A l’extrême pointe ouest du Cotentin, dans une nature aride, sauvage, se dressent des cheminées, des tumulus qui défigurent le paysage. La main de l’homme est passée par là, comme souvent, et les autochtones au début étaient contents, preneurs même, car « On » leur promettait monts et merveilles. L’usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague commence à vieillir. Mais à l’origine tous pensaient que cette nouvelle vache à lait allait remplacer avantageusement leurs troupeaux.
Alors pourquoi tant de problèmes, pourquoi maintenant cette usine était-elle la vindicte de bon nombre de détracteurs ? Tout simplement parce qu’au départ, « les premiers ingénieurs qui arpentaient la campagne nous avaient parlé de l’implantation d’une usine de casseroles ou de plastique, ça dépendait des jours. Et puis après il y eut le secret défense ». Et l’endroit n’avait pas été choisi au hasard : « C’était le coin idéal, qu’est-ce que tu crois ? Un socle géologique ancien et stable à l’abri des tremblements de terre, des vents forts et de gros courants marins pour disperser leurs saloperies… Et puis le must ! Une presqu’île isolée et faiblement peuplée. Tu vois qu’on ne manquait pas d’atouts ! ».
Et tous ceux qui ont un rapport avec l’usine préfèrent se faire oublier. « L’omerta. Tout le monde ferme sa gueule, défend son beefsteak. Faut pas rêver ! L’Usine, c’est la vache à lait ! Un bon salaire, une bonne boîte et tout ce qui va avec. Ce sont les vrais cadors de la contrée, avant les élus, le préfet, et tous les autres. Le pactole nucléaire a mis La Hague sous tutelle. D’ailleurs, c’est un sujet tabou. Cohn-Bendit s’amène, tente de discuter, il s’en prend plein la gueule, est obligé de dégager vite fait… Lorsque Thalassa… - oui, Thalassa, ce n’est tout de même pas un nid de gauchistes ! – évoque le problème, c’est la patrie en danger ! ». Et je pourrais continuer ainsi car le sujet est loin d’être clos.
L’homme qui s’exprime ainsi, Mouloud, explique la situation à Gabriel Lecouvreur qui en tombe des nues. Et tout ça parce qu’un ingénieur qui venait de prendre sa retraite devait remettre un dossier ultraconfidentiel à Mouloud et ses copains, mais il n’en a pas eu le temps. Il a été retrouvé au bas de la falaise, salement amoché, par les rochers mais aussi par la balle qu’il a reçue dans la nuque.
Le Poulpe a fréquenté Mouloud, une référence à Mouloudji, il y a déjà bien des années, lors d’une manifestation à Plogoff dans le but de contrer l’implantation d’une centrale nucléaire, un projet d’aménagement “d’intérêt général” porté par l’État, mais qui avait avorté. Cela se passait entre 1978 et 1981. Gabriel ne reconnait pas ce vieux copain qui vient le relancer dans son refuge favori, Le Pied de porc à la Sainte-Scolasse. Faut dire que le fringant chevelu à la taille de guêpe est devenu un chauve bedonnant. Et c’est ainsi que Le Poulpe est amené à enquêter dans ce coin du Cotentin et découvrir un fleuron décati. Hébergé par Mouloud, Gabriel Lecouvreur fait la connaissance de quelques membres de cette organisation nommée Respire, et que devait contacter le défunt, lequel annonçait à tous qu’il possédait des informations sur des fuites de matière radioactive. Personne n’a voulu prendre ses assertions en considération, sauf justement Mouloud et consorts. Gabriel rencontre le maire et l’un de ses adjoints, mais ceux-ci sont trop inféodés à l’usine pour être fiables. Auprès de Charlotte, la jeune femme du mort, Gabriel apprend que le ménage ne tournait pas rond, une confirmation de ragots glanés ici et là. Il voulait vendre, se retirer en Lozère, alors qu’elle désirait rester sur place avec leurs enfants.
Philippe Huet, lauréat du Grand Prix de littérature policière en 1994 pour Quai de l’oubli, ancien rédacteur en chef adjoint de Paris Normandie, habite depuis quelques années dans ce coin de terre où ont vécu et sont enterrés Jacques Prévert et Alexandre Trauner, célèbre décorateur de cinéma. Il connait donc bien la région, et sa carrière de journaliste continue dans ses romans, avec des intrigues solides puisées dans des faits réels mais agrémentés par une imagination qui pourrait être prémonitoire. Il raconte ce qui pourrait être un fait divers, jetant un œil ironique sur quelques contradictions.
Ainsi l’un des interlocuteurs de Gabriel, qui ne porte pas Greenpeace dans son cœur, déclare : « Et à Greenpeace, ils nous font chier… Parce que fois qu’un convoi renvoie les déchets nucléaires retraités dans le pays d’origine, ils font leur cirque. Comme si nous étions condamnés à garder la merde du monde entier ! Merci, on était déjà bien au dessus des quotas… ». Parmi l’un des protagonistes de cette histoire, il me semble bien avoir reconnu en Paul l’agriculteur, une petite gloire locale (pas moi, je précise !) mais un agriculteur qui a eu les honneurs d’un reportage télévisé et a écrit en collaboration un livre de souvenirs. Un Poulpe de haute tenue qui fera découvrir la région à ceux qui entendent parler des problèmes nucléaires mais n’arrivent pas toujours à en avoir une vision exacte.