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16 mars 2012 5 16 /03 /mars /2012 14:15

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Recueil de trois nouvelles de Shaun HUTSON: Oeil pour oeil, Le muse de cire et Un look qui tue. Traduites de l’anglais par Alice Marchand.

Shaun Hutson n’est pas un inconnu pour les inconditionnels de cette série qui, hélas, se termine avec ce douzième opus. En effet il est le signataire de trois autres recueils de nouvelles, Nick Shadow étant un nom maison. Mais Shaun Hutson est présent en France depuis 1985, d’abord édité dans la défunte collection Gore du Fleuve Noir avec six titres dont La mort visqueuse, Les larvoïdes, Le crâne infernal, et un grand format, Erebe ou les noirs pâturages. Aux éphémères éditions Patrick Siry, dont il faudra un jour que je vous entretienne, dans la collection Maniac : Victimes. Et enfin Némésis (titre très prisé par bon nombre d’auteurs) dans la collection Poche Milady chez Bragelonne en 2009.

Œil pour œil.

Tous les matins, c’est la même chose. Liam mange ses céréales seul, même si son père est présent physiquement, avant de se rendre à l’école. Sa mère est partie le laissant avec un père autoritaire et vindicatif. Mais aller à l’école est aussi un parcours douloureux. Il est la proie de la méchanceté de deux de ses condisciples qui le harcèlent de leurs railleries. Sa joie, il la trouve lorsqu’il peut accéder au laboratoire à tripoter les éprouvettes, à doser les produits chimiques, à composer des mélanges. Seulement ce jour-là le club de science est annulé. Toutefois son professeur accepte de le laisser seul, ayant des copies à corriger. Alors qu’il tripote tranquillement ses joujoux favoris, des flacons en verre contenant toutes sortes d’acides, un bruit violent provoqué par ses deux tourmenteurs le font sursauter. L’acide gicle lui aspergeant la figure et surtout les yeux. Il se réveille à l’hôpital, aveugle. Heureusement le médecin lui propose une greffe de cornée. Heureusement ? Pas si sûr.

Je suppose que lorsque vous étiez jeune, aller visiter un musée de cire était une source de joie. Pas tant pour découvrir les statues exposées, mais parce que c’était l’occasion d’échapper à la surveillance du maître, surtout lorsque celui-ci était inexpérimenté. C’est ce que les quatre gamins dans Le musée de cire décident de faire en empruntant le chemin inverse que celui proposé. Tous quatre découvrent avec ravissement, et sans les explications de l’instituteur, les figurines, en exprimant leurs propres commentaires. Et puis ils peuvent s’approcher des personnages grandeur nature. Sauf qu’à un certain moment, l’un des quatre garnements croit distinguer qu’une des statues vient de tourner son regard vers lui. Il en fait part à ses trois autres compagnons qui bien évidemment se moquent de lui. Légèrement mortifié, il prétend avoir voulu leur faire une farce. Mais en continuant la visite une autre de ses condisciples pose sa main sur une main de cire et elle ressent une chaleur humaine. Encore une farce ? Ils sont troublés mais décident néanmoins de continuer la visite. Jusqu’au moment où…

Tout est dit, ou presque, dans le titre de la troisième nouvelle : Un look qui tue. Becky est une adolescente qui aime les belles fringues, pardon, les vêtements chics, seulement elle n’a pas les moyens de se les offrir. Pourtant elle arpente les quartiers huppés de la ville et lorsqu’elle découvre, au fond d’une ruelle, le magasin d’une styliste à la mode, elle craque. Cette commerçante élabore elle-même les modèles qu’elle vend, des exemplaires uniques. Une magnifique robe rouge trône dans la vitrine mais la modiste ne veut pas que Becky l’essaie. Elle est destinée à une autre jeune fille que, par hasard, Becky fréquente à l’école. Malgré les refus réitérés de la vendeuse, Becky se promet bien de la porter un jour cette robe, et pourquoi pas lors d’un défilé de mannequins auquel elle doit participer. Dans la boutique, sur le comptoir, des poupées sont habillées des mêmes vêtements, mais en réduction. Et la poupée qui porte la robe rouge intéresse fortement la petite sœur de Becky.

Trois historiettes destinées à des adolescents, donc pas de violence, pas d’hémoglobine, enfin pas trop, tout au plus quelques situations qui empruntent bien évidemment au fantastique. Un fantastique dont l’épilogue ne surprendra pas les amateurs férus de ce genre, mais qui est une excellente approche dans un univers fort prisé par les Anglo-Saxons mais peu par les Français. Ce qui est dommage, car cela permet aux auteurs d’exprimer leur imaginaire en toute latitude. Combien de nous, enfants, ce sont délectés à la lecture d’auteurs comme les frères Grimm, d’Anderson, de Charles Perrault ?

Nick SHADOW : Œil pour œil. The Midnight Library Volume XII. Editions Nathan. 192 pages. 12,50€.

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15 mars 2012 4 15 /03 /mars /2012 13:05

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Nick Shadow, alias derrière lequel se cache l’auteur américain Allan Frewin Jones, est le conservateur d’une bibliothèque secrète, The Midnight Librairy, qui recèle une terrifiante collection de récits du monde. Voici quelques-uns de ses contes qui, selon l’auteur, vous glaceront le sang, vous donneront la chair de poule et feront trembler vos petits os fragiles.

Mais commençons par le premier texte qui donne son titre au livre : Rêves hantés.

Ce jour là Alfie n’est pas vraiment dans son assiette. Il est bougon car sa mère vient de trouver un nouveau travail et elle doit participer à une formation. Ce n’est pas tant que sa mère puisse travailler qui énerve Alfie, mais parce qu’il va passer deux ou trois jours chez sa grand-mère. Donc, il sera privé de télévision, du moins de ses émissions préférées, et comme il s’agit d’un vieux modèle télé, il ne pourra pas jouer non plus à la console. Désolant ! Et puis, il est inquiet car la chambre dans laquelle il doit dormir, était autrefois celle de Martin, le frère de sa mère. Or Martin est mort dans son lit alors qu’il n’avait que dix ans. Bien vite il est rassuré. Ce n’est plus le même lit, la chambre a été repeinte, donc il n’a rien à craindre. C’est ce qu’il pense. Sa grand-mère essaie de le divertir, de l’occuper, par exemple de consulter les albums photos, de reprendre la peinture comme lorsqu’il était plus jeune. En avant, destination l’abbaye toute proche, où plutôt ce qu’il en reste. Il couche sur sa toile les vestiges de l’édifice religieux, et la nuit même il cauchemarde. Un moine dont il ne peut distinguer le visage sous la capuche le poursuit dans les ruines, avec entre les mains une corde.

La Course met en scène, ou plus exactement en piste, une jeune fille qui ne rêve que de podiums et de sélection nationale grâce à son talent de coureuse de quatre-cents mètres. Seule ombre au tableau : son amie Ophélie la bat régulièrement. Alors elle s’entraîne d’arrache-pied, c’est le cas de le dire, pour améliorer ses performances. Et son entraîneur ne cesse de lui rabâcher Effort, concentration, détermination ! Facile à dire, mais pas évident à mettre en pratique même si Annabel essaie d’optimiser son potentiel. Alors, son entraîneur lui conseille d’imaginer que devant elle court quelqu’un d’autre, Ophélie par exemple, et qu’elle doit à tout prix se sublimer pour la dépasser. Au début, au départ même, la magie n’opère pas, et puis peu à peu, elle aperçoit devant elle comme une ombre, comme un fantôme qu’elle poursuit, courant de plus en plus vite. Mais il existe toujours un revers à la médaille, même si elle est méritée.

Danse de Carnaval, dernier titre du recueil, nous emmène dans la petite ville de Stowham qui prépare activement le carnaval de rue qui se déroule tous les ans le premier samedi du mois d’août. Rob, le responsable du foyer des jeunes propose de construire un char avec l’accord de la municipalité. Après délibérations, tous s’entendent sur le sujet des Mayas, le thème retenu cette année étant Mythes et légendes du monde. Tout le monde s’active fiévreusement car ils n’ont que quinze jours pour préparer le corso. Les rôles sont attribués dans la bonne humeur et Adam prend le sien à cœur, peut-être trop.

Ces trois nouvelles dont le thème principal est le fantastique, empruntent à des sujets totalement différents dans leur imaginaire et leur approche. Toutefois ils ont en commun de posséder un épilogue qui ne joue pas dans le « Happy end », et j’ajouterais que quoique qu’il s’agisse de fantastique, certaines des trames peuvent se conjuguer à des événements, des faits, des actions issus de la vie réelle. En effet, dans Danse de Carnaval, l’un des héros est transformé psychiquement par son déguisement. Mais cela n’arrive-t-il pas que des hommes, ou des femmes, changent radicalement de caractère, de personnalité, lorsqu’ils endossent des habits qu’ils n’ont pas l’habitude de porter ?

Et puis, sous l’apparence futile et fantastique de ces nouvelles, se cachent quelques sujets de réflexion : A quoi peuvent s’occuper les enfants de nos jours lorsqu’ils n’ont pas la télé ou les jeux sur consoles ? Et que penser de ceux qui veulent à tout prix dépasser leurs limites ? De ceux qui s’investissent trop dans le travail, même s’il s’agit d’un loisir, qui leur est confié ? Evidemment c’est un adulte qui raisonne ainsi, et nos préadolescents qui eux ne vont pas si loin dans leur analyse ne se poseront pas ces questions. Heureusement !

Nick SHADOW : Rêves hantés. Série The Midnight Library N° 11. Editions Nathan. 208 pages. 12,50€.

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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 19:19

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Peut-on être un romancier populaire et entrer dans l’élite des littérateurs ? La réponse est indubitablement oui. Auteur populaire et académicien, comme Jacques Laurent, surtout connu sous le pseudonyme de Cécil Saint-Laurent avec son héroïne phare Caroline chérie, ou encore Henri Troyat pour ses sagas dont Les Semailles et les moissons ou encore Les Eygletière, Pierre Benoit est considéré par Gérard de Cortanze comme un romancier paradoxal. Mais pourquoi le définir ainsi ?

C’est ce que le lecteur va découvrir en lisant cet ouvrage jubilatoire et vivant consacré à l’auteur de Kœnigsmarck, de L’Atlantide, d’Axelle, de Mademoiselle de La Ferté et bien d’autres encore, des romans dont le succès littéraire ne se dément pas.

Né à Albi le 16 juillet 1886, d’une mère aquarelliste, musicienne, cultivée, aux idées politiques monarchistes, et d’un père issu d’une lignée de gens de droit mais qui préféra embrasser la carrière militaire en entrant dans la prestigieuse école de Saint-Cyr puis s’engageant comme volontaire dans l’armée de la Loire créée après la défaite de Sedan en 1870 et combattit en Kabylie, Pierre Benoit va souvent en vacances à Saint Paul les Dax, chez sa grand-mère. Ne sachant pas encore lire, à deux ans il est capable de réciter par cœur dix-sept fables de La Fontaine. Plus tard il sera capable de réciter des milliers de vers, empruntés aux tragédies de Racine mais surtout des poèmes de Victor Hugo.

En 1891, il suit ses parents en Tunisie, son père y étant affecté. Ce sera d’abord Tunis, puis Sfax, Sousse, Gabès, puis l’Algérie. Des images, des rencontres qu’il garde en mémoire et qu’il ressortira plus tard pour les intégrer à ses romans.

Il n’est pas de mon intention de me substituer à Gérard de Cortanze et vous axelle.jpgrésumer en entier la vie de Pierre Benoit. Donc je me conterai de relever quelques faits significatifs, quelques épisodes de la carrière de l’auteur dont nous célébrons cette année le cinquantenaire de la disparition.

Passons rapidement sur ses années d’enfance, ses joies, ses études et arrêtons-nous sur son arrivée à Paris. Il est maitre d’internat à Montpellier et assiste aux conférences de Maurice Barrès et Charles Maurras, qui deviendront ses maîtres à penser. Il est licencié es-lettres mais a échoué à son agrégation en 1910. Il réussit toutefois à un concours du ministère du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts. Il est employé comme agent dans le sous-secrétariat aux Beaux-arts, puis bibliothécaire au ministère de l’Instruction publique, publiant à la même époque ses premiers poèmes. Mais ce n’est pas encore la gloire. Son recueil Diadumène en 1914 ne se vendra qu’à cinq exemplaires et encore au même acheteur, un mécène. Il s’essaie à un autre exercice, qui est plus difficile qu’il y parait : celui du pastiche, car c’est un farceur dans l’âme. Sous l’impulsion d’un certain Guyot qui est le maître d’œuvre d’un ouvrage intitulé Comme dirait… publié chez Oudin et Cie, il écrit anonymement trois pastiches d’Anna de Noailles dont il deviendra l’ami, de Victor Hugo et d’Honorat du Bueil de Racan. Il se lie avec Francis Carco, Roland Dorgelès, Pierre Mac Orlan. Il est mobilisé au début de la Première Guerre Mondiale mais il tombe gravement malade à la bataille de Charleroi. Alors qu’au début des hostilités il pensait participer à une Guerre sainte, son opinion se transforme radicalement et il devient un pacifiste convaincu.

Si son premier roman, Kœnigsmark est publié en 1918, chez Emile-Paul frères, les autres le seront tous chez Albin Michel. Dès sa parution en volume qui fait suite à une publication en feuilleton au Mercure de France, ce roman trouve l’adhésion du public et manque de peu le Prix Goncourt. Pourtant Pierre Benoit avait auparavant essuyé de nombreux refus. C’est lisant cette revue que l’éditeur Albin Michel découvre cet auteur inconnu mais selon lui prometteur. Editeur scrupuleux, Albin Michel ne tente pas de débaucher Pierre Benoit, de lui offrir plus que son confrère, mais décide d’attendre le prochain roman de cet auteur promis à un bel avenir. Autre attention à souligner, et je sais que certains auteurs aimeraient que ce genre de proposition leur soit faite, Albin Michel offre une mensualité de quatre cents francs, alors même qu’il n’interroge pas le futur académicien sur le contenu de son prochain roman. Il a cette phrase qui fait chaud au cœur lorsqu’un romancier débute : un écrivain doit pouvoir vivre de sa plume. Et je connais certains auteurs qui aimeraient qu’un éditeur émette une offre semblable préférant devenir des ouvriers mensualisés de l’écriture au lieu d’être des artisans attendant le chaland.

Le suivant, L’Atlantide, sera un succès de librairie encore plus important, couronné par le Grand Prix de l’Académie Française en 1919. Ce sera le début d’une impressionnante série de réussites littéraires.

Les années s’écoulant entre 1920 et 1944 seront riches en événements, la-ferte.jpgavec en point de crêt son élection à l’académie française en 1931, alors qu’il a quarante-cinq ans. En 1937, il rédige des articles pour le quotidien Le Journal. Il se rend en Autriche et en Palestine afin de se renseigner sur les mouvements anti-juifs. Il est l’un des premiers à mettre en garde ses concitoyens sur l’éventualité d’une action allemande en Autriche : Il y a à Vienne, pour les promeneurs qui s’en vont flânant par les rues, une bien étrange distraction. Elle consiste à faire le compte des passants portant des bas blancs. C’est là, en effet, le signe de ralliement des nazis autrichiens. Ces messieurs, on peut s’en douter, sont les adversaires les plus farouches de la restauration monarchique. Suivent des interrogations concernant l’avenir et la puissance réelle du parti national-socialiste. En avril 1938, il est reçu par Goering, lequel se met à quatre pattes pour tenter d’ouvrir un coffre-fort qui contient les plans d’un nouvel avion qu’il veut montrer à son interlocuteur, lequel, médusé et inconscient, pense qu’il pourrait lancer un beau coup de pied dans l’imposant postérieur du dignitaire nazi, ce qui ne changerait pas la face du monde mais ferait sans doute son effet ! Rentré à Paris Pierre Benoit, au lieu de publier un article décide d’informer verbalement le ministre des Affaires étrangères de ce qu’il a observé, et lui envoie donc un courrier dans lequel il lui demande un rendez-vous. Il ne reçoit aucune réponse. Dépité notre écrivain-journaliste décide de ne plus s’occuper des événements politiques internationaux et ne se consacrer uniquement qu’à ses travaux littéraires.

Pierre Benoit a gardé son esprit farceur, et prenant au mot une boutade d’Henri Miller qui a déclaré : Il faudrait absolument faire rigoler Hitler, sinon nous sommes tous foutus, il envoie un télégramme cosigné Carco et Dorgelès, un télégramme ainsi rédigé : Trois écrivains français vous souhaitent un bon anniversaire à condition que ce soit le dernier. Tout le monde n’apprécie pas cette farce qui se retournera contre son auteur à la Libération. En effet, paradoxalement, en 1944, il est comme bon nombre d’écrivains ayant publié sous l’Occupation, arrêté et transféré à Fresnes le temps de l’instruction. Mais en 1945 il est libéré pour manque de preuves mais interdit de publier durant deux ans. Des preuves les juges qui instruisaient et jugeaient les faits auraient été en peine d’en trouver, à moins de les fabriquer. Ce qui n’était pas le cas pour des auteurs tels que Brasillach, Drieu La Rochelle ou Céline. Or ces magistrats étaient des anciens des Sections Spéciales près des Cours d'Appel pour condamner à mort ou à la déportation, les résistants durant l'occupation.

Sautons allégrement les années et arrêtons-nous en 1959. Pierre Benoit va jeter un pavé dans la mare en donnant sa démission de l’Académie française en signe de protestation contre le veto du général de Gaulle à l’élection de Paul Morand. Comme l’Académie ne reconnaît pas la démission de ses membres, le démissionnaire est dans ce cas autorisé à ne plus assister aux séances. Ce qui est une forme d’hypocrisie.

Pierre_Benoit_1932-copie-1.jpgLa carrière de Pierre Benoit ne s’est pourtant pas déroulée sans anicroches. Il s’est attiré l’ire de critiques célèbres et influents comme Paul Souday. Au-delà de la jalousie, ce que reproche Paul Souday à Pierre Benoit, ce sont ses sympathies droitières. Mais comme le souligne avec discernement Gérard De Cortanze, l’idéologie politique appliquée à la littérature est un des grands classiques de la critique : on attaque l’homme avant d’attaquer l’œuvre.

Ecrivain populaire Pierre Benoit l’était réellement. Par essence, par conviction. Paul Souday, toujours lui, décrétant dans les colonnes du Temps que Kœnigsmark fait partie de ces livres qu’on lit le temps d’un voyage en train, ce qu’on appelle « un roman de gare », Pierre Benoit rétorque dans L’Automobile et l’Ecrivain en novembre 1949 : J’ai déploré, dans l’avènement de l’automobile, le tort irrémédiable qu’elle fait à la lecture, surtout depuis que les femmes, nos principales clientes, à nous romanciers, se sont mises à conduire. Le livre s’est accommodé à merveille du chemin de fer, la preuve en est dans l’importance des bibliothèques de gares. On chercherait en vain des bibliothèques dans les garages.

Gérard de Cortanze a écrit une biographie que l’on pourrait presque considérer comme un roman, tant celle-ci est intéressante, prenante, ensorcelante, à laquelle le lecteur a du mal à se détacher, enthousiaste, claire, distrayante et qui donne envie de se replonger dans l’œuvre de Pierre Benoit et d’en découvrir toutes les subtilités, toutes les facettes, le tout étayé par une solide et impressionnante documentation et une très riche iconographie. Tout au plus pourra-t-on regretter un manque de repères chronologiques en fin d’ouvrage ainsi qu’une bibliographie exhaustive de Pierre Benoit.

Gérard de CORTANZE : Pierre BENOIT, le romancier paradoxal. Editions Albin Michel. 574 pages. 25 €.

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 13:19

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Il me semble que, en premier lieu, je dois vous préciser ce qu’est une luciole. Contrairement à ce que vous pourriez penser, la luciole n’est pas un insecte, de son nom latin Lampyridae. Ce n’est pas non plus une chanteuse française, un personnage de manga ou encore le nom du service de transport circulant uniquement de nuit dans l’agglomération nantaise.

La luciole est une tuée-tuée, une katangaise, en parler imagé local gabonais. En France, on dirait, si l’on veut faire montre de courtoisie, une respectueuse, une hétaïre, une courtisane, une fille de joie, une belle-de-nuit ou une belle-de-jour, une péripatéticienne, si on emprunte à la langue verte, une gagneuse, une tapineuse, une morue, une greluche, une pétasse, une horizontale, une catin, en un mot une prostituée. Le résultat est le même mais le prix diffère selon les appellations, c’est comme tout, le haut de gamme et le bas de gamme, le produit de marque, le produit distributeur et l’économique.

La découverte du corps d’une prostituée dans un motel de Libreville ne pourrait être qu’un incident mais la façon dont elle a été tuée pose de sérieux problèmes au capitaine Koumba et à son adjoint Owoula. La fille a été salement amochée et une bouteille sectionnée enfoncée dans son vagin. C’était, selon les informations recueillies auprès de ses consœurs, une free-lance, c’est-à-dire qu’elle n’avait aucun compte à rendre à un maquereau quelconque. Mais il est difficile de découvrir son identité car toutes se font appeler par des prénoms d’emprunt. Les deux hommes et les policiers affectés à l’enquête n’ont pas le bout d’un commencement de début de fragment d’embryon de petit peu de pas grand-chose de morceau de piste sur les motivations du tueur et par la même d’en définir le profil. D’autant que quelques jours plus tard, un deuxième meurtre est perpétré dans les mêmes conditions, dans un autre motel, puis un troisième. Ils établissent des recoupements et réussissent à mettre en évidence que toutes ces défuntes sont d’origine camerounaise. S’agirait-il d’une vengeance ethnique ? Ils ne sont pas loin d’envisager cette hypothèse. Toutefois cette avalanche de meurtres instille un début de panique, de psychose générale parmi la population locale.

Pendant ce temps, suite à la découverte d’un corps masculin sur la plage, la Direction Générale des Recherches est elle aussi confrontée à un autre problème. L’homme faisait partie de l’armée, il était en retraite, mais il trainait derrière lui une casserole, une affaire de vols d’armes dans laquelle il pourrait être impliqué. Un peu plus tard, un fourgon de transport de fonds est braqué, et une grosse somme d’argent est subtilisée. Boukinda et Envame, les enquêteurs, n’ont eux aussi guère de grain à moudre, sauf peut-être lorsque le corps d’un nommé Sisko est retrouvé quelques balles dans le corps, balles provenant d’une des armes volées. Il leur faut mettre quelques indics sur le coup, afin de retrouver les voleurs et surtout le butin.

Janis Otsiemi se plonge avec délices dans cette double enquête qui nous renvoie aux bons vieux polars français qui maniaient l’argot avec bonheur, mais également dans certains romans noirs américains écrits par les petits maîtres du genre. Mais il apporte sa touche personnelle en incluant maximes et aphorismes imagés en tête de chapitre ou dans le corps même du récit. Ainsi Si des chèvres lient amitié avec une panthère, tant pis pour elles. Mais Otsiemi ne se contente pas de narrer une histoire. Il montre du doigt des problèmes qui ne sont pas réservés au Gabon, mais à une grande partie des pays africains et que l’on pourrait étendre à l’Europe. Le Sida (Syndrome inventé pour décourager les amoureux) est présent. Autre thème encore plus réaliste qui suinte dans tous les esprits et se trouve à l’origine de bien des homicides : les rivalités ethniques. Le tribalisme doublé du népotisme, du clientélisme et de l’allégeance politique est ici un sport national, tout comme le football l’est au Brésil. Plus qu’une chasse aux sorcières, l’épuration ethnique est légion dans toute l’administration gabonaise. Certains ministères étaient même réputés être la propriété d’une certaine ethnie. Vive la république tribaliste !

Comment voulez-vous qu’un pays qui connait des divisions internes à cause de l’appartenance de certains à des peuplades différentes connaisse la paix intérieure et extérieure ? Et on pourrait étendre ces réflexions à des partis politiques qui placent leurs hommes liges aux postes clés indépendamment de leurs qualités. Sans oublier les dissensions religieuses qui pourrissent les relations entre les hommes.

A lire du même auteur : La vie est un sale boulot et La bouche qui mange ne parle pas chez le même éditeur.

Janis OTSIEMI : Le chasseur de lucioles. Collection Polar ; éditions Jigal. 208 pages. 16€.

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 10:39

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Maxime africaine, sentence de Lao-Tseu, aphorisme normand, bon sens populaire, le titre même du roman donne un aperçu du style littéraire de Janis Otsiemi, un style simple et fleuri, empruntant tout aussi bien aux expressions gabonaises qu’à une créativité et une jonglerie lexicales avec les mots et locutions qui lui sont propres.

Solo, qui vient de ponctionner les finances de l’état gabonais en passant trois ans à l’ombre même si c’est aux frais du contribuable, sort de prison en sachant pas trop quoi faire. D’autant qu’il ne peut s’acheter le manioc qu’à crédit et loger de même. Aussi lorsque Tito, son cousin et frère, tous deux ayant été élevés par le père de Solo, lui propose un petit boulot, il ne refuse pas, une enveloppe abondamment garnie lui ôtant le moindre scrupule. Et puis c’est Tito qui lui a mis les pieds à l’étrier, l’emmenant dans ses premiers petits braquages ou facilitant ses premiers émois charnels. Donc Solo est chargé de dégoter une voiture et de participer à une affaire dont Tito se charge bien de lui communiquer le moindre détail. Seulement lorsqu’il s’aperçoit qu’il collabore à l’enlèvement d’un enfant, il ne peut plus reculer. Youssef, le compère de Tito, les rétribue largement et puis il ne s’agit que d’un petit Malien, quantité négligeable pour eux Gabonais pure souche vivant à Libreville. Ce qui n’empêche pas Solo de ruminer ses remords, et lorsqu’il apprend par les journaux que le cadavre d’un gamin a été retrouvé énucléé et émasculé, il est complètement démoralisé. Ce n’est pas le premier de la liste, et le colonel Tchicot de la police judiciaire et ses adjoints Koumba et Owoula pensent qu’ils sont confrontés à un crime rituel. Un marabout qui investirait dans des attributs sexuels, afin de contenter un gros ponte local.

Alors que Solo remâche ces sombres pensées, un sien ami, Kenzo, lui propose de magouiller dans le blanchiment de faux billets. Un tripatouillage qui convient nettement mieux à Solo, et la victime désignée n’est autre que le directeur d’une banque, promis à un siège de ministre ou tout au moins à un strapontin particulièrement rembourré. Une scène particulièrement réjouissante.

Dans ce court roman, 150 pages, trois quatre embrouilles s’entrechoquent, avec pour protagonistes, outre Solo et Tito, quelques petits malfrats aux dents longues et des membres de la police judiciaire qui ne dédaignent pas se mouiller la gorge, c'est-à-dire toucher des pots de vin. Et lorsque les affaires doivent être étouffées, il s’en trouve toujours quelques-unes qui peuvent aliment les journaux, histoire de démontrer que la police est toujours à l’affût, vigilante et efficace. « Un os jeté au peuple pour préparer les élections législatives en perspective. Comme quoi, la politique est l’art de couper le sifflet aux grognons ». Cela se passe au Gabon, mais ce genre de réflexion pourrait tout aussi bien s’appliquer dans d’autres pays, comme la France. Ce n’est qu’un exemple. Un roman blanc-manioc, ou métissé selon le lexique local.

Vous pouvez également retrouver ma chronique du précédent roman de Janis Otsiemi chez Jigal : La vie est un sale boulot.

Janis OTSIEMI : La bouche qui mange ne parle pas. Collection Jigal Polar, éditions Jigal. 160 pages. 15€.

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 07:29

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Après quatre années passées, alors qu’il purgeait une peine de sept ans, dans la prison de Libreville au Gabon, Chicano est libéré du jour au lendemain, à la faveur d’une grâce présidentielle. Il ne s’y attendait pas et pense que cette bienveillance n’est que le fait d’une homonymie. Il avait participé à un braquage dans une boutique tenue par un Libanais mais ses comparses avaient réussi à se défiler. Donc lorsqu’il se retrouve à l’air libre Chicano n’a qu’une idée en tête revoir Mira puis trouver du boulot, mais pas chez son frère Gaby installé comme garagiste après des déboires avec la police, devenir quelqu’un de bien. Seulement il lui faut compter sur les impondérables. Par exemple Mira qui l’a oublié dans les bras d’un autre dont elle est enceinte. Ou encore se retrouver nez à nez avec ses anciens comparses, Ozone, Lebègue et Petit Papa. Justement ceux-ci préparent un mauvais coup et ils enrôlent Chicano. Le but du jeu, s’emparer de la solde des soldats à la caserne du camp Baraka. Cinquante millions, de quoi assurer leurs vieux jours. Mais Chicano apprendra bien vite, et à ses dépens, que les amis ne sont pas toujours fiables.

Cette chronique ordinaire de la vie de petits truands, de leurs exploits, de leurs coups bas, de leurs fourberies, a souvent été explorée et exploitée dans les romans policiers et les romans noirs. Mais il y a ce petit plus dû à la plume de Janis Otsiemi, une plume alerte, vive, imagée, proche de celle de San Antonio, et en même temps un style dépouillé. L’exotisme, la couleur locale y est peut-être pour beaucoup, mais l’auteur en homme libre ne manque pas de griffer au passage les institutions, le gouvernement, la prévarication, la corruption, les abus des policiers véreux, de ceux qui ont la loi pour eux et s’en servent souvent à leur profit et non pour protéger la liberté de leurs concitoyens. “ Les flics de Libreville étaient connus pour leur brutalité ”. Cette histoire se passe à Libreville mais le décor pourrait être largement transposé dans des pays dits développés, pas si loin de chez nous, pourquoi pas chez nous d’ailleurs.

Janis OTSIEMI : La vie est un sale boulot. Editions Jigal, collection Polar. 136 pages. 14€.

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12 mars 2012 1 12 /03 /mars /2012 16:08

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La vie est un long chemin difficultueux, semé d’embûches de toutes sortes, et parfois il est bon de s’arrêter sur l’un des bancs placés le long de la berme afin de s’y reposer et de regarder, non plus vers l’avant mais derrière soi, le chemin parcouru. La sueur vous embue les verres de vos lunettes de presbyte, phénomène incontournable de la progression du temps, et il faut alors remédier avec un mouchoir à cet inconvénient oculaire. C’est alors qu’un autre marcheur s’installe près de vous. Il se présente sous le nom de Chefdeville et commence à vous détailler les silhouettes qui se profilent au loin et les rattachent à ses souvenirs, les narrant avec humour, tendresse, nostalgie, les déformant légèrement car la mémoire a tendance à ne garder que des passages sélectionnés par l’inconscient.

Chef, diminutif de son nom d’emprunt, Chef est un boss. Et il bosse, fort, quant il a un emploi évidemment. Car Chef est un intermittent du spectacle et il lui faut accumuler au moins 507 heures de contrat de travail pour pouvoir prétendre, lorsque la disette de l’emploi lui tombe dessus, toucher un minimum social déboursé avec réticence par les Assedic qui ont un porte-monnaie en peau d’hérisson. Alors Chef accepte tout ce qui lui est proposé, même si parfois il rechigne à l’ouvrage. Il ne faut quand même pas l’essorer et le tordre comme une serpillière. Il devient maître de balai pour les ballets Béjart ou Merce Cunningham. Alors décharger des camions, trimbaler des caisses, cela lui convient. Si on lui demande s’il sait jouer de la batterie, c’est presque attenter à son honneur de musicien, lui qui a fondé le groupe des Maîtres Nageurs dans les années soixante-dix. Mais c’est comme à l’armée, si on te propose un travail dans tes cordes c’est bien pour t’en confier un autre. Si on lui demande s’il sait parler Anglais, il dit oui, bien évidemment. Il ne va pas passer à côté d’un boulot à cause d’une légère déficience verbale en langue étrangère. Et quant on lui confie le rôle de chauffeur, alors là c’est le summum, la cerise sur le gâteau.

Et c’est ainsi que Chef côtoie les Pink Floyd, recueille sur la route Mike Jagger qui fait du stop afin d’échapper à des fans par trop envahissantes. Chargé de venir chercher Philippe Noiret dans sa ferme restaurée sise dans l’arrière-pays afin de le conduire à un festival, il trouve un mégot de cigare à terre et le ramasse comme un trophée dans un geste inconscient ou fétichiste. De même il doit emmener Annie Girardot à un repas mais la vedette préfère rester assise dans sa chaise à biberonner sa bière et répondre aux questions oiseuses des journalistes qui voudraient la garder pour eux, et tant pis pour les convenances et le bon déroulement des festivités.

Rockeur dans l’âme, il n’a pas oublié son passé de leader des Maîtres-Nageurs, et maître-nageur il l’a été réellement, dans une piscine parisienne, sauvant de la noyade quelque naïade nymphomane. La musique, on ne l’abandonne pas, elle vous colle à la peau et c’est ainsi que plus tard il devient le leader des Chef Devils (jeu de mots comme aurait dit maître Capello). Et qui dit musique dit parolier. Qui dit parolier dit écriture. Qui dit écriture dit poèmes et romans. Alors la voie trouvée est celle de la rédaction de romans policiers, de devenir auteur de polars. La consécration lorsque son premier ouvrage paraît. Et la joie de s’assoir aux côtés d’écrivains renommés et de pouvoir dédicacer ses propres romans. Coincé entre Jorge Sumprun et Jean Rouaud, il espère. Mais les chalands préfèrent poser leur arrière-train sur ses bouquins en attendant leur tour pour recueillir la prose édifiante de leur idole, au détriment des couvertures des ouvrages en attente de clients. D’autres occasions lui seront données, d’autres rencontres proposées, avec Christine Angot notamment et qui débutait.

Des souvenirs, Chef en a plein sa besace : rencontre avec John Malkovitch, enfer des premières manifestations de Soleil Noir, le festival polar de Frontignan, avec la joie d’accueillir James Crumley et Henry Joseph, puis la galère d’escorter un cultivateur de cannabis et buveur invétéré, les résidences d’auteurs qui se transforment en délire, la rencontre onirique avec le nouvel éditeur du Poulpe, ses relations avec le cinéma, notamment le culte qu’il voue à Sylvana Mangano, et puis tout le reste que je ne veux pas vous narrer, vous dévoiler, car comme dans tout bon polar, il faut garder le suspense.

Sous le patronyme de Chefdeville, nom de jeune fille de sa mère, se cache Sergueï Dounovetz, auteur entre autre de Sarko et Vanzetti et d’Odyssée Odessa, réédité conjointement avec ce livre de souvenirs. Et certaines de ses réminiscences, j’ai eu le plaisir de les partager, mais ça, c’est une autre histoire. Et puis, il me serait inconvenant de ne pas citer Aline, comme l’héroïne de Christophe, son loukoum, comme il la surnomme affectueusement, toujours prête à faire sa valise, toujours revenant au bercail. Aline sans qui il ne serait peut-être pas grand-chose : Ce n’était pas seulement pour son physique et ses tatouages japonais que je restais avec elle, même s’ils pesaient lourds dans la balance, mais aussi pour ses raisonnements souvent imparables. Elle venait de me rappeler une règle d’or : ne jamais rencontrer ses idoles.

Comme l’aurait dit Michel Lebrun, voici un ouvrage jubilatoire, roboratif, et j’ajouterai intéressant, énergisant, attendrissant, dynamique, humoristique, sans concession et à lire impérativement (comme l’écriraient quelques chroniqueurs qui bâclent leurs articles en trois lignes).

CHEFDEVILLE : Je me voyais déjà… Le Dilettante. 288 pages. 20€.

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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 16:12

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La crise ne touche pas uniquement les équipementiers automobiles, la métallurgie ou le textile. Même La Sarkophage, usine spécialisée dans la fabrication de composants pour armes lourdes va devoir délocaliser, mettant à la rue trois cents ouvriers. C’est la colère et depuis deux mois les bleus de chauffe sont en grève. Pas les cols blancs car ceux-ci ne se sentent pas concernés. Ce qui attise l’animosité entre ces deux charnières ouvrières d’une fabrique dont l’avenir semblait toutefois assuré, tant de pays dans le monde ayant besoin d’armes pour se défendre ou attaquer leur voisin, se référant à des idéologies parfois vaseuses ou à des invectives religieuses. Dans ce contexte de rancœur un syndicaliste est accusé d’avoir pillé le coffre-fort de l’entreprise et d’avoir égorgé un vigile chargé de la protection rapprochée des patrons et cadres de la fabrique et d’empêcher les dégradations bien compréhensibles suite à des mouvements de colère justifiés. Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe découvre cette histoire dans un entrefilet dans le Monde Libertaire, fournit sous le manteau par Vlad, le serveur du restaurant Au pied de porc de la Sainte-Scolasse. Le Poulpe ne peut que s’émouvoir à la lecture de l’article, d’autant qu’un ancien camarade, Bartolomeo Vanzetti est inculpé d’homicide sur vigile dans l’exercice de ses fonctions. Grâce à Pedro, vieil anarchiste imprimeur, il obtient des papiers d’identité sous le nom de Georges Marché, journaliste à Liberté Hebdo et prend illico la direction d’Isbergues, haut-lieu du drame qui est en train de se jouer. Si Vanzetti est emprisonné à Béthune, c’est à cause du témoignage de Félix Lache, le directeur de l’usine. Lui seul l’aurait vaguement vu et Vanzetti ne peut et surtout ne veut pas donner d’alibi car au moment ou il était sensé trucider le vigile, il galopait sur le dos d’une jeune pouliche sans que sa femme soit au courant. Il suffit de peu de choses, l’honneur, pour qu’un présumé coupable soit innocenté. Mais devant les grille de Sarko, ça chauffe, les ouvriers promis au chômage réclament une prime de départ de 30 000 €, indemnité fortement contestée par le patronat, et Félix Lache qui est également le porte-parole du PMU, Parti des Minables Unifiés. Gabriel Lecouvreur va être aidé dans sa recherche de la vérité par un Kabyle laïc, Redouane, au comportement parfois à double sens, et la jolie serveuse qui a batifolé avec Vanzetti, non sans goûter également aux joies de la bastonnade octroyée par des sbires à la solde de Lache.

Dans un contexte de crise sociale, et Serguei Dounovetz n’a pas besoin de puiser beaucoup dans son imagination pour décrire ce genre d’événement, nous retrouvons avec plaisir Le Poulpe en redresseur de torts, en Robin des Bois, en défenseur du pauvre face aux nantis. Sans pour autant perdre sa gouaille provocatrice. N’affirme-t-il pas devant les grévistes médusés que la délocalisation en Chine communiste est peut-être moins pire que vers la Tunisie. Mais fait également la morale à Redouane qui se justifie des petits braquages dont ils rendent coupables lui et ses copains d’HLM par un mal être inhérent à la société actuelle. « Tu es né ici, dans l’hexagone, dans une jolie maternité, tout comme moi, avec les mêmes droits, la Sécu, les avantages sociaux gagnés par nos aînés. Des avantages obtenus pour certains au prix de leur vie, et qu’un petit homme armé de sa seule suffisance, talonnettes comprises sinon nous tomberions encore plus bas, est en train de nous torpiller le temps de son misérable quinquennat. Parce que bien sûr, il ne repassera pas deux fois, c’est impossible, ce serait tragique ». Pétri de bon sens, le Poulpe !

Serguei Dounovetz nous réserve de bonnes surprises finales tout en respectant scrupuleusement la Bible du Poulpe. Outre ses démêlés avec Chéryl qui va goûter ailleurs si l’herbe est meilleure, Gabriel Lecouvreur s’adonne à sa passion en ingurgitant moult bières nordistes, en lisant dans le train des ouvrages comme Haine comme Normal d’Alain Dubrieu, trouve sur ses brisées le reptile Vergeat des RG, et s’inquiète de son Polikarpov, se posant la question cruciale s’il pourra décoller un jour. Un bon cru pour un Poulpe pas encore emberlificoté dans les tentacules de la dépression.

A lire du même auteur : Je me voyais déjà...

Serguei DOUNOVETZ : Sarko et Vanzetti. Le Poulpe N° 267, éditions Baleine. 2010. 176 pages. 7€.

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10 mars 2012 6 10 /03 /mars /2012 10:05

annéesfric

Décembre 1985. Quelques mois avant les élections législatives. Le risque pour la majorité en place de se voir détrônée au profit du RPR. Dans l’ombre du président, le conseiller privé François Bornand, un ami de longue date qui a mis en place une cellule antiterroriste à l’Elysée. Bornand, un être qui louvoie comme les vipères et négocie en coulisses la libération d’otages contre une cargaison d’armes. Hélas, l’avion chargé de convoyer les missiles explose en plein vol au dessus de la Turquie. Un pavé dans la mare dont les remous sont accentués par le meurtre d’une call-girl de luxe appartenant au cheptel de Mado, et dont les clients sont d’éminents personnages ayant pignon sur rue. Une bavure commise par à Fernandez, policier chargé de la protection de Bornand. Et ce n’est pas la seule à son actif. Le cadavre de Katryn, nom d’emprunt de l’hétaïre, étant retrouvé dans un parking, l’enquête est dévolue à Noria Ghozali, jeune policière dont c’est la première affaire sérieuse à laquelle elle doit s’atteler. Elle qui rêvait de briller sur les planches, la voila centre d’intérêt de la rue et des collègues. Les R.G. qui ne manquent jamais une occasion pour pointer le bout de leur nez, reniflent l’arnaque et ne s’embarrassent pas de principes. Influent ou pas, Bornand devient la Cible privilégiée.

En quelques romans, Dominique Manotti s’est construite une flatteuse réputation et ce n’est pas celui-ci qui allait en aucun cas la ternir. Dense et épuré à la fois, dans un style incisif, elliptique, parfois quasiment télégraphique, il marie le thriller politique, l’enquête pure de police, une forme éludée d’espionnage, bref, c’est de la politique friction. Attention toutefois à ne pas vous laisser distraire, les événements vont vite, les personnages passent, disparaissent, parfois pour de bon, ou réapparaissent au moment où l’on s’y attend le moins, un mini casse-tête dans les arcanes d’un pouvoir qui ne fut pas l’apanage des années Mitterrand.

Et parfois on a l’impression que ce roman vient d’être écrit tant certaines situations sont actuelles.

Dominique MANOTTI : Nos fantastiques années fric. Collection Rivages/Noir N°483. Editions Rivages. 256 pages. 7,50€. Réimpression.

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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 09:12

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Parfois il vaudrait mieux regarder devant soi lorsque l’on marche dans la rue, et éventuellement retourner sur ses pas, plutôt que de se cogner dans quelqu’un même s’il fut un bon ami perdu de vue. Arno Fugiers, qui tous les matins effectue le même parcours, de chez lui au café pour en prendre un justement, est un ancien militaire adepte de la philosophie des trois C : cigarette, caféine, cocaïne. Sans oublier l’alcool et les putes. C’est justement, alors qu’il a les yeux fixés sur ses mains en train de rouler une cigarette, qu’il cogne violemment contre un passant. Lequel n’est autre que Gilles Comas, ancien de la Guerre du Golfe, celle de 93, à laquelle il a participé en compagnie d’Arno. Ils avaient sympathisé, s’étaient appréciés sur le terrain, mais leurs routes avaient bifurqué. Aujourd’hui Arno traine son traumatisme post-guerrier tandis que Gilles est devenu commissaire de police. Ils se donnent rendez-vous pour le lendemain, histoire de déjeuner ensemble. Arno va non seulement déjeuner mais également déguster. Alors qu’il attend son ami, Arno voit deux agents encadrant un prévenu en phase de transfert se diriger vers la sortie. L’intrusion d’hommes armés et cagoulés arrosant le commissariat ne lui fait pas perdre ses réflexes de militaire aguerri. Il empoigne l’homme habillé d’un gilet pare-balles et s’en sert comme d’une protection. Le vêtement est inefficace contre des munitions de guerre trafiquées, et Arno ne peut que recueillir les derniers mots de l’individu. « Hasard… 28… 1515… Op… Goliath… Tout arrêter… ». Giacometti, le prévenu, était considéré comme un criminel notoire, recherché par Interpol et suspecté d’être un parrain de la Mafia. Et s’il ne s’était pas servi de Giacometti comme d’un bouclier, Arno y serait passé tout de même, car apparemment les tueurs ne désiraient pas laisser de témoins derrière eux. Le commissaire Viel, rattaché directement au ministère de l’Intérieur, veut savoir quels furent les derniers mots prononcés par le truand mais Arno refuse de dire quoi que ce soit. Les ennuis commencent pour Arno. D’abord un coup de téléphone, mais personne au bout du fil. Comme si l’on voulait savoir s’il était présent à son domicile. Grâce à son habitude de regarder par la fenêtre de son appartement, il aperçoit trois hommes s’infiltrer dans son immeuble. Il a juste le temps de se cacher dans le studio voisin inoccupé et il entend des coups de feu et le départ précipité des tueurs qui ne poussent pas plus avant leurs investigations. Grâce à un pot de peinture rouge qui trainait dans un placard dans lequel il était sensé se dissimuler et dont les trainées qui se glissent sous la porte ressemblent à des rigoles de sang, il est sauf. Son ordinateur portable, dont la webcam est branchée en permanence, a filmé les trois personnages. Vincent, l’adjoint de Comas, reconnait quelques-uns des indélicats et bientôt c’est Arno qui se lance à la chasse à l’homme. Il possède un UZI, non déclaré, et en compagnie de Viel avec qui il parvient à sympathiser, et Samuel son avocat, sans oublier l’apport non négligeable des renseignements fournis par Vincent, il se retrouve bientôt sur la piste d’une organisation nommée la Suprématie de la race blanche, d’obédience nazie et dont l’origine et les fondements se situent aux Etats-Unis. Giacometti, membre de la Mafia, aurait-il eu des accointances avec cette organisation ? Et comment se fait-il que la DCRI et la DGSE se trouvent en possession d’informations qu’elles ne devraient pas connaître ? Des fuites préjudiciables pour la vie d’Arno et de ses compagnons seraient-elles organisées sciemment ?

L’intérêt de cet ouvrage réside dans la dissociation entre roman et document. En effet si Denis Alamercery développe son histoire en intégrant le thème des réseaux néo-nazis et leur imprégnation dans tous les rouages de la société, sans forcer le côté didactique, le cahier documentaire réalisé par Christine Revert-Charles apporte l’éclairage nécessaire pour mieux comprendre le développement de cette résurgence de moins en moins sporadique et de plus en plus prégnante qui prend sa genèse dans l’action du Ku Klux Klan à la fin de la guerre de Sécession, puis intègre l’idéologie nazie de la 2ème guerre mondiale. Ce côté documentaire placé en fin de volume évite ainsi à l’auteur d’alourdir son texte par des développements historiques et pédagogiques à l’intérieur de l’intrigue qui n’est donc pas découpée inutilement. Le personnage d’Arno Fugiers est sympathique justement à cause de ses défauts, et ses rapports avec ses comparses, de longue date ou nouveaux, sont intéressants à suivre. Particulièrement cette amitié avec la tenancière d’une maison close qui malgré tout fait payer au prix fort son client, car les affaires sont les affaires. Arno, et l’auteur par conséquent, se montre souvent ironique, caustique et l’humour dont il fait preuve est réjouissant, utilisant des métaphores savoureuses. Par exemple : « Je m’assis par terre, respirant comme un asthmatique en train de faire des pompes dans un champ de foin au mois de mai ». Ou encore « Je fouillai en vain les poches du mercenaire. Elles étaient aussi vides qu’une cervelle de footballeur ». Evidemment, cela ne devrait pas faire plaisir à tout le monde. Mais il ne faut pas oublier non plus cette petite guerre entre ministères, celui de l’Intérieur et celui de la Défense en l’occurrence, qui risquent de faire capoter des enquêtes. Mais ceci n’est qu’un roman de politique-fiction, et dans la réalité, il en va tout autrement. Non ?

Denis ALAMERCERY : Opération Goliath. Collection Thriller Policier. Editions Pocket (réédition des Editions Scrinéo Carnets de l’info. 2010). 280 pages. 7,20€.

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