En 1975, à la demande de Georges Wolinski, Jean-Pierre Andrevon a fourni pour Charlie Hebdo, auquel il collaborait depuis 1971, douze nouvelles. A l’origine il y en avait une vingtaine, mais peut-être le côté irrévérencieux de certains textes a fait que certaines ont été écartées par manque de place ou parce que le Professeur Choron, qui alors était aux manettes de ce magazine satirique, ne les avait pas appréciées.
L’on constatera que plus de quarante ans plus tard, elles n’ont pas perdu de leur virulence et que les hommes politiques sont toujours aussi méprisants et arrogants que dans les années 70, quoi que puissent en dire ou faire nos dirigeants.
Ces nouvelles et d’autres avaient été éditées par Lionel Hoebeke, dans la collection Changer de fiction au Dernier Terrain Vague, vingt-sept au total. Les années ont passé, et il était juste et nécessaire de les ressortir de l’oubli, de les retravailler, de leur insuffler un petit goût de jeunesse en les adaptant à notre époque, et, en compagnie de quelques inédits, les voilà qui s’offrent à vous, pour vous faire sourire tout en vous confortant dans votre idée du malaise actuel et de votre rejet d’une certaine forme, voire d’une forme certaine, de la politique. Je ne veux pas vous laisser croire que je pense que c’était mieux avant, mais au moins est-on tenter de dire que ce n’était pas pire.
Une colère lucide et désabusée, une violence traitée par la dérision, la causticité et l’ironie acerbe, animent Jean-Pierre Andrevon lorsqu’il rédige ces textes avec une plume trempée dans le vitriol. Quel que soit le thème traité, des thèmes qui, je me répète, sont toujours d’actualité et prennent encore plus de force au fur et à mesure que le temps passe.
Dans Le pet par exemple, pet n’étant pas dans l’esprit du scripteur cette flatulence parfois nauséabonde qui émane d’une digestion mal canalisée mais signifie faire le guet, nous sommes en présence d’un flic qui doit surveiller les abords d’une banque susceptible d’être braquée. Et à la moindre approche d’une personne, ou d’un groupe de personnes, qu’il juge suspect, ce policier n’hésite pas à user de son arme, au grand plaisir des badauds qui applaudissent. Mais à chaque fois il s’agit d’une bavure. Et lorsque la journée se termine et qu’enfin des hommes, habillés comme des actionnaires, pense-t-il, s’introduisent dans l’établissement, il ne réagit pas. L’heure de sa fin de service vient de sonner. Naturellement s’il encourt les blâmes de sa hiérarchie, ce ne sont pas pour les motifs décrits. Et la sanction sera à la hauteur financière de ses méprises. A noter que pour se fondre dans l’actualité, l’auteur précise que ce policier a prénommé l’un de ses enfants, le petit dernier, Emmanuel en l’honneur du président. Fayot !
Et puisque nous sommes dans le domaine policier, que penser de En attendant le client, dont le narrateur est un médecin exerçant son art aux urgences de la police. Des manifestants blessés, des cabossés par des exactions policières, une femme violée, lui sont amenés et à chaque fois son diagnostic est totalement délirant et à côté de la plaque. Tout ça avec la présence d’un journaliste de Libération. Un journal de gauche, donc une quantité négligeable. Il préfère voir l’un des gardiens de la paix présent dans le local compulser Le Figaro, un quotidien impartial. Evidemment. Mais le ton change complètement de registre lorsqu’on lui amène un policier blessé, le petit doigt luxé. Le pauvre. Une fiction, pensez-vous. Naturellement.
Changeons de registre avec La passe, qui, comme son titre l’indique met en scène une travailleuse du trottoir. Une respectueuse comme l’on dit lorsque l’on est bien éduqué. Mais ça, c’était avant la répression, alors que pourtant, cette brave dame n’oublie pas de pratiquer un prix majoré de la TVA, ce qui normalement alimente les caisses de l’Etat. Hypocrites.
Dans Le procès, nous assistons à la confrontation entre une juge d’un âge déjà avancé et d’une jeune femme qui a porté plainte pour viol. Ce monologue, narré à la façon de certains humoristes dont Pierre Palmade, démontre que même entre femmes la solidarité n’existe pas toujours, la juge accablant la jeune femme en lui signifiant :
J’ai les idées larges, et il m’arrive moi-même de goûter aux joies iodées de la mer pour ensuite livrer mon corps aux caresses du soleil. Mais j’ai de la pudeur, moi, mademoiselle. Je porte un maillot. Une pièce, s’il vous plait. Je n’aurais pas l’impudence de dilapider les secrets de mon intimité à toute la France. Alors, je vous le demande : ne comprenez-vous pas que la vision d’un corps féminin dénudé est un appel non équivoque à un acte charnel ?
Je pourrais aligner les exemples de ces textes qui égratignent, qui grattent, qui démangent, mais qui dans le même temps procurent un bien fou, à condition que le lecteur soit phase avec l’état d’esprit de l’auteur, des textes qui sont autant de dénonciations de problèmes sociologiques.
Toutefois, je vous en ai réservé deux petites dernières dont Bilan présidentiel, qui aurait pu convenir à quelques présidents dont en particulier un qui collectionnait les diamants et un autre qui appréciait la tête de veau. Mais ce bilan présidentiel semble n’avoir été écrit que pour l’actuel locataire de l’Elysée. S’adressant à ses concitoyens, celui-ci détaille le nombre de ses repas, de bouteilles vidées, d’animaux tués au cours de parties de chasses, de rapports sexuels… Je cite :
Mes fonctions sexuelles sont normales pour un homme comme moi dans la force de l’âge ; j’ai tiré soixante-seize coups dans l’année écoulée, le dernier en date pas plus tard qu’hier au soir dont treize dans le réceptacle conjugal. Avouez que concernant une union de vingt-trois ans, la moyenne est encore fort honorable.
Et il enfonce le clou, si je puis dire, en déclarant :
J’ajoute que les rumeurs faisant état d’une possible homosexualité sont sans fondement.
L’emploi du mot juste !
Enfin, dans La plume à gauche, Jean-Pierre Andrevon se met lui-même en scène. Comment ? Je vous laisse découvrir son texte.