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17 septembre 2012 1 17 /09 /septembre /2012 08:22

Un cadeau, gosse ?

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Qu’est-ce qu’un Kadogo ? La signification de ce titre énigmatique trottinait dans ma tête jusqu’à ce que, enfin, la solution m’apparût au détour d’une page. Un kadogo, c’est une petite chose, une chose sans importance en swahili. C’est le nom donné aux enfants soldats en Afrique subsaharienne. Dès lors je pouvais poursuivre ma lecture en toute sérénité. Une lecture normale, qui débute au premier mot à gauche de la première page jusqu’au dernier mot à droite de la dernière page. Car il existe une autre forme de lecture suggérée par le diabolique Christian Roux. Mais comme il n’y a pas de sommaire je n’ai pas osé, de peur de me perdre dans les méandres des chapitres.

Trois personnages ou groupes de personnages dont le destin va se percuter dans une trajectoire en dents de scie, avec fulgurance, comme trois éclairs qui se télescoperaient. D’abord Marnie, qui officie pour le bien des familles. Sa dernière mission, supprimer en douceur un patient en phase terminale dans une clinique près de Rambouillet, clinique dont accessoirement il est propriétaire. Mais elle ne pensait pas retrouver sa commanditaire, Catherine Bermann, la belle-fille du défunt, assassinée, atrocement mutilée, ainsi que ses jardiniers et gardiens. Eustache Lerne, officier de police, est chargé de l’enquête qui s’avère délicate d’autant que des événements imprévus se greffent sur cette histoire à priori incompréhensible. Le cadavre du vieux monsieur est retrouvé dans le parc de la clinique, éviscéré et non loin de son cadavre gît celui d’un jeune noir. Et que viennent faire là dedans ces jeunes kadogos, qui ont pour noms Cobra le Dur, Zig la Folle, Tigre affamé, La Mort dans les Yeux ou encore Gyap ? Chacun de leur côté, Marnie et Eustache vont tenter de cerner la vérité tout en essayant de gérer leur vie privée. Marnie hérite d’une étrange compagne, tandis que Eustache qui a recueilli un gamin perturbé, est bien embêté par le comportement renfermé et vindicatif de celui-ci. Heureusement il est aidé dans ses recherches par une spécialiste de la police scientifique, ancienne membre des ONG ayant travaillé en Afrique et qui en garde des traces indélébiles.

Traitant de sujets sensibles comme l’euthanasie, les abus sexuels, les guerres en général et guerres tribales en particulier, guerres tribales dont le nom a bon dos puisque fomentées par des politiques et des lobbies mercantiles, Christian Roux ne joue pas avec les sentiments, ne grattant pas la corde sensible avec faux effets de sensiblerie à bon compte. Il ne dénonce pas, ou si peu, il énonce des vérités que beaucoup voudraient voir recouvertes d’un voile pudique. Il apporte sa vision, sa touche, sa sensibilité, sa fougue humaniste et un bon sens dénué de démagogie, sans tomber dans la grandiloquence de philosophes de bazars. Un roman puissant qui amène le lecteur à réfléchir sur certaines déclarations qui ne sont que de la poudre aux yeux jetée par des politiciens qui veulent se donner bonne conscience sans véritablement désirer réfléchir à la réalité.

Christian Roux : Kadogos. Rivages/Noir N° 749. Editions Rivages. Octobre 2009. 316 pages. 8,65€.

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16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 09:13

La cité d’YS, paraît… La chasse au Dahut est lancée !

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Tout comme l’Atlantide, la cité d’Ys a alimenté l’imaginaire des conteurs qui ont puisé dans le drame de cette ville engloutie pour écrire moult histoires. Gabriel JAN nous propose sa version qui n’est pas dénuée de charme et d’enchantement, malgré le dénouement cataclysmique que tout le monde connait, ou presque.

Trois druides, Merghon, Zyord et Asthor, ont l’habitude de se rencontrer régulièrement et pour se donner rendez-vous ils utilisent la messagerie colombophile. Ce soir là, ils se retrouvent attablés autour d’un roboratif ragout de fèves et de mouton. Mais ce n’est point tant pour déguster ce plat en bonne compagnie que Zyord les a mandés mais pour délivrer un message important et inquiétant. Galtrémoor, l’astrologue et conseiller du roi Gradlon, nécromant à ses heures, prédit l’engloutissement de la cité sous les eaux. Mais surtout le Trémillon est menacé.

Le Trémillon, appelé aussi Aigue Bleue, est une pierre censée protéger la cité des flots. Zyord possède un pouvoir, celui de sentir les choses, de les deviner, de les prévoir. Or il est persuadé, il le ressent, quelqu’un va arriver, un inconnu qui va contrarier leur supériorité.

Cheminant tranquillement avec son fier destrier Albéran, Gelan d’Edarpt s’approche de la cité d’Ys, au bout de la Cornouaille bretonne (je précise pour ceux qui confondraient avec la Cornouailles Britannique). Attiré par l’onde fraîche d’une rivière, il se dénude et se décrasse de la sueur et de la poussière accumulées au long du chemin. Seulement, lorsqu’il regagne la berge, ses vêtements ont disparu. Un jeune homme apparait alors, déclarant qu’il a mis les malandrins en fuite et a récupéré ses effets. Il se présente : Céryl, fils de Maître Gravlor Hoëlmeur, grand tailleur à Ys. Gélan, lui est médecin, et il espère pouvoir s’installer à Ys. Tous deux rejoignent donc la cité et Céryl en profite pour décrire la ville et ses habitants, surtout parler de Dahut, la fille du roi Gradlon. Dahut est connue pour ses frasques, changeant d’amants comme de chemises, plus souvent même peut-être. Mais surtout Dahut se comporte en mante religieuse. Oh, elle ne mange pas ses amants, mais elle les fait jeter à la mer où ils se noient.

Gélan s’installe dans une petite remise près de chez Gravlor. Et là il est subjugué par Cipée la sœur de Céryl. Il recueille des herbes sous les remparts et c’est lors d’une cueillette de mandragore qu’il fait la connaissance de Nashaben le barde. Mais bientôt, lors d’une fête, un incident se produit et il va pouvoir démontrer ses connaissances médicales, en usant de pouvoirs magiques.

Fuite_de_Gradlon.jpgIl est difficile de dater à quel moment se déroule cette histoire, mais on peut raisonnablement supposer qu’elle se passe au début de la christianisation. En effet les druides s’évertuent à dénigrer les moines qui se sont installés dans la région. Leurs prérogatives sont en jeu, mais aussi le mode de vie de la plupart des habitants de la cité. Les fêtes, nombreuses, donnent lieu à des débordements charnels, ce qui n’est guère au goût des religieux chargés de répandre la bonne parole. Le syndrome du péché de chair n’est pas ancré dans les mœurs qui sont libres.

Et c’est avec délicatesse que Gabriel Jan décrit la vie de cette cité légendaire, apportant sa touche personnelle. Tout en suivant les grandes lignes fixées par ses prédécesseurs, notamment Charles Guyot qui le premier en rédigea un récit complet, mais aussi de nombreux historiens et conteurs bretons comme Anatole Le Braz ou Emile Souvestre au XIXème siècle, il nous offre une histoire riche et vivante, incorporant magie, merveilleux et histoire. Dans toute légende, existe un fond authentique que l’imaginaire amplifie. Des chercheurs trouveront peut-être un jour des vestiges de cette cité légendaire dans la baie de Douarnenez. En attendant ne boudez pas votre plaisir en découvrant cette version pétillante comme le cidre breton.

Vous pouvez retrouver les chroniques précédentes : Le réveil des menhirs et Qui veut tuer le roi Henri ? ou encore Par le rêve et la ronce, ainsi qu'un portrait de l'auteur.

Gabriel JAN : Ys, le monde englouti. Liv’éditions. 240 pages. 10€.

challenge régions

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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 13:38

bouchard

Avant de vous présenter le nouveau roman de Nicolas Bouchard, Ceux qui règnent dans l’ombre, lequel avait déjà écrit Terminus Fomalhaut, roman fort remarqué par la critique paru chez le même éditeur ainsi que L’ombre des Cataphractes et Astronef aux enchères aux éditions Fleuve Noir je vous propose de découvrir un roman qui date de 1999, une incursion dans un univers dédié à la science-fiction : Colonies parallèles.

La jeune Marie-Aïno est excitée, malgré les rebuffades que ne manquent pas de lui prodiguer ses cousins. Elle est appelée à succéder un jour à son père, étant la seule héritière directe. Ce qui n’a pas l’heur de convenir aux mâles de la famille car pour eux ce n’est pas la place d’une femme, et encore moins d’une gamine, d’être appelée à diriger un jour la tribu.

En compagnie de sa parentèle elle doit quitter le Dévonien, où elle ne se plait guère, pour une nouvelle destination située dans une colonie parallèle. Tout ce petit monde embarque à bord d’une barge anti-gravité et s’enfonce sous Terre, convoqué par le Bureau des Affaires Coloniales.

Les hauts fonctionnaires ont décidé d’envoyer une famille à Sumer, pays situé en Mésopotamie, quelques trois mille ans avant J.-C. La parentèle Svinkoïnen a été choisie pour de multiples raisons, la première étant que les autres familles de même rang ont dû décliner l’invitation, ou plutôt n’ont pu accepter l’invitation car selon toute apparence, ils ont disparu. Pourtant coloniser une nouvelle terre est synonyme de gain facile. Le père de Marie-Aïno accepte le contrat mais la fillette, curieuse et c’est bien normal à son âge, a surpris une conversation édifiante et lu un papier confidentiel. Elle n’a pas tout bien compris aussi elle se montre plutôt méfiante et réticente.

Les pontifes du Bureau des Affaires Coloniales n’ont pas joué le jeu, ils ont menti au père de Marie-Aïno. Si les autres familles ont refusé de participer au voyage c’est parce qu’elles auraient été anéanties. N’empêche, le voyage dans les mondes parallèles s’effectue sans heurt et à leur atterrissage, tout le monde est accueilli à Sumer comme le Messie. Mais ce n’est pas de tout repos et surtout ce n’est pas sans danger. Marie-Aïno l’apprendra à ses dépens même si elle est sacrée reine par les Sumériens.

Entre voyage dans les mondes parallèles, thème cher aux auteurs de Science-fiction et une approche du style Steampunk fort à la mode actuellement, Colonies parallèles mêle habilement humour et cours de gestion, avec à la clé la mise en place d’un système économique complexe, est plaisant. Ce roman, écrit par un jeune auteur prometteur qui devrait nous réserver d’autres bonnes surprises, est une bouffée d’oxygène que je vous recommande vivement.

Nicolas Bouchard : Colonies parallèles. Collection Lettres SF N°13, éditions Encrage. Mai 1999. 168 pages. 11€.

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14 septembre 2012 5 14 /09 /septembre /2012 14:05

Et s'il était tout seul à trop en vouloir !


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En cette fin de novembre, le massif auvergnat essuie une tempête de neige dont les anciens ne se souviennent pas en avoir connu une identique depuis des décennies. Un qui est content et se frotte les mains, c’est bien Jean Deschamps qui va pouvoir sortir son chasse-neige afin de déblayer la route qui traverse le hameau des Combes, au cœur du Sancy. Son enthousiasme est rapidement refroidi, c’est le mot qui convient, lorsqu’il arrive sur place. Le corps d’une femme blonde est étendu dans la neige ensanglantée, le ventre perforé à l’aide d’une fourche. Aussitôt il appelle les gendarmes et les secours.

Arrivés sur place les représentants de la maréchaussée et les pompiers ne peuvent que constater le décès de la jeune femme. Seulement leur surprise va croissant lorsqu’en visitant les cinq ou six maisons du hameau ils découvrent d’autres cadavres. Une femme gît au bas d’un escalier, le cou rompu, un homme a été égorgé, une autre femme a le crâne fracassé, probablement à l’aide d’une bûche retrouvée non loin, un vieillard n’a pas digéré une salve de carabine. Cinq cadavres auquel s’ajoute un autre, retrouvé sur son lit dans une chambre, décédé de mort naturelle selon les premières constatations. Un inconnu du capitaine Feyrat et du gendarme Delaire qui connaissaient tous les résidents du lieu-dit.

D’abord Julia, une Hollandaise, la quarantaine prononcée, alerte et enjouée, qui écrivait des romans pour enfants publiés dans son pays natal. Considérée comme une croqueuse d’hommes depuis son installation cinq ans auparavant et son veuvage. Ensuite Noémie Auch qui avait transformé sa maison en gîte après avoir plaqué son travail dans une grande société d’audit parisienne. Ensuite un couple, Claude Tinto et Sylvie Mauresm, lui instituteur et elle infirmière libérale. Enfin André, un vieux grognon, porté sur l’alcool et particulièrement l’armagnac qu’il améliorait avec une eau-de-vie locale dépassant hautement le taux d’alcool autorisé. Il se murmurait qu’entre lui et Noémie, il se passait des choses, mais ne nous éternisons pas sur des ragots qui sont peut-être des véracités. Il n’entretenait pas sa maison, uniquement dans un esprit de vengeance à l’encontre de sa sœur propriétaire. Sinon tous les autres avaient restauré leurs domiciles afin de vivre plus confortablement, quoique pour certains les travaux n’étaient point terminés par manque d’argent.

Une véritable bouteille à l’encre rouge versée dans un désert de neige pour des enquêteurs qui ne savent pas par quel bout prendre l’enquête. D’autant que des sommités de l’administration, hauts fonctionnaires de la République et gradés impatients de la gendarmerie piaffent d’impatience. Il faut un résultat à tout prix, même si la vérité n’est pas au bout du chemin, ne serait-ce que pour contenter les journalistes et l’opinion publique. Chacun possède sa thèse, parfois en contradiction avec celle de leurs subordonnés ou des représentants de l’Etat, dans un esprit de conflit larvé. Est-ce le fait d’un seul meurtrier qui aurait utilisé différents moyens pour supprimer ses semblables, ou une guerre de clan de laquelle personne ne serait sorti vivant ? Personne ? Si, enfoui dans la neige à quelques dizaines de mètres du hameau est retrouvé un homme. Eventré lui aussi, mais vivant. Enfin, plongé dans le coma, mais à la médecine rien n’est impossible. Les secours et les gendarmes aimeraient pouvoir s’en persuader.

Le lecteur possède cet avantage sur les enquêteurs, c’est qu’il connait au moins l’identité d’un des deux inconnus et son parcours jusqu’au hameau. Alex est un parasite, qui use et abuse de sa belle gueule pour se faire entretenir par des femmes en manque… d’affection. C’est ainsi qu’il rencontre dans un café Julia avec laquelle il sympathise. Elle lui propose de l’héberger durant un certain temps, afin de meubler ses soirées. Il s’installe et fait la connaissance des autres habitants du village, lesquels l’adoptent rapidement. La tempête de neige fait rage et l’électricité vient à manquer. Heureusement, Noémie, prévoyante, dispose d’un groupe électrogène, ce qui leur permet de se retrouver le soir pour manger ensemble. Le Blitz, comme appellent les résidents quoique ce mot est inapproprié, est source de désagréments surtout lorsqu’un individu disant se nommer Maurice Jesup fait irruption. Sa voiture est embourbée, et il arrive à pied, une mallette à la main. Cette intrusion dans la petite communauté va générer bientôt une animosité fatale.

Construit comme un huis-clos étouffant, malgré la froidure extérieure, ce roman n’est pas sans nous rappeler quelques œuvres d’Agatha Christie et autres auteurs de suspense. Avec toutefois cette particularité que le présent et le passé s’entrelacent. C'est-à-dire la découverte du corps puis l’enquête qui s’ensuit sont découpés en strates par la narration de la rencontre entre Julia et Alex puis la description des événements dramatiques. Patrice Pelissier, qui fut libraire, ah le beau métier en voie de disparition, à Clermont-Ferrand, connait ses classiques et nous offre un petit bijou. Ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser à l’actualité : « A cinq heures du matin, une carte d’état-major sous les yeux, il (Jean Deschamps, le conducteur d’engins de déblaiement) étudia le réseau secondaire, non prioritaire par rapport à l’unique route qui menait à la station. Certains jours, il était préférable d’être skieur qu’élève. Mais ce n’était pas les enfants qui reprocheraient aux élus locaux de privilégier l’argent plutôt que le savoir ».

Un roman rafraichissant (si, si !) dont l’intrigue ne s’envase pas dans des considérations oiseuses.

Patrice PELISSIER : L’homme qui en voulait trop. Collection Terres de France. Presses de la Cité. (Octobre 2011). 288 pages. 18,30 €.

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13 septembre 2012 4 13 /09 /septembre /2012 06:19

Attention aux éclaboussures !

Thomas H. COOK : Du sang sur l’autel.

Thomas H. Cook bénéficie depuis quelques mois d’un regain d’intérêt de la part des lecteurs de romans noirs et policiers. Pourtant ce n’est pas un nouvel auteur débarquant dans la galaxie littéraire tel un météorite. La collection Série Noire avait édité cinq de ses romans dans les 80 et début 90, et il m’a paru opportun et judicieux de fouiller dans mes archives de l’époque et de retrouver quelques notes que j’avais rédigées concernant l’un des premiers ouvrages publiés : Du sang sur l’autel Ce roman vient d’être réédité récemment aux éditions Points.

Dans ce roman Thomas H. Cook effectue une incursion dans le domaine religieux et plus particulièrement s’intéresse à la capitale économique et religieuse de la communauté mormone, Salt Lake City. Pourquoi un dément tue-t-il respectivement une prostituée noire, un journaliste, des personnalités représentatives de cette communauté mormone ? Quels liens les relient ? Un flic exerçant autrefois à New-York, dégouté et cafardeux, mal dans sa peau, mal dans la ville, est chargé de l’enquête. Oui, mais attention, il ne faut pas toujours fouiller trop profond. Parfois de la vase pourrait troubler une eau pourtant limpide. Pas sûr, mais l’on ne sait jamais. Prudence.

Ce gros roman  jamais ennuyeux, nous conte en même temps une petite histoire de la communauté et du mode de vie des Mormons. L’intégration n’est jamais facile, la tolérance est souvent omise, l’illumination, la foi, le sectarisme mettent trop souvent le monde en danger. Du sang sur l’autel est un livre subtil, sans parti pris, mais qui oblige le lecteur à réfléchir sur certains traits de caractère : trop de rigorisme, pas assez de tolérance et de compréhension envers les autres sont néfastes. Que ce soit dans le domaine religieux, politique ou… littéraire.

cook2.jpgUn bon roman de Thomas H. Cook, qui fait preuve d’une certaine originalité sans être exceptionnel. Un auteur que l’on pourrait classer comme un petit maître, ceux dont la préoccupation principale était de divertir le lecteur avant tout. De lui donner envie de lire, parfois de s’interroger, mais pas de se prendre la tête et la cogner contre les murs afin de chasser la migraine déclenchée par la lecture d’ouvrages abscons. Et si je devais établir une comparaison avec la confection vestimentaire, je classerai la production de Thomas H. Cook entre le prêt-à-porter et la haute couture : dans la catégorie du sur mesure, comme travaillaient dans le temps les tailleurs qui coupaient, cousaient, assemblaient des habits pour les particuliers avec une pointe d’imagination tout en respectant l’éthique de la profession.

 

Thomas H. COOK : Du sang sur l’autel. (Tabernacle – 1983. Traduction de Madeleine Charvet). Editions Points. Collection Points Policier. 466 pages. 7,90€. Réédition de Série Noire n°2021, septembre 1985.

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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 14:42

L’exode de l’Exodus.


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Les tribulations de l’Exodus, le navire qui devait emmener plus de 4500 Juifs vers la Terre Promise, ont été immortalisées par le roman de Leon Uris, et surtout par le film éponyme d’Otto Preminger avec Paul Newman. Seulement dans la réalité, ce voyage ne s’est pas déroulé comme cela a été conté.

Sous couvert de roman, Maud Tabachnick nous raconte la véritable President_Warfield_1947.pnghistoire du President Warfield, rebaptisé Exodus 47, de ses passagers et de ceux qui ont été à l’origine de cette aventure. Elle met en scène, si l’on peut dire, des personnages réels, contrairement à Leon Uris et Otto Preminger qui eux avaient inventé des héros de fiction. Et le terme du voyage ne fut pas si idyllique qu’il fut conté.

30 mai 1947. Le jeune Serge Menacé, dont les parents ont été abattus sur ordre de Paul Touvier, a demandé une entrevue avec l’abbé Glasberg qui officie à Lyon. Ce n’est pas tant en souvenir de sa grand-mère, que le religieux a rencontré au camp de Drancy, que Serge veut le voir, mais parce qu’il pourrait l’aider, lui et ses compagnons, grâce aux relations que l’ecclésiaste entretient. En effet la Haganah, l’armée juive clandestine, veut ramener au pays les Juifs qui n’ont plus d’endroit pour vivre. La Haganah a acheté un vieux bâtiment à Baltimore, le President Warfield, et après des réparations dans un port italien, il stationne à Sète afin d’emmener plus de quatre mille cinq cents passagers. Or Glasberg peut, grâce à son ami le cardinal Gerlier qui a ses entrées à Matignon, obtenir des autorités civiles et militaires l’autorisation d’embarquer. Mais les quotas édictés par le gouvernement anglais sont gelés.

Attlee_BW_cropped.jpgEn effet l’empire britannique, depuis des décennies, possède une main mise sur les états arabes qu’il n’est pas prêt de vouloir abandonner. Et Clement Attlee, le premier ministre, est fermement décidé à empêcher tout embarquement vers la Palestine. Un agent du SIS, Secret Intelligence Service, John Milton, est envoyé sur place pour faire avorter le projet. Ahmed Yassim, qui dirige depuis deux ans la principale branche armée des Volontaires arabes constituée dès 1920, est chargé de prévenir les Anglais s’il découvre les projets sionistes. L’armée des Volontaires arabes a été constituée vingt ans auparavant, en réponse à la déclaration Balfour qui précisait dans un courrier adressé à Lord Lionel Rotschild l’intention du gouvernement de Sa Majesté d’envisager favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national juif.

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En catimini Yossi Harel, le commandant politique, Ike Aronowicz, le jeune capitaine de l’Exodus, Saul, Marga, Yosh et quelques autres compagnons délivrent les Juifs qui sont parqués depuis des mois dans des cantonnements dispersés sur le territoire français suite à leur libération des camps de concentration allemands, et les amènent à bord de camions jusqu’à Port de Bouc d’où doit avoir lieu l’embarquement. Ils attendent les papiers qui doivent leur permettre de quitter le port, à destination théoriquement de la Colombie. Un subterfuge qui ne convainc pas les Britanniques. Des bâtiments britanniques suivent le navire dans les eaux méditerranéennes et l’empêchent d’aborder les côtes palestiniennes alors que l’Exodus n’est qu’à vingt-sept kilomètres de Haïfa. La suite sera plus terrible.

 

Il est difficile de ne pas ressentir un sentiment de révolte, à la lecture de ce roman-document, devant l’acharnement des troupes britanniques envers ces fils d’Israël, qui souhaitent tout simplement retrouver après des siècles d’errance le pays dont ils ont été spoliés. Depuis une vingtaine d’années, des communautés juives vivent en Palestine, en plus ou moins bonne intelligence avec les Arabes. Seulement les intérêts financiers sont en jeu. En effet, à l’ONU, un vote doit avoir lieu afin d’entériner la décision de créer un état d’Israël, en partageant la Palestine. Les Etats-Unis sont pour et s’avèrent être un soutien actif pour les délégués Juifs. L’URSS, Staline est antisémite et son action envers un comité antifasciste juif créé en 1942 est là pour le prouver, n’y sont pas favorables. Les enjeux financiers sont représentés par le sous-sol arabe qui possède une véritable richesse pétrolifère.

Autre fait troublant, c’est la collusion entre le grand mufti Hadj Amin al-Husseini, qui avait choisi le camp d’Hitler durant la guerre, la légion arabe se battant courageusement aux côtés des Nazis. En cette année 1947, les Arabes ont néanmoins obtenu des Anglais que le quota de soixante-quinze mille immigrants soit maintenu et que l’interdiction de vendre des terres aux nouveaux arrivants soit renforcée. Le Pétrole, de tout temps, a toujours senti bon.

Maud-Tabachnick.jpgSi l’on peut comprendre les récriminations des Palestiniens, si l’opinion internationale prend leur défense vis-à-vis d’Israël et des affrontements qui opposent ces deux nations, il ne faut pas oublier que depuis près de vingt siècles les Juifs sont rejetés de partout. Ils ont perdu leur terre, ils ont été spoliés, et ce qui leur est reproché aujourd’hui, ils l’ont subi en étant chassés de leur nation. Si torts il y a, il faut les attribuer aux deux camps, à leur entêtement, à leur manque de tolérance. Egalement à l’intolérance religieuse, au fanatisme, à l’intégrisme, d’où qu’ils viennent. Sans oublier l’esprit mercantile qui n’est pas l’apanage d’une nation. Et l’on peut se poser la question de savoir comment les grandes puissances réagiront lorsqu’il n’y aura plus de pétrole en jeu ?

Un roman-document qui éclaire l’origine de biens des conflits et qui propose une vision non édulcorée de l’histoire. Quant aux Juifs qui ne purent débarquer de l’Exodus, ils furent envoyés sous bonne escorte britannique à Hambourg où ils végétèrent ensuite dans des camps de rétention allemands.

 

Un conseil : visitez le site des éditions de l'Archipel. Vous y retrouverez Maud Tabachnick !

Maud TABACHNICK : Je pars demain pour une destination inconnue. Collection Cœur noir. Editions de L’Archipel. Septembre 2012. 242 pages. 18,95€.

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11 septembre 2012 2 11 /09 /septembre /2012 11:16

La suite des pérégrinations d’Alain et Jocelyne dont nous avons fait la connaissance dans Onde de choc.

Alain BLONDELON : Dégénération future.

 

Réfugiés sur l’île d’Yeu, quelques rescapés de l’Onde de choc survivent, confrontés à un nouveau problème. La vie continue, les femmes enfantent, mais quelques mois après le début de leur grossesse, elles sont atteintes de violentes céphalées et saignent du nez. Pas alarmant à priori, sauf qu’à la naissance les enfants sont handicapés. Les gamins sont difformes et accusent un net retard mental. Une dégénérescence natale qui affecte le moral de ceux qui vivent sur l’île. Une scission est provoquée et quelques membres de la communauté embarquent vers d’autres lieux, pensant qu’il s’agit probablement d’une maladie liée à l’endroit où ils vivent. Alors Lionel et son amie Sandrine, qui sont les responsables naturels du groupe, confient une mission à Alain et Jocelyne. Celle de trouver un médecin qui pourrait installer un hôpital de fortune.

Jocelyne veut profiter de ce voyage afin de retrouver son amie Christelle qui vit en Irlande et qu’elle n’a pas revu depuis les événements qui ont bouleversé la Terre. A bord d’un petit voilier ils entament leur périple en longeant les côtes bretonnes, mais bientôt il leur faut songer à se ravitailler. Ils abordent donc à Brest.

Le port et la ville sont dévastés, en ruines, et il leur est malaisé de trouver un magasin pouvant recéler quelque denrée. Lors de leur exploration ils entendent un vrombissement inquiétant.

Un énorme frelon pique sur eux. Ils se réfugient avec précipitation dans une boutique et l’hyménoptère s’assomme contre la vitre. Alain en profite pour abattre la bébête avec son fusil à canon scié. Fin du combat ? Que nenni ! D’autres bestioles, par dizaines, mesurant une quarantaine de centimètres, arrivent en escouade. Les grosses goulues déchiquètent le frelon hors de combat puis repartent repues. Alain et Jocelyne reprennent leur périple et arrivés sur dans une grande surface entièrement saccagée, ils se trouvent quasiment nez à nez avec des individus qui poursuivent une jeune femme. Ils s’interposent et parviennent à faire s’enfuir les malotrus.

Après quelques péripéties mouvementées, ils parviennent enfin en Irlande mais Christelle n’habite plus l’endroit où ils pensaient la trouver. Alors retour sur le continent jusqu’à Nevers via Rouen, où encore une fois ils ont maille à partir avec des prédateurs humains et rencontrent des dégénérés survivant avec difficulté et des communicants, une faculté de transmettre des messages par la pensée qui leur sera bien utile. Les combats sont nombreux et ils risquent leur vie à moult reprises.

Dans une atmosphère de canicule, Alain Blondelon trimballe ses personnages, ne leur épargnant aucune vicissitude. Le Futur pointe à notre fenêtre avec ses rayons qui dardent en étouffant tout. Mais s’il s’agit d’une extrapolation de l’avenir, et un peu une parabole d’Adam et Eve découvrant ou redécouvrant le monde, il est à noter que ce n’est pas tant comment est devenue la Terre après l’Onde de choc que de s’apercevoir que malgré toutes les avanies, les êtres humains n’ont pas retenu la leçon. Au lieu de s’entraider, de signer une alliance cordiale, ils vivent en petits comités, et très nombreux sont les rapaces, les nuisibles, qui ne pensent qu’à exterminer leurs congénères. Autre époque, autres mœurs, mais encore et toujours de la discrimination.

Il est bon aussi de se poser la question de savoir si les efforts, les essais, les recherches scientifiques concernant les modifications génétiques, quelle que soit leur provenance nucléaire ou chimique, ne peuvent pas se retourner contre l’homme. Mais de toute façon ceux qui sont à l’origine des mutations, animales ou végétales, ne seront pas là pour apprécier leurs résultats. Les bienfaits sont tout de suite avancés sans que quoi que ce soit n’est fait pour en analyser les méfaits.

Quant au dénouement, il induit une suite qui j’espère ne saurait tarder. La couverture, signée Adam Tredowski, est très belle, mais reflète peu le contenu du roman.

Et je ne saurai trop vous conseiller de vous rendre sur le site des Editions RIvière Blanche et de consulter leur catalogue.

Alain BLONDELON : Dégénération future. Collection blanche N° 2090. Editions Rivière Blanche. 210 pages. 17,00€.

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10 septembre 2012 1 10 /09 /septembre /2012 13:23

Juge d'instruction ou instruction d'un juge ?

 

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Comme toutes les espèces en voie d’extinction, le juge d’instruction devrait bénéficier du statut particulier de la protection. Mais comme les gamins qui saccagent volontiers les œufs dans les nids d’oiseaux, des hommes politiques ont signé sa disparition. Et bientôt il ne vivra plus que par les écrits des romanciers, comme on peut retrouver le sabotier, le maréchal-ferrant et autres petits métiers d’antan sous la plume d’écrivains de la fin du XIXème siècle et début XXème. Heureusement André Fortin, qui fut lui-même juge d’instruction, nous invite à partager la vie d’un magistrat avec la compétence et l’impartialité d’un homme de terrain. Je sais que certains pourront objecter que l’actualité judiciaire recèle quelques bavures, à cela je rétorquerai que parfois le procureur devrait être également mis en cause, car le plus souvent il agit en fonction de ses intimes convictions, tandis que le juge d’instruction lui le fait en fonction des pièces du dossier qu’il en a sa possession. Je referme les guillemets que d’ailleurs je n’avais pas ouverts.


Le juge Galtier est un homme qui ressasse la nuit, surtout lorsqu’il a des petits problèmes conflictuels, comme ce soir-là avec sa jeune femme. Et dans ces cas là, il dort mal. En pleine nuit, alors qu’il s’est réfugié sur le balcon, il est troublé par des bruits bizarres et découvre avec surprise qu’un homme vient d’atterrir à ses pieds. Ange Simeoni, petit malfrat bien connu des services de police, vient de s’inviter chez lui. Il est poursuivi, selon ses dires, par des hommes qui ne lui veulent pas forcément du bien. Le lendemain Galtier informe l’inspecteur Juston, un policier avec lequel il aime travailler, et lui demande de retrouver son visiteur du soir. L’homme a déserté le foyer conjugal. Mais un juge n’a jamais qu’un seul dossier à traiter, et Galtier, qui a été juge pour enfant, est contacté par la jeune Fatima qui s’inquiète pour son frère Rachid. Celui-ci n’a pas donné signe de vie depuis quelques jours, et elle pense qu’il suit un mauvais chemin et aurait été embrigadé par des hommes louches, peut-être proches d’une section terroriste islamiste. Camilla (en réalité elle s’appelle Camille, mais ça fait mieux ainsi), la secrétaire de Charlie Sacomano, est retrouvée morte et ce décès n’est pas du à un suicide. Sacomano magouille dans l’immobilier, mais il a le temps de déménager les pièces compromettantes avant la perquisition des policiers et du juge. Toutefois un tout petit bout de papier avec un morceau de timbre révèle aux tests du laboratoire scientifique que l’enveloppe provenait des iles Caïmans. Quelles relations entretenait Sacomano avec ce paradis fiscal ?

 

Le lecteur comprendra bien vite que ces trois affaires sont implicitement reliées, mais comment, pourquoi, et quelles en sont les finalités, telles sont les questions qu’il pourra légitimement se poser. L’intérêt de ce roman ne réside pas en l’intrigue, pas uniquement, mais dans les réflexions politico-judiciaires émises par l’auteur qui sait ce dont il parle. De la cuisine interne, genre « c’était une pratique des procureurs, culpabiliser les juges, comme le fait le gouvernement d’ailleurs : ne libérez pas les gens sinon vous serez responsable de tout ce qui pourra arriver ! Et après on s’étonne du désastre d’Outreau où un juge complaisant a maintenu des innocents en tôle plus que de raison... ».

Mais l’antagonisme juge d’instruction-procureur de la République n’est pas le seul sujet d’achoppement des récriminations d’André Fortin. Il pointe du doigt les juges d’instruction de la section antiterroristes, dont « la proximité avec le pouvoir, les ministres de l’intérieur et de la justice, rend nécessairement suspects juges et procureurs antiterroristes savamment choisis pour faire partie de cette équipe de cow-boys et de rouleaux compresseurs ». Rappelez-vous la fameuse affaire de Tarnac (là c’est moi qui ajoute mon grain de sel) ! Et André Fortin enfonce le clou en laissant son personnage principal, le juge Galtier, s’exprimer ainsi : « les flics antiterroristes et surtout les juges de la même engeance, étaient-ils des individus normalement constitués ? La fameuse culture du résultat qu’on leur avait inculquée, et qu’ils avaient d’ailleurs assimilée avec enthousiasme, ne les avait-elle pas totalement pervertis ? ». Je pourrais aller plus loin et évoquer d’autres sujets de critiques, mais ce serait par trop déflorer ce roman qui sort du cadre de la pure fiction. A lire donc, sans œillères et sans idées préconçues.


André FORTIN : Requiem pour le juge. Collection Polar Jigal. Editions Jigal. 276 pages. 17,24€.

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9 septembre 2012 7 09 /09 /septembre /2012 12:52

Il est parfois des destins plus riches en aventures qu’une fiction.

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L’origine des ancêtres d’Eugène Bullard, né le 9 octobre 1895 à Colombus, Géorgie, est quelque peu confuse. Quoiqu’il en soit, son père, William, esclave, prit le patronyme de son ancien maître lors de l’émancipation, un usage courant alors à l’époque.

A l’âge de sept ans, Eugène perd sa mère Josie, usée par le travail et les accouchements, et William, le père doit élever seul de ses enfants, les aînés s’occupant des plus jeunes. William travaille comme débardeur, déchargeant les ballots de coton, de légumes ou de fruits des bateaux à vapeur qui remontent la rivière Chattahoochee. Seulement une rixe l’oppose au contremaître raciste et quoique William ne soit pas dans son tort, il doit se cacher. Les membres du Ku Klux Klan local veulent le lyncher. Heureusement son patron est compréhensif et aide les enfants tandis que William part pour quelque temps en Floride. Puis il revient, mais plus question pour lui de travailler aux entrepôts. Il est employé dans une compagnie de chemin de fer, à l’entretien des voies. Il ne rentre pas souvent le soir.

Eugène a été traumatisé par cette fameuse soirée au cours de laquelle des hommes avinés ont voulu s’introduire dans leur maison et venger le contremaitre. Or son père vantait l’Europe, surtout la France, un pays où tous les hommes étaient traités équitablement, quelque soit la couleur de leur peau. Et l’envie de partir pour rejoindre la France le tenaille, devenant une obsession.

150px-Eugene_Jacques_Bullard-_first_African_American_combat.jpgAlors qu’il va sur ses onze ans, et après plusieurs tentatives de fugue infructueuses, Eugène quitte le domicile parental, emmenant avec lui la chevrette du foyer, revendant l’animal à un copain d’école. Ce qui lui assure un maigre pécule. Il se rend à Atlanta, à bord d’un wagon réservé aux « gens de couleur », puis se fait embaucher comme palefrenier par une tribu de maquignons tziganes qui séjourne habituellement en Angleterre. Il est persuadé de pouvoir passer avec eux en Europe. Son apprentissage auprès des chevaux dure un an, mais son espoir de franchir l’Atlantique est déçu. Il continue ses pérégrinations, avec toujours chevillée au corps l’appréhension de quelqu’un le reconnaisse et le ramène chez son père. Les années passent, il travaille chez un gros éleveur de chevaux, et il parvient même à participer comme jockey, une première pour un noir, et gagne même quelques courses.

Il a seize ans et se montre élégant. Grâce à l’argent gagné, il s’achète un beau costume et des souliers vernis. Lui, il l’est un peu moins car il est pris à partie par un individu qui l’accuse d’avoir volé les vêtements qu’il porte. C’en est trop ! Sa décision est prise, il franchit le pas.

Il embarque comme passager clandestin à bord du Marta Russ le 4 mars 1912 et parvient à se cacher un certain temps. Lorsqu’il est découvert, le capitaine le prend en amitié, grâce à sa bonne bouille et sa gentillesse, mais les lois de la navigation sont strictes et Eugène est débarqué en catimini en Ecosse. La première impression qu’il ressent, c’est que pour une fois, personne ne fait attention à sa couleur de peau. Il va ainsi, par étapes rejoindre Londres, où il essuie quelques réflexions, mais sans plus. Il devient cible vivante dans une foire, attirant les clients par ses sourires et ses simagrées, sa bonne humeur et sa jovialité, et non pas à cause de sa couleur de peau. Puis artiste de music-hall dans un minstrel show et s’essaie à la boxe, engrangeant quelques victoires et se liant d’amitié avec des pugilistes de renom. Enfin l’occasion se présente de débarquer à Paris. Il continue à pratiquer la boxe, le music-hall, mais les années plaisirs ne durent guère.

La Première Guerre Mondiale éclate, sans que les belligérantsBullard.jpg et les civils comprennent vraiment en quoi ils sont concernés. En trichant sur son âge il parvient à se faire engager dans la Légion Américaine. Les mois sont longs dans les tranchées en Champagne, d’autant qu’il aurait aimé pouvoir être incorporé dans l’aviation ou la cavalerie. Et tout ce qu’il récolte c’est d’être sérieusement blessé à une jambe. Durant un certain temps une amputation est même envisagée, mais à force de courage, de volonté, de pugnacité, il parvient à remarcher sans quasiment boiter. Alors, après un séjour à Paris où il fait la connaissance d’artistes, dont le poète Frédéric Sauser, plus connu sous le nom de Blaise Cendrars, ou le peintre Kisling et quelques autres. Il va apprendre à tenir le manche d’un avion et enfin pouvoir réaliser son rêve : participer aux combats aériens. Il devient un pionnier, le premier et seul Noir à devenir pilote de chasse combattant durant la Première Guerre mondiale dans les forces alliées, et le second pilote de chasse de couleur avec le Turc Ahmet Ali Celikten.

Mais les préjugés raciaux s’intensifient aux USA et les représentants du gouvernement américain en France refusent de reconnaître sa valeur intrinsèque et ses victoires, notamment le docteur Edmund Gros, un médecin américain qui dirige l’hôpital franco-américain de Paris. Celui-ci fait tout ce qui lui est possible, en falsifiant ou en oubliant dans ses rapports le rôle, souvent prépondérant, joué par Eugène Bullard dans ses affrontements aériens contre l’ennemi. Gros s’évertuera à minimiser l’apport de Bullard, lui contestant sa bravoure, les honneurs, les médailles, et l’avancement. Et ce rejet, ces brimades, ces vexations durent des décennies.

A la fin de la guerre, Eugène Bullard s’établit à Paris, s’entichant de jazz et jouant de la batterie, s’éprend d’une Alsacienne, Marcelle Straumann, tiend des night-clubs et vit encore de multiples aventures en devenant même agent dans les services secrets du contre-espionnage français.


Bullard_medals.jpgLa plus grande part de cette biographie rédigée par Claude Ribbe est consacrée à la période durant laquelle Eugène Bullard participe à la Grande Guerre, en décrivant les faits de guerre, les horreurs des tranchées, la résurgence de plus en plus active et prégnante des préjugés raciaux aussi bien à l’intérieur même des Etats-Unis qu’en dehors des frontières. Des individus qui refusent de comprendre que Tout sang est de couleur rouge, une devise qu’Eugène Bullard a inscrite sur la carlingue de son avion. Eugène Bullard, malgré tout, sait, grâce à ses qualités morales, se faire apprécier et même aimer de la plupart de ses concitoyens et des Français en général. Il côtoie de près ou de loin des personnages aussi différents que prestigieux que De Gaulle, Blaise Cendrars, Sidney Bechet, Louis Armstrong, Charles Nungesser ou encore Joséphine Baker.

Claude Ribbe avec justesse, humanisme, verve, amour même, nous raconte le destin exceptionnel d’un homme, d’un héros méconnu, d’un oublié de l’histoire, destin qui méritait d’être narré car véritablement emblématique et édifiant.

De Claude Ribbe à lire également :  Le Diable noir, biographie du général Alexandre Dumas et  Mémoires du Chevalier de Saint-Georges.


Claude RIBBE : Eugène Bullard. Editions du Cherche-Midi. 242 pages. 17€.

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8 septembre 2012 6 08 /09 /septembre /2012 10:17

Une croisière vous tente ? Embarquez avec vos gilets de sauvetage !


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L’adage qui veut que Tel père tel fils, pourrait être détourné de cette manière Telle grand-mère, telle petite fille. Le seul bémol réside en ce que Shelby ne veut pas croire que sa fille Chloé boit, enfin buvait, comme sa mère à elle. Mais si je commençais par le début.

Shelby a eu Chloé très jeune ce qui ne l’a pas empêchée de l’élever dans la dignité. Chloé s’est mariée avec Rob lequel avait divorcé de Lianna et, de son précédent mariage, était née une fille, Molly. Chloé et Rob ont eux-mêmes un garçon de quatre ans, Jeremy. Shelby a décidé d’offrir aux époux une croisière d’une semaine dans les Caraïbes, leur proposant de garder leur fils pendant leur absence. Elle est réveillée un matin par un appel téléphonique de Rob qui lui apprend que Chloé a disparu. Introuvable sur le navire malgré les recherches effectuées. Seule l’hypothèse de la noyade est retenue, un accident provoqué par la propension de Chloé d’ingurgiter au bar de nombreux verres d’alcool. Hypothèse non retenue par Shelby qui ne veut pas croire ce qu’on lui annonce.

Elle se rend sur l’île de Saint-Thomas, une des composantes des îles Vierges, et bientôt elle doit se rendre à l’évidence. Les vidéos enregistrées à bord sont criantes de vérités. Elle peut voir Chloé enfiler verre sur verre, tituber à une table de jeu, être raccompagnée jusqu’à sa chambre par un couple. Après comme l’intimité des passagers est protégée, il n’existe plus d’images. Chloé a bel et bien bu le bouillon.

Shelby revient à Philadelphie désemparée, d’autant que Rob persiste dans ses affirmations. Chloé buvait, et elle s’était même inscrite aux Alcooliques Anonymes. Shelby entame alors ses propres recherches, délaissant son travail, confiant Jeremy à Lianna la précédente femme de Rob qui s’est remariée avec un neurologue. Sa sœur Talia ne lui est d’aucune utilité, trop occupée à soigner leur mère qui se noie dans la vodka, et d’un caractère égocentriste. Pourtant peu à peu Shelby, pugnace, remonte une piste, même si des barrières s’élèvent devant elle. Le responsable des Alcooliques Anonymes se retranche justement derrière l’anonymat, mais Shelby ne veut pas abandonner ce qu’elle considère comme sa mission prioritaire.

Si elle cède parfois au découragement, elle remonte rapidement la pente. Elle se retrouve au centre d’une sorte de toile d’araignée dont chaque point de jonction serait représenté par l’un des coupables possibles. Car tous les personnages sont plus ou moins en relation, parfois sans le savoir eux-mêmes. Un tout petit indice allié à une prescience et une déduction dans le schéma du scénario lui permet de focaliser ses suspicions sur un individu mais celui-ci fuit ses responsabilités en se suicidant. Et Shelby risque peut-être sa vie à vouloir à tout prix dénicher le criminel.

Patricia MacDonald réalise avec Une nuit, sur la mer un scénario implacable admirablement maîtrisé même si au départ on pourrait croire à une histoire formatée à l’américaine. Le personnage de Shelby, sa pugnacité, sa combativité, son refus d’accepter la déchéance larvée de sa fille, ses appréhensions envers les différents protagonistes qu’elle va être à même de côtoyer lors de son enquête incitent le lecteur à entrer en empathie avec elle. Les sentiments ressentis par Shelby sont analysés avec finesse, sans pathos, montrant une femme énergique qui passe par des moments de faiblesse tout en sachant toujours rebondir alors qu’elle pourrait être amenée à baisser les bras.

Patricia MacDonald met également l’accent sur de petits travers américains comme leur disposition à régler leurs problèmes au tribunal. Son patron « lui avait dit un jour que c’était au tribunal que les Américains pleuraient leur morts ». Elle donne aussi un petit coup de griffe au système de protection sociale, système que devait révolutionner Obama mais qui semble actuellement mis en veilleuse. « Mais un toubib qui soigne ses patients gratis… C’est un gauchiste, ma parole » rétorque par provocation un des protagonistes. Quant à l’épilogue proposé, il n’est pas tiré par les cheveux quoi que l’on ait pu penser au départ.

Patricia MACDONALD : Une nuit, sur la mer. Le Livre de Poche Thriller N° 32687. Traduction de Nicole Hibert. (Réédition de chez Albin Michel). 384 pages. 7,60€.

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