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18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 14:02

erckmann1.JPG

Lorsque j’ai découvert ce duo de prosateurs, ce fut à l’âge de dix ou onze ans avec un livre de la Bibliothèque Verte qui m’avait été offert lors d’une fête quelconque, Noël ou anniversaire. Il s’agissait d’une compilation titrée Contes choisis et comportait sept histoires aux titres évocateurs : La Taverne du jambon de Mayence, La trompette des hussards bleus, Le vieux tailleur, Le trésor du vieux seigneur, La comète, Les amoureux de Catherine et Les confidences d’un joueur de clarinette. Depuis ces quelques contes, dont plus particulièrement Le trésor du vieux seigneur, me trottinaient dans la tête à intervalles irréguliers mais toujours avec cette pointe de nostalgie propre à ceux qui se souviennent avec émotion de leurs lectures juvéniles.

Aussi c’est une indicible envie, un besoin presque, que j’ai recherché dans le sommaire de erckmann3.JPGl’ouvrage consacré aux Contes fantastiques d’Erckmann-Chatrian, ces titres, et j’en ai retrouvé quelques-uns que je me suis empressé de relire avant même de m’intéresser à la présentation de Jean-Pierre Rioux, préférant exalter mes souvenirs. Un indéfectible plaisir cette redécouverte avec quelques décennies de plus. Bien sûr la lecture est différente, car on ne raisonne pas de la même façon à dix ans ou à soixante ans et plus. Et puis l’expérience de la vie, la connaissance de l’histoire de France et de ses aléas, surtout en ce qui concerne l’Alsace et la Lorraine, apporte un jour nouveau sur certains textes. On en apprécie que plus la saveur qui s’en dégage, mais il me semble inutile de gloser plus longtemps et de vous présenter sans tarder certains de ces contes :

Le trésor du vieux seigneur : Lorsque en ce jour de septembre 1828, Nicklausse, le cocher du libraire Furbach dont l’échoppe est sise à Munich, annonce à son maître qu’il est obligé de le quitter, celui-ci est fort étonné et demande quelques explications car il n’a rien à reprocher à son serviteur. Nicklausse narre alors qu’au cours de la nuit il a eu un étrange songe et qu’il doit partir. Il a rêvé d’un vieux château en ruines et que dans la cave, dans un cercueil, reposait un inestimable trésor. Alors il est bien décidé à vérifier l’authenticité de ce rêve, ce dont il ne doute point. Furbach tente bien de lui expliquer qu’il s’agit sûrement d’une chimère mais après tout l’homme est libre et peu donc aller vérifier si le trésor n’est pas un leurre. D’autant qu’aucun nom de château est lié à ce rêve et que les recherches devraient être longues, si elles se révèlent fructueuses. Lorsqu’il prend sa retraite, Furbach le libraire décide de voyager, afin de compenser le manque d’activité. En 1838, il visite les bords du Rhin à bord d’un bateau et en lisant son guide il remarque qu’il approche de Vieux-Brisach, un lieu chargé d’histoire, un château-fort tombé en ruines, il décide de s’arrêter, et de visiter le site. Et alors qu’il recharge les batteries, c’est-à-dire qu’il dévore un copieux repas, le maître d’hôtel de l’auberge le reconnait : Nicklausse, devenu riche propriétaire et marié à une charmante jeune femme qui lui a donné deux enfants. Nicklausse lui raconte alors son épopée que je me garderai bien de dévoiler, car il faut ménager le suspense et préserver l’intérêt de l’intrigue. Cette histoire figure dans Les contes des bords du Rhin, dont la première édition remonte à 1862.

vieuxbrisach.jpgSi le rêve est à l’origine de ce conte, il en va de même pour par exemple dans Le rêve d’Aloïus. Mais la partie fantastique est quelque peu gommée et l’épilogue est, comment dire, idyllique. Le conte qui suit immédiatement, La Comète, et qui figure dans le recueil Contes populaires, emprunte aux superstitions rurales. Le passage d’une comète est annoncé. Le bruit court depuis quelques mois, une rumeur relayée par des Almanachs, ces ouvrages très répandus et qui étaient appréciés de tous pour des raisons diverses. Et l’issue risque d’être fatale pour les villageois d’Hunebourg. La fin du monde est programmée. Selon un savant parisien, si cette comète existe bien, elle ne devrait avoir aucun effet sur leur avenir. Seulement, comme dans tout village qui se respecte, une vieille femme, un peu sorcière, un peu pythonisse, affirme que cette comète va attirer le malheur. C’est le début de l’affolement général et il est même question d’annuler le carnaval. La conclusion est particulièrement réjouissante et l’on se rencontre qu’il y aura toujours des personnes qui sauront retomber sur leurs pieds, en n’importe quelles circonstances.

Science et Génie, le deuxième recueil de contes à être publié, en 1850, un sculpteur et un scientifique s’affrontent, et les historiettes s’échelonnent comme un jeu de construction. Entre Micaël, le statuaire, et Don Spiridio Doloso, le démoniaque, s’établit une guerre larvée. Micaël est un rêveur, et est amoureux d’Erwinia, la fille d’un seigneur local. Don Spiridio ressemble à un spectre cynique. C’est le combat entre le Bien et le Mal, entre celui qui n’est jamais satisfait de ses œuvres et celui qui se défend d’être un artiste mais qui pourtant soumet à la vue de son meilleur ennemi une sculpture parfaite. La folie va conduire le bal fantastique et nous renvoie implicitement à Shakespeare et à son Roméo et Juliette, avec un emprunt biblique. C’est également une symphonie pastorale qui est présentée au lecteur. Car la nature est toujours présente dans ces contes, une nature apaisante, en apparence. Tout autant par la faune que par la flore. Car L’araignée-crabe, un conte inclus dans Contes fantastiques, nous plonge dans une nature qui pourrait être bénéfique mais qui se révèle effrayante. Les eaux thermales de Spinbronn sont réputées et nombreux sont les touristes qui viennent y chercher un réconfort médical. Jusqu’au jour où la cascade rejette des ossements provenant selon un docteur d’un monde antédiluvien. Mais une jeune fille disparait et d’autres cadavres d’animaux sont régurgités par la cascade. Dans ce conte qui nous fait penser aux histoires de Jean Ray, les Contes du whisky par exemple, figure un personnage qui ferait considérer le couple Erckmann-Chatrian comme des racistes. En effet un jeune médecin parti à Saint-Domingue revient quelques années plus tard avec dans ses bagages une vieille négresse appelée Agathe : une affreuse créature, le nez épaté, les lèvres grosses comme le poing, la tête enveloppée d’un triple étage de foulards aux couleurs tranchantes. Pour l’époque, surtout dans les campagnes, les Noirs étaient une curiosité, et l’appellation de négresse, qui date de 1637, était la dénomination usuelle avant que cela devienne péjoratif par la suite. Erckmann-Chatrian.jpg

Je n’aurais garde d’oublier parmi ces contes deux œuvres majeures, d’Emile Erckmann, puisqu’il fut le principal scripteur, Alexandre Chatrian ayant en charge de trouver les revues et les éditeurs susceptibles de publier leurs écrits, je n’aurais garde donc d’oublier L’illustre docteur Mathéus et Hugues-le-loup, qui auraient être considérés comme des romans mais jugés pas assez conséquents en nombre de pages par les éditeurs et qui ont été intégrés dans des recueils.

Souvent le côté fantastique est tempéré par une touche d’humanisme, et par l’épicurisme prôné par l’auteur et ses personnages. Je ne m’attarderai pas sur le côté d’Emile Erckmann concernant la métaphysique. Seuls comptent la subtilité de ces contes et leur sensibilité feutrée, qui n’emploient pas des effets grandioses, des scènes grandiloquentes et des monstres issus d’un imaginaire torturé comme les auteurs de la fin du XXème siècle, je pense principalement à Clive Barker, mais qui seront l’apanage d’autres romanciers et nouvellistes comme Maurice Renard. Une redécouverte qui ne peut qu’intéresser les lecteurs de 7 à 107 ans.

Vous pouvez également retrouver Erckman-Chatrian dans Gens d'Alsace et de Lorraine.

ERCKMANN-CHATRIAN : Contes fantastiques. Présentation de Jean-Pierre Rioux. Editions Omnibus. 1072 pages. 29 €.

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