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26 octobre 2013 6 26 /10 /octobre /2013 07:34

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Georges-Jean Arnaud, ce phénomène de la littérature populaire, dans le bon sens du terme, ce pilier du Fleuve Noir, retrouve un second souffle au Masque.

Pendant la guerre contre la Prusse, en 1870, des compagnies de francs-tireurs, appelés aussi mobiles, se sont spontanément présentés afin de suppléer au manque d’effectifs d’appelés. Mais certains, démobilisés après la défaite, reviennent au pays, enrichis. Il plane sur ses soldats volontaires des soupçons de détrousseurs de cadavres.

D’ailleurs pourquoi un cavalier à la mine squelettique se promènerait-il dans les villages de Corbières semant le trouble et l’angoisse parmi les habitants ? Pourquoi quelqu’un s’acharnerait-il à apposer sur des portes des traces de main à l’annulaire coupé ? C’est ce que ce demande le curé du village de Cubières ainsi que le capitaine de gendarmerie.

Zélie Terrasson, qui officie comme photographe ambulante est réquisitionnée afin de prendre en photo les mobiles qui sont revenus sains et saufs de la guerre, afin de retrouver les présumés délinquants. Auparavant elle voyageait avec son mari, parcourant la région afin de tirer le portrait des autochtones, lors de fêtes diverses, communions et autres. Son mari est décédé lors d’une attaque des Prussiens près d’Orléans, dans une ferme où une dizaine de soldats tenaient tête à l’assaillant. Elle n’a jamais récupéré ses affaires, notamment du matériel photographique, mais cela ne la tracasse guère. Le capitaine Jonas Savane se présente comme envoyé spécial et enquêteur complémentaire.

La superstition monte dans les villages, alimentée par ce procédé démoniaque de la photographie, travail effectué par une femme qui voyage et travaille dans une roulotte comme les Gitans. Elle manque succomber à une asphyxie tandis que les incidents s’accumulent.

La peur ancestrale et la répugnance devant le modernisme, les non-dits, les secrets jalousement gardés, les horreurs d’une guerre à laquelle les paysans du cru ont participé en quittant leur région et leur famille, les superstitions et les traditions vivaces sont les ingrédients principaux de ce roman alimenté par une pointe de fantastique. Georges-Jean Arnaud retrouve la veine de ses romans historiques qu’il avait écrits en mettant en scène les aventures des frères Roquebère et de leur saute-ruisseau Séraphine à l’Atalante. Une série qu'aurait pu reprendre le Masque, son dernier manuscrit ayant été refusé par la maison d’édition nantaise.


Georges-Jean ARNAUD : Le cavalier-squelette. Collection Grand Format. Editions du Masque . Juin 2002. 358 pages.

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25 octobre 2013 5 25 /10 /octobre /2013 08:56

Heureux qui, comme l’Oncle Paul, a fait un beau voyage dans l’univers littéraire tortueux du Hameau des Purs sous la houlette du guide Sonia Delzongle.

 

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En effet l’intrigue emprunte des chemins sinueux, jalonné de chausse-trappes, de bifurcations, de ronds-points, de panneaux indicateurs signalant des retours en arrière, et autres vicissitudes vicinales propres à égarer le lecteur. Mais celui-ci, un peu obstiné comme tout lecteur friand de découvertes, prend des repères et arrive au bout de l’ouvrage tout en se demandant toutefois s’il ne s’est pas un temps fourvoyé.

Si je devais employer une métaphore mobilière pour décrire ce roman, je dirais qu’il s’agit d’un meuble à multiples tiroirs. Mais attention, pas du meuble industriel suédois, à monter soi-même, recouvert d’une feuille de papier plastique qui retient les particules de sapin, et qui s’effondre à la première secousse. Non ! Mais d’un meuble conçu et fabriqué par un ébéniste qui utilise du bois noble, le peaufine en élaborant des circonvolutions à l’aide de gouges de tailles différentes et le recouvre de marqueterie.

Par exemple par un André-Charles Boulle, un Charles Spindler, ou un Pierre Golle. Du massif qui s’avère léger, avec des tiroirs apparents, des fonds secrets, des caches, qui recèlent toutes sortes de babioles et d’objets qui s’apparentent à des cadavres dans un placard.

Si je me suis servi de cette image sylvestre, c’est bien parce que la forêt en est l’un des décors plantés au fin fond d’une campagne dans laquelle se niche un hameau. Le Hameau des Purs, une congrégation qui ressemble à celle des Amish. Une communauté qui vit quasiment en autarcie, ne fréquentant pas les villageois établis à quelques kilomètres du hameau, et qui ne sont pas assujettit à de petits plaisir modernes, tels que phonographe, radio, et autres bricoles pouvant les rattacher à un monde moderne considéré comme pervers. Ils sont vêtus à l’ancienne, les femmes de robes longues, grises, ternes, les hommes de chemises à carreaux, le chef recouvert de chapeaux à larges rebords. Et ils se déplacent à bord de carrioles, toujours en groupe, comme pour se protéger d’éventuelles agressions.

La petite Audrey est amenée durant les vacances par ses parents. Le père, natif du hameau, s’est émancipé mais devenu avocat aide parfois les Purs dans leurs démêlés. Audrey vit entourée durant ces périodes avec Ma Grimaud et Abel, ses grands-parents. Elle fréquente, malgré que celui-ci ne fasse pas vraiment partie de la communauté, le Gars, Léman de son prénom. Il vit chez sa grand-mère, la Crochue, de rapine, braconne, et a pour compagnon un corbeau et est affublé d’un bec-de-lièvre. Il possède une technique rapide et impitoyable pour dépiauter les lapins et autres bêtes à fourrure qu’il attrape au collet. Cette inclination n’est pas du goût de tous, mais Audrey est une gamine indépendante. Elle fréquente aussi parfois Gauvain, un autiste, ou Isobel, une sourde et muette dont les parents bientôt interdiront toute visite de la part d’Audrey.

Quelques années plus tard, Audrey devenue journaliste, retourne sur ce lieu qui est le théâtre d’un double drame. L’Empailleur continue à perpétrer ses méfaits, à dates régulières. Le cadavre d’un individu est retrouvé vidé de ses entrailles, de ses os, et l’enveloppe humaine, bourrée de pierres et de mousses, est recousu, telle une peluche. Des habitations du hameau ont été incendiées et dans les décombres ont été retrouvés sept corps dont l’identification est difficile à établir. Elle enquête pour le compte de son journal, malgré sa réticence à revenir sur les lieux qui ont marqué son enfance, en compagnie de l’inspecteur Frank Tiberge et de son adjoint Lagarde.

Ce retour aux sources fait resurgir toute une époque avec son lot de frayeur, de peur, de frissons, de petites joies indicibles dont le chat Dickens qui se couchait avec le soir lui réchauffant les pieds. Des interrogations aussi avec l’accident qui s’est produit au lieu-dit de La Femme Morte, et surtout la découverte d’un album-photos, d’une lettre en provenance d’Israël, et les révélations parcimonieuses de Ma Grimaud. Et surtout du docteur Bonnaventure, un Noir intransigeant, désagréable, qui n’accepte aucune compromission. Et la mort rôde, s’infiltrant insidieusement dans l’esprit de la gamine, la hantant au point que « Depuis que j’avais appris qu’on pouvait mourir de rire, je ne riais plus ».

Hameau-des-pursLes tiroirs s’ouvrent et se referment, dévoilant peu à peu les secrets qui se nichent dans les recoins, mais le fouillis indescriptible réside bien dans les caissons du bas, où tout est mélangé, emmêlé. Un embrouillamini qui s’éclaircit peu à peu tout en gardant quelques zones d’ombre. Un épilogue qui explique tout, ou presque car l’auteur joue finement avec les miroirs qui se reflètent les uns dans les autres, découvrant des pans d’histoire, invisibles au départ et qui à nouveau rentrent dans l’ombre au profit d’autres, au fur et à mesure que le lecteur approche du mot fin (qui d’ailleurs n’est pas imprimé).

Un roman qui flirte avec le fantastique, comme lorsque l’on tente d’explorer la psychologie de personnages vivant en marge de la société. Un roman prenant, que l’on ne peut lâcher avant de tourner la dernière page, et bizarrement, moi qui suis pour les romans courts, j’aurais aimé que l’histoire continua.


Sonia DELZONGLE : Le hameau des Purs. Editions Cogito. Parution Février 2011. 380 pages. Réédition Touche Noire en format E. book.

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24 octobre 2013 4 24 /10 /octobre /2013 07:13

Les jeux de la mort et du 7ème Art...

 

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Cela aurait pu être une mise en scène imaginée par les concepteurs de Paris-Plages ou des décorateurs employés par l'organisation des parcs Disney. Pour autant le cadavre qui gît au pied du château de sable trônant sur les quais de la Seine, sensé représenter celui de la Belle au bois dormant et parrainé par Disneyland, est bien réel. Et il faut se dépêcher de le dégager car même si les amoureux des succédanés de plages ne sont pas encore arrivés, à même pas neuf heures il fait déjà près de vingt degrés. La canicule pointe son nez. L'été sera chaud.

Le capitaine Jean-François Murray, plus communément surnommé Jeff, officier de police au 36 quai des Orfèvres est appelé par son adjoint, le lieutenant Leroux pour effectuer les premières constatations. Dans les poches du mort, seulement un bristol indiquant Bernard Kalers, Centre de l'image. C'est peu mais suffisant pour situer le bonhomme. Un bouquiniste qui se penchant par-dessus le parapet a aperçu le corps a averti aussitôt les forces de l'ordre. Rien à glaner de ce côté là.

Jeff est un mutilé de la vie, côté cœur. Il a perdu sa femme et sa fille dans un accident de voiture sous ses yeux et il en est toujours marqué. Depuis, il regarde tranquillement chez lui des films et écoute des CD de Steven Seegal dans son véhicule de service.

Kalers est connu au Centre de l'Images des Halles et après avoir obtenu l'adresse du défunt, Jeff se rend sur place. L'homme était un solitaire, vivant seul, veuf depuis déjà de nombreuses années, et il était quelqu'un de tranquille selon les voisins. Un peu bourru peut-être, mais ce n'est pas rédhibitoire. Sa journée terminée, Jeff rentre chez lui et écoute un message déposé sur son répondeur téléphonique : Bonne nuit capitaine, faites de beaux rêves.

Un nouveau client attend les policiers dans un magasin de fringues, plus spécialement dans la cabine d'essayage. Etranglé. Serait-ce le début d'une série ? Mais il ne faut pas oublier le premier mort qui avait été évincé d'une cinémathèque qu'il dirigeait, à cause de ses choix, et dont son successeur n'a pas su redresser la barre. Jeff remonte peu à peu la filière, rencontrant notamment un peintre qui avait bien connu Kalers, mais les morts continuent à fleurir et surtout, quelqu'un lui en veut. Gênerait-il ? Un individu s'est introduit chez lui enlevant toutes les photos de sa femme et de sa fille qui étaient affichées sur un mur, les déchirant, les pliant. D'autres messages lui parviennent, téléphoniques ou sous forme papier glissé sous le pare-brise de sa voiture.

Grâce à l'agenda de Kalers récupéré grâce à l'un de ses rares amis restants, Jeff et Leroux parviennent non seulement à obtenir l'identité des victimes, toutes étant retrouvées sans papier ou sac, mais également leur adresse et surtout en mettant le doigt sur un point crucial. Car outre le lieu et parfois la position incongrue dans lesquels elles ont été retrouvées, l'une d'elle par exemple sur un parking dans le chariot d'un supermarché, tous ces endroits correspondent à l'emplacement d'un ancien cinéma.

La piste d'une vengeance n'est pas à écarter, quelqu'un qui aurait eu maille à partir avec Jeff Murray, mais pour quelle raison, et surtout pourquoi s'attaquer à des personnes gravitant d'une façon ou d'une autre dans le 7ème Art.

 

Ce roman s'articule comme un jeu de piste ayant pour thème le cinéma, et auxquels divers acteurs, à prendre dans le sens large, participent (Un scénariste, une critique de cinéma, une affichiste par exemple) évoluant dans le Paris d'avant, lorsque les petites salles obscures étaient disséminées dans tous les quartiers de la capitale pour la plus grande joie des ouvriers, des cinéphiles et des cinéphages. Des petites salles aujourd'hui disparues, transformées en garage, salle de remise en forme, supermarché... et dont la cause peut être imputée à plusieurs facteurs. La télévision, bien sûr, mais également les DVD et tout récemment la vidéo à la demande, les suppressions de petites salles au profit des grands complexes qui n'offrent le plus souvent que l'artillerie américaine, et autres loisirs liés à l'informatique.

Le personnage meurtri de Jeff Murray est attachant, préservant le souvenir de sa femme et de sa fille par des photos collées sur le mur de sa chambre. Il s'est installé à Paris après le drame, quittant le pavillon de banlieue où il résidait en famille. Sa passion pour le cinéma est indéfectible et le duo qu'il forme avec Leroux est plus qu'une relation de travail. Il existe entre les deux hommes, qui sont sensiblement du même âge et qui se vouvoient, une forme d'amitié bourrue. Et s'il se rend quelquefois au restaurant avec Elodie, une psycho-criminologue, une profileuse, c'est toujours à l'initiative de celle-ci, et il ne sait pas trop comment se conduire avec elle.

Roland Sadaune est un cinéphile averti et il prend ici non pas la défense du cinéma, mais il fait partager ce que je pense être une forme de nostalgie. Le romancier est surtout artiste peintre, et l'on ne s'étonnera pas que l'un des personnages soit lui-même peintre, d'origine polonaise.

Les illustrations de couvertures sont de Roland Sadaune.

A lire également de Roand Sadaune : Deauville entre les planches; Le Loup d'Abbeville et  Game Auvers.


Roland SADAUNE : Dernière séance. Val d'Oise éditions. 212 pages. 13,80€

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23 octobre 2013 3 23 /10 /octobre /2013 12:34

Bon anniversaire à Jean-Paul Demure né le 23 octobre 1941 !

 

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Un roman sombre, sanguinolent, sanglant, mais tendre également.

Histoire d'un adolescent qui essaye de s'en sortir, de devenir quelqu'un, de trouver une dignité à laquelle il n'a pas été habitué parce qu'il ne l'a jamais côtoyée, tout ça par le travail. Un travail astreignant mais qui canalise ses pensées, ses pulsions.

Enfant d'H.L.M. miteuse, Victor ne vit plus ses plus moments d'une existence délabrée qu'au contact de ses copains et des filles de rencontre. Parce que, au point de vue famille, mieux vaut ne pas en parler. Circulez, y'a rien à voir !

Alors dégradations par ci, chapardages par là, et comme les phalènes toujours attiré par les lumières, Victor est irrémédiablement aspiré, englué, digéré, recraché par le centre commercial, le Super. Quoi qu'il fasse, où qu'il aille, ses pas le ramène inlassablement vers les lumières, le factice. Il existe bien une boîte de nuit, le lieu des rendez-vous galants, mais elle n'est pas épargnée par les rafles policières, et Victor goûte au charme d'une nuit passée au poste. Une nuit et quelques compléments offerts généreusement pas la maréchaussée dans le but oh combien sain et louable de démontrer à tous ces jeunes gens que s'ils proviennent de la poussière, et que si leur destin est de retourner poussière, ce n'est pas pour autant qu'il faut se complaire dans la fange.

Victor va se trouver un petit boulot peinard, homme toute main au Super. A lui les balayages, les manutentions, les remplacements. A la boucherie par exemple. Là il va faire la connaissance d'un désosseur qui le prend sous sa coupe. Le travail au secours de l'âme ! Fini les petits braquages, les fauches, les magouilles, les petites ambitions.

 

Jean-Paudecoupe.jpgl Demure qui a obtenu le Grand Prix de Littérature Policière avec Aix-Abrupto en 1987, ne fignole pas dans la dentelle. C'est dur, très dur. C'est noir, très noir. C'est rouge sang, c'est tendre, c'est prenant, c'est actuel, c'est délirant, c'est à lire !

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Paul DEMURE : Découpe sombre. Série Noire N°2128, éditions Gallimard Février 1988. Réédition collection Folio N° 2823. Avril 1996. 256 pages. 7,70€.

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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 12:58

Une librairie qui meurt, ce n'est pas une page qui se tourne, c'est un livre qui se ferme, à jamais.

 

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Depuis le temps qu'elle le pressentait, qu'elle le redoutait, Lola est au pied du mur. Son patron, un vieil anarchiste bolivien, propriétaire-gérant de la Librairie Le Passe-muraille située près de la Bastille, a décidé de fermer boutique. Personne ne voulait reprendre l'échoppe et il s'est vu contraint de la céder à une chaine de téléphonie mobile.

Lola est mère d'un petit Maxime, quatorze mois, et vit avec Thomas, cameraman qui donc émarge comme intermittent du spectacle et dont les revenus sont aléatoires. Quatre ans auparavant elle sortait avec Ari Mackenzie, un policier de la DCRI. Elle voulait un enfant, lui n'en voulait, comme chantait Nougaro. Mais elle se rend compte que Thomas la trompe et dépitée, déçue, elle quitte le domicile emportant quelques affaires et son fils Maxime. Elle téléphone à un ami, Krysztov, garde du corps et ami de son ancien compagnon Ari, le priant de les héberger elle et son fils.

Mais que fait Ari pendant ce temps ? Il vit de ses rentes qui fondent plus rapidement que neige au soleil (cliché). Et l'entrepreneur à qui il avait demandé de restaurer une vieille maison, sise dans l'Héraut, qu'un incendie a ravagé l'année précédente, vient de le lâcher pour des problèmes de finances. Il déguste régulièrement quelques whiskies au Sancerre (le nombre ne nous importe peu, c'est lui qui paie) et c'est là qu'un ancien camarade, policier de son état, fait irruption. Radenac, brigadier-chef au poste de police du Palais-Royal, connaissant le penchant qu'Ari entretient pour l'ésotérisme et l'alchimie lui demande des renseignement sur Fulcanelli.

fulcanelli4.jpgAri Mackenzie est à l'aise pour lui répondre car il s'est fortement intéressé à ce personnage mystérieux lorsque, adolescent, un jardinier dans un square près du Sacré-Cœur le voyant lire un ouvrage de Gérard de Sède, lui a prêté Le Mystère des cathédrales de Fulcanelli. Or règne sous ce pseudo un mystère qui n'a jamais été élucidé. L'alchimiste aurait signé deux livres en 1926 et 1930, un troisième intitulé Finis Gloriae Mundi étant prévu pour paraître mais qui le fut jamais. La préface était signée Eugène Canseliet et les dessins de Julien Champagne.

Radenac désire qu'Ari l'accompagne chez Gabriella Mazzoleni, dont le père, célèbre galeriste, vient de décéder. L'homme possédait une bibliothèque composée d'ouvrages précieux, sur l'alchimie et l'ésotérisme, datant pour certains de plusieurs siècles. L'appartement est protégé par une porte blindée, pour autant un carnet de Fulcanelli, un exemplaire unique, de seize pages dont seules trois ont été écrites, a disparu. Sceptique au début, Ari va bientôt fortement s'intéresser à cette disparition, lorsqu'en lisant dans un journal le décès de Jacques Caillol, poignardé alors qu'il visitait de nuit, étant entré par effraction, l'église de la Santa Caridad à Séville. Un meurtre qui relance l'intérêt d'Ari car ce meurtre a été perpétré devant un tableau de Juan de Valdès Leal dont le titre est Finis Gloriae Mundi. Ce ne peut être une coïncidence. Gabriella propose à Ari de le rétribuer grassement pour enquêter, ce que le policier accepte.

Aussi il se rend à Séville afin de glaner des renseignements fulcanelli3.jpgqui peuvent s'avérer précieux et prendre des photos du tableau et de l'endroit où il est apposé. Radenac, resté à Paris, a un doute sur la mort supposée naturelle de Mazzoleni, et effectivement le galeriste n'est pas décédé d'une crise cardiaque mais bien empoisonné. Chacun de leur côté ou ensemble Radenac et Ari vont donc procéder à des recherches, d'autant qu'un nouveau meurtre est découvert. Le nom de Caillol titille l'esprit d'Ari qui demande à une de ses relations d'effectuer des informations dans les fichiers de la police. Caillol faisait partie d'une association, la Fraternité d'Héliopolis, dont les membres sont connus sous des pseudonymes comme Archo (Caillol), Sophronos, Orthon, Epistemon. Si le véritable patronyme de certains d'entre eux est connu, il n'en est pas de même pour tous. Et ces Frères Chevaliers d'Héliopolis ont une corrélation avec Fulcanelli. Si Ari possède encore des amis susceptibles de pouvoir l'aider Radenac aussi et il s'en servira, pas conscient que cela pourra leur être préjudiciable.

Un homme qui se déplace en moto de marque italienne s'attache à suivre Ari dans ses déplacements, ce qui nous offre quelques belles pages de poursuite et l'intrusion d'un collègue de Radenac, à l'apparence de motard, tatoué, cheveux longs et au parler argotique.

 

fulcanelli1Construisant son énigme autour de protagonistes ayant réellement existés, Henri Lœvenbruck traite bien sûr de l'alchimie, de l'ésotérisme et de l'hermétisme mais d'une façon détournée, sans s'appesantir dessus. Il passionne le lecteur en proposant deux enquêtes en une. D'abord l'enquête criminelle que l'auteur dénomme enquête Scoubidou et que moi j'appelle Marabout de ficelle : un individu A est tué par un personnage B qui lui-même est assassiné par C et ainsi de suite. Mais cette intrigue est sujette à dénouer le mystère qui plane sur le personnage de Fulcanelli, en apportant sa solution, en l'étayant, en insérant dans son histoire épisodes réels et fictifs, en les liant d'une manière harmonieuse grâce aux différents protagonistes qui évoluent d'une façon naturelle. Il entremêle les différentes histoires, Lola et ses amours et déceptions, la double recherche de Radenac et de MacKenzie sur les crimes de sang qui sont perpétrés, et la recherche des mystères qui entourent Fulcanelli et les liens entre les événements qui se déroulent. Les protagonistes fictifs sont en relation plus ou moins étroites à travers le temps avec des personnages ayant réellement existés, Camille Flammarion, Anatole France, Victor Hugo, ou la famille de Ferdinand de Lesseps.

Mystère et suspense sont au rendez-vous. Mais mystère surtout avec ses ingrédients naturels : carnet secret et messages à décrypter. Une ambiance digne des anciens romans de mystère qui offraient aux lecteurs des moments de lecture de pur plaisir. Un peu une atmosphère à la Blake et Mortimer.

Mais le véritable héros de cet ouvrage, toujours présent mais qui ne s'exprime pas, c'est le Livre. Au début avec cette librairie qui s'étiole, mais aussi dans les différentes bibliothèques somptueuses, celle d'Ari Mackenzie, celle de Mazzoleni dont les ouvrages, des exemplaires uniques, des incunables, doivent être donnés selon le testament rédigé par le galeriste, aux Archives Nationales, mais également au travers d'œuvres évoquées au cours du récit comme Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, La Rôtisserie de la Reine Pédauque d'Anatole France, Du côté de chez Swann de Marcel Proust sans oublier les vedettes que sont les livres ésotériques publiés de Fulcanelli, Le Mystère des Cathédrales et l'interprétation ésotérique des symboles hermétiques du Grand-Œuvre et Les Demeures philosophales et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l'art sacré et l'ésotérisme du Grand-Œuvre et celui qui ne l'a jamais été et fait l'objet de toutes les supputations : Finis Gloriae Mundi.

Bien sûr ceci n'est qu'une fiction mais ce panachage entre faits réels et historiques et l'imagination de l'auteur offre une histoire savoureuse qui n'aborde en aucun cas le fantastique ou le surnaturel, et nous change agréablement des romans noirs actuels.

Chacun de nous possède ses passions, que l'on cultive avec plus ou moins d'ardeur, mais sans pour autant vouloir se montrer pédant. C'est le cas d'Henri Lœvenbruck qui d'ailleurs précise en fin de volume ses références bibliographiques et dresse une chronologie historique de cette affaire qui intéresse de nombreux chercheurs.

 A lire également d'Henri Loevenbruck : L'Apothicaire.
Henri LŒVENBRUCK : Le mystère Fulcanelli. Editions Flammarion. Parution le 5 octobre 2013. 416 pages. 21,00€.

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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 08:58

Cela me paraît étrange que vous soyez tous si courageux, si dévoués à autrui, et encore que vous soyez Anglais ! Alors qu’en France, au nom de la liberté et de la fraternité, la trahison fait loi.

 

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Cette petite phrase, proférée par l’une des protagonistes dans le premier des neuf romans consacrés aux aventures du Mouron Rouge met tout de suite dans l’ambiance. Une phrase un peu dure à l’encontre de nos compatriotes mais pas si dénuée de réalité qu’il y parait. En ces temps troubles pendant laquelle sévissait la Terreur, il était de bon ton et de bon goût d’exécuter les nobles, sous n’importe quel motif, les Révolutionnaires s’octroyant la juste cause, avant de se décimer eux-mêmes. Une période durant laquelle les délations, les trahisons, les guillotinages allaient bon train, au nom des Droits de l’Homme et du Citoyen et de la Liberté.

Les aventures du Mouron Rouge (en anglais Scarlet Pimpernel, ce qui est plus poétique), un Anglais qui se porte au secours des nobles français, sont pourtant prisées de toutes les couches de la société depuis plus d’un siècle. Si le héros, créé par la Baronne Orczy, femme de lettres britannique d’origine hongroise née en 1865, se dissimule sous le pseudonyme du Mouron rouge, c’est parce que c’est le nom d’une humble fleur qui croît au bord des chemins. « C’est aussi le nom que le meilleur et le plus courageux des hommes a choisi pour cacher son identité afin d’être mieux à même de mener à bien la noble tâche qu’il s’est donnée ».

Le lecteur pourra remarquer en lisant cette description qu’il existe une ressemblance certaine avec un certain Zorro, personnage postérieur et qui fit également les beaux jours des lecteurs, des cinéphiles et des amateurs de séries télévisées. Et quelle que soit le bord dont fait partie le héros, du moment qu’il se montre juste, bon, courageux et mystérieux, le lecteur adhèrera et vibrera à ses aventures plus ou moins rocambolesques.

A mi-chemin entre Dumas, Zevaco, Féval et Raphael Sabatini, le créateur du célèbre Scaramouche, la Baronne Orczy a mis en scène un personnage attachant courageux, honnête et si ses romans sont considérés par certains contre ou anti révolutionnaires, il faut avouer que le souffle épique qui s’en dégage ne peut que réjouir l’amateur d’aventures et de mystères. Et ce n’est pas pour rien que le Mouron Rouge eut à plusieurs reprises les honneurs d’être adapté au cinéma. Avec des interprétation de Leslie Howard, James Mason ou David Niven. Un plaisir à ne pas bouder alors que ce volume était édité pour la première fois en intégrale au moment où le bicentenaire de la Révolution devenait une exagération médiatique et mercantile.

Ce volume contient les titres suivants : Le Mouron Rouge ; Le Serment ; Les Nouveaux Exploits du Mouron Rouge ; La Capture du Mouron Rouge ; La Vengeance de Sir Percy ; Les Métamorphoses du Mouron Rouge ; Le Rire du Mouron Rouge ; Le Triomphe du Mouron Rouge ; Le Mouron Rouge conduit le bal.

Les éditions Omnibus font œuvre pie en permettant de retrouver en un seul fort volume des textes majeurs de la littérature populaire, remettant en valeur des titres oubliés et permettant aux lecteurs de retrouver des sagas qui trop souvent sont méconnues car seuls émergent des titres au hasard des pratiques éditoriales, le restant de l’œuvre étant souvent occulté pour des raisons que j’ignore.


Baronne ORCZY : Le Mouron Rouge. Editions Omnibus. Nouvelle édition. Préface de Jean-Claude Zylberstein. 1248 pages. 29,00€.

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21 octobre 2013 1 21 /10 /octobre /2013 07:53

Suite et fin des aventures extraordinaires de Moulard.

 

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Dans la même veine que San-Antonio, c’est-à-dire le plaisir de jouer sur les situations, de communiquer avec le lecteur, de partager avec lui et avec humour les humeurs de notre époque, les aventures et pérégrinations de Moulard, héros créé par Jean-Jacques Reboux, cette série est le prototype du feuilleton adapté au nouveau millénaire.

Après ses avatars en la Principauté de Monaca, Moulard est convié en Vendée par son ancienne amie Sœur Bénédicte, une religieuse qui parcourt le monde et n’a pas froid aux yeux. En cours de route, tenaillé par la faim, lui qui essaie de suivre un régime afin de conquérir le cœur Pénélope, il prend pension dans une ferme auberge (ferme est un bien grand mot) tenu par le vicomte Filou de Vé, alias Le fou du Puits et autres appellations aussi élogieuses.

Il va sans dire que toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite.

Mythomane impénitent Moulard se mue en spécialiste de l’art moderne et déclare sans ambages qu’une toile que possède Filou de Vé, toile abstraite signé par un certain Klondyke, est un faux. Le début d’une aventure mouvementée qui va conduire notre routard amoureux jusqu’à Luçon, fief de la nouvelle droite intégriste squattée par des SDF venus de toute la France et même de Navarre.

Héros sympathique et rondouillard, Moulard dans ce deuxième épisode prend son envol et nul doute que si les prochaines aventures sont du même acabit, il deviendra un personnage de référence à l’instar de ces illustres prédécesseurs qui ont pour nom (à vous de compléter la liste…).

Yves Bulteau le maître de cérémonie de cet épisode s’est amusé à mettre en scène, lui qui vit dans la région où naquit la chouannerie, une figure emblématique quelque peu déformée. Ce n’est pas du polar, c’est du populaire, humoristique, une tranche de vie façon Pierre Dac et Francis Blanche, une farce estudiantine, une série B littéraire qui ne se prétend pas Goncourable mais offre au lecteur un joyeux moment de détente.

A lire également : Pour l'amour de Pénélope.
Yves BULTEAU : Le pied dans la citrouille. Moulard 2, éditions de l’Aube. Février 2000. 204 pages.

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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 14:36

Le Poulpe, personnage créé par Jean-Bernard Pouy, dont les aventures et mésaventures sont narrées par des romanciers différents tout en gardant une homogénéité grâce à une Bible établie conjointement par le premier éditeur et J.-B. Pouy, a donné lieu à quelques épigones qui ont traversé la littérature avec plus ou moins de succès. On peut citer Pierre de Gondol, chez Baleine, Chloé, journaliste thésarde rédigeant des articles dans la revue historique Prométhée, aux éditions de Passage, Mona Cabriol aux éditions La Tengo, la série Le Furet chez Albin Michel plus destinée aux adolescents, Léo Tanguy chez Coop Breizh, L'ignoble @lias, avatar de Fantômas, au Fleuve Noir et dernièrement Le Thanatopracteur à l'Atelier Mosésu.

Un personnage créé par Jean-Jacques Reboux n'aura fait qu'une brève apparition. Il s'agit de Moulard dont cinq aventures sont parues en 2000, sous la signature de Jean-Jacques Reboux, Yves Bulteau, Catherine Fradier, Laurent Fétis et Elise Fugler. D'autres romans étaient prévus, dont un signé par Frédéric Prilleux, mais une discorde entre l'éditeur et le créateur de la série fit capoter le projet.

 

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Même s’il ne relève pas du roman noir ou du policier, Pour l’amour de Pénélope de Jean-Jacques Reboux renoue avec la grande tradition du populaire et du feuilleton.

D’abord l’essence du récit, sa construction, la façon d’opérer en promettant au lecteur des révélations différées parfois de plusieurs chapitres, des interrogations qui renvoient à d’autres aventures, des personnages en forme de clin d’œil comme l’instituteur sarthois en poste dans l’Hérault, des trublions issus de romans précédents qui n’ont rien à voir avec ce feuilleton, des situations rocambolesques, abracadabrantes ou quotidiennes, un héros déjanté et sympathique, des filles de la haute, des prostituées, des messages adressés au lecteur, des clins d’yeux, le tout enrobé d’humour, de dérision, de tendresse, de cocasserie.

Moulard, le héros de cette série, qui pourrait être le petit-fils de Bérurier, est employé au RMI (ex RSA), c’est à dire qu’il n’a pas grand chose à faire de ses dix doigts et pourtant il est toujours occupé. Il va fêter ses trente deux ans, un événement qui ne se renouvelle que tous les quatre ans puisqu’il est né un 29 février. Une fiesta monstre est organisée par ses parents qui vivent dans les Côtes d’Armor. L’occasion de retrouver le ban et l’arrière ban de sept frères et sœurs, dont des jumelles qui décoiffent, des neveux, petits-neveux, cousins, oncles, enfin toute la smala.

Sauf Pénélope, sa promise qui ne veut le revoir que lorsqu’il aura perdu sa surcharge pondérale évaluée à 30 livres (soit un peu plus que le nombre de romans de cette série qui devrait en comporter 27, mais ne soyons pas tatillon !). Son accoutrement étonne quelque peu les passants honnêtes qui le croisent dans la rue. Pensons donc, un veste de menuisier comportant 27 poches, dans lesquels il peut accumuler une foule d’objets hétéroclites, utiles ou non, cela dépend des situations. A part sa gourmandise, son étourderie, sa propension à adopter des cailloux au fond de ses chaussures ce qui le gêne considérablement pour marcher, ses étourdissements qui lui font embrasser le macadam et les rebords de trottoir parfois un peu violemment, sa faculté à débiter des fables, des racontars, des mensonges, à broder, à inventer des histoires dans lesquels il s’empêtre parvenant toujours à retomber sur ses pieds (non Jean-Jacques, Moulard n’est pas un menteur, c’est un affabulateur, un mythomane, un dégoiseur de talent), Moulard est un type comme vous et moi. Presque.

Tout ça pour vous dire que de Paris jusqu’en Principauté de Monaca où il va faire la connaissance charnelle de Coraline, en passant par Binic et le centre de la France, Moulard va vivre des aventures désopilantes. Je sais, les grincheux vont affirmer que ça ne vole pas bien haut, mais que voulez-vous il faut parfois rester terre à terre pour s’envoyer en l’air.


Jean-Jacques REBOUX. Pour l’amour de Pénélope. Les aventures extraordinaires de Moulard. 1er épisode. Editions de L'Aube. Janvier 2000. 328 pages.

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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 10:04

Hommage à Alphonse ALLAIS, né le 20 octobre 1854.

 

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Déjà à la fin du XIXe siècle dernier, l'on se posait la question d'économiser l'énergie, houille noire et or noir. Les chercheurs et têtes pensantes des administrations tels ceux des Chemins de Fer de l'Ouest se penchaient sur ces problèmes et les idées fleurissaient.

C'est ainsi qu'Alphonse Allais reçut un carton d'invitation afin de découvrir une innovation simple alliant l'hygiène à l'économie de combustible. Les voyageurs relevant leurs pantalons et se déchaussant trempaient leurs pieds dans une cuve spécialement aménagée dans le plancher du wagon. L'eau de ce bain ferroviaire était de 15 degrés. Elle se réchauffait au contact des membres inférieurs et s'élevait bientôt à 37 degrés.

Cette eau ainsi tiédie était refoulée dans la chaudière et remplacée par de l'eau plus fraîche. Et le cycle continuait tout le long du voyage. La chaleur humaine permettait d'élever la température de 22 degrés et ainsi d'économiser environ 100 grammes de charbon par voyageur et par kilomètre. Une initiative qui ne pouvait que contenter tout le monde, actionnaires et public.

 

Alphonse_Allais_-_-1854-1905-.jpgAlphonse Allais, né à Honfleur en 1854, en deux trois pages relatait des scènes de la vie quotidienne, cherchant le défaut de la cuirasse. Ses saynètes loufoques, parfois cruelles, souvent drôles, tournaient en dérision ses contemporain et dénonçait leurs vices, leur imbécillité, leur stupidité, leur méchanceté aussi.

L'humour s'étalait sans vergogne, enrobé de fausse naïveté. Relire Alphonse Allais aujourd'hui, c'est prendre un rafraîchissant bain de jouvence intellectuel.

 

 

 

Alphonse ALLAIS : La Vie drôle. Collection La petite Vermillon, N°39. Editions de la Table Ronde. 9 mars 1994. 224 pages. 5,90€.

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19 octobre 2013 6 19 /10 /octobre /2013 09:20

Et l'étalon bas rapproche le cavalier du sol !

 

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Malgré ce que peuvent nous faire croire les médias et surtout les déclarations des services du ministère de l’Intérieur, les petits voyous et les dealers de drogues ne résident pas tous en banlieues dite difficiles, le troc s’effectuant dans les sous-sols d’immeubles dégradés et décrépis. Les consommateurs non plus ne relèvent pas des images d’Epinal trop souvent évoquées dans les films et séries télévisées. Ceux que l’on surnomme les cols blancs et les people en usent et en abusent aussi. Des sportifs, des artistes, des fils « de » et d’héritiers (des hommes politiques pourquoi pas, mais l’auteur ne les recense pas), sont les clients habituels des revendeurs (notés la différence d’appellation) qui pratiquent leurs échanges billets/sachets dans des clubs situés dans les quartiers huppés de la capitale.

Fitz, diminutif de John-Fitzgerald (c’est un peu lourd à porter alors nous aussi nous nous contenterons de l’appeler ainsi), hante les clubs la nuit et dormant le jour. Il passe une grande partie de ses nuits à la vente de petits sachets de cocaïne, à draguer et s’enfiler des cocktails de couleur à base de vodka, et dans la journée, lorsqu’il ne dort pas en compagnie d’une conquête, il s’amuse sur une manette à des jeux vidéos en ligne. Une vie de paresse qui lui convient bien, d’autant que, s’il est un gagne-petit, n’envisageant pas d’étendre au-delà du raisonnable son commerce, son triangle d’or est situé entre l’avenue Montaigne, les Champs Elysées et l’avenue Georges V, guère plus loin. Il habite rue François 1er, au cœur de sa surface d’activité, une chambre de bonne certes, mais située dans un quartier qui en jette et pose son homme.

Ce jour-là un appel téléphonique le réveille alors qu’il n’est pas encore l’heure de se lever et de se préparer. Jessica, son ex, commissaire de police de son état, a besoin de ses services. Quatre jeunes filles, toutes habituées à fréquenter les clubs, ont été retrouvées non seulement assassinées mais mutilées. Je ne vous donnerai pas les détails, mais sachez que le résultat sur les photos des cadavres est particulièrement ignoble. Fitz ne connait pas ces jolies personnes, enfin jolies avant les mutilations, mais qu’à cela ne tienne, il va devoir enquêter. Jessica est très persuasive, puisque qu’elle possède un cliché montrant Fitz pratiquant à un échange de marchandises prohibées. Alors il se met au travail, en requérant l’aide de ses amis Moussah, un colosse, et Deborah, une gringalette, tous deux eux aussi friands des soirées animées, mais qui travaillent dans la journée.

Deb et Moussah, en posant des questions anodines, parviennent à relever une coïncidence qui pourrait éventuellement les mettre sur la piste du tueur. Les quatre filles avaient été vues en compagnie d’un homme barbu aux yeux bleus. L’homme est repéré, il s’agit du leader d’un groupe musical qui connut son heure de gloire quelques années auparavant. Phil Turner est toujours accompagné de deux gardes du corps mais cela n’empêche pas Fitz de provoquer une explication virile, qui se termine sur le trottoir et quelques contusions de part et d’autres. Mais Phil Turner n’est pas le bon candidat. Toutefois Phil Turner apporte d’autres éléments de chasse. Il a vu un vieux beau en compagnie de l’une des défuntes. Avec l’aide d’une Asiatique, Mei, une familière de ce genre de soirée, il parvient à localiser ce vieux beau, un aristocrate hautain, au regard bleu et froid. Un nouveau cadavre est retrouvé et cette fois, Fitz la connaissait.

Fitz n’oublie pas qu’il est dragueur avant d’avoir été bombardé enquêteur, et Mei l’accepte dans son lit. Hélas deux heures après l’avoir quittée, il apprend qu’elle vient de succomber d’une balle. Alors il ne lui reste plus qu’à se renseigner sur le vieux beau, pardon pour les répétitions, et aborde sa fille à la sortie de la fac de Nanterre. La jeune fille est ambivalente, timide et agressive, gaie et apeurée, et Fitz se demande bien pourquoi.

Ce roman mérite amplement le prix du premier roman décerné à l’occasion du festival de Beaune grâce à une intrigue savamment dosée, et à une histoire qui nous entraîne dans des lieux qui nous changent des clichés d’une banlieue qui accumule toutes les déviances. Fitz, malgré son statut de dragueur et de dealer, est sympathique, d’autant que lui-même refuse de toucher à la cochonnerie qu’il vend. S’il est un gagne-petit, c’est bien parce qu’il n’a pas de véritable ambition. Il rend visite le dimanche midi à ses parents, et mange le poulet frit traditionnel. Il fait croire à son entourage qu’il est représentant en jeux-vidéos, une occupation comme une autre. C’est quelqu’un de tranquille, et s’il se lance dans la bagarre c’est bien parce qu’il a la corde au cou, puis parce qu’il doit préserver sa petite personne.

En lisant le prologue, qui montre une des filles promises au charcutage face à son persécuteur, anonyme je le signale tout de suite, je pensais entrer dans un énième thriller à la mode avec scènes d’horreur et hémoglobine giclant jusqu’à tacher les pages du livre, mais il n’est est point question par la suite. Un bon point pour l’auteur qui développe dans la sobriété et ne cède pas à la facilité. Alors, un nouvel auteur en devenir ? Je le pense et le souhaite, mais seul l’avenir nous le dira. Quant au titre avouez qu’il n’est pas banal !


Olivier GAY : Les talons hauts rapprochent les filles du ciel. (Réédition de Le Masque jaune N° 2539). Collection Le Masque Poche, Editions Le Masque. Octobre 2013. 360 pages. 6,60€.

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  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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