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23 août 2013 5 23 /08 /août /2013 14:39

A table !

 

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Vous ne pouvez vous rendre compte à quel point la perte d'une mère peut désemparer un grand enfant qui a toujours dépendu de sa génitrice. Gilbert Joussin par exemple, obèse, solitaire, qui a recours deux fois par mois à des professionnelles du sexe pour assouvir sa libido, avec l'argent que sa mère lui donnait, le compte exact. Mais s'il est désemparé, c'est parce que sa mère s'occupait de tout. Elle faisait les courses et lui préparait à manger. Il n'avait qu'à se rendre sur son lieu de travail, une quincaillerie, et à se laisser vivre. A écouter aussi les objurgations de sa mère qui n'arrêtait pas de lui recommander de cacher ses grandes dents pointues, à bien se nettoyer les ongles, et de se méfier des tâches sur ses vêtements, de ne pas se faire remarquer en un mot.

Maman est décédée et il est désorienté. Alors qu'il est en proie à des pensées moroses, la sonnette de la porte d'entrée retentit. Une jolie jeune femme répondant au nom de Ghislaine Dorval déclare qu'elle a vu le corbillard devant chez lui le matin, et comme elle habite dans la même rue, elle est venue afin de le réconforter et lui préparer à manger. Il est vrai qu'il n'a pas belle apparence Gilbert Joussin, lui qui avait été surnommé Face de lune par ses copains d'école. Elle s'impose et ouvre le réfrigérateur afin de trouver quelques denrées à cuisiner et manque tomber dans les pommes. Quelle drôle d'idée aussi que d'entreposer un pied humain.

Remise de ses émotions Ghislaine s'incruste et conduit même Gilbert dans sa chambre à coucher. Après avoir longuement mélanger leurs membres, c'est l'heure de la discussion. Ghislaine est infirmière et des cadavres, elle en côtoie assez pour ne plus en faire cas. Elle le quitte, mais pas pour longtemps. Dans la journée du lendemain il se prépare son pied en ragoût qu'il avale gloutonnement. Mais si la cave est fournie en vin, les provisions de cochon blanc, comme disait sa mère, vont commencer à manquer et il va falloir trouver une solution. Il est dérangé dans ses pensées par des bruits de motos. Il s'affole. Serait-ce des policiers? Non, tout simplement des jeunes gens genre punk qui le narguent et déposent dans sa boîte aux lettres un message déconcertant: Nous avons la marchandise qui t'intéresse... Ce n'est pas tant la teneur de ce petit mot qui le perturbe, mais bien d'apprendre que d'autres personnes connaissent ses besoins et sa maladie.

Ghislaine, bonne pâte, se propose, comme elle est infirmière, de lui fournir des denrées, périssables évidemment. Elle a des accointances avec un médecin légiste aussi cela ne devrait pas poser de problèmes. Nonobstant, Gilbert n'est pas rassuré. Pourquoi sa voisine d'en face, une quinquagénaire encore appétissante, est toujours en train de le surveiller? Et les motards, pourquoi lui ont-ils laissé un mot? C'est dur de pouvoir manger à sa faim sans attirer les regards des autres.

Si cette lecture pourrait se montrer peu ragoutante au premier abord, le lecteur plonge dans cette histoire et sans s'en rendre compte la dévore. Un humour noir pimente cette intrigue qui, je n'irai pas jusqu'à écrire fait saliver, mais est assez deuxième degré pour que l'on se paie une bonne dose roborative de détente.

Le volume contient en outre onze nouvelles qui pour la plupart ont été publiées dès l'aube des années soixante-dix dans de petites revues qui, sans vouloir être vexant, furent assez confidentielles. Comme La mort dans un verre vide, parue dans Lunatique N°6 en 1971 et signée Jean-Pol Laselle, l'un des pseudonymes utilisés par Brice Tarvel à ses débuts. Cette nouvelle met en scène, comme souvent dans l'œuvre de Tarvel, un enfant. Son institutrice a demandé aux élèves d'apporter un objet original. Il est fier d'avoir trouvé quelque chose mais son père n'aurait peut-être pas dû placer cet objet sur l'armoire. C'était trop tentant.

La petite fille dans le cimetièredate de 1983, parue dans Le Chat Murr N°5 sous le nom de Nicolas Olsagne. Clotilde est une gamine qui a été placée dans une famille d'accueil, mais elle est considérée comme une servante. Il n'y a pas d'amour ou d'affection de la part des Blanchardin, et elle le leur rend bien. Une Cendrillon moderne. Sa mère décédée lui manque et elle se rend dans le cimetière, un couteau à la main, dans un but bien précis. Une nouvelle à chute comme aimait à les écrire Fredric Brown et les connaisseurs apprécieront.

Si ces nouvelles ont été réécrites à l'occasion de la parution dans ce présent volume, figurent également des inédits comme Ce lac aux eaux si froides. Audrey est illustratrice. Longtemps elle a dessiné des motifs pour papiers peints mais elle a eu l'occasion de se reconvertir pour signer des couvertures de livres. Elle vient de s'installer avec sa fille de cinq ans à Epinal, un retour aux sources. Son petit chien étant décédé brutalement, sans prévenir, elle se rend dans une animalerie avec Héloïse. Faut-il s'étonner qu'elle retrouve une ancienne camarade, quoi que le mot soit un peu exagéré, de classe ? Lucine est restée de forte corpulence, un peu hommasse. A l'école elle multipliait les blagues douteuses comme accrocher un poisson pourri lors du 1er avril, ou remplir le cartable de la maîtresse d'une douzaine de têtes de poules tranchées. Il est vrai qu'elle n'avait qu'à se servir son père étant aviculteur. Lucine offre deux petites souris à Héloïse puis s'incruste chez Audrey. Audrey a un pressentiment, surtout lorsque Lucine l'invite chez elle, dans son élevage à quelques kilomètres de la ville. Elle se serait bien passé de ce séjour mais Héloïse a l'air si contente ! Frissons assurés avec une fin ouverte, comme si Brice Tarvel avait l'intention de cannibaliser cette histoire, c'est à dire de la développer et d'en faire un roman.

Un régal d'humour noir, fin, subtil parfois, même les scènes dans lesquelles Gilbert Joussin montre son appétence d'anthropophage. Dans certains romans noirs, les scènes de violence, de torture sont plus explicites, insoutenables et développent plus d'horreur que dans ce roman. C'est en quelque sorte une récréation apéritive.

Le lecteur peut retrouver Gilbert Joussin dans Le bal des iguanes.  ainsi que mon portrait de Brice Tarvel.
Brice TARVEL: La chair sous les ongles. Collection Noire N°51. Editions Rivière Blanche. 284 pages. 20,00€.

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commentaires

V
The content of the book “The flesh under the nails” looks pretty impressive. It is sad to know about the situation of that disabled mother and she is working hard for her family. I will try to find some more books of Gilbert Joussin.
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O
Merci
P
Mdr....<br /> Bonne soirée...
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O
<br /> <br /> EUh...<br /> <br /> <br /> Bonne journée<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
P
Je suis aussi comme toi...:)
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O
<br /> <br /> Je me sens moins seul ! <br /> <br /> <br /> <br />
P
Bonjour Paul<br /> Depuis des années ça ne c'est pas arrangé...<br /> Pourrai-je tout lire avant la fin........:(<br /> <br /> Amitiés...;)
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O
<br /> <br /> Fais comme moi Patrick<br /> <br /> <br /> Je demande à être enterré avec une lampe de poche, des piles de recharge et ma bibliothèque. D'accord il va falloir prévoir grand...<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
P
C'est vrai Paul , ce n'est plus une Pal, c'est une tour infernale...<br /> Bonne soirée<br /> Amitiés.
Répondre
O
<br /> <br /> Et je pense Patrick que cela n'ira pas en s'améliorant !<br /> <br /> <br /> Bonne journée<br /> <br /> <br /> <br />
P
Bonjour l'ami<br /> il est dans ma Pal...à lire prochainement , bonne journée..<br /> :)
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O
<br /> <br /> Attention Patrick en le retirant de ne pas faire tomber ta PAL et te coincer les doigts...<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
A
A ce rythme, tu vas bientôt pouvoir corriger le dictionnaire du polar.
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O
<br /> <br /> Tu es sûre ?<br /> <br /> <br /> <br />
L
Je n'ai qu'une onomatopée amicale : brrrrr !<br /> <br /> Le Papou
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O
<br /> <br /> C'est ce que l'on appelle un chaud effroi Papou<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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