci entre de plain-pied dans l’action et ne relâche plus son attention. Qu’il y ait communion entre le roman et le lecteur. Et c’est véritablement ce qui se produit dès la première page de La femme de chambre du Titanic.
Horty sue sang et eau lors du concours annuel du meilleur docker, ployant sous la charge d’un veau vivant, pendant douze minutes, en courant.
C’est la cinquième année consécutive qu’il remporte ce concours et Zoé a de quoi être fière de son homme. D’autant plus qu’en cette année 1912, les temps sont durs pour le petit peuple, et un veau aide à améliorer l’ordinaire.
Mais les organisateurs en ont décidé autrement et, cruelle désillusion, le premier prix ne sera pas le veau, offert à un quelconque hospice, mais un voyage. L’inauguration à Southampton de la première traversée du Titanic et son premier voyage à New-York. Qu’à cela ne tienne, Horty a gagné et il va profiter de son cadeau.
Et cet homme de cinquante deux ans, marié à la frêle Zoé, va découvrir l’aventure et l’amour dans le port de Southampton. Une rencontre va le marquer à tout jamais.
C’est un brave homme qu’Horty, un être frustre et peu compliqué. Lorsque l’hôtelière lui demande de prêter sa chambre à une jeune femme, tout d’abord il refuse. Puis il accepte, désemparé devant cette jeunette timide, innocente et enrhumée.
Marie Diotret doit le lendemain embarquer en qualité de femme de chambre sur le Titanic. Ils vont passer la soirée ensemble, à manger dans une gargote. Puis ils vont coucher ensemble. Mais attention : dans le même lit, soit, mais en tout bien tout honneur.
De retour chez lui, Horty ne garde de Marie qu’une image, une photographie prise sur le port, au moment du départ. De quoi alimenter les conversations de ses amis au café de La Tête d’écaille.
Jusqu’au jour où Horty apprend que le Titanic a sombré dans l’océan. Dès lors, Horty affabule. Sa nuit d’amour toute platonique avec Marie devient une nuit d’amour extravagante. Lui qui de l’acte sexuel n’a connu avec Zoé, sa légitime, que des étreintes rapides et hygiéniques, invente des jeux qui laissent pantois les habitués de La Tête d’écaille.
Zeppe, un ancien Monsieur Loyal, va même l’exhorter à se produire dans des théâtres, des salles dans lesquelles les spectateurs restent sous le charme. Marie revit pour et par Horty, excitant les jalousies.
La femme de chambre du Titanic est un roman d’amour, d’atmosphère, un roman noir également, et Didier Decoin fait vivre sous une plume alerte, légère, parfois humoristique, parfois pathétique, une galerie de personnages hors du commun.
Un paradoxe puisque ces personnages justement font partie de ce que l’on nomme le petit peuple et que théoriquement ils vivent dans un monde clos, fermé, et que rien d’extraordinaire, d’inhabituel ne peut leur arriver.
Tout ça à cause d’un concours gagné dans la sueur, la douleur et la rage de vaincre.
Lorsque j’avais participé comme animateur dans un débat auquel Didier Decoin avait été invité, en mai 1991, il avait déclaré que son souhait serait que La femme de chambre du Titanic soit adapté au cinéma avec dans le rôle principal Gérard Depardieu, un film réalisé par Milos Forman.
Ce projet a avorté. Mais il ne faut pas oublier que Didier Decoin, fils d’Henri Decoin le cinéaste, ne considère pas le film comme une œuvre mineure par rapport au cinéma.
Didier DECOIN : La femme de chambre du Titanic. Editions du Seuil. Parution janvier 1991. 334 pages.
ISBN : 9782020129251
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