Un roman pas si Bénin que ça !
Les consommateurs du bar Kama Sutra de Porto Novo tirent tous la langue comme le loup de Tex Avery devant la prestation de Pati, la danseuse-effeuilleuse. Stéphane n'est pas le dernier à avoir les yeux montés sur ressorts horizontaux. Et il n'hésite pas à demander une faveur complémentaire, celle de pouvoir échanger avec Pati leurs phéromones chez lui à Tokpota, un quartier de la capitale béninoise.
A la sortie du bar, un véhicule qui semblait les attendre, mais n'est pas un taxi, fonce, pile, et malgré les jambes de Pati qui déroulent sur l'asphalte, des hommes s'emparent de la danseuse qui n'a plus envie de s'exhiber. Stéphane, en homme galant, veut s'interposer et pour récompense reçoit quelques gnons qui l'envoient au pays des rêves. Pourtant c'est un ancien judoka.
Lorsqu'il revient à lui, sa première pensée va à son portefeuille. Non, il n'est pas abîmé par les coups reçus, il n'a pas été vidé non plus. C'est alors qu'une voix rauque s'inquiète de son sort. Une jeune femme qui lui propose de l'aider. Elle se nomme Déborah Parker, et prétend avoir été aide-soignante dans une autre vie. Arrivés chez lui, elle bichonne ses plaies, et Stéphane, toujours galant et honnête, veut la rétribuer. Non, elle refuse. Au contraire c'est elle qui va lui donner quelques coupures, en dollars américains s'il vous plait, pour pouvoir être hébergée. Donc ils partagent l'appartement spacieux de Stéphane, chacun chez soi, car malgré les massages prodigués ils ne sont pas encore arrivés au stade de l'intimité où un seul lit suffit. Profitant par inadvertance que Déborah est absente, il jette un œil sur ses affaires. Elle possède une peluche, une tigresse, au ventre rebondi. La tigresse est enceinte de beaux et bons billets de banque !
Déborah pensant faire plaisir à Stéphane en ramenant Pati, quelque peu délabrée, revient donc avec la danseuse mais Stéphane n'est plus d'accord. Déborah reconduit sa copine et c'est le moment choisi par des individus pour s'infiltrer chez le Breton. Il a encore droit à quelques massages fortement appuyés, genre crochets du droit, uppercuts et manchettes, mais il a du répondant. Cela sert de biberonner parfois car grâce à deux bouteilles qui traînaient sous son lit, et tant pis pour la consigne, il se défend vaillamment. Tant et si bien que l'un des assaillants retourne au pays de ses ancêtres plus vite qu'il le pensait. Alors Déborah prend la décision définitive et sans appel, sans tergiverser, de partir à bord d'une voiture déglinguée mais roulante, avec Stéphane à bord. Direction là-bas, plus loin. Car elle a une idée en tête Déborah, sauver sa peau, sauver sa tigresse, et se marier avec Stéphane. Lorsque le vrai faux certificat de mariage, un mariage blanc, sera établi il se verra offrir une consommation gratuite à déguster sur place avec renouvellement si affinité.
Stéphane est natif de Guingamp, il a déjà roulé sa bosse un peu partout et il a débarqué un beau jour à Cotonou avec comme bagages le statut de poète reconnu par ses pairs. Il n'est pas riche mais pas pauvre non plus. Il se débrouille et ça lui suffit. Mais pour le moment le voilà embarqué (ça se dit quand on est en voiture ?) avec Déborah.
Jésus Light est un Ghanéen qui a dû fuir son pays car il est recherché. Il a fait une grosse bêtise. Il a dévalisé un établissement bancaire, déjà c'est grave car ces gens là n'aiment qu'on leur prenne l'argent qui leur est confié et qu'ils savent dilapider comme des grands sans avoir besoin d'aide extérieure. Seulement les compagnons de Jésus Light se sont retrouvés avec du plomb dans le corps en guise d'or, et sa compagne, son amie, sa femme, sa musaraigne (sa muse à règne ?) Paméla leur a fait faux bond. Vraiment pas sympathique de sa part puisqu'elle s'est envolée avec la part de tous. Et Jésus Light s'est retrouvé tout nu comme au premier jour de sa naissance. Alors il recherche activement Paméla pour lui apprendre à vivre et récupérer son bien indûment subtilisé.
Ce pourrait s'arrêter là, mais un groupuscule djihadiste, issu d'une mouvance proche de Boko Haram et en provenance du Nigéria, s'est mis en tête de prendre en otages des ressortissants européens pour des raisons qui leur sont propres.
Les lecteurs compulsifs de romans policiers, penseront comme moi, que ce genre de situations, un pauvre gars naïf dépassé par les événements et en cavale avec une femme entêtée et sublime, un truand qui s'est fait truandé par une compagne partie avec son argent malhonnêtement gagné, ont déjà été traités moult fois et même plus. Je pense notamment à des auteurs américains comme Day Keene et quelques autres. D'ailleurs il est à noter que 1275 âmes de Jim Thompson a été adapté au cinéma par Bertrand Tavernier sous le titre Coup de torchon, le réalisateur déplaçant l'intrigue originale du Sud des Etats-Unis pour la situer en Afrique Noire. Mais je digresse. Donc se greffe dessus cette histoire de preneurs d'otages qui apporte le sel qui irrite les plaies africaines déjà bien ouvertes.
Plus que l'histoire, intéressante en soi, c'est le langage narratif nimbé de poésie de Florent Couao-Zotti, barde trublion, qui envoûte le lecteur. L'emploi de métaphores harmonieuses, de maximes et proverbes usuels ou inventés, de titres de chapitres savoureux, de dialogues huilés et épicés, et de néologismes si évidents que lorsqu'on les découvre, on se demande pourquoi personne n'y a pensé avant, est à déguster comme une friandise.
Florent Couao-Zotti est un griot, racontant une histoire déjà connue mais en l'enjolivant. Elle n'est plus la même, semblable et identique et différente tout à la fois. C'est ainsi que l'on retrouve les vrais conteurs électriques.
Voir également l'avis de Claude Le Nocher sur Action Supense, ainsi que celui de YV
Florent COUAO-ZOTTI : La traque de la musaraigne. Collection Polar Jigal, éditions Jigal. Parution le 15 février 2014. 216 pages. 17,00€.