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4 janvier 2016 1 04 /01 /janvier /2016 11:58

Elles en avaient dans le ventre !

Michel MOATTI : Retour à Whitechapel.

Le mythe, ou plutôt la véritable histoire qui n’a jamais connu de dénouement, de Jack L’Eventreur, alimente depuis plus d’un siècle l’imaginaire des romanciers, et les historiens confrontent leurs conjectures sans véritablement apporter de solution satisfaisante.

Du 31 aout 1888 au 9 novembre de la même année, cinq prostituées, ou cataloguées comme telles car elles ne recherchent souvent que quelque menue monnaie afin de se payer boisson alcoolisée, nourriture et endroit pour dormir, ont été égorgées, éviscérées, découpées, dans l’East-End de Londres, les quartiers de Whitechapel et de Spitalfields. Dont deux la même nuit, comme si leur agresseur n’avait pas réussi ce qu’il voulait entreprendre sur la première.

En septembre 1941 Londres ploie mais résiste sous les bombes lâchées par les bombardiers allemands survolant la capitale depuis des mois. C’est le Blitz. Les nombreux blessés sont dirigés vers les hôpitaux, dont le London Hospital situé dans l’East-End. Mary Amelia Pritlowe, infirmière-chef dans l’établissement vient de recevoir une lettre de son père décédé récemment. Une lettre testament dans laquelle il explique que Mary Amelia est la fille de Mary Jane Kelly, la dernière des cinq victimes de l’Eventreur.

Robert Pritlowe avait quitté Mary Kelly peu après la naissance de leur fille dont la garde était confiée à la mère, ou à une amie de celle-ci ou au père, selon les circonstances. Mary Kelly vivait avec Joe Barnett, fréquentait Maria Harvey, sa meilleure amie, devait plus d’un mois de loyer à John McCarthy, propriétaire de nombreux taudis, l’équivalent des propriétaires qui louent à prix d’or des pièces insalubres actuellement en France, les marchands de sommeil. Mary Jane Kelly n’avait que vingt-trois ans, était encore jolie et insouciante.

Robert Pritlowe avait récupéré définitivement la gamine âgée de deux ans après l’assassinat de Mary Kelly, et la petiote avait suivi son père en France, placée dans une institution près de Dieppe puis dans un établissement où elle a appris le métier d’infirmière. Durant la première guerre mondiale elle avait exercé dans l’Argonne puis était rentrée en Angleterre. Cette lettre émanant de son père la plonge dans le désarroi. Elle veut en connaître davantage sur sa mère dont elle ne se souvient pas, savoir réellement ce qu’il s’est passé en ces semaines tragiques, remonter la piste de l’agresseur. Venger sa mère en découvrant l’identité de son meurtrier. De nombreuses hypothèses ont été énoncées, notamment celle selon que le fameux Jack l’Eventreur serait issu de la Haute, mais cela ne lui suffit pas, et comporte un certain nombre d’aberrations.

Alors elle consigne dans des carnets, achetés spécialement à cette intention, ses différentes démarches effectuées notamment auprès de la Filebox society, qui conserve précieusement toutes les archives, articles de journaux, témoignages divers, photographies d’époque des victimes, des lieux. Elle s’inscrit à cette association qui ne comprend que des hommes, des ripperologues passionnés, et compulse tous les documents mis à leur disposition, parfois aidée par les membres eux-mêmes touchés par sa détresse et sa pugnacité.

Enserrés entre les différentes relations des recherches, des démarches, de ses relations avec les membres de la Filebox society, de ses réflexions, consignées au jour le jour ou presque, car les blessés et les malades n’attendent pas, d’Amelia Pritlowe, l’auteur effectue une véritable reconstitution historique des drames enregistrés. C’est ainsi que nous voyons évoluer tour à tour Mary Ann Nichols dite Polly, Annie Chapman, Elisabeth Stride, Catherine Eddowes et enfin Mary Jane Kelly ainsi que les voisins, les amies, les commerçants, les policiers, l’ombre du tueur lui-même. Mais les scènes de meurtres et ce qui précède ou suit, ne vaudraient guère si des événements extérieurs n’étaient pas retracés, placés dans un contexte de misère. Les ouvriers dépensent leur argent dans des pichets de gin aussitôt le maigre salaire encaissé, afin d’échapper à la réalité désastreuse.

Par exemple le défilé revendicatif des allumettières, les ouvrières des usines Bryant & May, le visage rongé, ravagé, par les projections de phosphore durant la fabrication des allumettes et qui réclament de l’argent à la place des denrées avariées fournies en guise de salaire. Un épisode émouvant de la détresse de ces ouvrières exploitées et qui sont confrontées aux gros bras, les contremaitres de la fabrique, armés de gourdins sous les yeux furieux de la direction et ceux impavides des policiers.

D’autres évocations sont plus amusantes, et utilisées par certains romanciers de la littérature policière à ces débuts. Par exemple le recours à l’optographie, phénomène qui consiste à prélever l’iris d’un œil afin de trouver l’image de l’assassin, image qui se serait plaquée sur la rétine au moment du décès de la victime. Ou encore le recours à l’induction hypnotique qui permettrait à Amelia de recouvrer la mémoire et retrouver certains souvenirs de sa vive enfance, alors qu’elle avait tout juste deux ans. Souvenirs qui devraient être enfouis mais pourraient remonter à la surface en procédant à une forme d’hypnose.

Ces encarts ne sont pas écrits selon la sécheresse des minutes des procès-verbaux rédigés par les greffiers lors des retranscriptions des différents témoignages des policiers, des voisins, des supposés témoins ou autres, mais possèdent une force d’évocation narrative vivante (?!).

Une fiction fort documentée qui amène l’auteur à proposer sa version concernant l’identité du meurtrier, identité évidente car tous les arguments développés se tiennent. Michel Moatti a été hanté par cette affaire et durant trois ans, il a arpenté les rues de Whitechapel, compulsant les dossiers de la Metropolitan Police de Londres, les archives de la presse britanniques de l’époque. Et les documents consultés sont réunis dans un carnet d’enquête, avec de nombreux ajouts, des notes prises sur le vif ( !), carnet qui était joint en annexe lors de la première parution de ce roman.

Un roman fort documenté qui repose sur des bases historiques solides et indéniables dans lequel la fiction s’interfère dans l’authenticité de faits réels et d’une déduction que l’on ne peut guère prendre en défaut. Un roman qui fera date dans le cercle des ripperologues et que tout amateur de littérature policière devrait lire.

Première édition : HC éditions. Parution 24 janvier 2013. 350 pages. 19,90€.

Première édition : HC éditions. Parution 24 janvier 2013. 350 pages. 19,90€.

Réédition éditions Pocket. Parution le 9 janvier 2014. 416 pages. 7,80€.

Réédition éditions Pocket. Parution le 9 janvier 2014. 416 pages. 7,80€.

Michel MOATTI : Retour à Whitechapel. Editions 10/18. N°5020. Parution décembre 2015. 414 pages. 8,10€.

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commentaires

A
Connaitra-t-on jamais la véritable histoire ?
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O
Je ne pense pas, car elle fait partie de ses nombreux secrets historiques qui entretiennent la verve des romanciers. Lorsque la vérité sera établie, il n'y aura plus d'intérêt...
P
J'avais beaucoup aimé ce roman quand je l'ai lu, Paul. Cet auteur a un don pour faire ressentir des ambiances. Amitiés
Répondre
O
Moi aussi Pierre et c'est bien pour cela que j'en signale la réédition fort méritée.<br /> Amitiés

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