N'oublie jamais, jamais, jamais, jamais...
Bien décidé à être le premier handicapé unijambiste à participer à la prochaine édition de l'Ultra-Trail du Mont-Blanc, Jamal Salaoui s'entraine en parcourant les dénivelés des falaises d'Yport. Quelques jours de vacances pour lui changer les idées et l'éloigner des problèmes de travail. Employé à la maintenance des bâtiments dans un institut pour enfants à la dérive, il a été soupçonné d'avoir eu des relations vénéneuses avec une gamine. Alors ces quelques jours de détente avec sa prothèse en carbone ne peuvent que lui être salutaires. Il s'est installé dans l'hôtel restaurant la Sirène et parcourt allègrement les kilomètres dans la nature.
Sa vie va basculer le 19 février 2014, sur un chemin douanier lorsqu'il entrevoit un foulard rouge en cachemire suspendu à la clôture d'un champ. Il l'empoche avec précaution, car il s'agit d'un morceau d'étoffe onéreux, pensant le remettre au patron de la Sirène en rentrant, mais peu après il aperçoit une jeune femme se tenant au bord de la falaise. Elle fait face au vide. Cent mètres plus bas, ce sont les galets. Il l'interpelle doucement, elle se retourne dos au vide. Elle est belle malgré sa robe déchirée, elle lui demande de ne pas l'approcher et lorsqu'il lui tend l'écharpe afin qu'elle s'y accroche, elle se laisse basculer. Le temps qu'il dégringole par un chemin escarpé et il se retrouve devant un corps sans vie. Deux personnes qui flânaient sur la plage sont déjà présents. Un homme et un femme qui ont tout vu, ou presque. L'homme a entendu la jeune femme crier puis tomber. La femme emprunte le coupe-vent de Jamal pour le déposer sur le haut du corps du cadavre. Il a juste le temps d'apercevoir l'écharpe rouge enroulée autour du cou.
Les gendarmes de Fécamp sont alertés et arrivent peu après représentés par le capitaine Piroz et un subalterne. Evidemment Jamal est convoqué pour déposer, donner sa version de l'accident, mais les soupçons de meurtre ne tardent pas à s'immiscer dans la tête du gendarme, d'autant que le témoignage des deux promeneurs n'est guère en sa faveur. Mais Jamal se pose de nombreuses questions dont celle primordiale concernant le foulard. Comment le morceau de tissu a-t-il pu s'enrouler autour du cou de la défunte dans le court laps de temps qui s'est écoulé entre le saut du haut de la falaise et sa réception fatale. De plus elle est démunie de sous-vêtements, ses habits sont secs alors que sa peau salée incite à penser qu'elle a pris un bain, ce qui était courageux de sa part un 19 février. D'autres faits sont troublants, aussi bien pour Jamal que pour le capitaine Piroz.
De retour à l'auberge, l'hôtelier lui remet une enveloppe marron, dont le contenu, une vingtaine de feuillets et une coupure du journal local intriguent et déconcertent Jamal. Un accident similaire s'est produit au même endroit dix ans auparavant. Ce que la justice nommera l'affaire Morgane Avril, un viol suivit d'un meurtre. Or cette enveloppe a été postée de Fécamp la veille, comme si l'expéditeur s'attendait à ce qu'un tel drame se produise à nouveau.
Convoqué l'après-midi même à la gendarmerie, où il est reçu par le seul capitaine Piroz. La trépassée se nommait Magali Verron, née au Québec. Du moins c'est ce qui est inscrit sur le dossier posé sur le bureau du capitaine Piroz. Et le gendarme ne cache pas qu'il soupçonne fortement Jamal d'avoir poussé la victime mais pour l'heure il ne possède pas la moindre preuve et il est obligé de le relâcher, non sans avoir procédé à un prélèvement de sperme (je vous rassure tout de suite, Jamal s'est débrouillé seul pour déposer quelques spermatozoïdes qui ne demandaient rien à personne dans un flacon adéquat). Il fait la connaissance d'une jeune femme, Mona, qui désire obtenir une autorisation afin d'emporter des galets dans un but scientifique. Entre Jamal et Mona le courant passe, et il l'invite à dîner le soir à la Sirène, où elle a pris une chambre, et bien évidement la jeune femme lui fait passer une bonne nuit.
D'autres enveloppes parviennent à Jamal par des voies détournées, concernant l'affaire Morgane Avril mais également un autre meurtre perpétré dans les mêmes conditions, quelques mois après le premier mais cette fois à Isigny-sur-Mer dans le Calvados. Jamal patauge à la lecture des documents, et Mona lui propose d'enquêter en sa compagnie. Mais les pistes qui leur sont suggérées ne sont que sables mouvants. Jamal s'étonne même que les journaux locaux ne se soient pas emparés de ce fait-divers, mais le capitaine Piroz lui signifie qu'ils n'ont pas été informés afin que l'enquête se poursuive sans vagues. Toutefois il apprend qu'une association créée à l'instigation des parents et amis des défuntes œuvre toujours afin de traquer le coupable. Le nom de cette association est N'oublier jamais, d'où le titre du roman.
Jamal consigne dans un cahier ces événements, ceux qui lui sont arrivés, ceux qui les ont précédés dix ans auparavant, ses recherches, ses espoirs, ses doutes, son incompréhension. Et lorsque le mot Fin est apposé page 462, ce n'est pas fini pour autant. Et les rebondissements font des ricochets comme une balle de squash dans un court vitré, pour obtenir un dénouement en escalier qui se rétrécit au fur et à mesure de la progression. Yport, Fécamp, Isigny-sur-Mer, Les îles Saint-Marcouf sont quelques-uns des lieux visités et qui seront peut-être à votre programme touristique estival.
Ce roman constitue une construction en trompe-l'œil terriblement efficace et imparable par sa logique, avec la précision méticuleuse d'une horloge... normande. Et Michel Bussi en prestidigitateur talentueux démontre qu'il ne faut jamais se fier aux apparences, même si celles-ci semblent inattaquables ou irréfutables.
Au début le lecteur habitué aux intrigues de Michel Bussi sait que tout ne sera pas linéaire, et celui qui découvre l'auteur se demandera bien à quoi il peut s'attendre, tant Michel Bussi se montre machiavélique. Dès les dernières lignes du prologue le ton est donné :
La dernière chose qu'il vit fut l'écharpe de cachemire rouge flotter entre les doigts de la fille. L'instant d'après elle bascula dans le vide.
La vie de Jamal aussi, mais cela, il ne le savait pas encore.
Au fur et à mesure de la lecture, on pense que Michel Bussi trompe son lecteur, qu'il entre dans le domaine du fantastique, mais rien n'est laissé au hasard. Tout s'emboîte minutieusement sans qu'on puisse le prendre en défaut, sans que l'on puisse lui reprocher de quelconques ellipses, de se conduire en illusionniste car en se remémorant certains phrases, certaines actions, certains événements, on ne peut que constater que tout ou presque est sous nos yeux. A part quelques détails, mais il faut bien ménager le suspense, et en cela Michel Bussi est un maître hors pair.
De Michel Bussi voir également : Ne lâche pas ma main.
Michel BUSSI : N'oublier jamais. Editions Presses de la Cité. Parution le 7 mai 2014. 504 pages. 21,90€.