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25 mars 2016 5 25 /03 /mars /2016 15:24

Surtout ceux qui veulent s'affranchir 

d'un conformisme académique...

Maurice GOUIRAN : Maudits soient les artistes.

Maurice Gouiran soulève les tapis sous lesquels les femmes de ménage de l'Histoire ont glissé les poussières allergènes qui font éternuer les hommes politiques.

 

Afin de pouvoir payer la rénovation du toit de sa bergerie, Clovis Narigou, qui ne veut pas laisser d'ardoises, a accepté de faire quelques piges pour Les Temps Nouveaux, un magazine national. Ce n'est pas pour autant qu'il ne va pas accumuler les tuiles.

La première, et de taille, est l'annonce qui lui est faite par son fils Eric. A première vue ce serait une bonne nouvelle, car il va passer quelques jours à la Varune, le hameau au dessus de Marseille, où vit Clovis, en compagnie de Gaëlle, sa Galline, qui est enceinte. Et Clovis est tout content de revoir son fils et sa compagne. Ça c'est pour la bonne nouvelle. Car ils ne vont pas arriver seuls. Trois couples et dix gamins seront de la partie. Des amis parisiens qui se conduisent comme des mal embouchés, surtout les gamins.

Un triste spectacle que découvre Clovis en revenant d'un reportage dans l'Ariège. Il était parti avec la mission d'obtenir des renseignements sur un mathématicien illustre mais méconnu, qui venait de décéder en ermite dans un incendie. C'est ainsi qu'il découvre qu'Alexander Grothendieck, le matheux en question, avait été interné tout jeune au camp de Rieucros, en Lozère, avec sa mère anarchiste allemande durant les années de guerre en 1940, en compagnie de nombreuses autres détenues. Il ne reste guère de survivants mais Clovis obtient toutefois l'adresse d'une vieille femme qui vit à Nice.

Ce qui vaut à Clovis une demande de la part de son rédacteur en chef, un deuxième papier sur ce camp d'internement, et par la même occasion un troisième article lui est proposé concernant une certaine Valentine Bertignac qui réclame à corps et à cris la restitution d'une douzaine de toiles de maîtres. Or coïncidence, cette Valentine Bertignac, qui rêvait d'un autre monde, aurait elle aussi été élevée avec sa mère au camp de Rieucros, ayant des antécédents juifs.

Voilà qui devrait mettre du beurre dans les épinards et l'apport d'argent frais pour la rénovation de sa bergerie. De quoi mettre de bonne humeur Clovis qui rentre donc à Marseille pour se plonger dans l'enfer de la tribu de campeurs indésirables. Or Clovis apprend coup sur coup le décès d'un habitant du quartier du Rove. Un vieil homme qui a été assassiné à la façon des chauffeurs des siècles derniers qui brûlaient les pieds des personnes susceptibles de détenir un magot chez elles afin de les obliger à dévoiler leur cachette. Et peu après c'est au tour de Valentine Bertignac et de son mari de subir le même traitement de défaveur.

Dans l'appartement d'un octogénaire munichois, des centaines d'œuvres d'art ont été retrouvées, et c'est cette affaire qui a déclenché la demande de Valentine Bertignac. Mais quelle corrélation entre son assassinat et celui de Bert, qui vivait chichement. Or son passé ne plaidait guère en la faveur de ce petit voyou qui avait essayé de racketter des pizzaïolos en camions, dans les années 70. C'est loin dans le temps, mais une vengeance serait toujours possible, à moins qu'étant un habitué des jeux de hasards, il aurait touché le gros lot. Evidemment les rumeurs vont bon train, et Clovis doit les éplucher afin de démêler le vrai du faux et inversement.

Commence alors pour Clovis une enquête à laquelle il associera son amie de cœur, la belle et jeune tatouée et percée Emma qui accessoirement travaille pour les forces de l'ordre.

Une enquête qui l'amènera à remonter le passé de peintres dit dégénérés, rencontrer des avocats défendant les intérêts de familles spoliées, et à renouer avec d'anciens amis correspondants de journaux allemands. Car même s'il ne les voit pas souvent, Clovis garde toujours dans un petit carnet les coordonnées de ses confrères, ce qui peut toujours servir, pour preuve.

 

Allié à une documentation impressionnante et rigoureuse qui pourrait faire penser que ce livre est plus un ouvrage historique et pédagogique, Maudits soient les artistes joue sur plusieurs tableaux. Bien évidemment le rejet par le parti nazi du renouvellement de la culture, les peintres et plasticiens novateurs étant considérés comme des dégénérés, forme l'ossature du roman, mais d'autres thèmes sont abordés. La spoliation des juifs par les Nazis, la difficulté de rendre à leurs propriétaires des œuvres d'art, la législation n'étant pas uniforme pour chaque pays. Autre difficulté, celle de prouver l'appartenance d'une œuvre familiale.

L'évocation du camp d'internement de Rieucros n'est qu'abordé, et devrait faire peut-être l'objet d'un prochain roman de la part de Maurice Gouiran. En effet, ce camp a été créé par décret le 21 janvier 1939, et accueillit les Républicains espagnols, des membres des Brigades internationales, qui étaient dénommé étrangers indésirables.

 

La touche d'humour, indispensable dans un roman noir, réside avec la colonisation par des familles et leurs gamins d'un domaine privé, en l'occurrence celui de Clovis par des trublions saccageurs.

Enfin, petite précision que j'ai eu sous les yeux dès premières les aventures de Clovis Narigou que j'ai lues et qui est si évidente que j'aurai dû la déceler depuis longtemps : Narigou n'est autre que l'anagramme de Gouiran. Bien des lecteurs ont dû faire ce rapprochement mais il a fallu que l'auteur me souffle la réponse pour que le déclic opère. Et ce que parce que dans sa jeunesse, à la fin des années soixante, Clovis s'était senti une âme de peintre, comme d'autres tentent de rimailler, et qu'il avait commis un tableau psychédélique qu'il n'avait pas osé signer de son patronyme et donc avait détourné son nom en Gouiran.

Maurice Gouiran ne manque pas d'humour en se moquant de lui-même. D'ailleurs c'est ça l'humour. Savoir se moquer de soi-même. En général quand on se moque des autres, cela devient vite de la méchanceté.

Maurice GOUIRAN : Maudits soient les artistes. Collection Polar Jigal. Editions Jigal. Parution le 17 février 2016. 232 pages. 18,50€.

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commentaires

A
Jigal est une maison d'édition qui propose des polars efficaces, je trouve.
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O
Tu trouves bien Alex, et de plus on y fait plus attention car seulement 9 inédits par an (je crois)
Y
Salut Paul<br /> une belle aventure instructive comme d'habitude, et comme toi, il a fallu que l'auteur me montre noir sur blanc que Narigou, c'est Gouiran... je pense que nous sommes tellement pris par ses histoires que nous ne sommes pas "ouverts" à ce genre de détails.<br /> Amicalement,
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O
Bonjour Yves<br /> Et oui, parfois ce qui est si évident nous échappe ! Mais une belle histoire une fois de plus. Maurice Gouiran ne nous déçoit jamais...<br /> Amitiés

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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