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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 14:35

Ah, ma Zaune... à risques...

Jean-Hugues OPPEL : Zaune.

Au cours d'une partie de poker dans un pavillon inhabité de la banlieue parisienne, Zaune, la belle et flamboyante Zaune, la sage Zaune s'aperçoit avec colère et dépit que son frangin Nanar a repiqué au truc.

Pourtant il lui avait bien promis de ne plus se droguer, de ne plus jouer avec la seringue, de ne plus se transformer en passoire. Peine perdue.

La partie terminée, tout le monde rentre chez soi, retrouver ses petites habitudes. Zaune en profite pour passer un savon à son jeune frère. Mais ils ne sont pas seuls. D'une voiture s'élève une voix se rappelant au bon souvenir de Nanar.

Celui-ci s'enfuit avec ses problèmes et son manque. Il rentre en pleine nuit dans l'appartement familial et repart aussitôt.

Le lendemain matin, Zaune procède à une inspection minutieuse de la chambre du frérot. Elle y découvre un revolver, un kilo de blanche et de jolies liasses de billets verts. Elle n'a pas le temps de se demander ce qu'elle va pouvoir faire de ses trouvailles, le carillon de la porte la sort de sa torpeur. Vite, elle cache le revolver et balance la marchandise dans le vide-ordures.

Sue le palier, un  inspecteur de police fait le pied de grue, désirant rencontrer le drogué en fuite. Elle rembarre le flic et lui fausse compagnie. En tête, une idée, une seule. Retrouver Nanar et le remettre dans le droit chemin, lui sauver la mise.

D'un no man's land banlieusard au Chinatown du 13e en passant par la MJC qu'elle fréquentait toute jeunette, Zaune ne perd pas son temps. Peut-être ses illusions, ou ce qu'il en restait.

Deux malfrats et le flic sont à ses trousses, aux basques du frangin, et à la recherche active de la marchandise. Moustache, l'un des animateurs de la MJC, est un bon gars, il va l'aider. Et le voilà embringué dans une course poursuite qui va laisser des traces aussi bien sur le bitume que dans les corps.

 

Encore une histoire de banlieue, de drogue et de paumés, sauce néo polar, me direz-vous et me ferez remarquer avec juste raison.

Oui, peut-être, mais revue et corrigée par une grande tendresse.

Oppel a supprimé de sa prose nerveuse tous les poncifs, tous les clichés faciles sur la délinquance, le pourquoi du comment et tutti quanti.

Zaune se sent investie d'une mission : protéger son frère, cela ne va pas plus loin. Elle ne se pose pas de questions, elle n'en a pas le temps.

Une histoire dont la banalité se trouve effacée par la force d'évocation avec laquelle Oppel campe ses personnages, transcendée par des courses poursuites à la limite du burlesque et sur laquelle plane l'ombre d'une Jeanne d'Arc inconsciente et banlieusarde en lutte contre la drogue et ses méfaits. Il y a des gagnants et des perdants. Et il y a ceux qui raflent la mise sans avoir participé au jeu.

 

Première édition : Série Noire N°2257. Parution 1991. 192 pages.

Première édition : Série Noire N°2257. Parution 1991. 192 pages.

Jean-Hugues OPPEL : Zaune. Réédition Collection Archipoche. Parution 7 mars 2018. 192 pages. 6,80€.

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10 mars 2018 6 10 /03 /mars /2018 11:12

Pour moi, ce sera cru, comme disait Luce.

James HOLIN : Bleu, saignant ou à point ?

Surchargée de travail, Michèle Scanzoni, avocate parisienne, est exacerbée par l’un de ses clients, comique à la télévision mais imbuvable dans la vie quotidienne. Il vient de chipoter une facture, alors elle le met dehors sans perte ni fracas. Presque.

Alors elle décide d’accéder à la demande d’une amie qu’elle ne voit qu’occasionnellement et qui souhaiterait qu’elle défende son père, vétérinaire-inspecteur dans un abattoir et qui vient de se faire virer. Sise à Hesdin, l’usine de retraitement de la viande hachée, qui ne serait pas de première qualité, et conditionnée pour des plats tout préparés, et l’arrivée d’une nouvelle directrice chinoise, a mis le feu au barbecue. Le propriétaire peu scrupuleux est un courtier en viande bovine, un maquignon comme on disait dans le temps, fils de chevillard, qui magouille un peu partout et partout un peu. Le véto, Gilbert Castillon, vit dans un camping-car, sur une plage du Touquet, dans un camp de réfugiés, s’étant fait mettre à la porte par sa femme qui lui réclame une pension avec insistance. Bref le gars est vraiment mal embarqué

Comme la demi-sœur de Michèle lui demande dans le même temps d’aller rendre visite à Cousin Pierre, atteint d’un cancer et soigné dans un clinique du Touquet, Michèle décide d’aller prendre l’air du large et de laisser ses dossiers, nombreux, en attente.

A près de soixante ans, Michèle est une femme qui attire les regards des jeunes hommes et, alors qu’elle va se chercher des cigarettes afin de se calmer les nerfs après l’échauffourée avec le comique du petit écran, elle se fait draguer par un jeune homme qui dit s’appeler Drago. En réalité son nom est plus long, mais pour la notule le décliner entièrement n’a aucun intérêt. Et le Drago dragueur collectionne les numéros de portable, afin de pouvoir participer à un jeu du meilleur séducteur. Il porte un micro et son frère Emir enregistre en vidéo ses approches auprès des femmes afin de justifier la possession de ce numéro. Il lui en faut dix et pour l’heure il n’en a récolté que cinq. Et l’échéance arrive très vite. Et il doit se rendre au Touquet afin de participer à une compétition internationale entre les meilleurs séducteurs.

Revenons au Touquet et retrouvons Michèle qui rend une petite visite à Cousin Pierre, et va se mettre en relation auprès de l’irascible véto. Cousin Pierre n’est plus qu’une loque, mais il demande des trucs impossibles à manger. Il est journaliste à la Voix du Nord, et a enquêté sur diverses affaires, dont la disparition d’une Camerounaise, joueuse de rugby dans l’équipe de l’Ovalie touquettoise et travaillait pour Plankaert. Et il demande à Michèle d’aller chercher chez lui un dossier qui lui est consacré à la disparue.

Le véto malgrâcieux la reçoit comme s’il s’agissait d’un os dans un hachis Parmentier. Tandis qu’elle essaie de discuter avec lui, il reçoit la visite d’un homme affublé d’une tache lie de vin sur tout un côté de la figure. Il se nomme Tancrède mais tout le monde le surnomme Fraise-Vanille. Il est transporteur entre le Nord de la France et les Pays-Bas, de viande principalement, mais d’autres marchandises illégales.

Le brigadier Stalter la prévient que le véto est porté aux abonnés absents, son camping-car ayant été fracturé et visité. Départ précipité ou enlèvement ? Lui aussi est sur la piste de Fraise-Vanille. Pendant ce temps, Plankaert, le courtier en bidoche indélicat est en tractation avec un juteux marché de viande plus ou moins frelatée, de la viande de cheval en provenance du Mexique. Il est marié avec une ancienne actrice porno qui dirige un cabaret de transformistes, tous des joueurs de rugby dans une équipe du Touquet appartenant à un club présidé par Plankaert lequel s’occupe également d’une équipe de rugby féminine.

Le décor est presque posé. Reste à signaler que Drago se fait de se plus insistant auprès de Michèle qui va l’entraîner dans un bar de Boulogne fréquenté par des rockeurs tendance Heavy-metal dont Fraise-Vanille. Et que lorsque Michèle se rend chez Cousin Pierre, une femme y est déjà. Michèle se fait agresser mais elle parvient à mettre en fuite l’indélicate. Indélicate qui a tenté de l’occire à l’aide d’un pistolet d’abattage, et s’est emparée du dossier constitué par Cousin Pierre de la Camerounaise. Elle en fait part à Stalter qui justement travaille lui aussi sur cette disparition mais est occupé à traqué un clown qui s’amuse à effrayer les passants avec une tronçonneuse.

 

Placé résolument sous le signe de l’humour noir, ce roman nous réserve de belles surprises ainsi que des scènes parfois désopilantes. L’auteur souffle le froid et le chaud, sur cette histoire qui nous ramènera quelques années en arrière avec le scandale de la viande.

Un sujet grave dédramatisé par l’humour qui règne en permanence dans le récit mais qui ne l’étouffe pas. Un peu comme ces vieux films muets dits comiques mais n’excluaient pas les côtés dramatiques, les vieux Charlots ou Laurel et Hardy qui gardaient une grande part de réalisme et d’humanisme. Ou encore, un peu plus tard, les Branquignols qui savaient nous faire rire tout en préservant une part de tendresse. Mais sans oublier les films d’horreur de Tod Browning par exemple.

Ainsi les passages dans lesquels une femme s’invite, s’impose même, dans les chambres d’hôpital, voulant absolument jouer de son violoncelle, afin d’apporter un peu de bonheur aux patients, ne se rendant pas compte qu’elle les indispose.

Ou lorsque Drago, en compagnie de son frère Emir, doit déménager un piano, dans des conditions ubuesques. Drago qui prend une place importante dans ce roman, avec son côté quelque peu naïf, désireux de devenir un grand séducteur et s’installer comme coach, abordant les femmes selon des critères bien établis, mais le résultat, coucher avec elles, n’est pas primordial. C’est encore un gamin dans un corps d’adulte avec un aspect attendrissant.

Mais ça, c’est pour la partie humoristique du roman, car il faut aussi considérer la partie saignante de l’intrigue, et celle-ci ne fait pas dans le détail. Plutôt dans le gros et le demi-gros, et les carcasses sont malmenées. Comme à l’abattoir.

Un roman qui se dévore, pourtant c’était mal parti. Dès la première ligne, j’ai sursauté :

Attablé devant une côte de bœuf de deux kilos et un saut de frites profond comme un panier de basket, Plankaert sifflait son dixième verre de vin.

Puis je suis amusé à évoquer un saut de frites dans le seau devant un sot, et ayant déblayé de mon esprit cette image, j’ai continué ma lecture, et bien m’en a pris car il s’agit d’un véritable roman que l’on dévore, telle une pièce de bœuf savoureuse et gouteuse.

 

James HOLIN : Bleu, saignant ou à point ? Collection Polars en nord N°249. Editions Ravet-Anceau. Parution le 12 février 2018. 352 pages. 15,00€.

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7 mars 2018 3 07 /03 /mars /2018 10:03

Une histoire qui ne se termine pas en queue

de poisson...

Hervé JAOUEN : Sainte Zélie de la palud.

A l’âge de douze ans, Paolig, qui signifie Petit Paul en breton, a refusé de continuer ses études. Tant pis pour l’instituteur et le certificat d’études. Il est assez grand maintenant pour aider sa mère, marchande de poisson itinérante.

Ils habitent dans un pennti situé dans la palud de Poulguen, un endroit désert et guère aménagé. Ils vivent de peu, et cela leur suffit. La mère, Zélie, s’approvisionne à la criée du Guilvinec, puis elle vend ses poissons dans les petits hameaux environs, tirant sa carriole, allant au devant de ses clientes, et n’oubliant pas de s’arrêter, souvent, trop souvent, dans les chapelles disséminées sur son chemin. Les chapelles, euphémisme pour désigner les bars, pas les poissons, où elle s’enfile moult boissons alcoolisées. Et le soir, elle rentre le plus souvent éméchée, pour ne pas dire plus.

Mais à douze ans, Paolig aide sa mère, la ramène et la couche, afin que le lendemain elle soit à peu près vaillante pour effectuer ses tournées. Et c’est ainsi que lui aussi goûte au gwin ru, le vin rouge, puis se met à fumer. Mais à force de consommer, elle se consume, et elle n’a que trente-cinq ans lorsqu’elle décède. Paolig n’a que seize ans, et l’avenir est comme les marais, le plus souvent plongé dans le brouillard.

Alors il effectue de petits boulots, aidant les uns et les autres, puis il s’engage, après tout ce n’est peut-être pas pour rien qu’un des élèves l’avait surnommé le fils de l’Amiral. Il avait ramassé dans son filet quelques sirènes, dont une qui semble s’y connaître en matière de fraie, lui montrant comment faire afin de le dessaler et surtout se dérober au moment crucial.

Au fil des années Paolig grandit, pas forcément en sagesse, et à la fin de la guerre, il est marin pêcheur, et surtout poivrot. Un accident de pêche va lui changer la vie et il va prendre une grande décision. Ne plus boire. Et il reprend la suite des mareyeurs, ceux qui approvisionnaient sa mère, partis à la retraite, et il se débrouille mieux que ses confrères, devenant un requin dans la profession.

Et puis, un jour, alors qu’il fait sa tournée pour démarcher des restaurateurs, il tombe en extase devant une jeune fille, Marie-Morgane, l’une des sœurs Gwenan, et c’est réciproque. Lui, le vieux loup de mer, est accroché à l’hameçon de l’amour, c’est le mariage, les affaires sont florissantes, Marie-Morgane mène la barque en s’occupant de la comptabilité, des factures, de tout ce travail de bureau peu exaltant aux yeux de Paulo, devenu le grand Paulo. Et ils ont une fille, Pauline, qui appâte les clients, mais dans un autre domaine, celui de la banque et des marchés boursiers.

 

Hervé Jaouen nous entraîne dans le septième volume de la saga des Scouarnec-Gwenan qui pourrait être une sorte de Rougon-Macquart de Zola ou des Jalna de Mazo de la Roche, saga ancrée dans une Bretagne qui évolue au fil des décennies.

La trame de ces romans est principalement située dans le pays bigouden, au sud du Finistère, et l’auteur nous fait voyager dans le temps, à la recherche d’un passé révolu. Le lecteur sent le goût salé du large sur sa langue rien qu’en lisant les descriptions de la vie quotidienne du début du vingtième siècle jusqu’à son crépuscule.

Dans une langue fleurie, usant de métaphores amusantes dans certaines situations, Hervé Jaouen ne joue pas dans le sensationnel, il met en scènes des personnages et des situations qui sont banals et pourtant pas insignifiants. Ainsi Zélie, pocharde, qui a eu un enfant qui ne connait pas son père, et pourtant ils vivent en osmose, sans regret du passé, et ne regardant pas l’avenir comme un but à atteindre. Les journées passent, au rythme des nuages dans le ciel, et la tempête ne sévit pas toujours sur la mer. Les chaussures à bascule des marins vont aussi très bien aux terriens, houle provoquée après quelques lampées de gwin ru et de lambic, ou encore de panaché, mélange moitié Saint-Raphaël (on honore les saints que l’on veut) moitié cognac (pas de chauvinisme avec les boissons alcoolisées, il faut que tout le monde vive de son travail).

Ce qui prédomine, c’est l’amour filial que porte Paolig envers sa mère, ne lui reprochant pas sa propension à la boisson, ou le lui déclarant avec gentillesse, la couchant lorsque la marée est trop forte. Malgré toutes les vicissitudes endurées, il restera près de sa mère qui jamais n’a porté la main sur lui.

Devenu adulte, patron mareyeur, malgré le peu d’instruction qu’il possède, il ne s’en laisse pas conter, et surtout compter, par des jeunots. Ainsi lorsqu’un jeune directeur d’Hypermarché lui propose un marché sur des tourteaux à la veille de Noël. Seulement les conditions dans lesquelles ce marché est passé ne plaisent guère au Grand Paulo, qui édicte ses conditions, démontrant que les diplômes obtenus dans une école de commerce ne valent rien devant l’expérience acquise sur le terrain.

Dans une autre vie, Hervé Jaouen a aussi travaillé dans le système bancaire, et il nous fait partager son expérience personnelle via Pauline, chargée des portefeuilles boursiers, des clients divisés en trois catégories, les « prudents », les « dynamiques » et les « agressifs ».

Un roman entre terre et mer, qui nous permet de constater l’évolution de la vie quotidienne des petites gens, et comme l’a écrit Michel Embareck :

Ce n’était pas mieux avant et les lendemains sont toujours pires que la veille.

 

Citations :

Une femme, c’est comme un bouquet de roses, faut oublier les épines et respirer son parfum.

Nous étions instituteurs. En d’autres termes, des soutiers de l’Education nationale.

De la lanterne du phare, seul le cynisme offre une vue panoramique sur la comédie humaine.

Et retrouvez les précédents romans de la saga des Scouarnec-Gwenan, romans qui se lisent séparément :

Les filles de Roz-Kelenn, Ceux de Ker-Askol, Les sœurs Gwenan, Ceux de Menglazeg, Gwaz-Ru et Eux autres, de Goarem-Treuz.

 

 

Hervé JAOUEN : Sainte Zélie de la palud. Collection Terres de France. Editions Presses de la Cité. Parution le 1er mars 2018. 400 pages. 20,00€.

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6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 09:45

Avant la vache folle, il y eut la roue folle… A chaque époque sa folie.

Anthony BUCKERIDGE : Bennett et la roue folle

Destinés plus aux préadolescents qu’aux enfants, la série Bennnett de l’Anglais Anthony Buckeridge connut vingt-quatre épisodes dont vingt-deux furent traduits en France.

Cette série est résolument placée sous le signe de l’humour, un comique de situation mais également ponctué de quiproquos à cause d’une incompréhension entre les propos des élèves, et particulièrement de Bennett, et des adultes, le plus souvent Monsieur Wilkinson, l’un des professeurs de la Troisième Division du collège de Linbury, près de Dunhambury, deux petites villes imaginaires du Sussex.

Le plus souvent, Bennett et son ami Mortimer, onze ans, sont opposés dans des situations comiques qui risquent de s’envenimer à Wilkinson, dit Wilkie par les élèves, lequel est assez soupe-au-lait et ne comprend pas toujours soit ce que veulent dire les deux enfants, soit ce qu’ils veulent entreprendre ou ont déjà réalisés en toute bonne fois. Les autres professeurs, Carter et madame Smith, prennent les situations avec bonne humeur, déminant les imbroglios, et n’en tiennent aucune rigueur aux gamins qui gaffent, souvent involontairement.

Et chaque chapitre est autant de petites scènes, parfois désopilantes, souvent cocasses, mais dont ne se rendent pas compte les acteurs.

Tout débute lorsque pour son Noël Bennett se voit offrir par sa tante un carnet rouge dans lequel il doit consigner quotidiennement ce qu’il fait de ses journées. La carotte pour tenir régulièrement son journal étant un beau billet de cinq livres à la fin de l’année. Seulement, ce carnet étant confidentiel, Bennett trouve une astuce : écrire à l’envers. Seul Mortimer est dans la confidence de ce code.

Une interrogation d’histoire est prévue avec M. Wilkinson, le peu sympathique professeur et Bennett en est malade. Mentalement et physiquement. Il est soigné par Mrs Smith qui prend sa défense auprès du prof acariâtre et en remerciements Bennett veut lui offrir quelque chose. Mais quoi, telle est la question.

Alors il se rend en compagnie de son ami Mortimer à Dunhambury mais avec seulement cinquante pence en poche, les possibilités sont réduites. D’autant que l’argent file vite, location de vélos pour se rendre à la petite ville, obérant partiellement leur pécule. Mais Mortimer n’a jamais fait de vélo, hormis ceux munis de stabilisateurs. Et comme les vélos sont dans un médiocre état, le parcours est jonché d’incidents.

L’attrait de la fête foraine, l’achat d’un cornet de frites, et le passage au stand de tir est quasiment néfaste au reliquat de leur bourse. Et si par un heureux hasard, Bennett gagne une coupe en verre taillé, celle-ci est brisée lors du retour. Et la roue folle me demanderez-vous, avec pertinence. L’épisode se déroule un peu plus tard. Bon, d’accord, allons-y tout de suite, et ne perdons pas de temps en chemin, malgré les autres scènes drôlatiques qui s’intercalent.

Mais auparavant il me faut signaler que Bennett se verra confisquer son carnet rouge et afin de se plier aux exigences de sa tante, il notera dans un cahier à la couverture verte ses faits et gestes. Une initiative qui lui procurera quelques désagréments en fin de trimestre.

Suite à un os découvert dans les petits jardins alloués aux élèves, Bennett et Mortimer s’intéresse à la paléontologie et l’archéologie, et comme il existe un ancien camp romain non loin du village, ils s’y rendent afin de prospecter et découvrir éventuellement des vestiges romains. Effectivement, en grattant la terre, ils découvrent d’abord une chaîne rouillée, de fort belle longueur et à laquelle est accrochée une vieille roue en bois.

Ils sont persuadés, d’après l’inscription qui est gravée dessus, qu’il s’agit d’une roue détachée d’un vieux char romain. Une découverte inestimable pensent-ils, ne sachant pas que cet objet va les entraîner dans une suite d’épisodes au cours desquels ils auront du mal à rester sereins, les profs aussi d’ailleurs.

Si cette roue occupe une partie de l’histoire, il ne s’agit que d’un épisode et le titre français induit quelque peu en erreur, le titre original devant signifier, si mes notions d’anglais sont encore bonnes, le carnet ou le journal de Jenning, Jenning ayant été transformé en Bennett dans la traduction française.

 

Bennett et Mortimer envisagent de créer un musée d’antiquité d’où la scène suivante :

Extrait :

Comme ils s’élançaient vers l’escalier, ils aperçurent M. Wilkinson qui sortait de la salle des professeurs. Bennett jugea le moment bien choisi pour solliciter sa coopération.

« Pardon, m’sieur ! Nous cherchons des antiquités. Est-ce que nous ne pourrions pas jeter un coup d’œil dans la salle des professeurs pour voir s’il n’y aurait pas quelques vieux fossiles ?

Malheureusement, M. Wilkinson interpréta mal ces mots. Son visage s’empourpra.

« Quoi ? Quoi ? Rugit-il. Des vieux fossiles dans la salle des professeurs ?... Qu’est-ce que c’est que ces allusions impertinentes ? Essayez vous de faire le malin, mon garçon ?

« Pas du tout ! assura Bennett. Je veux parler de trucs pour notre musée, vous comprenez ? Des oiseaux empaillés, par exemple…

Première parution Idéal-Bibliothèque N°263. 2ème trimestre 1964. Illustrations de Jean Reschofsky.

Première parution Idéal-Bibliothèque N°263. 2ème trimestre 1964. Illustrations de Jean Reschofsky.

Si vous désirez en savoir plus sur Anthony Burckridge, sachez que la revue Le Rocambole lui a consacré un numéro double en compagnie d'Enyd Blyton.

Anthony BUCKERIDGE : Bennett et la roue folle (Jennings Diary – 1953. Texte français d’Olivier Séchan). Illustrations de Daniel Billon. Collection Bibliothèque Verte. Parution novembre 1975. 190 pages.

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5 mars 2018 1 05 /03 /mars /2018 13:50

Une palette de nouvelles à la Seurat, un pointillisme littéraire.

Pierre BRULHET : DarKrün. Nouvelles.

Certains auteurs voyagent dans leur tête, et ils s’en trouvent bien, puisant leurs histoires dans un imaginaire personnel. D’autres ont parcouru le monde, enfin une grande partie, et ce qu’ils ont amassé comme images leur permet de faire profiter leurs lecteurs de leurs expériences et des narrations, légendes ou autres, récoltées par-ci par-là, tout en les embellissant et en apportant leurs propres mots, leurs propres envies, leurs propres divagations et ensemencer les fictions de leurs besoins et envies. Pierre Brulhet est une sorte de compromis entre les deux.

Pierre Brulhet est né en 1971 à Coutances dans la Manche mais conçu au Cambodge, et, comme tout bon fils qui se respecte, a suivi son père, coopérant, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire. En 1998, il obtient un diplôme d’architecte avec pour sujet de mémoire : Une base sur Mars. Tout un programme !

Et tel l’architecte, il construit ses nouvelles et romans d’abord dans sa tête, puis les couchent sur le papier, avec ce petit grain de folie sans lequel une histoire n’aurait aucun sel, aucun attrait, aucun goût.

Parmi les treize nouvelles que comporte ce recueil, la première, Le trésor de l’arbre aux fées, et la dernière, Les fantômes de Mars, me semblent assez représentatives de l’imaginaire de Pierre Brulhet.

Le trésor de l’arbre aux fées, qui aurait pu débuter par Il était une fois, prend pour décor le petit village d’Heugueville-sur-Sienne, non loin de Coutances. Un vieil homme qui loge dans l’auberge vient de narrer l’histoire de l’Arbre aux fées à cinq adolescents qui l’ont écouté religieusement ou ont pris son histoire pour une fable.

-C’est vrai ton histoire, Arthus ? demanda un jeune homme à sa gauche.

-Aussi vrai que je me trouve devant toi, Raoul.

Les cinq garçons, dont des frères jumeaux, sont dissemblable physiquement et mentalement. Mais ils se promettent de vérifier les dires du vieil homme et de se rendre selon ses instructions, près de la forêt de Bricqueville-la-Blouette, non loin d’un moulin à eau. Pour accéder à L’arbre aux fées, il faut attendre minuit précise, un soir de pleine lune et le rocher qui barre l’accès se déplace ne laissant passage qu’à une seule personne. Rendez-vous est pris et celui à qui échouera l’honneur de se rendre dans l’arbre aux fées sera tiré au sort avec un jeu de cartes. Il s’engouffrera et accèdera au trésor. Seulement l’heureux élu ne revient pas de son périple.

S’il fallait une morale à ce conte, il ne faut pas aller chercher bien loin. Parfois être différent des autres n’est pas un défaut mais un bienfait.

 

Les fantômes de Mars, nous emmène sur la Planète Rouge, alors qu’un couple d’explorateurs vient de se crasher à bord de leur rover. L’appareil est en position instable et risque à tout moment de s’écraser au fond d’une crevasse. John ressent un mal de tête épouvantable mais il s’inquiète pour sa compagne Margaret, dont le front est ensanglanté. Peu à peu elle revient à elle mais est encore faible. En dépit des consignes, ils décident de rejoindre, engoncés dans leurs scaphandriers, la base située à quelques heures de marche.

 

Entre ces deux nouvelles qui pourraient servir de cadre, Pierre Brulhet peint un tableau à la Seurat, des nouvelles en forme de pointillisme explorant toute la palette de l’auteur, avec le noir et le rouge en couleurs dominantes, avec des touches de vert, de rose et de jaune sable.

Le vert est destiné principalement pour ce que j’appellerai les contes du terroir ou contes normands, Trois amours, La cabane ou Signes. Trois amours est représentatif de l’humour ironique, avec ce vieillard qui narre à trois gamins l’histoire de Jean, leur pauvre père, en cette année 1798. Jean aimait trois femmes, mais il n’arrivait pas à se décider à choisir l’une d’elles pour convoler en justes noces. La cabane nous propulse au mois de juin 1944, alors que la soldatesque normande traque cinq soldats américains qui ont été parachutés dans la région normande. Le général Wolfhart décide de tuer des otages tandis que la jeune Mathilde, onze printemps au compteur mais six dans sa tête, assiste à ce qu’elle croit être une fête du village. Signes est une nouvelle personnelle puisque le narrateur pourrait être l’auteur, alors qu’à dix-sept ans il vivait à Coutances. Une randonnée organisée dans une carrière près de Coutainville alors que le narrateur est subjugué par les écrits de Lovecraft et que son livre de chevet est le Necronomicon ou Livre des morts. L’ombre de Lovecraft plane également dans La faille, puisque l’hôtel qui sert de décor se nomme L’Arkham hôtel.

Le jaune sable se rapporte aux contes africains comme Le long puits ou Spécimen. Specimen narre la quête de la tranquillité dans le désert, tandis que Le long puits se réfère aux origines du Vaudou, des zombies mais surtout du manque poignant d’eau ressenti par les habitants et surtout d’un gamin, Mamadou qui pense pouvoir tirer d’affaire les villageois, malgré les mises en garde de l’Ancien, la Mémoire du village.

Le rose se définit dans des nouvelles comme Le corset, dans lequel des jeunes femmes, Freaks Women Power Show se produisent dans un cabaret. William tombe amoureux de l’une d’elles, habillée d’un corset seyant, et il semblerait que ce soit réciproque. John Clint lui va se confronter aux Poupées, dans une galerie dite les Gorges Noires, et où évoluent des femmes surnommées Mademoiselle B., La Cavalière ou encore la Trompettiste, des poupées plus vraies que nature, habillées de latex.

Les jeux de téléréalité, le dépassement de soi, sont mis en scène dans DarKrün, nouvelle éponyme du recueil, sorte de course à travers le désert, puis les Rocheuses, pour accéder à la récompense. Un million de participants à une quête du Graal, une scène qui m’a fait penser à Marche ou crève de Richard Bachman, alias Stephen King, et qui pourtant est totalement différente. Le jeu encore avec Fantasm 13, auquel Damien a participé et gagné, lui permettant de séjourner durant un an sur une île. Seule contrainte entretenir l’île. Et le soir, grâce à son ordinateur, il se met en contact avec des créatures de rêve.

 

Le Noir et le Rouge dominent dans toutes ces nouvelles, dont certaines prennent pour thème l’Apocalypse, les spectres, l’étrange. Deux frères va même plus loin puisque Bek et Rek sont en Enfer. Mais Bek s’ennuie et il déclare qu’il voudrait mourir, ce qui est impossible lui déclare son frère, puisqu’ils sont déjà morts.

 

D’inspiration fantastique, un fantastique plus ou moins prononcé, ces nouvelles possèdent un point commun : La mort. Et c’est bien la Mort qui constitue le liant de l’ensemble de ces nouvelles, la Mort programmée, accidentelle, voulue, ou sous forme de dommage collatéral.

La mort dont chacun de nous porte le germe qui éclora un jour ou l’autre.

 

Pour découvrir l'univers de Pierre Brulhet, n'hésitez pas à visiter le site de l'auteur.

Pierre BRULHET : DarKrün. Nouvelles. Préface de Jean-Pierre Favard. Collection KholekTh N°28. Editions de La Clef d’Argent. Parution décembre 2014. 210 pages. 12,00€.

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3 mars 2018 6 03 /03 /mars /2018 09:14

Un titre sobre pour une épopée haute en horions…

Jean-Pierre CROSET : 1557. Roman historique.

Le grand Alexandre Dumas peut s’enorgueillir d’avoir engendré une nombreuse descendance d’écrivains populaires œuvrant dans le domaine du roman historique. Parmi les derniers en date, outre Jean-Christophe Portes avec les aventures du jeune chevalier Victor d’Hauterive, d’Eric Fouassier et de son couple composé de la charmante apothicaire Héloïse Sanglar et Pierre de Terrail, alias chevalier Bayard, ou encore de Frédéric Lenormand qui nous présente un Voltaire iconoclaste. Et il va falloir compter, peut-être s’il récidive, sur Jean-Pierre Croset qui nous entraîne dans une histoire concernant Saint-Quentin, sa ville natale, qui connut bien des déboires au fil des siècles et plus particulièrement en l’an 1557.

Car l’Histoire de France n’est constituée que de guerres, internes ou externes, c’est-à-dire de pays belligérants qui désirent envahir la France, ou les rois et empereurs français qui souhaitent s’annexer d’autres contrées, et souvent des faits d’armes sont occultés car trop nombreux et trop lointains.

Depuis des décennies, depuis Louis XII, puis François 1er jusqu’à Henri II, la France est en guerre contre l’Italie ou l’Espagne, et en cette année 1557, ce sont les Espagnols, sous la houlette de Philippe II, alliés avec les Flamands, qui s’apprêtent à mettre le siège devant la ville picarde, recevant le renfort des Anglais.

Car Saint-Quentin, petite ville de huit mille âmes, est un point stratégique sur la route qui mène à Paris. Une maxime dit même : qui acquiert les clés de Saint-Quentin, ouvre les portes de Paris.

 

Mais dans la Grande Histoire, se greffent toujours des épisodes mettant en valeur des personnages qui jamais n’auraient pu se révéler en dehors de l’adversité. Paysans, artisans, commerçants, manouvriers, gens de peu, petits bourgeois, ou encore religieux, tous sont unis dans la défense de la cité. Et ce ne sont pas les femmes qui rechignent à mettre la main à la pâte.

Seulement, le connétable de Montmorency, présomptueux, borné, n’acceptant pas les conseils judicieux de son entourage, va commettre des erreurs et le 10 août, perdra une bataille, et par voie de conséquences de nombreux hommes d’arme. Il sera même obligé de se livrer à l’ennemi, l’amiral de Coligny prenant sa succession à la tête des combattants français. Et fin août, sous les coups de butoirs de l’ennemi, Espagnols, Flamands, Anglais, Saint-Quentin est réduite à se livrer. Les pillages, vols, viols, meurtres sont le lot des perdants.

 

En marge de cette page d’histoire, se greffe les exploits et les amours d’Anne Dassonville, âgée d’à peine dix-huit ans, apprentie apothicaire et fille de Marie, propriétaire et tenancière de l’auberge Au pot d’étain.

Alors qu’elle n’avait que quatorze ans, Anne a perdu son père qui combattait dans les Flandres et depuis elle voue une haine tenace envers les Flamands et les Espagnols.

Montcalm, citoyen anglais et artiste peintre arrive en la bonne ville picarde et trouve logement dans l’auberge. En réalité il s’agit d’un espion, repérant les fortifications. Anne est abasourdie lorsqu’elle se rend compte que sa mère s’est laissée subjuguer par ce bel homme et elle se lance sur ses traces lorsque son oncle Charles, dont elle est l’élève, est retrouvé mort, noyé. En effet grâce à un papier retrouvé dans ses poches, elle est persuadé que le drame a été provoqué par Montcalm. Si elle réussit la mission dont elle s’est chargée, elle est prise en otage par des mercenaires et le jeune Guillaume de Rhuys, un chevalier surveillant les manœuvres de l’ennemi, parvient à la délivrer. En compagnie de deux reîtres elle revient aux abords de Saint-Quentin qui commence à être assiégée.

Guillaume est mandé auprès du roi Henri II qui veut qu’il se rende en Italie, prévenir François de Guise afin que des renforts soient dépêchés en France mais également récolter de l’argent, car les caisses royales sont quasiment vides. Les adieux sont émouvants entre Guillaume et Anne, mais la défense du pays est prioritaire. Et Anne trouve une saine occupation en organisant le ravitaillement de Saint-Quentin participant à la récolte du blé, et autres travaux agricoles. Puis elle participera à la défense de la ville, ne ménageant pas ses efforts, tout en pensant à son amoureux parti sous des cieux lointains.

 

Anne, tout comme ses consœurs de la littérature romanesque et historique, Caroline de Cecil Saint-Laurent, Angélique d’Anne et Serge Golon, Marion de Georges-Jean Arnaud, et quelques autres, va vivre, et subir, des aventures palpitantes, dangereuses, émouvantes, périlleuses, tant durant le siège de Saint-Quentin puis après la reddition de la cité, lorsqu’elle se trouvera à la cour du roi Henri II, à Paris.

Les dangers auxquels elle sera confrontée ne seront plus les mêmes, mais son intégrité physique sera souvent mise en péril. C’est le courage qui l’anime, une impulsion dictée par la vengeance, par l’amour, l’amitié ou l’affection, selon les personnes envers qui vont ses sentiments.

Les violents affrontements entre les belligérants, et tout ce qui concerne les combats, les manœuvres des armées, les combats sur les fortifications, sur les remparts, les assauts, les réactions des chefs d’armée ou de la soldatesque, artilleurs, fantassins, cavaliers, arbalétriers, sont rigoureusement décrits par l’auteur, et cela fait froid dans le dos. Les armées d’aujourd’hui n’ont rien inventé en matière de pillage, de meurtres sur des civils et de viols.

Heureusement, pour dédramatiser cette ambiance lourde, se greffent des passages plus charnels et intimes que les combats au corps à corps. C’est gentiment décrit, et cela ajoute de la saveur au récit qui aurait été sinon trop sérieux dans la gravité et le drame.

Un roman intéressant sur des épisodes souvent ignorés de l’histoire de France et qui met plus en valeur les petites gens que les chefs de guerre. Les intrigues de cour et les complots ourdis par des jalousies réelles ou imaginaires nous ramènent aux conflits de personnes de nos jours. Non, rien n’a changé, surtout pas la politique.

Un roman historique doublé d’un roman d’amour, quoi de mieux pour passer les longues soirées d’hiver, mais pas que !

 

Jean-Pierre CROSET : 1557. Roman historique. Préface de Xavier Bertrand. Editions ZINEDI. Parution mai 2016. 280 pages. 22,00€.

Existe en version numérique : 7,99€.

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28 février 2018 3 28 /02 /février /2018 09:10

Il est préférable de prononcer le nom du Prix Nobel de littérature 2016 à la française, Bob dit lent,

plutôt qu’à l’américaine, Bob dit l’âne….

Michel EMBARECK : Bob Dylan et le rôdeur de minuit.

Les vieux, c’est comme les nourrissons, il faut préciser les mois en rabiot. A quatre-vingt cinq ans et huit mois, Walker Simmons, dit le Rôdeur de minuit, revient sur sa longue carrière d’animateur de radio de nuit. Trois soirs par semaine, six heures de rang à passer les disques (et pas n’importe lesquels), à recevoir les appels téléphoniques et converser avec les auditeurs, sans oublier de balancer les réclames gagne-pain de la station KCIJ/1050, la radio de Shreveport (Louisiane) qui drainait jusqu’à plus de deux cents milles à la ronde. Comme cela ne lui suffisait pas pour remplir sa gamelle, il était également taxi le jour. Mais la radio, c’était sa passion :

La radio, les radios, je pourrais en parler des heures, même si aujourd’hui tout le monde s’en tamponne le coquillard avec une patte d’alligator femelle. La radio nécessite concentration et imagination. La radio parle à l’oreille. La télé, elle, te gave par les yeux. Pas étonnant que tant de gamins deviennent obèses.

Walker Simmons en a connu des chanteurs, il les revoie même en rêve, de ceux qui ont fait les beaux jours du blues, de la country, du jazz, de la musique, de la vraie. Et quand la musique est bonne… Il se demande pourquoi il ressasse toutes ces vieilleries. Notamment Johnny Cash, qu’il a bien connu. Johnny Cash, le roi de la country, le chanteur adulé, après Hank Williams. Johnny Cash qui se souvient en permanence de son frère Jack, scié, non pas par le succès de son cadet, mais en débitant du bois.

Et c’est bien parce qu’il trouve en Bob Dylan, Robert Zimmerman de son vrai nom, une ressemblance avec Jack, qu’il va encourager, protéger, conseiller et aider le jeune chanteur qui va à contre-courant de la mode musicale. La folk musique n’est plus à l’ordre jour. L’imposant même malgré les réticences du directeur financier de la maison de disques. Exerçant une sorte de chantage.

Si la Columbia le vire, je reprendrai Talkin’ New York à ma façon, j’en ferai un numéro un et tout le Brill Building rigolera de la boîte. Ça leur apprendra à préférer les comptables aux saltimbanques.

Si le titre du livre met en avant Bob Dylan, le corps du roman-récit est consacré à Johnny Cash, l’ombre gigantesque et tutélaire du petit gars du Minnesota qui a découvert le folk grâce à Pete Seeger.

Et à travers ce récit, en suivant le parcours souvent chaotique de Johnny Cash et de Bob Dylan, familial, un peu, et professionnel, beaucoup, nous parcourons le temps de 1961 jusqu’à nos jours, et visitons les Etats-Unis d’Amérique dans ses travers politiques et scandaleux.

La robe de Marilyn Monroe qui a tendance à péter des coutures, les assassinats de J.F.K. et de Martin Luther King, les implications dans des guerres asiatiques qui ne concernaient nullement les USA, sauf pour l’anticommunisme primaire qui agitait les esclavagistes et suprématistes, mais ils n’étaient pas les seuls, le racisme qui se lézardait en façade mais tenait bon, des événements qui se répercutaient sur l’Europe, car bien entendu tout se qui se passe Outre-Atlantique concerne aussi le Vieux Monde, puisque les migrants en furent originaires avant de s’imposer sur la terre natale des Indiens et d’exploiter les Noirs et les Chinois.

Mais à côté de ces épisodes pas toujours glorieux, les parcours des deux amis en compagnie d’autres personnages qui sont restés dans la mémoire de ceux qui ont connu cette époque, Merle Kilgore par exemple ou encore Kriss Kristofferson, leurs embrouilles maritales, le concert de Bob Dylan à Newport en 1965, une catastrophe évitée de jutesse, celui de Johnny Cash à la prison de Folsom en 1968, ou la virée chez les Moonshiners, les fabricants clandestin de whisky de contrebande, et bien d’autres péripéties. Comme la rencontre en 1982 de Bob Dylan en France, à Tours, avec Norbert d’Azay, de son véritable patronyme Norbert Pagé, plasticien reconnu, le chanteur s’adonnant lui-aussi à la peinture.

 

Véritable roman introspectif dans la culture musicale folk et rock des USA entre 1950 et 2003, axé surtout sur les années glorieuses qui vont de 1960 à 1980 environ, Michel Embareck nous propose un catalogue très documenté, très détaillé, allant de Hank Williams l’adulé, icone de la musique Country, décédé alors qu’il n’avait pas encore trente ans en 1953, jusqu’à ses descendants spirituels, jusqu’à Alice Cooper, l’ami du Rôdeur de minuit auquel il rend encore visite en 2016. Dans une ambiance très alcoolisée et sous la dépendance de différentes drogues.

Un roman ponctué par une correspondance entre Bob Dylan et Johnny Cash, comme des entractes, et qui, si elle est imaginaire, met toutefois en valeur l’amitié des deux hommes et surtout leur vision sur un monde en déliquescence mais qu’un rien pourrait sauver.

Il ne manque que le son !

Ce n’était pas mieux avant et les lendemains sont toujours pires que la veille.

Musique d’accompagnement :

Jimmy Rodgers : Waiting For A Train.

Bill Monroe : Blue Moon Of Kentucky.

Roy Acuff : Wabash Cannonball.

Bob Wills : Faded Love

Red Foley : Old Shep.

Frankie Laine : High Noon (Do Not Forsake Me)

Hank Williams : Move It On Over.

Merle Travis : Divorce Me C.O.D.

Hank Snow : I’m Movin’ On.

Frankie Laine : Rawhide.

Willie Nelson : Face Of A Fighter.

Jerry Lee Lewis : Will The Circle Be Unbroken ?

Hank Williams : Your Cheatin’ Heart.

Ed Bruce : King Of The Road.

Johnny Cash : I Walk The Line.

 

Charlie Rich : Behind Closed Doors.

Petti Page : Tennessee Waltz.

Kenny Rogers : For The Good Times.

Billie Jo Spears : Ease The Want In Me.

Faron Young : Sweet Dreams.

Johnny Cash : Oh, Lonesome Me.

Willie Nelson : The Sheltter Your Arms.

Waylon Jennings : Dream Baby.

Conway Twetty : Crazy Dreams.

Rita Remington : Would You Lay With Me.

Hank Williams : Hey, Good Lookin’.

Jerry Lee Lewis : Lovesick Blues.

Frankie Laine : Dream A Little Dream Of Me.

Slim Whitman : Indian Love Call.

Kenny Rogers : Ruby, Don’t Take Your Love To Town.

 

Michel EMBARECK : Bob Dylan et le rôdeur de minuit. Editions de l’Archipel. Parution le 7 février 2018. 256 pages. 18,00€.

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26 février 2018 1 26 /02 /février /2018 10:41

Ne sera pas le premier ?

Hervé HUGUEN : Le troisième des deux.

Suite à la défection du juge Gorian, à cause de maladie de cœur, et d’une tentative de suicide de la part de l’inculpé, Alexiane Kerneis-Le Hir, procureure, est obligé de reprendre le dossier Bréval. Or dans ce dossier, de nombreux manques, des lacunes dues aussi bien de la part des gendarmes qui avaient enquêté, du juge qui ne s’était pas impliqué comme il l’aurait dû, voire éventuellement du légiste qui n’aurait pas fait son autopsie à fond.

Adénaïs Bréval, jeune femme de trente ans, avait été découverte sans vie par son mari Léo, trente ans également, qui rentrait de son travail. Infirmier-urgentiste à Saint-Géréon, près d’Ancenis, Léo avait appelé immédiatement les pompiers, puis les gendarmes, puis sa famille et celle de sa femme. Dépressive depuis quelques jours, Adénaïs prenait des anxiolytiques et de prime abord tout ce petit monde, le mari en premier, avait supposé un suicide. Mais il s’est avéré qu’il s’agissait d’un meurtre, une strangulation effectuée avec le foulard qu’elle portait au cou, alors qu’elle était encore en pyjama. Trois jours après, soit une perte de temps préjudiciable pour l’enquête.

Léo avait réfuté la tentative de meurtre, mais depuis il est incarcéré en Maison d’Arrêt. C’était six mois auparavant, et Alexiane demande au commissaire Baron de la DIPJ de reprendre le dossier. Le moment est peut-être mal choisi, car Baron vient de perdre son père, décédé la nuit précédente, lui laissant le soin de prévenir un de ses amis vivant à Paris, un certain Pancrace d’Harcourt.

En compagnie du capitaine Arneke, Baron reprend l’enquête à zéro ou presque, d’après les éléments que lui confie la procureure. La jeune morte avait eu un rapport sexuel deux ou trois jours auparavant, mais la trace d’ADN n’avait pu être exploitée suite à la négligence du juge. Or comme elle avait un amant, tout laisse supposer que c’est lui qui lui avait fait cette offrande.

Donc Baron visite la maison du drame en compagnie des gendarmes qui avaient opérer aux première investigations, se renseigne auprès du commandant du SDIS, dont Léo faisait partie comme volontaire, auprès d’une voisine dont la principale occupation est de regarder par sa fenêtre, auprès de la collègue de travail d’Adenaïs, de l’amant dont la femme est enceinte, et autres vérifications, bref un travail en remonte-pente obligatoire.

Mais, et si un troisième larron s’était invité dans ce drôle de ballet avec danseur interchangeable ? Une piste qu’il ne faut pas négliger et vers laquelle penchent de plus en plus fortement Baron et Arneke.

 

Tout le monde ment, pensent Baron et Arneke, aussi bien les principaux personnages que les protagonistes collatéraux qui peuvent eux aussi devenir des présumés coupables en puissance. Tout le monde a quelque chose à cacher, à moins qu’il ne s’agisse tout simplement que de déclarations déformées, car au fil du temps la mémoire peut jouer de vilains tours. Surtout lorsqu’on est plus ou moins témoin, et qu’un policier demande de narrer les faits qui se sont déroulés plusieurs mois auparavant.

Mais il est navrant également de constater que par la faute, ou la négligence d’un juge, un présumé coupable peut passer plusieurs mois en prison pour des faits qui lui sont reprochés mais pas avérés. Et si le juge n’avait pas eu des problèmes d’artères ou de circulation sanguine, cette affaire se serait-elle enlisée avec un vrai faux coupable sous la main ?

C’est un œil critique que jette Hervé Huguen, avocat de profession, qui connait bien les rouages de la Justice, mais laisse le lecteur réfléchir et se faire sa propre opinion.

Et en filigrane, l’on suit une partie de la vie privée de Baron, avec la mort de son père, et une ouverture éventuelle sur une autre affaire, avec un ami paternel qu’il découvre et qui passe plus ou moins à la trappe à la fin du récit.

A première vue il s’agit d’une banale histoire de cocufiage mais les pistes proposées nous entraînent vers d’autres implications. On ne peut s’empêcher de penser au personnage de Maigret dans une histoire dont l’implication familiale prime et dont la psychologie des personnages est particulièrement fouillée. Et l’élément déclencheur permettant de découvrir la vérité ne vient pas de là où on l’attend. Comme souvent dans la vie réelle.

Hervé HUGUEN : Le troisième des deux. Série Nazer Baron N°12. Editions du Palémon. Parution le 29 septembre 2017. 272 pages. 10,00€.

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25 février 2018 7 25 /02 /février /2018 09:11

Douce violence de nos jeunes amours

Tendre insouciance de nos premiers beaux jours…

Jean FORTON : Le grand mal.

Ce roman, publié pour la première fois en feuilleton dans La Nouvelle Revue Française en 1959, n’a pas vieilli car le sujet traité est intemporel même si de nos jours les adolescents ne se comportent pas de la même façon qu’il y a près de soixante ans.

L’époque certes a changé mais peut-être vous reconnaîtrez-vous dans l’un de ces trois jeunes «héros », quant à la trame qui se sert de fond, elle est toujours d’actualité.

Dans une cité portuaire, qui pourrait être Bordeaux, ville natale de l’auteur, des disparitions de gamines sont signalées, mais cela ne perturbe pas Ledru, Arthur de son prénom, appelé Coco par sa grande sœur et ses parents à son grand déplaisir. Pour ses condisciples, il est la Grande nouille, ce qui ne lui convient guère non plus. Ce surnom, il le doit à sa constitution de gringalet. Il n’est guère porté sur les études, étant paresseux de nature et porté sur le dilettantisme.

En classe il est à côté de Frieman, un garçon qui patauge dans les études, impuissant intellectuellement. Il est sale et ce qui navre Ledru, c’est sa propension à utiliser ses doigts comme pelleteuse pour récurer ses narines. Il s’ensuit une algarade entre les deux gamins et, à son grand étonnement, Ledru sort vainqueur d’un combat qui était inégal à-priori. Et ce fait d’armes rapproche les deux gamins qui deviennent amis. Proposition de Frieman, qui de plus offre aider Ledru dans ses devoirs d’Allemand, il est d’origine alsacienne, tandis que son comparse le secourra dans d’autres matières.

Frieman a une copine, Georgette, qu’il retrouve à la sortie de l’école, et il la présente à Ledru qui sèche l’étude, son nouvel ami lui ayant écrit une demande de dispense prétendument signée du père. Comme ils ne peuvent rentrer chez eux de trop bonne heure, ils vont au cinéma, malgré le manque d’argent de poche flagrant. Frieman a puisé dans la caisse paternelle, son géniteur étant tenancier d’un bar pas trop reluisant d’extérieur mais fréquenté par des habitués.

Tout comme Friedman et Ledru, Georgette a à peine treize ans, et elle est mignonne. Physiquement, car mentalement, elle ne se laisse pas mener par le bout du nez. Un portraitiste de rue, Gustave, la dessine sur un bout de papier, qu’elle donne à Ledru. Alors, ce n’est pas qu’il tombe vraiment amoureux, mais Ledru sent opérer en lui comme une montée de sève. Des idées lui passent par la tête, et il imagine piquer sa copine à Frieman. Et pour réussir, il n’hésite pas à prélever dans la cagnotte de son père un billet qui lui permettra d’acheter un cadeau à sa belle.

Sa belle qui n’est pas si belle que ça d’ailleurs, qui n’a pas de poitrine, mais se laisse embrasser. Pas plus. Et après ?

Embrasser une fille, voilà qui le premier jour semble sublime. Mais cela devient vite une habitude, puis une corvée. Il arrive un moment où l’on préférerait faire n’importe quoi d’autre, jouer aux billes ou flâner dans les rues.

Mais il en pense quoi Frieman que Georgette l’ait abandonné pour Ledru ?

Je peux te l’avouer, dit Frieman, quand elle m’a plaqué j’ai fait un peu la gueule, parce qu’après tout c’est aux hommes à décider. Mais au fond, j’étais rudement content. Les filles, à la longue, il n’y a rien de plus emmerdant.

Déjà philosophes à treize ans ? Mais il faut avouer que Georgette se montre coquette, boudeuse, naïve et perverse à la fois. Et pour éviter la proximité avec Georgette, Ledru et Frieman s’intéressent à Gustave après l’avoir ridiculisé. Evidemment, un peintre miséreux, cela prête à moqueries, mais ils savent également se montrer repentants.

L’épisode Georgette enterré, Ledru est sous le charme d’une gamine entraperçue dans la pénombre d’un couloir et un nouveau voisin de table lui est imposé. Une lumière dans sa jeune existence et un couvercle sur ses désirs d’indépendance scolaire. Toutefois, Stéphane, ce voisin ambigu, frondeur, farceur, et frère de la belle Nathalie, va quelque peu changer le cours de l’existence de Ledru et Frieman.

 

Jean FORTON : Le grand mal.

Ces gamins, affranchis ou épris du désir de ne plus subir le joug parental, tiennent une place primordiale dans ce roman de l’enfance, les adultes n’étant que des personnages de second rang. Tout autant M. Ledru père, qui voit en son fils la septième merveille du monde, merveille parfois ébréchée, et Frieman père qui tape sur son fils à coups de ceinturon, histoire de lui inculquer l’obéissance, le commissaire qui traverse l’histoire en policier à la recherche d’un fil ténu pouvant le mener aux gamines disparues, aux professeurs du lycée qui se font chahuter. Seul Gustave, le portraitiste miséreux prend de l’ampleur, peut-être à cause de ses relations parfois conflictuelles avec les gamins, à son corps et son esprit défendant, car c’est bien auprès d’eux qu’il trouve un semblant de sympathie teinté d’animosité.

Faut bien que jeunesse se passe, paraît-il. Et c’est bien cette jeunesse qui est montrée en exergue, cette jeunesse qui frappe à la porte de l’antichambre de l’adolescence avant d’entrer de plain-pied dans le monde des adultes. Une enfance que l’on regrette plus tard, alors qu’on aspire à vieillir et connaître d’autres expériences.

Une époque coincée comme la tranche de jambon dans un sandwich entre les deux tranches de pain que sont d’un côté la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et de l’autre le bouleversement engendré par les révoltes estudiantines de mai 68. Les jeunes se disent encore monsieur et mademoiselle lorsqu’ils sont présentés l’un à l’autre et se serrent la main comme des adultes en devenir. Et où les copines sont des poules, toujours pour singer les adultes.

Quant au Grand mal du titre, il peut s’expliquer par ce passage douloureux d’un confort juvénile à une aspiration légitime d’une vie d’embêtements, ou comme l’affirme Gustave le présumé anarchiste, Portefeuille ou idéologie, peu importe. Le résultat est identique. On pille, on torture, on tue. Le voilà, le grand mal, le mal à détruire.

Le roman de l’enfance pour les adultes, qu’il serait dommage de méconnaître.

 

Dans sa postface érudite, Catherine Rabier-Darnaudet nous explique la genèse de ce roman ainsi que celle des autres ouvrages de Jean Forton. Et l’on n’hésitera pas à visiter le blog qu’elle dédie à Jean Forton, cet auteur méconnu qui sort peu à peu de l’oubli, en pointant le curseur de sa souris sur le lien ci-dessous :

De même une petite visite aux éditions de L’éveilleur peut se révéler riche de découvertes :

Jean FORTON : Le grand mal. Postface de Catherine Rabier-Darnaudet. Editions L’Eveilleur. Parution le 15 février 2018. 272 pages. 18,00€.

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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 10:31

Je vous ai apporté des bonbons…

Stanislas PETROSKY : Le diable s’habille en licorne.

Ne vous excitez pas trop vite, car ce qui suit, s’il parle de bonbons, n’est pas destiné aux catholiques intégristes, aux adhérents de la manif pour tous et autres tenants d’une religion rigoriste et rétrograde. Vous êtes prévenus car ce dont je vais vous entretenir n’est pas à mettre sous tous les yeux. Quoi que cela les ferait peut-être réfléchir sur ce sens commun qui n’a aucun sens.

Nous retrouvons notre curé préféré, Esteban Lehydeux dit Requiem, exorciste de statut et qui ressemble plus à Guy Gilbert qu’aux corbeaux à soutane, à Dunkerque. Il est envoyé en mission, suite à une sorte de chantage ou un marchandage, c’est plus politiquement correct de présenter ainsi la demande qu’il avait effectuée auprès du Vatican, dans cette ville du Nord célèbre pour son Carnaval qui dure plusieurs jours et ses jets de harengs. D’où l’expression : Hareng sort de ce corps…

Une jeune adolescente a été retrouvée morte, probablement sous l’influence du démon. Elle a été envoûtée, ses mains, ses pieds et son front portent les stigmates de la crucifixion et son dos des marques de flagellation. Pis, elle s’est donné le coup de grâce avec une paire de ciseaux enfoncés dans le ventre.

Prévenu, l’évêque Gillio présente Requiem aux parents de la jeune fille et il le fait embaucher dans un collège privé catholique en remplacement d’un prêtre professeur de philosophie qui a disparu sans prévenir. Tout autant chez les parents qui ne sont guère éplorés, rigides dans leur bourgeoisie étriquée, qu’auprès du directeur-recteur de l’établissement scolaire et de son portier-secrétaire, Requiem ne se présente pas à son avantage. Sa tenue vestimentaire, ses propos, sa façon d’être et de paraître ne plaide pas en sa faveur, d’ailleurs il pense qu’avec le directeur, Chaval, que Chaval pas le faire.

Nonobstant, il s’en fout et auprès des élèves il passe plutôt pour un aimable trublion qui ne s’en laisse pas conter, ni compter, ayant réponse à tout, même aux questions qui ne lui sont pas posées. Il retrouve également une vieille connaissance, Régis, le policier déjà rencontré dans sa précédente aventure, et dont les ramifications l’ont amené dans la cité de Jean Bart afin de finaliser l’enquête. Et peu après la belle Cécile – voir les épisodes précédents - vient lui soulever la soutane afin de lui aérer les aumônières. Mais foin de gaudrioles, entrons dans le vif du sujet comme disait Casanova en son temps.

Les bonbons que je vous ai offerts en préambule ont été retrouvés par Régis. Il s’agit de friandises de couleur rose de forme conique spiralée, d’une taille d’environ un centimètre. Et celui ou celle qui l’ingère peut se mettre à chanter Ça plane pour moi… Un mélange étonnant et détonnant qui contient entre autres substances de la morphine, de la cocaïne, de la Pervitine. Son doux nom est la Licorne.

D’autres élèves se suicident en état d’hallucination, qui sautant dans la mer avec un parapluie, qui se jetant du haut d’un clocher, mais sans parapluie, qui se prenant pour un samouraï se faisant seppuku.

 

Empruntant un style façon San-Antonio, voire parfois Michel Audiard, Stanislas Petrosky nous emmène dans une histoire humoristico-dramatique. Mais comme le déclarait Pierre Desproges, on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui, certains lecteurs, dont moi-même je l’avoue, apprécieront cet exercice de style et les diatribes émises par l’auteur. Non pas sur la religion en elle-même, mais envers ceux qui s’en servent comme bouclier pour proférer des inepties ou se comporter comme des sagouins, et encore je suis modeste dans mes propos.

Ce qui nous vaut des scènes dans lesquelles Requiem fustige les cathos qui se conduisent à l’encontre des principes de charité édictés, et leur impose des gestes dits chrétiens lorsqu’ils se détournent à la vue d’un SDF. Un SDF qu’ils feignent ne pas voir alors qu’il mendie à l’entrée d’un lieu de culte. Des moments d’anthologie qui sonnent la révolte bienfaisante et nous fait penser à Don Camillo mais dans un registre différent et actuel.

Requiem n’est pas irrespectueux, malgré ce que l’on pourrait croire en lisant ses aventures. Au contraire, il professe une forme de respect envers son Patron, un peu comme un ouvrier qualifié envers son taulier en allant boire un coup ensemble et échangeant des propos sensés sur le travail à effectuer. Il est loin d’être obséquieux, servile, hypocrite, tels ces personnages de faquins qui débinent par derrière tout en se montrant louangeurs par devant. Un honnête homme comme l’on disait dans le temps.

Il remet également en lumière le rôle de la Pervitine, avant et durant la Seconde guerre mondiale, un produit qui était surnommé la drogue des Nazis.

Donc Stanislas Petrosky utilise l’humour comme une panacée contre des perversions, des actes délictueux, afin de décompresser le lecteur. Mais pour autant ses propos portent, peut-être plus encore car ils sont émis sous couvert d’un humour parfois potache. Du genre monsieur et madame Chont ont un fils (Je vous souffle la solution, vous ne le répéterez pas, promis ? Denis). Parfois c’est beaucoup plus subtil. Mais le résultat est probant et porte plus qu’un roman qui ferait dans la commisération.

 

Crois-moi, sur l’échelle de la connerie il est coincé sur l’un des barreaux les plus hauts.

Stanislas PETROSKY : Le diable s’habille en licorne. Roman policier mais pas que… Editions Lajouanie. Parution le 9 février 2018. 216 pages. 18,00€.

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