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8 juin 2016 3 08 /06 /juin /2016 14:35

Et que j'écouterai attentivement...

Frédérique VOLOT : Toutes ces choses à te dire.

2003. Alors qu'il fignole un tableau en ajoutant quelques touches de peinture, Ettore se sent mal. C'est vrai qu'il est vieux, qu'il a pas mal bourlingué et vécu d'événements tragiques depuis sa naissance en 1910. En entendant le bruit qu'il produit en tombant, Lucie, sa femme, s'inquiète et prévient immédiatement les autorités médicales. Mais elle sait, et elle en a confirmation, qu'Ettore n'en a plus pour longtemps. Il est usé. Il réclame son violon, qui ne l'a jamais quitté, et demande à voir Ange, sa petite-fille partie en Russie où elle a trouvé un compagnon afin de lui transmettre un message, lui confier une mission.

 

Défilent alors dans la tête d'Ettore sa vie tumultueuse et mouvementée, ses pérégrinations de Gorizia jusqu'à Vittel, son enfance, son adolescence à Trieste, puis son départ pour la France et son installation dans les Vosges.

En cette année 1916, la guerre fait rage entre l'Autriche-Hongrie et l'Italie, et le premier fait marquant dont se souvient avec précision, c'est le laitier qui perd la tête. A cause d'un obus. Les Italiens se sont rendus maître de la province et l'ont annexée. Et les exactions envers les Slovènes sont nombreuses. Les années passent, la famille est obligée de se rendre à Trieste, mais les Slovènes doivent se soumettre à la férule des Italiens, bientôt dirigés par Mussolini. Une forme d'épuration raciste débute envers les habitants de cette province qui est tombée dans leur giron.

Les années passent, dans la douleur et la pauvreté. Pourtant Ettore et sa famille vont trouver du soutien parmi leurs compatriotes, les Slovène devenus Italiens de force. Il va apprendre à lire, à écrire, la moindre des choses, mais surtout à jouer du violon. Certains membres de sa famille osent défier les autorités et fuient vers l'Argentine. Ettore gagnera la France, en 1930, il a vingt ans, mettant plusieurs mois avant d'atteindre une petite station thermale des Vosges, et grâce à son violon, intégrera une formation musicale qui se produit dans les bals populaires. Il possède aussi dans ses bagages une solide formation de cordonnier-tapissier-ébéniste. Le travail ne manque pas et il fait la connaissance de Lucie.

Lucie a grandi entre frères et sœurs, une mère aimante mais brutalisée par un mari ivrogne. Elle est née en 1914, et sa jeunesse est marquée par les taloches paternelles. Sauf lorsqu'il est obligé d'aller sur le front combattre les Allemands. Mais à son retour, les brutalités vont empirer et l'atmosphère est électrique. Heureusement, parfois, il se rend chez une amie, alcoolique elle aussi, et pendant ce temps il suspend les coups destinés à sa femme et ses gamins, sauf l'aîné, le chouchou.

Lucie devient vendeuse dans une pâtisserie chic, et c'est ainsi qu'elle fait la connaissance d'Ettore, venu acheter quelques friandises entre deux bals. C'est le coup de foudre bientôt suivi par les prémices du nazisme. Les esprits racistes commencent à bougonner, à râler contre ces étrangers qui prennent la place des Français. Néanmoins, Ettore et Lucie vont se marier, en catastrophe car une descendance est programmée, et ils peuvent s'installer quiètement.

Les vexations ne manquent pas, enflent de jour en jour, mais Ettore est un excellent ouvrier et nul ne peut lui reprocher un travail bâclé. Bientôt la guerre se profile, et un jour de 1943 les gendarmes viennent chercher Ettore pour l'envoyer dans un camp de travail, une concentration d'étrangers italiens, yougoslaves, russes vivant en France et ayant fui la dictature régnant dans leur pays, dans la forêt d'Eperlecques. Ettore fait partie des étrangers en surnombre dans l'économie nationale. L'enfer subi par des centaines de prisonniers gardés par des soldats russes, qui se montrent pires dans les exactions que l'envahisseur allemand.

 

Roman historique, inspiré de faits réels et dont une grande partie est issue de la biographie familiale, Toutes ces choses à te dire est un exemple de courage de la part d'hommes et de femmes qui subissent la vindicte, le racisme, la ségrégation forgée par des dictatures et des guerres ethniques et religieuses. D'abord entre l'Empire austro-hongrois et l'Italie puis en France, les vexations envers les étrangers ne manquant pas de s'exprimer en toute liberté et impunité. C'est pour moi la découverte de faits qui se sont déroulés lors de la Première Guerre Mondiale, non loin de nos frontières, la célébration de 14/18 occultant tout un pan de l'histoire européenne.

De même j'ignorais l'existence et l'histoire du camp de Watten, dans le Pas-de-Calais, qui est un véritable abcès. Les étrangers qui y sont parqués, venus se réfugier en France, ont été rejeté par une grande partie de la population, des épisodes indignes d'individus se prétendant civilisés. Et l'on ne peut s'empêcher de mettre en comparaison des événements avec de nombreuses réactions et déclarations politiques actuelles tendant à faire croire que s'il y a du chômage, c'est de la faute des réfugiés issus de divers pays européens ou africains, et le parcage dans des camps de rétention. Toujours dans le Pas-de-Calais.

Un roman du souvenir, dédié entre autres à Ettore/Hector et Lucie, les grands-parents de l'auteur, un roman de la mémoire, poignant, émouvant, touchant, révoltant parfois, qui laisse un goût d'amertume une fois refermé et qui une fois de plus démontre que l'histoire devrait être une leçon de vie et de morale, mais que souvent elle est oubliée et bafouée. L'histoire se répète, et toujours dans le mauvais sens.

On peut juste regretter le titre et la couverture qui font penser à un roman de Mary Higgins Clark et qui ne transmettent pas toute l'émotion contenue dans ces pages.

 

Ne manquez pas l'avis d'Yv sur son blog dont l'adresse figure ci-dessous.

Précédents romans de Frédérique Volot :

Frédérique VOLOT : Toutes ces choses à te dire. Collection Terres de France. Editions Presses de la Cité. Parution 19 mai 2016. 352 pages. 21,00€.

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7 juin 2016 2 07 /06 /juin /2016 13:47

La peinture à l'hawaïle
C'est bien diffic'hawaïle
Mais c'est bien plus beau
Dalida la di a dadi
Que la peinture à l'eau *

 

Michel DRESCH : Le plasticien.

Pour un beau tableau, c'est un beau tableau. Et le concierge qui découvre cette scène haute en couleurs pourrait penser à une nouvelle composition de Kovacs, le peintre plasticien qui vit dans l'appartement-atelier de la rue Neuve-Tolbiac.

Mais il s'agit bien de Kovacs couché sur le dos, les mains jointes sur la poitrine, les yeux fermés. Comme un gisant qui serait endormi. Sauf que l'ultime œuvre de Kovacs, c'est lui-même, mort. Plus incongrus, les multiples dessins qui ont été enfournés dans son pantalon. Et dans la bouche un morceau de chiffon imprégné de peinture fraîche.

Le pipelet prévient immédiatement Johanna, la compagne du plasticien et dont ses relations avec Kovacs étaient plutôt élastiques. Il la trompait ouvertement, elle essayait de lui remonter le moral lorsqu'il était en crise. Toutefois elle est étonnée qu'il se soit remis à peindre, car Kovacs avait abandonné l'aspect pictural pour se consacrer d'abord à des œuvres modernes commandées notamment par des municipalités nouvelles, puis depuis quelques années à des Installations, des structures répétitives qui connaissaient un réel succès.

Ce meurtre serait-il l'œuvre (!) d'un confrère jaloux, de Johanna trop souvent blessée moralement et quelque peu jalouse, d'un larron extérieur à la pratique des arts plastiques ? Pour le commissaire Joubert, qui débarque dans le domaine artistique, lui qui est plus habitué aux tripatouillages politiques, et son adjoint Lucas, c'est la bouteille à l'encre. Il lui faut démêler les liens complexes qui unissaient Kovacs à des personnages aussi différents que Johanna la maîtresse, Axel l'ex-mari, Marie-Paule la nouvelle maîtresse, Lassus le galeriste, les autres peintres qui se réunissent dans d'anciens entrepôts de Bercy. En réalité peu de monde, car tout tourne autour des quatre premiers nommés et de leurs relations bizarroïdes, compliquées, et dont les obstacles ne manquent pas de surgir à tout moment.

 

Dans une intrigue classique où évoluent peu de personnages, lesquels avaient tous une raison plus ou moins légitime pour supprimer le plasticien, lequel n'était pas un homme sans reproche, le propos de Michel Dresch est surtout de décrire le monde de l'art moderne sous ses différents aspects. La tension conceptrice, le besoin moral et financier de reconnaissance, les différents acteurs qui gravitent dans le domaine artistique du créateur rongé par les affres de l'innovation et du succès, au marchand d'œuvres d'art dont souvent il dépend, un microcosme dédié à l'art plastique et pictural, un monde en réduction qui se déploie sous les yeux du profane que je suis et a tout autant été conquis par cette description que par l'intrigue elle-même.

 

*Bobby Lapointe.

 

Pour en savoir plus sur cette collection ArtNoir et ses ouvrages n'hésitez pas à visiter le catalogue :

Michel DRESCH : Le plasticien. Collection ArtNoir. Cohen & Cohen éditeurs. Parution le 24 mars 2016. 222 pages. 20,00€.

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6 juin 2016 1 06 /06 /juin /2016 12:43

Hommage à Frédéric Dard, décédé le 6 juin 2000.

François RIVIERE : Frédéric Dard ou la vie privée de San-Antonio.

Romancier, scénariste de bandes dessinées, critique littéraire, François Rivière est également l’auteur de biographies consacrées à des auteurs éclipsés parfois par leurs personnages.

Ainsi s’est-il penché sur l’œuvre et la vie d’Agatha Christie, d’Enid Blyton et James M. Barrie, le créateur de l’immortel Peter Pan. En mars 1999 il publiait au Fleuve Noir une biographie dédiée à un auteur vivant : Frédéric Dard ou la vie privée de San-Antonio, ouvrage qu’il avait terminé en novembre 1998.

Le 6 juin 2000 disparaissait Frédéric Dard, physiquement, mais son héros, le commissaire préféré de ces dames, vit toujours non seulement sous la plume de Patrice Dard, son fils spirituel et génétique, mais dans les cœurs et les esprits de tous ses nombreux lecteurs et admirateurs.

De la naissance de Frédéric Dard le 29 juin 1921, et même un peu avant, jusqu’à la fin des années 90, François Rivière explore le parcours de cet obsédé textuel qui avant d’être reconnu comme un romancier de talent, aura végété malgré les nombreux encouragements prodigués par ses pairs : Simenon, Max-André Dazergues, Marcel E. Grancher…

L’accouchement de sa mère s’avère difficile et son père craint pour la vie de la parturiente. Il en restera des séquelles, un bras gauche déformé et inerte, que s’emploiera à soigner avec persévérance, abnégation et un amour quasi exclusif, sa grand-mère paternelle Claudia, se substituant aux parents accaparés par leur travail. La carrière de Frédéric Dard débute en 1940 avec la parution de La Peuchère chez Lugdunum, mais cet ouvrage comme les suivants, ne connaîtra qu’un succès d’estime. Véritable bourreau de travail, il enchaine les titres et les pseudonymes, pour la plupart empruntés à l’américanisme ambiant, écrivant dans de petites revues dont les illustrations sont signées Roger Sam, son beau-frère, lequel récidivera beaucoup plus tard pour des romans publiés au Fleuve Noir, mais c’est la galère.

Selon la légende, Armand de Caro, découvrant chez un bouquiniste Réglez-lui son compte édité chez Jacquier en 1949 et signé San Antonio, lui donnera sa véritable première chance et en 1950 débute une carrière qui ira crescendo. Croire que San Antonio a phagocyté son géniteur serait presque une erreur ou une hérésie. Car les premiers romans publiés chez cette maison d’édition qui sera « sa » maison furent bien sous les noms de San Antonio (Laissez tomber la fille) dans la collection Spécial Police et de Frédéric Charles pour un roman d’espionnage en 1950 (Dernière mission), le premier Frédéric Dard ne l’étant qu’en 1951 toujours en Spécial Police avec Du plomb pour ces demoiselles.

Et il faudra bien des années pour que la corrélation entre Frédéric Dard et San Antonio soit effective pour les critiques et les lecteurs. Mais il faut avouer que le style littéraire était complètement différent et pouvait désorienter. Pendant ce temps, Frédéric Dard ne chômait pas car le succès qu’il connaitra par la suite n’était pas encore au rendez-vous. Et toujours en point de mire comme l’eut longtemps Simenon, la reconnaissance du public en tant qu’auteur à part entière et non pas forcément catalogué dans un genre considéré comme mineur.

Ainsi il accumula les romans en parallèle du Fleuve Noir chez d’autres éditeurs dont Jacquier ou La Pensée Moderne (sous le pseudonyme de l’Ange Noir) et les pièces de théâtre, des adaptations tirées de ses propres romans ou de ceux de Simenon, seul ou avec la collaboration de son ami Robert Hossein. Robert Hossein avec lequel il signera également quelques ouvrages dont Le sang est plus épais que l’eau en 1962.

Si la gloire, la notoriété et l’aisance financière sont enfin au rendez-vous, Frédéric Dard subira des accrocs, des coups durs qui laisseront des traces. Une tentative de suicide en 1965 alors que L’histoire de France vue par San Antonio bat des records d’édition ou encore l’enlèvement de sa fille Joséphine en 1983.

François Rivière ne pouvait pas ne pas évoquer ces douloureux moments de la vie privée et familiale de Frédéric Dard. Mais il relate également et surtout le parcours littéraire et établit lorsque le besoin s’en fait sentir afin de mieux plonger son lecteur dans l’époque des débuts, le parallèle entre les romans noirs de Frédéric Dard et ceux de Boris Vian, sa rencontre avec James Hadley Chase dont il a adapté La Chair de l’orchidée en 1955 au théâtre ou encore Jean Bruce, l’auteur phare du Fleuve Noir avec Paul Kenny, un auteur bicéphale, et quelques autres. Le tirage des romans de Frédéric Dard avoisine bientôt ceux du créateur de OSS117, et Josette Bruce, femme et collaboratrice de l’écrivain, le complimentera en ces termes : vous êtes un écrivain, mon mari, lui, n’est qu’un fabricant.

De nombreux ouvrages, de nombreuses études ont été consacrées à Frédéric Dard et à son jumeau San Antonio, mais François Rivière a écrit un livre sensible, parfois émouvant, richement documenté, proche de l’homme et du romancier, peut-être le plus abouti de tous ceux qui ont été publiés. Et il était normal, logique, indispensable même que ce document soit réédité dix ans après la disparition de Frédéric Dard.

Première édition : Fleuve Noir. Parution 10 mars 1999. 320 pages.

Première édition : Fleuve Noir. Parution 10 mars 1999. 320 pages.

François RIVIERE : Frédéric Dard ou la vie privée de San-Antonio. Editions Pocket. Nouvelle édition revue et augmentée. Parution Juin 2010. 376 pages.

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5 juin 2016 7 05 /06 /juin /2016 13:59

Un Cassius Clay de province ?

Pierre PELOT : Le 16ème round.

Pour Renato, fils d’émigrés portugais, son emploi au super marché, rayon légumes et poissons, ce n’est peut-être pas la grande vie, mais au moins il travaille.

Il est heureux, à sa façon. Son passé ne plaide pas en sa faveur pourtant le gérant l’a embauché. Et avec sa petite amie, ce pourrait être pire. Bien sûr il y a parfois les petits coups de gueule avec Verchant, son chef de rayon, mais ça ne va jamais bien loin.

Début de semaine morose, mais tout finit par s’arranger. A la faveur d’un incident, Renato va faire la connaissance de Raymond Clay, un vieux boxeur. Celui-ci est installé dans une maison qui rappelle de mauvais souvenirs à Renato, mais le passé, c’est le passé.

Sauf que parfois il vous remonte à la surface. Juste au moment où l’on ne s’y attendait plus. Alors tout commence à aller de travers, et les gendarmes se mettent de la partie.

 

Comme dans la plupart des romans de Pierre Pelot, l’action se passe dans les Vosges.

Dans le vent, la pluie, le froid, la neige. Une histoire simple, avec des personnages simples.

Enfin, c’est ce que l’on croit car Pierre Pelot n’a pas son pareil pour planter le décor et construire une intrigue dans laquelle le suspense, l’angoisse, l’émotion tiennent les rôles principaux.

Un livre pour les enfants, à partir de 12 ans, mais que les plus grands liront avec plaisir, en cherchant bien.

 

Pierre PELOT : Le 16ème round. Editions La Farandole/Messidor. Parution septembre 1990. 182 pages.

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4 juin 2016 6 04 /06 /juin /2016 13:41

Disparue, tu as disparue.
Disparue, tu as disparue

Au coin de ta rue.
Je t´ai jamais revue.

 

Didier JUNG : Disparu.

Il ne s'agit pas d'elle, comme dans la chanson, mais de lui. Lui, c'est Jean-Marc, le mari de Carole.

C'est ce que Carole apprend à Alain lors d'une réunion à La Défense. Tous deux possèdent des postes importants, elle à EDF, lui ingénieur dans une usine de composants à Châlons-sur-Marne. La dernière fois qu'ils se sont vus Alain et elle, c'était il y a déjà seize ans. Mais ils se reconnaissent de suite. Normal, ils se sont fréquentés, aimés, puis la vie les a séparés d'un commun accord.

Alain a épousé Sylvie, un amour de jeunesse qui travaille dans un cabinet d'avocats, a eu deux enfants et a divorcé. Sylvie l'a abandonné pour un collègue. Carole est mariée avec Jean-Marc, un ami d'enfance qu'Alain lui avait présenté lorsqu'ils vivaient plus ou moins ensemble. Jean-Marc travaillait pour une banque, diplôme de Sciences-Po en poche. Au début tout était bel et bien et il refusait une mutation en province. Cinq ans auparavant il a démissionné, est parti travailler pour une banque concurrente, charger d'effectuer des audits d'agence. Mais c'était lourd, toujours par monts et par vaux, et de plus il s'était découvert une nouvelle passion, la peinture.

Jean-Marc était lassé de ses déplacements continuels et Carole ne voulait pas quitter Meudon, leur maison, leurs enfants, étant casanière. Et puis un beau jour, trois ans auparavant, alors que Carole devait aller le rejoindre à la gare, Jean-Marc n'était jamais descendu du train. Et depuis Carole n'a eu aucune nouvelle de lui. Elle a bien contacté la police, demandé d'effectuer des recherches dans l'intérêt des familles, mais Jean-Marc est majeur et il fait ce qu'il lui plait. Bref, depuis, sans réponse, Carole reste dans l'expectative.

Alain lui avoue alors qu'il était resté en contact téléphonique épisodiquement avec son ami d'enfance, et que ce jour du 15 juin 1990, alors que cela faisait un an qu'ils n'avaient échangé aucune conversation, Jean-Marc lui a narré cette fameuse inspection dans l'agence strasbourgeoise, mais surtout qu'il a décidé de prendre le maquis. Et cette phrase prend tout son sens en cet échange avec Carole. En effet lorsqu'ils étaient jeunes adolescents, Alain et Jean-Marc avaient passé quelques jours de vacances dans les environs de Propriano.

Alain ne peut laisser Carole avec ses inquiétudes et il lui propose de contacter un sien ami, un ancien commandant de police qui avait été détaché au service de sécurité pour la boîte où il travaille. Depuis trois ans Morazzani est en retraite dans son île natale, mais nul doute que reprendre du service en dilettante et suppléer à l'incompétence ou mauvaise volonté du policier que Carole avait contacté, lui permettrait d'échapper à un quotidien supposé ennuyeux.

Morazzani accepte de bon cœur malgré son récent mariage sur le tard d'enquêter durant quelques jours, loin de chez lui et de sa femme Thelma connue lors d'une croisière nordique. Après tout Propriano n'est éloigné de chez lui que de deux cents kilomètres environ, il couchera sur place et ne devrait connaître aucune difficulté pour retrouver l'absent, ancien banquier et peintre.

 

Didier Jung a composé un roman d'excellente facture classique, mais qui est presque un défi au lecteur car l'épilogue en contrepoint propose un dénouement bien venu et quelque peu amoral, selon le point de vue où l'on se place. Or le lecteur est à même de résoudre lui aussi l'énigme pour peu qu'il lise attentivement l'histoire et s'attarde parfois sur quelques détails.

Morazzani prend sa tâche au sérieux, enquêtant, rencontrant voisins, policiers, personnes susceptibles d'avoir côtoyé Jean-Marc et de l'avoir aidé à se cacher, essayer de cerner son profil psychologique, mais également déguster les plats dont il se délecte en fin connaisseur et gourmet, de partir sur de mauvaises pistes, tenter de reprendre le bon chemin. En cela Morazzani possède une légère ressemblance avec Maigret, physiquement et moralement. Mais pour enquêter et s'imposer dans le paysage sans dévoiler qu'il fut policier, Morazzani se fait passer pour un sujet britannique, et il s'intéresse comme tout bon touriste qui se respecte à Colomba, personnage réel et héroïne d'un roman de Prosper Mérimée.

Quant aux différents personnages, protagonistes qui évoluent dans ce roman, ils possèdent une face cachée qui peut laisser supposer une entourloupette de la part de l'un d'eux. Et Didier Jung les décrit finement, sans mettre l'accent plus sur l'un que sur l'autre, en les montrant dans leur élément, mais en laissant planer un doute.

L'épilogue, sans être moral, reflète quelques épisodes qui pourraient être le reflet d'affaires s'étant déroulées il y a quelques années et dont on n'a jamais connu le véritable dénouement.

 

Didier JUNG : Disparu. Collection Bordeline. Editions Territoires Témoins. Parution 25 mai 2016. 156 pages. 15,00€.

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3 juin 2016 5 03 /06 /juin /2016 14:28

En mai, fait ce qu'il te plait... Une bonne petite insurrection estudiantine par exemple, comme en 1968.

Patrick RAYNAL : Une ville en mai.

C'est dans ce contexte de révolte que Frédéric est de retour dans sa bonne ville de Nice, après un séjour de dix ans en Afrique. Il était parti parce qu'entre lui et son ex-épouse, le torchon brûlait. Et s'il revient, c'est à cause de l'appel au secours épistolaire de Domi. Leur fille Sophie a disparu. Depuis trois mois !

Il serait peut-être temps de s'inquiéter !

Frédéric réaménage dans son vieil appartement puis il téléphone à Domi qui a trouvé un compagnon, Jérôme, un bellâtre sur lequel elle peut passer ses nerfs. Car elle a toujours été comme ça Domi, les nerfs à fleur de peau, et au moindre incident, à la moindre contrariété, elle monte comme le lait sur le feu, et même plus vite.

Et bien entendu leur rencontre débute en terrain miné, la discussion est vive et animée mais Frédéric parvient toutefois entre deux échanges ping-pong à obtenir quelques renseignements. En plus de ceux qu'il possède, car depuis quelques années Sophie correspondait avec son père. Ce que sa mère ignore. Elle lui avait même envoyé un cliché d'elle en bikini, et c'est (c'était ?) un sacré brin de fille.

Selon Domi, Sophie fréquentait un garçon en particulier, un nommé Thomas, en deuxième année de sociologie et qui est à la tête d'un mouvement estudiantin contestataire. Le coup de massue (comme le général) pour Frédéric qui ne s'attendait pas à ce que sa fille fréquente les communistes, terme générique pour tout ce qui de mouvance d'extrême-gauche. D'ailleurs c'est pour cela que Sophie et sa mère se sont engueulées et que Sophie a fini par claquer la porte.

A part le prénom de Thomas, Domi ne peut lui fournir plus de renseignement, alors Frédéric se résout à demander à un sien ami de fouiller et de lui apporter des éléments concrets afin d'entamer des recherches. Pancrazi, un ancien des RG, accède volontiers aux désidératas de Frédéric. Et c'est ainsi que le père frustré va remonter peu à peu le parcours de Sophie. Thomas non n'a pas de nouvelles de Sophie depuis quelques temps, de même que la colocataire de Sophie.

Dans l'enceinte de l'université de Nice, tenue par Thomas et ses amis, un drame vient de se dérouler. Le cadavre d'un professeur d'obédience d'extrême-droite a été retrouvé sur la plage. Sophie serait-elle à l'origine de ce meurtre ? Qu'est-elle devenue ? Est-elle encore vivante ou morte ? Autant de questions et d'autres qui se greffent les unes aux autres qui jalonnent le parcours d'enquêteur que s'est dévolu Frédéric. Un père qui découvre que sa fille, sa chère Sophie, possède des zones d'ombre et des ambigüités qu'il a du mal à cerner.

Et entre les diverses mouvances politiques, communiste, trotskiste, maoïste, ou encore marxiste-léniniste à laquelle Sophie appartenait, plus la résurgence de l'extrême-droite qui n'a jamais cessé d'exister mais prend de plus en plus d'importance, le lecteur qui n'a pas connu ces troubles qui enflammaient aussi bien Paris que la province découvre un pan de l'histoire de cette seconde partie du XXe siècle qui aura marqué toute une génération et dont les soubresauts sont encore prégnants à plusieurs titres.

 

Dans cette ambiance de révolte, de contestation, se déroule une affaire de disparition et d'un père aux abois. L'épilogue ne joue pas sur le sensationnel, au contraire, et pourrait paraître frustrant si justement Patrick Raynal ne s'était résolu qu'à raconter une histoire policière.

Mais c'est un peu de sa jeunesse qu'il dévoile, lui qui a passé une partie de son adolescence à Nice, fréquenté la faculté de Nice où il obtient une maîtrise de lettres modernes et qu'il milita activement dans un des mouvements d'extrême-gauche, la Gauche Prolétarienne.

C'est donc tout un pan de cette épopée qu'il nous narre, et il est amusant de constater qu'avec l'âge la façon d'aborder ces groupuscules a fondamentalement évolué. Mais tous les contestataires de cette époque ne possèdent plus la même foi, et l'on pourrait citer Daniel Cohn-Bendit qui était surnommé Dany le Rouge, Jacques Sauvageot, Alain Geismar dont les parcours ont évolué politiquement et professionnellement.

A noter, et pour revenir au roman, qu'apparaît la figure de Corbucci dit Corbu, un détective privé dont Patrick Raynal narrera quelques aventures dans Corbucci, recueil de nouvelles chez Albin Michel et Dead girls don't talk nouvelle numérique chez SKA.

 

Patrick RAYNAL : Une ville en mai. Editions de l'Archipel. Parution 11 mai 2016. 268 pages. 18,00€.

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2 juin 2016 4 02 /06 /juin /2016 14:10

Le roi des détectives, le Sherlock Holmes américain, le détective de l'impossible,

l'immortel Harry Dickson est de retour !

Robert DARVEL : Harry Dickson 1.

Tout comme le Sherlock Holmes de Conan Doyle, Harry Dickson possède ses admirateurs qui en véritables passionnés perpétuent ses aventures dans des ouvrages apocryphes, des pastiches qui ne sont pas parodiques mais entretiennent la légende.

Robert Darvel est de ceux qui perpétuent sa mémoire, tout comme l'ont fait ou le font encore Gérard Dôle et Brice Tarvel.

Mais reste l'examen de passage. Et à la lecture de ces cinq histoires, dont quatre avaient été précédemment publiées sous de très belles couvertures, aux éditions du Carnoplaste, on peut dire que Robert Darvel respecte le fond et la forme tout en imaginant de nouveaux épisodes tout aussi prenants, surprenants, plongeant le lecteur dans une atmosphère digne de ceux écrits par Jean Ray.

Le fond avec cette ambiance fuligineuse qui entoure chacune de ces enquêtes, souvent enrobée de fantastique, et dans la forme avec des phrases élégantes sublimées par l'adjonction recherchée de mots désuets, sans pour cela tomber dans la facilité de la vulgarité. Ce qui nous change d'une grande production actuelle et nous ramène au bon vieux temps où les écrivains avaient du style, et surtout n'utilisaient pas, pour masquer leur méconnaissance de la langue française, des mots issus du vocabulaire anglo-saxon, sans que cela soit justifié. Mais ceci est un autre débat.

Mais explorons un peu cet ouvrage :

Robert DARVEL : Harry Dickson 1.

Le dieu inhabité. Harry Dickson N°185.

C'est Goodfield qui l'affirme, il s'agit d'un crime banal. Mais pour Harry Dickson, qui habite non loin du lieu où s'est déroulé le meurtre, aucun crime ne saurait être qualifié de banal. Une femme aux mœurs légères a été retrouvée égorgée et son corps a été placé dans un broyeur. Pas beau le corps, sauf pour le médecin légiste. Un policier a aperçu le meurtrier mais n'a pas réussi à le rattraper. C'est lui qui a prévenu Goodfield lequel s'est rendu séance tenante chez Harry Dickson. Un autre assassinat est perpétré dans les mêmes conditions, à la différence près qu'il semblerait que le second tueur soit un gamin ayant copié le maître. Les événements se précipitent, Ted Manley est retrouvé décapité, un gamin ayant Auntie Daphné dans la tête est alpagué mais échappe aux policiers dont un qui possède une oreille factice, et des plumes blanches sont retrouvées voletant de-ci de-là. Le gamin s'est défilé mais il a laissé derrière lui une chaussure contenant son pied. Un pied factice lui aussi. Pour Harry Dickson, il faut interroger le fabricant, un artisan ébéniste-prothésiste. Seulement Goodfield a lui aussi été égorgé...

 

Robert DARVEL : Harry Dickson 1.

Le secret de la pyramide invisible. Harry Dickson N°183.

Quatre hommes ont rendez-vous à Haggerdale Manor, un château en ruine dans la lande Whitestone Heath, propriété de Augustus Haggerdale qui n'a pas donné signe de vie depuis des années. Le mystère plane et la mort rôde. Deux ingrédients qui ne peuvent qu'inciter Harry Dickson et son sympathique élève Tom Wills à enquêter sur place. Une affaire qui ne va pas les laisser de glace, à laquelle on ajoute des singes, une pyramide incongrue, une tempête fantastique et autres éléments propices à nous plonger dans une aventure dont les stigmates peuvent se lire sur des visages.

 

Robert DARVEL : Harry Dickson 1.

La treizième face du crime. Harry Dickson N°202

De retour d'Equateur où il a accompli avec succès un accord portant sur l'importation de satin, George Beetham est importuné sur les quais par un barbier qui veut à tout prix lui faire la barbe. Beetham l'éconduit, il n'a pas besoin de ses services, et il s'éloigne rapidement. John Symond, un collègue de notre voyageur devait lui proposer de l'emmener en cab. Tant pis pour George et comme Symond n'a pu se tenir au courant des derniers événements, il achète au crieur qui passe le journal du jour. La manchette annonce un nouveau crime horrible. Le Barbier Gloussant a encore sévi. Et ce n'est pas fini car George est suivi et même précédé par ce fameux barbier, qui n'est pas de Séville. Alors que le figaro s'apprête à trancher la gorge de George, deux piliers encadrant un porche et représentant deux colosses s'emparent de l'individu et le portent dans une niche où se terre la reine Elisabeth, Première je précise, et le broient. Une affaire qui ne peut laisser indifférent Harry Dickson, toujours accompagné de Tom Wills, et entraînera les deux hommes dans les dédales d'un Londres particulièrement sanglant.

 

Robert DARVEL : Harry Dickson 1.

La rivière sans visage. Harry Dickson N°181.

Tom Wills est sous le choc de l'émotion. Son ami Jack Crofton avec qui il a couru de multiples dangers et fait les quatre-cents coups a disparu. Jack Crofton est surnommé Fascicule Jack à cause d'une particularité indélébile : il a le visage tatoué. Mais pas n'importe quels tatouages. Un fatras de lettres et de mots scarifiés par des marins qui ne lui avaient pas pardonné son intrusion dans un schooner. Tom Wills faisait partie de l'équipée mais agile comme une anguille il avait pu échapper aux griffes des matelots vindicatifs. Bref Fascicule-Jack a disparu et c'est inquiétant. Harry Dickson promet de tout faire pour le retrouver et leur enquête sera jalonnée de personnages tous plus inquiétants les uns que les autres.

L’Homme qui n’avait pas tué sa femme, le détrousseur à l’étalingure et des Six Couples Sanglants, un spirite ambulant et sa charrette à ectoplasmes et bien d'autres phénomènes.

 

Harry Dickson s'amuse. Inédit.

Nouvelle inédite qui clôt avec bonheur cet ouvrage et est suivie d'une postface mêlant fiction et réalité, vécu et imaginaire.

Le modeste jardin botanique de Bridgenorth est clos au public le soir. Les deux gardiens veillent consciencieusement à fermer à double tour les entrées qui sont dans l'autre sens les sorties. Toutefois, dans les bâtiments toute vie n'est pas exclue. En effet des chercheurs travaillent sur des plantes médicinales rares dont Lafolley qui reste tard dans la serre qui leur est attribuée. Redhead et deMars attendent tranquillement dans leur logement que le souper leur soit servi. Les deux hommes aperçoivent une silhouette de femme qui s'approche de la serre où se tient Laffoley et il leur semble qu'il s'agit de leur collègue miss Lafertoe en train de marmonner. Un cri retentit et peu après Lafolley est retrouvé mort.

 

Un ouvrage à conseiller pour tous les nostalgiques d'Harry Dickson et aussi à ceux qui veulent découvrir de nouveaux auteurs qui sortent du lot et reprennent l'héritage des grands anciens avec bonheur.

On y retrouve l'ambiance, l'atmosphère fantastique, fantasmatique même, qui prédominent dans les nouvelles du sieur de Gand, un mélange d'enquêtes policières et de surnaturel, effarantes, surprenantes, ahurissantes, inventives.

Un registre dans lequel Robert Darvel excelle et qu'il est bon de découvrir dans une collection moins confidentielle que les fascicules qu'il édite, même si ceux-ci sont proposés en ligne sur un site cavalier.

 

Pour retrouver toutes les publications du Carnoplaste, rendez-vous ci-dessous :

Robert DARVEL : Harry Dickson 1. Collection Hélios noir N°49. Editions Les Moutons électriques. Parution le 3 mars 2016. 322 pages. 9,90€.

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2 juin 2016 4 02 /06 /juin /2016 12:57

A ne pas confondre avec Le Mort descend ou Le Sort dément...

Gilles VIDAL : Le sang des morts.

Vernais, paisible station balnéaire, sur laquelle brille implacablement le soleil estival... Mais en grattant bien la couche superficielle, il s'avère que le côté débonnaire n'est que de façade, vanté pour des fins touristiques. Ainsi que fait le cadavre d'un homme dans une piscine hors sol posée sur la pelouse en attendant l'installation d'un véritable aquarium pour humains ? Margot Farges la sirène déçue par un mariage où elle pensait trouver uniquement calme et prospérité est en colère. Elle vient d'apprendre que son mari diffère d'une journée sa rentrée au bercail.

Théoriquement il est en déplacement pour son travail, mais elle sait qu'il en profite pour planter ailleurs son couteau qui lui sert à découper le contrat de mariage. De toute façon elle s'en moque, du moment que sa carte de crédit est approvisionnée, il peut faire ce qu'il veut. Elle lui reproche surtout son manque de franchise. Alors pour calmer sa mauvaise humeur légitime, elle décide de prendre un bain dans le jardin et c'est ainsi qu'elle trouve au pied de l'échelle amovible, une paire de chaussure et des vêtements. Et un corps qui flotte sur le ventre. Suicide ? C'est à Garcia, le médecin légiste d'en décider. Les policiers ont été prévenus par un appel téléphonique anonyme et le lieutenant Stanislas Delorme, Stan pour les intimes dont bientôt fera partie Margot, est sur place lorsqu'elle reprend ses esprits.

Stan est un inspecteur consciencieux, apprécié de son supérieur le commissaire Vignes, et lorsqu'il rentre chez lui, il est accueilli avec une joie exubérante par Lucky, un Westie blanc qu'il a adopté. Il distribue les câlins comme si c'était un gamin. On pourrait penser que tout va bien pour Stan, seulement son père qui vit en dehors de la ville est bloqué dans un fauteuil roulant, suite à un accident vasculaire cérébral, ce qui ne l'empêche pas de se rouler un petit joint de temps à autre, reliquat de sa période hippie. Un défaut qu'il pense ignoré de son fils.

Félicien Faderne est atteint de troubles obsessionnels compulsifs, et il lui faut vérifier à plusieurs reprises si tout est bien rangé, les fenêtres closes et les robinets fermés. Maniaque il néglige toutefois sa vêture. Du moment que sa clé USB soit bien entreposée dans la poche intérieure de son blouson, peu lui importe la façon dont il s'habille. Une clé précieuse, car Félicien travaille toute la journée sur un écran manipulant des chiffres. Et à trente ans il a l'avenir devant lui. Il travaille pour un centre de recherches. Et quelques balles qui sifflent à ses oreilles en sortant ce jour là de chez lui. Une voiture qui vrombit, une voix qui l'interpelle, il n'a pas le temps de réfléchir et le voici à bord d'un véhicule conduit par une jeune femme qui n'a pas froid aux yeux. Devant l'attitude autoritaire d'Anne, c'est ainsi qu'elle se présente, il se demande si elle l'a sauvé des envies meurtrières de personnages vindicatifs, ou si elle l'a enlevé pour des raisons qui restent à déterminer. Il doit jeter son téléphone portable par la fenêtre de la voiture, quant à son ordinateur portable elle ira le récupérer. Du moins elle le promet car il se sent tout nu sans son micro qui est un prolongement de lui-même. Et elle s'entretient régulièrement par téléphone avec un certain Horb.

Walter, qui travaille pour une agence en écrivant des articles pour des catalogues, mais rêve de devenir romancier, est contacté par son jeune frère Stephan, avec lequel il communique rarement. Stéphan lui apprend que leur père a été retrouvé. Il s'était échappé d'un hôpital où il était interné depuis des mois. Quant à leur mère, elle a disparu douze ans auparavant, sans plus jamais donner de nouvelles, et Stéphan a eu beau effectuer des recherches et alerter le commissariat, elle est toujours dans la nature. Quant à Irène, l'ancienne petite amie de Walter, elle refait surface, sans crier gare et il semblerait qu'elle soit totalement paumée.

Un nouveau meurtre est découvert, et le corps pourrait être celui d'un Russe car il possède des tatouages, des inscriptions en cyrillique.

Un homme tout nu brandissant une pioche (peu après ce sera une bêche, comme quoi on ne peut pas se fier aux témoignages) a été arrêté en pleine rue. Il est interné d'office pour démence, mais en pénétrant dans le jardin puis dans la maison, Stan et les policiers qui l'accompagnent sont stupéfaits par ce qu'ils voient. Un véritable dépotoir, pire qu'une décharge, et à l'intérieur, des cadavres. D'autres corps seront retrouvés peu après en déblayant les ordures, mais ils ont en commun d'avoir le visage scarifier, comme si quelqu'un s'était amusé à le remodeler.

 

Ces événements, en apparence disparates et sans rapport entre eux vont bientôt se réunir pour former un tableau à la Jérôme Bosch, des pièces de puzzle qui vont s'emboiter inexorablement.

Tous les protagonistes de ce roman possèdent une coupure, une fêlure, une fissure, une fracture mentale ou physique, et personne n'est épargné par le sort qui s'acharne inéluctablement sur leur intégrité. Même ceux qui ne font qu'une apparition furtive ont droit à un petit portrait, soit de leur aspect vestimentaire, de leur déchéance, de leur passé. Ainsi cette dame qui arbore des tee-shirts avec des phrases en forme de contrepèteries du genre : Pensez le changement au lieu de changer le pansement. Et sous forme de bande-sons, des nombreuses références discographiques ponctuent le récit, tout comme celles qui sont littéraires. Anne est aussi appelée Zatte, car Ouarzazate et mourir, titre d'un roman d'Hervé Prudon dans la série du Poulpe.

Certaines scènes, certaines extrapolations dans le déroulement du récit viennent parfois interférer, mais cela apporte un petit piquant tout comme quelques feuilles de persil ou deux trois brins de ciboulettes disposés élégamment donnent une touche de couleur à un plat de crudités sans le dénaturer.

Réédition Multivers Editions. Formats ePub ou Kindle : 3,99€.

Réédition Multivers Editions. Formats ePub ou Kindle : 3,99€.

Première édition Collection Zone d'Ombres. Editions Asgard. Parution 22 janvier 2014. 380 pages. 19,00€.

Première édition Collection Zone d'Ombres. Editions Asgard. Parution 22 janvier 2014. 380 pages. 19,00€.

Gilles VIDAL : Le sang des morts. Réédition Collection Hélios Noir. Editions ActuSF. Parution le 2 juin 2016. 400 pages. 8,00€.

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1 juin 2016 3 01 /06 /juin /2016 08:10

Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir.
Monsieur le président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer de pauvres gens.

 

Patrick S. VAST : Insoumis.

Insoumis, ce n'est pas être déserteur, mais presque.

En cette fin de juin 1961, selon certaines rumeurs, la guerre d'Algérie, ou les événements d'Algérie comme il était bon de la nommer pudiquement, touche à sa fin. Une décision qui n'est pas encore entérinée.

Jean Boitel, dont le voisin vient de décéder dans le Djebel, n'a pas du tout envie de partir de l'autre côté de la Méditerranée dans un conflit qui ne le concerne en rien et de terminer comme ce voisin, juste un nom sur une plaque. Son statut de soutien de famille n'a pas été reconnu. Et puis il y a Noëlle. Noëlle Damour de son si beau nom complet. Ils ne sont pas fiancés, mais presque. Alors lorsque son ancien professeur de français, monsieur Ménuge, lui propose de le cacher jusqu'à ce qu'il puisse partir se réfugier en Suisse, il n'hésite pas. Il prévient Noëlle et il se terre dans la maison des Ménuge, près du canal.

A Béthune à cette époque, il n'y avait pas que le bourreau qui officiait comme catcheur sur les rings, il y avait aussi les appelés fiers de porter le costume. Et ceux-là ils ne se gênent pas pour brocarder Jean Boitel, l'insoumis, et importuner Noëlle, surtout en ce soir de bal du 14 juillet 1961. La jeune fille doit retrouver Jean dans son refuge, mais elle ne sait pas qu'elle est suivie par trois individus mal intentionnés.

Les adieux sont tendres mais Noëlle n'a pas de temps à perdre et repart à vélo. Un homme vient chercher Jean qui doit convoyer par la même occasion une valise. L'un des trois individus éméchés veut entrer afin de s'en prendre à Jean mais l'inconnu l'abat de deux balles. Le mort était un militaire imbu de son uniforme. L'un de ses compagnons affirme que c'est l'insoumis qui a tiré. Noëlle sait que c'est faux, mais elle ne peut avancer de preuves.

Jean est convoyé jusqu'à Paris, seulement ses déboires ne sont pas terminés. Il est d'abord hébergé chez une famille d'Algériens, mais ceux-ci sont abattus chez eux. Jean peut s'enfuir et il est recueilli par une prostituée qui le confie à une concierge, laquelle le cache dans une pièce secrète qui avait servi à dissimuler des Juifs sous l'Occupation. Il y vivra quelques années, apprenant par la télévision qu'il est recherché pour le meurtre d'un appelé et condamné à mort par contumace. Mais il devra à nouveau fuir et gagnera le Gers, muni de faux papiers établis au nom d'un soldat du contingent.

Pendant ce temps Noëlle se morfond, n'ayant pas de nouvelles de son amoureux. Elle se mariera même avec celui qui a établi un faux témoignage, car il exerce sur elle un chantage.

A une soixantaine de kilomètres de là, alors que se déroulaient les événements qui ont amené Jean Boitel à devenir un paria recherché pour meurtre, Irène pleure son fiancé. Il dirigeait un petit commando qui est tombé en embuscade. Quatre de ses compagnons sont retrouvés morts, mais Philippe Orval a disparu, probablement enlevé par les fellaghas. Elle espère son retour un jour.

 

Nul doute que de ce roman à l'intrigue qui narre quarante années d'histoire, remémorera quelques souvenirs aux lecteurs sexagénaires. Les années d'insouciance pour les uns, de troubles pour d'autres.

Les groupes de musiciens de rock fleurissent un peu partout, certains ne vivant que le temps de deux ou trois disques, la jeunesse s'amuse tandis que les anciens regrettent le bon temps de l'Algérie Française. Pas tous évidemment. Les avis sont partagés, mais partir pour le front pour la plupart signifie accomplir un devoir nécessaire pour garder les départements français d'Algérie, encouragés par les anciens. Et tandis que tous ont encore en mémoire que les Résistants défendaient leur patrie lors de l'Occupation, peu comprennent que les Algériens veulent se débarrasser de la tutelle des coloniaux français. Des nostalgiques de la France colonialiste. C'est aussi l'arrivée massive de ceux qui sont surnommés les Pieds-noirs, qui, pour certains gros propriétaires fonciers, se retrouvent démunis en arrivant en Métropole et remontés contre le gouvernement.

C'est pudiquement que Patrick S. Vast raconte cette histoire d'amour et de fuite, d'attentes et de recherches, de résurrection presque et de désillusions. Dans une atmosphère où les petits plaisirs se trouvent au pied de la porte, que la révolution sexuelle n'a pas encore détruit les tabous, que le chômage existait peu, que la richesse était surtout dans les cœurs, les mois se passent sans heurts visibles mais les revendications pointent le bout de leur nez. Et si l'auteur recense les faits marquants c'est bien pour remettre l'Histoire dans son parcours et souligner l'évolution des mœurs dans un sens qui ne correspond pas à des idées utopiques. Quarante années passent avant que le dénouement trouve sa justification.

Pourtant, malgré les démêlés subis par le héros, Jean Boitel et les dommages collatéraux qui ont touché Noëlle et quelques autres, on peut se dire qu'on vivait une époque formidable, malgré le service militaire et les soubresauts belliqueux. Mais il est vrai que les préoccupations des adolescents différaient de celles des adultes. Et le ressenti de lecture sera différent selon l'âge du lecteur, adolescent mature, quadragénaire senior ou vétéran sexagénaire, lequel a vécu de l'intérieur toutes les transformations et les événements décrits.

 

La chanson Le Déserteur de Boris Vian a été reprise par Les Sunlights en 1966.

Patrick S. VAST : Insoumis. Editions Aconitum. Parution le 2 mai 2016. 192 pages. 15,90€.

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31 mai 2016 2 31 /05 /mai /2016 09:20

Bon anniversaire à Serge Brussolo, né le 31 mai 1951

Serge BRUSSOLO : L’Enfer, c’est à quel étage ?

L’univers de Serge Brussolo est étrange, fascinant, captivant, démoniaque, angoissant et autres qualificatifs que vous voudrez bien lui attribuer. Son nouvel opus ne déroge pas à la règle. Enfin, quand je dis nouvel opus, je me comprends et vous saurez pourquoi à la fin de cette notice.

Jeanne, qui a effectué pas mal de petits boulots et a même connu le succès avec un roman, le second n’ayant pas répondu à ses espérances et enregistré un bide monumental, n’a d’autre solution pour subsister que de répondre à une petite annonce. Elle se présente donc comme modèle nu auprès d’un sculpteur habitant une drôle de maison dans une impasse.

Un hôtel particulier qui ressemble vu de l’extérieur à un soufflet au fromage ou à un chou-fleur, à la surcharge décorative baroque. A l’intérieur, ce n’est guère mieux, avec toutes ces statues qui trônent dans un hall qui ressemble à un tunnel creusé dans une congère. L’individu qui officie en tant que concierge n’est guère avenant mais après tout ce qui lui importe est de trouver un job et de pouvoir manger à sa faim.

La première séance de pose se passe bien et elle est engagée, et même logée, dans une chambre de bonne au sixième étage, chez ce sculpteur qui ressemble plus à un boucher qu’à un artiste. Mais il ne faut pas se fier aux apparences (appâts rances ?) et surtout oublier que dans cette demeure s’est déroulé cinquante ans auparavant un drame qui pèse encore dans tous les esprits.

La fameuse maison Karkersh, dont le corps du propriétaire a été retrouvé déchiqueté dans le zoo adjacent. Trois sœurs se seraient suicidées, de manière différente, dans trois des chambres de bonne contiguës à celle de Jeanne et les avis divergent sur la mort de Karkersh : suicide en se jetant de la fenêtre de son balcon, ou dépeçage organisé par sa parentèle ?

Jeanne rêve qu’elle aussi est la proie de ces apprentis bouchers, et des marques de stigmates apparaissent durant son sommeil. Sans oublier cette étrange bâtisse qui recèle bien d’autres secrets, ces statues dans le hall qui ne seraient que moulages de plâtre sur des ossements humains, et une étrange machine dans la cave qui mène aux catacombes.

 

Catacombes est d’ailleurs le titre de la version abrégée de ce roman paru en 1986 dans la collection Anticipation du Fleuve Noir, sous le numéro 1491, un roman qui aurait dû paraître dans la collection Angoisse si celle-ci n’avait été supprimée depuis des années.

L’Enfer c’est à quel étage ? titre sous lequel est réédité ce roman n’a pas vieilli, au contraire, même si le lecteur doit effectuer quelques réajustements de dates afin de comprendre la genèse de l’histoire, et contient tous les phantasmes et obsessions qui parsèmeront l’œuvre de Serge Brussolo depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui.

La maison, lieu idéal d’une mise en scène angoissante et étouffante par idéal, mais également par touches subtiles le froid, la glace, la mer. Même pour ceux qui ont lu Catacombes, je conseille cette lecture, ne serait-ce que pour en apprécier la teneur et se rendre compte des aménagements qui avaient été jugés nécessaires à l’origine, pour la simple et bonne raison d’une politique éditoriale basée sur une pagination uniforme. Coût de rentabilité oblige, présumé-je.

 

Première édition : Collection Moyen Format, éditions du Masque, 2003. 252 pages.

Première édition : Collection Moyen Format, éditions du Masque, 2003. 252 pages.

Collection Anticipation du Fleuve Noir, sous le numéro 1491, en 1986.

Collection Anticipation du Fleuve Noir, sous le numéro 1491, en 1986.

Serge BRUSSOLO : L’Enfer, c’est à quel étage ? Réédition Le Livre de Poche. Parution 1er septembre 2004. 220 pages. 5,10€.

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Présentation

  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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