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6 décembre 2018 4 06 /12 /décembre /2018 05:31

Personne ne vous avait demandé !

Maurice LIMAT : Ici, le bourreau.

Vivre chez les beaux-parents, lorsqu'on est marié(e) n'est pas une sinécure. Et c'est bien pour faire plaisir à sa femme Marie-Claude que Bob décide de louer une maison forestière près de Senlis, quittant Paris et la famille.

Le propriétaire n'étant pas à l'heure au rendez-vous, Bob décide de s'introduire dans la demeure. Aussi bien que Marie-Claude, Bob ressent l'impression d'une présence. Ils pensent même apercevoir au dehors une ombre se glissant entre les arbres. Mais la nuit tombe, et désagréable surprise, un pneu de la voiture est crevé. Comble de malchance, la roue de secours n'a pas été remise. Il ne leur reste plus qu'à passer la nuit sur place. Heureusement, des provisions ont été prévues dans le réfrigérateur.

Marie-Claude se monte son cinéma, se demande pourquoi les locataires précédents sont partis précipitamment, et malgré les soins dont l'entoure son mari, elle ne peut s'empêcher de ressentir de la peur. Une angoisse qui confine à de l'épouvante, d'autant que durant la nuit passée dans une chambre de ce qui devrait être un nid douillet, elle rêve d'un échafaud, un homme en rouge une grande hache à la main et du sang qui gicle partout. Senlis, la cité médiévale qui a connu la Jacquerie au XIVe siècle, étant toute proche, elle impute ce cauchemar à cette proximité.

Le lendemain, le jeune couple reçoit la visite du propriétaire. La défection de la veille n'était due qu'à une erreur d'une journée de leur part et ceci explique quelques disfonctionnements, mais pas pour autant cette étrange impression d'une présence diffuse. Pour autant, Bob et Marie-Claude ne se cloîtrent pas. Habitués à sortir, ils se rendent souvent à Paris, pour des concerts ou dîner dans leur restaurant favori. Un restaurant italien dont ils connaissent bien le gérant, cuisine de qualité, musique d'ambiance assurée par des guitaristes, et même une voyante qui passe de table en table parfois.

Paméla, la tireuse de cartes, énumère quelques révélations à Marie-Claude qui se laisse prendre au jeu. Une grande maison, une forêt, un chien, un amour. Et celui qu'elle aimera sera le bourreau. Elle a raison sur tout sauf sur le chien. Bob dissipe le malentendu en annonçant justement des amis vont leur prêter un jeune chien-loup. Quant au bourreau, peut-être est-ce Bob ?

Afin d'effectuer quelques réparations sur sa voiture, Bob allume dans l'atelier un brasero et muni de tenailles se met à fondre un peu de plomb. Une vision que ne peuvent supporter ni Moloch, le chien, ni Marie-Claude. Quelques temps plus tard le couple est invité à un bal masqué. Bob se retrouve à danser avec une jeune femme vêtue d'effets médiévaux, tandis que Marie-Claude est dans les bras d'un homme déguisé d'un pourpoint écarlate et le visage caché sous une cagoule. La femme entraîne Bob sous une charmille et l'embrasse sur la bouche. Peu après Bob ne sent presque plus ses lèvres, devenues comme glacées.

 

Si le thème de la maison hantée, par un bourreau ou tout autre personnage, forme le fond de bien des romans d'angoisse et de fantastique, dont le célèbre La Maison du bourreau de John Dickson Carr, Maurice Limat y apporte sa touche particulière déclinant le récit à trois voix.

En effet, à tour de rôle Marie-Claude, Bob et Paméla narrent cette aventure, chacun des trois personnages intervenant pour des récits plus ou moins longs mais qui se complètent.

Le récit puise sa force dans ce système narratif, les incidents, les événements, les sensations, les sentiments étant rédigés à la première personne. Le côté psychologique prédomine, plus fouillé que dans d'autres romans de l'auteur, reléguant l'action au second plan. L'angoisse est toujours présente, et l'épilogue ne lorgne pas sur le fantastique alors que tout est justement imprégné d'un irréel en provenance de l'époque médiévale.

Une histoire qui prend sa source dans une histoire d'amour, histoire qui se prolonge au-delà des siècles.

Maurice LIMAT : Ici, le bourreau. Collection Angoisse N°141. Editions Fleuve Noir. Parution 2e trimestre 1967. 224 pages.

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29 novembre 2018 4 29 /11 /novembre /2018 06:09

Et puis après, il y eut le Fleuve noir, mais c’est une autre histoire…

J. H. ROSNY Aîné : Helgvor du Fleuve bleu.

Jeune fille de la tribu des Rocs, les Tzoh, Glavâ ne peut supporter l’idée de son futur mariage avec Kzahm, un guerrier féroce, ni l’immolation de sa sœur Amhao, décidée et imposée par Urm, l’ancêtre de la tribu. Lors d’une éruption volcanique, elle s’enfuit entraînant avec elle Amhao et le jeune fils de celle-ci.

Les guerriers Tzoh sont partis combattre les Ougmar, les fils du Fleuve, afin de ravir leurs femmes. Aucune difficulté dans cette entreprise : les Ougmar sont allés capturer des chevaux pour l’hiver et dans le village ne restent, outre les femmes, que des enfants et des vieillards.

Helgvor, jeune guerrier Ougmar, accompagné par Hiog, un enfant, et de deux chiens et un loup, survient à la fin du carnage. Il suit la trace des Tzoh qui retournent chez eux en suivant le fleuve.

Quant aux deux jeunes femmes, elles continuent leur fuite en pirogue. Elles sont repérées et traquées par quelques guerriers mais Helgvor vient à leur rescousse et les sauve momentanément dans une grotte. Mais la demi-douzaine de Tzoh, commandés par Kamr, les retrouvent. S’engage alors un combat au cours duquel Kamr est tué et les jeunes femmes blessées.

Helgvor les ramène dans sa tribu où les hommes sont de retour et tous décident d’arracher les captives Ourgmar aux mains de leurs ravisseurs, emmenant avec eux Glavâ et laissant Amhao et son bébé en compagnie des enfants et des vieillards. Ils s’allient aux Gwah, tribu carnivore, en leur promettant de la nourriture.

En cours de route une dissension s’installe entre le chef Ougmar, Aktoun, et l’un des guerriers, Heïgoun, qui possède un ascendant certain sur quelques membres de sa tribu. Glavâ se sent mal à l’aise en compagnie de ces hommes, malgré l’attirance qu’elle ressent envers Helgvor, attirance réciproque.

Pendant qu’Helgvor et d’autres de ses compagnons partent à la recherche des Tzoh et des femmes restant en leur possession, Glavâ s’enfuit. Sa sœur Amhao lui manque et elle décide de la rejoindre. En route elle est faite prisonnière par un groupe de Gwah mais elle réussit à s’échapper lors d’une querelle entre les fils de la Nuit. Puis elle est attaquée par une lionne...

 

Ce livre de Rosny Aîné, est un voyage fiction dans la préhistoire, tout comme La Guerre du feu, son roman le plus connu des jeunes générations, et la description qu’il fait de nos ancêtres et de leur mode de vie, de leurs comportements, ne manque pas de saveur.

Mais ce roman des âges farouches pourrait aussi bien se rapporter à certains épisodes vécus de nos jours dans des pays en train de régresser, à cause de dictateurs, de la religion, de la famine aussi. L’ordre n’est peut-être pas le bon.

Le concept de ce roman tient en quelques lignes : Tribulations d’une jeune fille, Glavâ, qui s’enfuie d’une tribu qu’elle juge trop féroce dans ses mœurs et aspire à découvrir une civilisation plus humaine, mais connait des difficultés d’intégration dans une autre tribu malgré le penchant qu’elle peut ressentir envers l’un de ses membres, Helgvor.

Ce roman a fait l’objet d’une réédition dans un fort volume regroupant les romans préhistoriques de Rosny aîné en 1985 et qui contient, outre La Guerre du Feu, Le félin géant, Eyrimah, Les Xipéhuz

J. H. ROSNY Aîné : Helgvor du Fleuve bleu.

Cet article a paru dans la revue Encrage N°17 sous une forme moins condensée puisque j’y décrivais les différentes tribus évoluant dans ce roman, les mœurs et coutumes, ainsi que le bestiaire.

J. H. ROSNY Aîné : Helgvor du Fleuve bleu. Editions Tallandier. Parution 2e trimestre 1977. 256 pages.

ISBN : 2-235-00138-6

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25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 05:19

La théologie, c’est bien
L’athée sans logis, c’est moins bien !

Stanislas PETROSKY : Requiem pour un fou.

Il ne faut pas croire que parce qu’il est prêtre exorciste et agent du Sodalitium Pianum, les Services secrets du Vatican, que Requiem, alias Esteban Lehydeux, se tourne les pouces en attendant une hypothétique affaire de démonologie.

D’ailleurs, il sait bien que les démons ne se trouvent pas là où on les attend, mais souvent dans les coulisses du pouvoir. Mais n’extrapolons pas, ce n’est pas notre propos. Non, Esteban (d’église !) est, au moment où nous le retrouvons dans cette nouvelle aventure, fort occupé à aider les bénévoles de l’association Magdalena, basée à Boulogne-Billancourt. Cette association caritative vient en aide aux SDF et autres cabossés de la vie.

C’est alors qu’il reçoit un appel téléphonique de son ami Régis, le commissaire de police. Régis est sur une scène de crime et il a besoin des lumières, et du son par la même occasion, de son ami Requiem. En effet, par un pur hasard géographique, le corps d’un homme a été découvert dans un appartement de Boulogne-Billancourt et bille en tête notre curé se précipite, car il est impliqué.

En effet le cadavre, qui avait été placé dans un appartement destiné à la location, est agenouillé sur un prie-Dieu, des phrases sont inscrites sur une glace à l’aide d’un marqueur, des phrases qui se réfèrent à des prières mais dont des mots sont en trop, et surtout, surtout, le dernier roman publié en date de Requiem est retrouvé sur place. Et c’est bien cet ouvrage qui a inquiété le commissaire Labavure, Régis de son prénom. Que venait faire ce livre en cette galère !

Ceci aussi inquiète Requiem, toute la mise en scène en réalité. D’autant que d’autres corps sont retrouvés dans des conditions similaires, avec toujours des références religieuses légèrement détournées, et à chaque fois le roman de Requiem. A croire que l’assassin s’était constitué un stock d’ouvrages, ce qui est bon pour la vente, et donc sur le pourcentage qui ruissellera dans l’escarcelle de l’éditeur et de l’auteur.

Cécile, la copine de Requiem, celle qui lui permet de passer des nuits blanches, arrive sur les entrefaites pour le week-end. Ah heureux curé qui connait sa Bible et surtout la théologie chrétienne, qui sait que le célibat des prêtres n’a été décidé que depuis le concile du Latran de 1123, et bien d’autres références qui lui permettent de contourner la doctrine en vigueur, se prête volontiers au simulacre de la reproduction, un interdit que bravent allègrement certains religieux en s’occupant de la sexualité des gamins, se souvenant des paroles du Christ qui disait Laissez venir à moi les petits enfants.

Cécile qui accompagne Requiem sur les lieux de meurtres et donne la signification des messages inscrits sur les lieux des crimes et se rapportent à des chansons de Johnny Halliday. Oh Marie, si tu savais

Et comme Régis Labavure est dépendant d’un chef, un commissaire divisionnaire, qui n’apprécie pas (le mot est faible) l’intrusion de Requiem dans l’enquête. Monsieur le Divisionnaire est un grand lecteur, mais la littérature populaire, surtout policière, est au dessus de ses gammes de prédilection, alors un ouvrage d’une teneur guère orthodoxe, et encore moins catholique, ne plaide pas en faveur du prêtre-romancier.

Bientôt germe dans l’esprit (sain) de Requiem l’idée que le fauteur de troubles lui en veut et que la cible bientôt se sera lui. Et comme les morts étaient tous des cabossés de la vie, il requiert les compétences, via Falvo, son patron au Vatican, compétences dans des domaines pratiques, matériels et autres, notamment la venue d’une charmante maquilleuse. Et il se mêle au troupeau toujours plus nombreux des SDF (Sans Dents Fixes) qui attendent la provende distribuée par l’association caritative qu’il aide. Association qui n’est pas la seule à proposer des repas gratuits car d’autres effectuent un tri dans les bénéficiaires en distribuant de la soupe au cochon, ce qui exclue quelques faméliques.

 

Moins humoristique que dans ses précédents romans consacrés à Esteban Lehydeux, Stanislas Petrosky s’intéresse plus à un phénomène de société, celui des pauvres obligés de vivre dans la rue, ravitaillés par des associations caritatives dévouées, ou malfaisantes, par exemple les Identitaires.

Mais outre la dénonciation du traitement infligé à ces pauvres hères, l’auteur se défoule en pointant du doigt les dérives d’une société, dite moderne, qui régresse mentalement, sous couvert de la moralité. Le harcèlement sexuel de rue par exemple, toujours à mettre sur le compte des hommes naturellement, car les femmes n’oseraient jamais se promener en mini-jupe et fringues affriolantes et attiser la convoitise masculine. C’est bien connu !

Si j’ai écrit que ce roman est moins humoristique que les précédents, le contexte ne s’y prêtant guère, certaines scènes ou réflexions sont toutefois glissées ici et là afin d’apporter la note joyeuse indispensable à la décompression nécessaire exigée pour mieux savourer les coups de griffes, les coups de gueule, les idées de bon sens émises. Alors entre deux parties de soutane en l’air, et deux interpellations au lecteur et plus principalement à sa lectrice, l’auteur émet et glisse ses sentiments de révolte, ce qui ne changera rien à l’ordre des choses mais lui permet de se défouler et d’être en paix avec lui-même.

Avant d’être un roman humoristique, il s’agit d’un roman humaniste. Amen !

 

Si Facebook avait existé pendant la Seconde Guerre mondiale, le pauvre Jean Moulin aurait été dénoncé bien avant le 21 juin 1943.

 

Stanislas PETROSKY : Requiem pour un fou. Collection Polar. Editions French Pulp. Parution le 15 novembre 2018. 240 pages. 15,00€.

ISBN : 979-1025104040

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22 novembre 2018 4 22 /11 /novembre /2018 05:59

En Simca 1000 Pigeot ?

Thierry CRIFO : Pigalle et la fourmi.

Gabriel Lecouvreur alias Le Poulpe, est plongé dans une phase nostalgique, arpentant les trottoirs de Pigalle, à la recherche des fantômes de ses parents.

Cheryl désirant acquérir une nouvelle boutique de coiffure, histoire de se décentraliser et teindre la mèche hors de son arrondissement de prédilection, a jeté son dévolu sur une boutique du IXe arrondissement, plus précisément rue de Douai.

Ce n’est pas la mer à boire, pourtant Gabriel n’apprécie guère. Et ne voilà-t-il pas que son vieil ami Pedro lui fait remarquer, bêtement, comme ça par hasard, vendant la mèche sans s’en rendre compte, que ses parents (au Poulpe et non à lui Pedro), que les parents donc de Gabriel, ébouriffé par cette révélation, ont habité précisément cette rue et sont décédés accidentellement dans le quartier de Blanche-Pigalle.

Pas doué pour une fois le Pedro qui décoiffe. Gabriel était persuadé que ses parents étaient morts près de Chartres. Du moins c’est ce qu’on lui avait toujours dit. Alors ? Déboussolé, accablé par la chaleur, il investit un quartier qu’il ne connaît pas et remonte les traces qu’aurait pu laisser son père, découvrir une vérité qui le taraude alors qu’auparavant il n’avait jamais pensé à remonter le passé à la découverte de ses origines.

 

Un Poulpe qui sort enfin de l’ordinaire (avec celui de Pierre Bourgeade : Gab save the Di). Gabriel est entièrement impliqué dans cette enquête, cette quête, et ce n’est pas une affaire qu’on lui propose, par le biais parfois.

Non, cette fois, c’est lui qui est en cause, ses parents, les mensonges qui lui ont été fournis peut-être pour ne pas le traumatiser, lui qui se promène avec dans son portefeuille une photo de ses géniteurs mais n’avait jamais cherché à savoir où elle avait été prise, un retour en arrière qui risque de faire mal.

Thierry Crifo, tout en respectant la Bible du personnage, innove, et c’est comme une bouffée de fraîcheur dans un Pigalle qui transpire sous la canicule.

 

Thierry CRIFO : Pigalle et la fourmi. Le Poulpe N°226. Editions Baleine. Parution le 9 octobre 2001. 200 pages. Réédition en version numérique : 2,99€.

ISBN : 978-2842193553

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20 novembre 2018 2 20 /11 /novembre /2018 05:35

Elle portait des culottes, des bottes de moto…

Denis SOULA : Deux femmes.

On ne connait pas leur nom, mais cela importe peu car cela n’influe pas sur l’histoire, alors je me contenterai de les appeler l’Une et l’Autre.

L’Une vient de connaître un drame et elle vit avec sa fille dans un appartement d’une ville située quelque part dans le centre de la France. Sa fille n’apprécie pas que sa mère vienne la chercher à l’école, elle est grande. Pour autant elles font les devoirs ensemble, presqu’un moment de complicité. Et puis il y a cette musique qui déferle dans l’appartement, une musique moderne dans laquelle elle ne se retrouve pas, qui lui martyrise les oreilles.

Elle travaille dans une boutique et est appréciée de ses collègues, pour autant la vie n’est pas facile. Et, heureusement, il y a la moto qui leur permet de s’évader parfois, et oublier l’avant. Et leur voisine qui est aux petits soins pour sa fille.

Alors elle se remémore son enfance, ses passions, ses parents, son voisin et ses petits travaux de bricolage sur ses motos, ses problèmes, sa vie d’avant le drame.

 

L’Autre vit à Amsterdam, mais elle est Française. Elle chasse, pour tuer, mais pas de gentils animaux. Non, des bêtes malfaisantes, des criminels de guerre. Elle est forte dans son domaine en remontrant aux petits jeunes qui pensent, que parce qu’elle est une femme, qu’elle devrait rester dans un bureau à manipuler des papiers.

Elle aussi repense à sa jeunesse, à ses heurts avec sa famille pour des questions politiques. Ils vivaient dans un quartier huppé parisien, prônant les vertus de la droite. Elle, elle votait à gauche, une forme de rébellion, une manière de s’affirmer, par conviction aussi.

Et elle a appris à se servir d’un fusil, en Sologne, grâce à un voisin, et c’est ainsi qu’elle est entrée dans les Services de Sécurité. Elle a connu l’élection présidentielle de 1981, les espoirs qui étaient incarnés par une politique nouvelle, ses désillusions aussi, les revirements électoraux qui se traduisaient par une alternance gouvernementale mais dont les décisions n’étaient pas forcément différente des précédents pouvoirs. Et ses déplacements à l’étranger dans le cadre de ses missions.

 

Deux trajectoires différentes, de femmes plus ou moins brisées par la vie et tentant malgré tout de s’en sortir, pour elles ou leur famille, ou ce qu’il en reste, blessées dans leurs cœurs et leurs convictions.

Et peu à peu leurs destins vont se rejoindre pour le meilleur ou pour le pire, allez savoir ?

Chacune d’elle s’exprime par la pensée. On les suit évoluer dans leur quotidien, se parlant à elles-mêmes, sans qu’aucun dialogue transparaisse dans le récit. Les demandes et les réponses, les souhaits, de l’Une, lorsqu’elle parle, discute, ou rouspète, avec sa fille sont en italiques, comme des réminiscences d’un passé plus ou moins court.

Comme si le lecteur entrait dans le cerveau de l’Une et de l’Autre, ce qu’au cinéma on appellerait en voix Off.

Un récit, plus qu’un roman, tout en subtilité, en émotions, en tendresse, en force, en violence parfois mais mesurée, et l’on les suit, on se calque, on investit spirituellement ces deux femmes, on devient les deux protagonistes sans pour autant se substituer à elles.

Et la force du récit tient également dans son nombre de pages réduit, car trop de délayage, comme parfois il arrive à certains romanciers de se perdre dans des considérations ennuyeuses, aurait nui à la puissance et au dynamisme de cette intrigue qui intrigue.

Denis SOULA : Deux femmes. Editions Joëlle Losfeld. Parution 11 octobre 2018. 116 pages. 12,50€.

ISBN : 978-2072820847

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17 novembre 2018 6 17 /11 /novembre /2018 05:49

Le diable a bon dos, en certaines circonstances…

Daniel CARIO : Les Bâtards du diable.

Nous sommes en 1958 et dans quelques semaines, Silvère Lavarec va prononcer ses vœux pour être consacré prêtre. Pour l’heure il est encore séminariste et passe ses vacances chez ses parents. Pour ceux-ci, c’est la concrétisation de leur rêve, voir leur fils entrer dans les ordres.

Silvère est un amoureux de la nature et il se rend souvent en forêt à la recherche de pierres, des petits trésors comme la staurolite qu’il vient de dénicher. Mais la rencontre inopinée avec une laie désirant probablement protéger ses marcassins lui est défavorable. Elle le blesse à la cuisse et n’a même pas le courage de le prendre en charge. Silvère s’évanouit et lorsqu’il reprend ses sens, il se demande bien ce qu’il lui arrive.

Il ne peut plus bouger. Il est sanglé sur un lit par le torse et ses mains ne peuvent qu’esquisser que quelques mouvements. Une femme vêtue de noir, à l’âge indéfinissable, lui apporte un bol de bouillon. Elle ne répond pas à ses questions. Elle est muette, du moins c’est ce que Silvère en déduit. Puis elle le soigne, une piqûre, de l’alcool sur sa plaie, une couture sans anesthésie, un autre bol de bouillon, et elle repart comme elle est venue, en silence. Toutefois les soins qu’elle lui a prodigués, si ce n’est l’œuvre d’une professionnelle, démontrent qu’elle possède des notions certaines d’infirmière.

La situation évolue, tout doucement. Elle lui apporte à manger, un bassin pour se soulager, ses traits sont moins durs, elle consent même à sourire de coin lorsqu’il lui parle. Silvère est gêné car elle n’hésite par en déboutonner sa soutane pour le laver, lui ôter sa culotte, lui frotter le torse et l’entre-jambe. Il dissimule une cuiller avec laquelle pense-t-il il va couper ses sangler, mais peine perdue. Son hôtesse perd son austérité, se parfume, se vêt d’habits moins austères, et un jour elle se juche sur lui et entame une espèce de rodéo dont apparemment elle ne tire aucun plaisir. Comme si elle se conformait à un rite depuis longtemps nourri spirituellement. Pour le séminariste c’est l’abîme.

Il vient de plonger à son corps défendant dans la luxure, lui qui, quelques années auparavant, avait subi un traumatisme sexuel, ce qui l’avait, mais ce n’était pas la seule raison, conduit vers le séminaire. Elle lui parle, à mots couverts, par énigmes et enfin il parvient à s’échapper, alors qu’elle est absente. Débute alors une double errance.

Revenir chez ses parents, les rassurer sans pour autant expliquer son absence, ce qu’il a vécu durant des jours, puis retrouver les origines de cette femme dont il connait le nom grâce à une photographie découverte lors de sa fuite dans un tiroir. Photographie qui la représentait enfant et portant le nom de Blandine de Quincy. Elle le gardait en otage, pour quelle raison il n’en sait rien. Et c’est bien ce qui le taraude, le passé de cette femme et les raisons qui l’ont amenée à la séquestrer.

 

Remonter le passé, sans vouloir inquiéter ses parents, sans désirer leur confier ses affres lors de sa séquestration, séquestration qu’il passe sous silence naturellement, narrer une partie de ces quelques jours au cours desquels il a subi l’humiliation charnelle à son confesseur et responsable du séminaire, retrouver la trace de cette masure enfouie dans une fondrière, retrouver l’origine de Blanche, sa parentèle, ce qu’elle a vécu, subi elle aussi, et découvrir l’horreur, telle va être la mission que Silvère s’impose, non seulement pour la sauver mais aussi pour se sauver lui-même. Une auto-flagellation spirituelle.

 

Sans prosélytisme, mais tout en gardant dans l’esprit que Silvère est un futur prêtre, conditionné pour le devenir, Daniel Cario nous livre un roman fort, dans la veine des feuilletonistes et des romanciers du 19e et début 20e siècle pour qui le misérabilisme, le social, la misère morale et physique étaient un terreau fertile pour les romans qu’ils rédigeaient.

Alors on pense à Eugène Sue, Xavier de Montépin, Pierre Decourcelle, Charles Mérouvel, Marcel Priollet, Hector Malot, qui décrivaient une société n’acceptant aucune dérive. La famille devait être composée d’un père, d’une mère et d’enfants issus pendant le mariage. Mais l’on sait que de tous temps, des gamins sont nés sans réelle identité, que les maîtres se conduisaient en seigneurs, que les servantes devaient subir les assauts et que les filles de bonne maison ne devaient pas coucher avant la nuit de noce programmée avec un mari choisi par convenance.

Mais Daniel Cario va plus loin encore, l’époque étant favorable à bon nombre de dérives malgré une certaine tolérance affichée. Les magazines spécialisés dans la relation d’articles spécifiques liés à l’horreur des drames familiaux, auxquels on ne songerait pas si l’on n’était pas confronté de visu aux titres raccrocheurs, qui ne sont pas tous issus de l’imagination de journalistes en mal de sensationnel, font florès dans les kiosques. L’on se moque des romans naturalistes et misérabilistes des auteurs précités mais ces publications hebdomadaires pullulent sur les étals des revendeurs de journaux, photos ou dessins à l’appui.

L’épilogue est conforme à ce que j’avais imaginé et donc il me convient parfaitement même si cela heurtera quelques âmes sensibles à une époque où les tabous reviennent en force.

 

Daniel CARIO : Les Bâtards du diable. Collection Terres de France. Editions Presses de la Cité. Parution le 11 octobre 2018. 320 pages. 20,00€.

ISBN : 978-2258145320

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10 novembre 2018 6 10 /11 /novembre /2018 06:17

Logan roule pour vous !

Alexis AUBENQUE : 7 jours à River Falls.

Le soleil va bientôt se retrouver sous la ligne d’horizon, pourtant Tommy et son jeune frère Jeremy baguenaudent dans les bois, près d’un lac. Tommy n’est pas pressé de rentrer à la maison. Cela lui sera fatal. Une mauvaise rencontre, au mauvais moment, au mauvais endroit, et il sera retrouvé le lendemain, mort, écrasé, la nuque brisée. Tommy a été victime d’un chauffard qui a pris le temps de l’achever.

Pour Mike Logan, le shérif du comté de River Falls, dans l’état de Washington, il ne s’agit pas d’un banal accident. De minuscules particules de verre sont retrouvées, des débris provenant d’un phare. Jeremy est découvert un peu plus tard, le corps inanimé mais vivant. Le soulagement se fait sentir parmi les policiers, les hommes de la scientifique arrivés sur zone et les volontaires qui se sont proposés pour effectuer les recherches. Dont Finley qui en glissant dans une ravine a trouvé le jeune gamin. Finley est blessé et transporté à l’hôpital. Le gamin qui est dans le coma aussi.

C’est là que Leslie Callwin, journaliste au Daily River vient l’interroger afin de recueillir les dernières informations. Elle n’a qu’un but, pouvoir travailler un jour dans un grand journal de Seattle, et tous les moyens sont bons pour se faire un nom dans la profession.

Mais Logan n’est pas au bout de ses surprises, lui qui espérait trouver une vie calme et tranquille dans la petite cité, loin de tout ce qu’il avait connu comme turpitudes à Seattle. Et voilà que deux cadavres de jeunes filles viennent perturber son existence.

Sarah Kent, est en train de déjeuner en compagnie de quelques amies de l’université. Elle est encore chamboulée par la mésaventure du matin, lorsque Jennifer lui a pris ses vêtements alors qu’elle était sous la douche. Elle pensait être obligée de regagner nue sa chambre, mais elle les a récupèrés non sans s’être faite accusée de voleuse. Donc à la cantine elle apprend le décès de d’Amy Paitch et Lucy Barton dans des conditions horribles.

Sarah est choquée car les trois jeunes filles étaient très amies, deux ou trois ans auparavant, lorsqu’elles allaient au lycée de Silver Town, la petite ville qui les avait vu naître. Depuis leur arrivée à l’université, les liens s’étaient distendus pour des raisons qui leur sont propres. Et Sarah sort avec d’autres copines. Et des copains aussi, car ils forment une petite bande. Elle apprécie particulièrement l’un d’entre eux mais celui-ci est réticent. Il argue des fiançailles avec une jeune fille huppée et le respect qu’il doit à ses parents. Bref toutes bonnes (ou mauvaises) raisons pour se défiler.

Jessica Hurley, profileuse à Seattle est dépêchée sur place. Le passé de Mike Logan refait surface. Jessica, il la connait bien, trop bien même. Elle fut sa maîtresse mais les événements ont fait qu’ils se sont séparés. Et voilà qu’elle redéboule dans sa vie.

Sarah se rend auprès des services de Mike Logan afin de signaler ses accointances avec Amy et Lucy, mais Mike et ses adjoints sont persuadés qu’elle ne dévoile pas tout. Comme si elle tenait absolument à cacher un secret honteux. De plus Mike Logan est furieux car une taupe sévit dans son service. La journaliste Leslie Callwin est informée de faits, des révélations qui n’auraient jamais dû quitter les antres du commissariat.

L’enquête n’est pas de tout repos pour Mike Logan et ses adjoints, ainsi que pour Jessica, Sarah et quelques autres personnes qui suivent de près ou de loin cette enquête qui se révèle perverse. Les supposés coupables ne manquent pas, certains même se retrouvent au tapis. Et pourtant, si ce n’était que des leurres ?

 

Le tueur se joue des policiers, en particulier de Mike Logan, tout comme l’auteur se joue des lecteurs en les manipulant, proposant de fausses pistes, le menant là où il veut. Mais le tueur se fera rattraper par la patrouille, heureusement, tandis que le lecteur aime être manipulé.

Outre l’enquête, c’est pour Alexis Aubenque de mettre en opposition, mieux que le ferait peut-être un romancier américain car celui-ci ne pourrait échapper à ses convictions, des jeunes gens qui tout en étant amis se sentent proches des Républicains ou des Démocrates. Ce qui parfois les amène à se quereller verbalement.

On ne peut pas applaudir la mort de quelqu’un, même si cette personne était la pire des pourritures, dit-elle.

Les échanges sont parfois un peu vifs entre Sarah et ses ami(e)s mais il se trouve toujours quelqu’un, fille ou garçon, pour débloquer la situation par une pirouette orale.

Lisa comprenait les arguments de ses camarades, mais elle savait par ailleurs que la peine de mort ne servait absolument pas d’exemple, au contraire : elle institutionnalisait la mort.

Si les problèmes de couple pas encore formé avec Jessica Hurley taraude Mike Logan, ce sont parfois, et même souvent, leurs conceptions de mener l’enquête qui les oppose. Mike est un fonceur, qui réfléchit après coup, tandis que Jessica, de par son statut de psychologue est plus calme, posée, et analyse mieux les situations et les personnages.

Quant au personnage de Leslie Callwin, et de la plupart des journalistes à travers elle, Alexis Aubenque met en scène quelqu’un prêt à tout pour obtenir des informations, croustillantes si possible, afin des les jeter en pâture à la foule en délire qui ne demande qu’à lire les articles relatant les tares de la société, oubliant qu’eux-mêmes, ceux qui composent cette foule, sont dans le même panier. Un attrait morbide, une avidité de l’horreur dont ils oublient qu’elle les guette peut-être. A moins que ce soit dans un but de défense, de déni.

Et si le lecteur connait les liens existant entre Jessica Hurely, Mike Logan, Leslie Callwin et les autres protagonistes de cette histoire, grâce à la lecture des romans composant la suite et principalement la saison 2, il ressent une véritable addiction l’obligeant à s’impatienter devant la longueur de temps nécessaire à la parution de la suite des aventures de ses personnages préférés.

 

Le citoyen ordinaire est toujours mal à l’aise face à la police. Logan avait sa propre théorie là-dessus. D’après lui, tout le monde est porteur de secrets peu avouables.

 

Quand les lois sont injustes, il est du devoir de tout citoyen de ne pas les respecter.

 

Alexis AUBENQUE : 7 jours à River Falls. Saison 1 – Episode 1. Réédition Editions Bragelonne Poche Thriller. Parution 17 octobre 2018. 408 pages. 7,90€.

ISBN : 979-1028110505

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4 novembre 2018 7 04 /11 /novembre /2018 05:26

Méditerranée
Aux îles d'or ensoleillées

Aux rivages sans nuages

Au ciel enchanté…

Philippe GEORGET : Amère Méditerranée.

Confetti posé sur les eaux méditerranéennes, Ostiolum est une petite île accueillante. Les touristes s’y pressent, les migrants aussi.

Journaliste travaillant principalement sur internet, alimentant son site avec des informations recueillies sur l’île, Louka Santoro déguste tranquillement son café matutinal tout en regardant les touristes se préparer à monter sur le bateau de Corto, lorsque celui-ci d’un seul coup débarque le matériel de plongée qui était déjà à bord et refuse l’accès aux amateurs de plongée sous-marine.

Il vient de recevoir un appel d’Ugo Fabri qui était en mer pour pêcher en compagnie de sa femme et d’un copain lorsqu’il a aperçu des migrants à la mer. Le chalutier qui les transportait vient de couler suite à un début d’incendie qui a provoqué la panique parmi les trop nombreux passagers. Naturellement Louka embarque ainsi qu’un ancien marin qui était au bar et les voilà partis repêchés les naufragés. Ils parviennent à en recueillir quelques-uns, ainsi que les autres navires qui se sont portés à leur secours, mais de nombreux cadavres flottent sur la mer ou disparaissent dans l’eau.

Parmi les naufragés Fatou, une jeune Malienne à la tête rasée qui tient une caisse dans laquelle un chaton de quelques mois se demande ce qui lui arrive. D’autres aussi, Abdel, qui dirigeait le chalutier en compagnie de son cousin Mansour, Seyoum, un petit Erythréen qui parait beaucoup plus jeune que son âge, Saïda, Marwan, et combien d’autres qui rêvaient d’accoster la terre promise dans de meilleures conditions.

Les rescapés sont placés dans un Centre d’Hébergement pour Migrants. Flavio, le responsable local de la police, Lila, l’ancienne amie de cœur de Louka et journaliste télé sur le continent sont également intéressés par ce périple qui a mal tourné. Louka essaie d’interroger les rescapés, mais il se heurte à un mur, comme si parler de ce qu’ils avaient subi ravivait les horreurs. A moins que ce soit autre chose. Comme si une certaine forme de fraternité les unissait dans l’adversité. Pourtant Louka sauve la mise à Fatou en adoptant temporairement son chaton qui doit être mis en quarantaine, le pelage pelé par l’incendie et peut-être porteur de maladie. Peu à peu toutefois les langues se délient mais il reste de nombreux secrets dans leurs déclarations.

En compagnie de Corto, Louka se rend sur les lieux du drame, emmenant avec lui une caméra de plongée. Ils repèrent l’épave avec à la proue un couple attaché à la rambarde. Un homme, le cou tranché, et une femme sont attachés par des menottes. Corto inspecte la cale d’où s’échappent des cadavres. Rentré chez lui, Louka fait des copies du film et les cache soigneusement.

La découverte des cadavres intéresse non seulement la police locale en la personne de Flavio, car des gardes civils sont envoyés sur place. Grâce à ses contacts, Louka apprend que des envoyés, dont une femme, du FBI viennent d’arriver. Le FBI est le nommé donné aux membres de la Sécurité intérieure. Deux autres individus attirent l’attention, d’autant que désirant se faire passer pour des touristes, ils sont vêtus d’habits hawaïens, ce qui n’est pas synonyme de discrétion. Les deux hommes rapidement surnommés Heckel et Jeckel (volatiles qui en France sont popularisés sous les noms de Hurlu et Berlu) semblent être des mafieux, ce qui sera confirmé par la suite.

 

Adepte de poésie, surtout de Pablo Neruda et de Federico Garcia Lorca, féru de jazz et joueur de guitare lui-même, interprétant et chantant des airs de blues dans son bar habituel, Louka est un journaliste indépendant et dilettante, vendant parfois ses papiers à des journaux nationaux. Il connait tout le monde sur l’île, et inversement, ayant toujours vécu sur ce bout de terre posé sur la mer et son père ayant été le maire de la ville durant de longues années avant de mourir quelques sept années auparavant. Malgré ses bonnes fortunes, c’est un solitaire.

C’est un peu l’auteur qui se transpose dans son personnage narrateur, Philippe Georget étant lui-même journaliste et ayant pas mal bourlingué dans sa vie, visitant de nombreux pays dont certains de ceux qui géographiquement parsèment ce roman. Sans oublier un personnage récurrent dans les romans de Philippe Georget, le chat.

Roman ? Récit documentaire accompagné d’une fiction serait plus juste. Car cette intrigue, qui réserve de nombreuses surprises, est englobée dans le reportage des migrants qui fuient leurs pays pour diverses raisons, toutes honorables malheureusement, car s’il n’y avait pas la dictature, la guerre, la misère ou la famine, tout se liant et s’enchaînant, ils ne se jetteraient pas dans les bras de passeurs nécrophages avides d’argent.

Les naufrages ne manquent d’être relatés à travers les journaux télévisés ou papiers, mais dans ce récit, il s’agit d’une plongée en apnée dans le ventre mou des bateaux transbordeurs de viande humaine. Avec les conditions difficiles de la vie à bord, la proximité, le manque d’hygiène, d’eau, de nourriture, les multiples rebuffades accompagnées éventuellement de coups de la part des passeurs qui n’hésitent à quitter le bord à l’aide de l’unique canot de sauvetage lorsque le besoin s’en fait sentir.

Et on ne peut s’empêcher de penser à Lampedusa, à l’Acquarius, et à tous ces migrants rejetés de tous bords parce qu’ils gênent, qu’ils ne possèdent pas la même culture, la même religion, la même couleur de peau par des gens bien-pensants qui prônent l’humanisme mais ne le pratiquent pas.

 

Sur les murs de la digue, des habitants de l’île ont écrit il y a quelques années à la peinture rouge : « Protégeons les peuples, pas les frontières ». Nous avons toujours été ici du côté des naufragés. C’est un état d’esprit, une culture. Notre identité. Nous sommes des gens de la mer, notre île est un radeau. Si elle avait dérivé plus au sud, nous ne serions pas un avant-poste de l’Europe mais un point de départ de l’Afrique. Notre sort s’est joué à quelques miles. Nous en avons conscience.


Et c’est encore sur ce stock que je puise aujourd’hui pour restaurer l’engin devenu collector. Ou vintage. Je n’ai jamais bien pigé la différence entre ces deux mots inventés pour désigner des objets autrefois à la mode, qui se sont retrouvés un jour désuets puis ringards avant de connaître subitement un regain de faveur.

La neige était fabriquée par des canons, il n’y en avait que sur les pistes, on aurait dit des toboggans. On faisait la queue aux remontées, la queue pour descendre, la queue pour boire un verre ou manger… Moi qui croyais la montagne aussi sauvage que la mer, je n’ai trouvé là-bas qu’un parc d’attractions !

Philippe GEORGET : Amère Méditerranée. Editions IN8. Parution le 12 juin 2018. 464 pages. 22,00€.

ISBN : 978-2362240904

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3 novembre 2018 6 03 /11 /novembre /2018 05:49

Ce n’est pas ce que l’on appelle la petite mort !

Ruth RENDELL : Douces morts violentes

Ruth Rendell avait l’habitude d’écrire des drames psychologiques à l’atmosphère dense, aux personnages souvent frustres, complexés, pathologiques, mais qui jamais, ou rarement, ont atteint l’intensité qui règne dans ce court roman, ou longue nouvelle, comme on veut.

Intensité d’écriture, intensité des sentiments, crescendo dans l’intensité d’action, tout concourt à en faire une des meilleures productions de Ruth Rendell.

 

Perturbée par la mort de sa mère, Elvira, quinze ans, tient son journal. Perturbation mais également soulagement. Et son journal est le récit de ses relations sentimentales avec Spinny, sa jeune sœur, mais surtout avec son père.

Spinny l’agace parfois, par sa puérilité, ses angoisses nocturnes, son comportement trop terre à terre. Quant aux sentiments qu’Elvira manifeste envers son père, ils sont ambigus mais secrets.

Elle vit en communion spirituelle avec cet homme bien fait de sa personne, distingué mais austère. Austérité entretenue par ses fonctions d’enseignant et d’homme d’église.

Elle lui voue un amour beaucoup trop fort pour être uniquement filial. Et lorsque le père décide de se remarier, pour Elvira, c’est plus qu’une déception, une amère désillusion, une cruelle souffrance. Personne ne peut lui prendre son père, cet être qu’elle adore et partage avec parcimonie avec sa sœur Spinny.

Un jour, c’est le drame. Deux semaines avant la date fixée pour la cérémonie, Mary Leonard, puisque tel est le nom de l’intruse, chute d’un échafaudage, lors de la visite guidée de la cathédrale. Accident ? Meurtre ?

 

Récit d’une crise d’adolescence relatée par celle qui la subit, qui la vit, Douces morts violentes est d’un pathétisme poignant et l’on ne peut que plaindre Elvira dans ses sentiments exacerbés malgré parfois ses propos quelque peu pédants.

Ruth Rendell, dans ce livre, atteint à l’apogée de son art et de ses préoccupations qui la poussent à écrire. Elle excelle dans la description, dans l’analyse du comportement féminin, avec tout ce qui en découle d’angoisse, de souffrance, de persécution, de névrose, délaissant un peu la trame du roman policier pour se consacrer à une littérature, une forme d’écriture plus élaborée et en même plus dépouillée.

Réédition Le Livre de poche no 6645. 1991

Réédition Le Livre de poche no 6645. 1991

Ruth RENDELL : Douces morts violentes (Heartstones – 1987. Traduction Solange Lecomte). Première édition : Editions Belfond. Parution 18 mars 1988. 130 pages.

Réédition Le Livre de poche no 6645. 1991

ISBN : 978-2714421081

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28 octobre 2018 7 28 /10 /octobre /2018 05:34

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans…

Hervé JAOUEN : L’amour dans les sixties.

Il arrive un moment, au crépuscule de sa vie, que l’on soit tenté de se retourner et regarder en arrière ce personnage que l’on fut à vingt ans.

Etienne, qui à défaut de devenir écrivain s’est investi dans le journalisme, autre forme d’écriture, se souvient que dans les années soixante il avait écrit un manuscrit dont il ne reste que quelques feuillets.

Il les reprend avec émotion, car c’est un peu sa vie qu’il a couché sur le papier, ses amours turbulentes avec Muriel, l’aguicheuse, Livia l’indépendante ou encore Thalie la romantique. Ces ou ses trois femmes qui l’avaient marqué dans son esprit et dans sa chair, il en reste sûrement quelque chose aujourd’hui, sous une autre forme et d’autres prénoms.

Et reviennent comme des éclats des souvenirs de ce qui a été surnommé la Nouvelle vague, sur fond de Guerre d’Algérie, cette rébellion qui n’osait pas dire son nom mais a marqué à jamais bien des bidasses envoyés au fond des djebels. Des événements sanglants et traumatisants qui se noyaient dans les bras des femmes lors du retour à la métropole.

Des femmes aimées, trop aimées, ou pas assez, qui sont devenues autres, le parcours de l’existence n’étant qu’un reflet d’une narration dans lequel Etienne devient Steven.

Un roman dans lequel nombre de septuagénaires ne manqueront pas de se reconnaître, peu ou prou. Cette envie d’écrire lorsque la vingtaine triomphante nous offre la vie à grandes dents. Ce que l’on croit être la vie mais dont on s’aperçoit lorsque les cheveux, ou ce qu’il en reste, ont blanchi, que ce n’était peut-être qu’un prélude.

L’amour dans les sixties est un roman gigogne, dans lequel l’auteur se met en scène, revivant des passages amoureux ou guerriers, et dans le manuscrit inachevé se profile un troisième personnage.

Et parallèlement à cette jeunesse qui est ravivée, des problèmes actuels sont évoqués. Celui du suicide est abordé, par exemple. Celui de ces femmes qui se voulaient libres et désirables avant l’heure, avant que la libération sexuelle ait déferlé, mais qui étaient imprégnées, peut-être de ces récits-romans rédigés par Simone de Beauvoir, le Deuxième sexe par exemple.

Et nous revenons à notre quotidien par les publicités pour toutes sortes de thérapies censées soignés tous les maux de la terre et même du reste, avec comme figurants de jeunes vieillards vantant les mérites de tels médicaments, panacées, sports, cures thermales… Bizarrement, ce sont des personnes dites du troisième âge, appelées aussi senior quoique la formulation est erronée, puisqu’en sport senior équivaut à la quarantaine et dans le cas des sexagénaires et septuagénaires il vaudrait mieux dire vétéran, donc, dans ces publicités, ce sont des personnes fringantes qui ont besoin de ce genre de médication.

 

Un roman-récit troublant, émouvant, qui se décline un peu comme un clair obscur mêlant âge mûr et jeunesse turbulente, affection et amour, réalité et virtuel, mais toujours avec une vivacité d’esprit que l’on aimerait préserver.

Alors, dérision ou autodérision ? Imagination ou relation d’un vécu amélioré ?

Laissons le lecteur s’établir sa propre opinion selon son âge, sa sensibilité, son ressenti, son empathie dans ce qu’il peut reconnaître de sa propre existence.

 

Hervé JAOUEN : L’amour dans les sixties. Editions Diabase. Parution le 16 octobre 2018. 154 pages. 16,00€.

ISBN : 978-2372030199

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Présentation

  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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