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9 janvier 2018 2 09 /01 /janvier /2018 09:19

Viens, je t’emmène…

Barry GIFFORD : Sailor et Lula

Sailor et Lula, c’est un peu l’amalgame moderne de Roméo et Juliette revus et corrigés façon Bonny & Clyde, c’est un couple d’amoureux en cavale dans le Sud des Etats-Unis.

Lui, Sailor, vingt-trois ans, vient de purger deux ans dans un pénitencier car il a assassiné un homme. Légitime défense, selon lui, mais toute erreur se paye. Elle, Lula, à peine vingt ans, qui a déjà subi des expériences sexuelles malheureuses, n’a qu’un rêve : continuer et finir sa vie avec l’élu de son cœur, Sailor.

Dans leur chambre d’hôtel, à Cap Frear, en Caroline du Nord, et tout au long de leur fugue, ils se découvrent, se racontent, se font leurs confidences. Souvenirs d’enfance et d’adolescence s’égrènent entre deux séances d’amour. Lula est avide de connaître les frasques de Sailor, de savoir comment il s’y est pris la première fois. Quant à elle, elle se dévoile, avec un certain détachement, narrant comment elle a été violée par un oncle, ou comment elle s’est retrouvée enceinte à seize ans des œuvres d’un cousin, et son avortement. Le problème ? Marietta, la mère de Lula qui espère un autre avenir pour sa fille. Bien sûr il faut se rendre à l’évidence ; un jour Lula se mariera, désertant le petit cocon familial, fondant elle-même une famille. Mais de là à ce qu’elle s’unisse à un assassin, alors ça jamais !

 

Pour Sailor et Lula, c’est la cavale, la fuite, la rupture avec la jeunesse, le passé. Marietta lance sur les traces des amants l’un de ses amis, le détective privé, Johnnie Farragut. Mais le Ciel et l’Enfer veillent sur les deux jeunes gens tout en se livrant un âpre combat. Drôle de privé ce Farragut, qui s’adonne, dès qu’il le peut, à son péché mignon, l’écriture. De La Nouvelle Orléans, où il manque de peu les tourtereaux fugueurs, il informe Marietta de son insuccès. Mais cela ne le travaille guère. Il noue des relations avec des personnages un peu hors du commun. Ainsi, Reggie, agent secret au Honduras, en transit en Louisiane avant de rejoindre un ami américain qui émarge à la CIA. Farragut préfère effectuer sa mission par téléphone. C’est moins fatigant et aléatoire. Pendant ce temps Sailor et Lula continuent leur périple.

 

Sailor et Lula est un roman construit un peu à la manière d’un puzzle, d’une mosaïque. Chaque chapitre, très court, se lit comme une nouvelle, le tout formant un récit au ton vif, allègre, dépouillé de toute fioriture, comme si Barry Gifford avait écrit son roman avec une caméra, mettant bout à bout de petits morceaux de pellicule. D’ailleurs, la part belle est faite aux dialogues.

Vous pouvez commencer la lecture de ce roman par le chapitre deux, intitulé « Cœur sauvage », le premier étant totalement insipide. Une fausse note qui ne remet pas en cause l’orchestration de cette œuvre.

David Lynch a porté à l’écran ce roman dans une version plus hard avec Nicolas Cage, Laura Dern, Willem Dafoe. Le film a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes en 1990.

 

Première édition octobre 1990. Rivages/Thrillers.

Première édition octobre 1990. Rivages/Thrillers.

Barry GIFFORD : Sailor et Lula (Wild at heart. The story of Sailor and Lula. 1990. Traduction de Richard Matas). Collection Rivages/Noirs N°107. Editions Rivages. Parution 3 janvier 2018. 292 pages. 7,90€.

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8 janvier 2018 1 08 /01 /janvier /2018 08:32

Et en dépression…

Pascal JAHOUEL : Sous-pression. Une enquête de B H L.

Construit comme un quatre-quarts littéraire, ce roman est composé de quelques cuillers de San-Antonio, d’une louche d’Auguste Le Breton, de pincées d’Ange Bastiani, et d’une grosse poignée de Francis Carco. Mais pétri avec amour par Pascal Jahouel, toujours à la recherche d’un vocabulaire qui porte et touche, la patte d’un amoureux des mots et des maux. Il triture, tripatouille, patouille, malaxe, concasse, il apporte un liant entre argot ancien, français élaboré et sémantique technicienne. C’est dire si cet ouvrage sort des sentiers battus, même si, pour se conformer à une mode actuelle que je déplore, des anglicismes apparaissent de-ci de-là comme de petits cailloux dans une platée de lentilles.

BHL, Bertrand-Hilaire Lejeune, à ne pas confondre avec l’homme à la chemise blanche qui ne se salit jamais, est dans le creux de la vague. Et ce n’est pas qu’une figure de rhétorique puisqu’il est hébergé momentanément chez ses parents au Havre.

Il a envoyé sa lettre de démission à son commissaire rouennais, Chassevent, qui l’a mise dans un tiroir, et depuis il déprime. Revenir chez ses parents, c’est bien, mais pour un certain temps seulement, car les frictions ne manquent pas. Nous ne rentrerons pas dans les détails, cela relève du domaine privé, mais il lui faut trouver une porte de sortie.

Et celle-ci pourrait très bien être cette disparition en pleine mer du côté du cap d’Antifer. Un plongeur, qui n’est pourtant pas un débutant, a disparu dans les flots gris de la mer de la Manche, tandis que sa copine du moment se prélassait sur son yacht. Le temps était au beau, même chaud pour une fois, et au bout d’un certain temps, voire d’un temps certain, elle s’est inquiétée de ne pas le voir remonter à la surface, ne serait-ce que pour admirer sa plastique superbe.

Quoi que ce ne soit pas un artiste, BHL a besoin de cachets pour soigner sa dépression et donc il se rend chez un toubib, le remplaçant du médecin de famille. Le praticien est énervant à s’obstiner à s’adresser à ses patients, heureusement qu’ils le sont, à la troisième personne. Je passe sur rapidement sur les échanges savoureux échangés entre BHL et le médicastre généraliste, mais BHL sort de l’antre avec deux renseignements. Le premier, c’est que le disparu en mer amer, était un ami de longue date du toubib, s’étant fréquentés sur les bancs universitaires médicaux, et la seconde, l’adresse d’une psy, chologue ou chiatre, afin qu’elle lui déverrouille les neurones.

Rendez-vous est pris, et malgré la différence d’âge, un peu comme Emmanuel et Brigitte, il s’établit entre la spécialiste de l’essorage du cerveau une avancée dans la prise de contact d’atomes crochus. Et comme dérivatif, BHL se voit confier, voire imposer, par son commissaire rouennais, qui ne ménage pas ses coups de sang comme le canard du même nom, l’enquête sur la disparition bientôt suivie d’un nouveau noyé dans le port, non pas d’Amsterdam mais du Havre. Le tout avec la bénédiction du commissaire havrais qui va mettre à sa disposition un bureau et un équipier, Jean-Baptiste Monlouis-Bonheur, lequel, aimable, affable, et possédant un physique à la Teddy Riner, lui propose de l’héberger dans la demeure de ses parents qui sont absents pour quelques semaines.

Donc, et comme évoqué rapidement ci-dessus, un noyé a été retrouvé dans le port, ayant probablement chuté à la baille par suite de tangage éthylique et assommé par les coquilles de noix accrochées aux bites d’amarrage prévues pour empêcher les petits bateaux de naviguer sur l’eau au gré de leur convenance. C’est comme pour les ados, faut les tenir par le licol, sinon ils font n’importe quoi. Donc le noyé, j’y reviens, était également un ami du toubib, et comme si la dose n’était pas atteinte un troisième larron est découvert occis.

Mais j’anticipe. BHL se rend chez l’épouse qui est supposée la veuve du disparu (vous suivez ?) et les pistes de l’argent ou d’une vengeance quelconque de sa part, sont à écarter. C’est elle qui ramène le gros du portefeuille et les frasques de son mari l’indifférent. Il y aurait bien un petit sentier à remonter, on ne sait jamais, celui de l’appartenance politique du disparu qui émargeait au PPD, le Parti des Patriotes Debout, catalogué à tribord toute.

 

Entre joyeusetés et délire organisé sous l’influence de blondes, ambrées, rousses ou brunes, mais pas de blanches, des bières je précise, qu’ingurgite copieusement notre héros, ce roman débute dans la bonne humeur dépressive. Mais bientôt cela sombre dans le sombre, le très sombre même. Car sous une impression de légèreté stylistique, le noir prend le pas et BHL n’hésite pas à se mouiller dans les embruns havrais et les événements qui parsèment son enquête.

Et pour le scripteur, c’est une plongée dans son enfance. Du temps où le terminal d’Antifer n’existait pas et qu’il allait voir les paquebots accoster, les grues décharger les bananiers et autres cargos, qu’il remontait la côte de Montivilliers ou les escaliers longeant le funiculaire qui menait à Sanvic, alors commune à part entière sur les hauteurs du Havre, le pain de sucre et les casemates, Sainte-Adresse, Bléville, et combien d’autres images restées gravées. Mais ceci n’est que nostalgie enfantine et donc hors propos.

Pascal Jahouel est, d’après le rabat de la quatrième de couverture, architecte dans la vie civile, pourtant ce roman, même s’il est en béton, n’est pas bâti comme les édifices de la reconstruction dus à Auguste Perret qui a laissé son empreinte sur la porte océane, mais serait plutôt à rapprocher d’un autre architecte, amateur celui-ci, qui s’est investi dans le baroque naïf et son fameux palais, le facteur Ferdinand Cheval.

 

Pascal JAHOUEL : Sous-pression. Une enquête de B H L. Collection Roman policier mais pas que… Editions Lajouanie. Parution le 8 décembre 2017. 240 pages. 18,00€.

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6 janvier 2018 6 06 /01 /janvier /2018 10:27

Disparue, tu as disparue

Au coin de ta rue.

Je t´ai jamais revue

Jean-Christophe PORTES : La disparue de Saint-Maur.

Il ne faut pas être pessimiste, pour autant, une disparition, c’est toujours inquiétant, surtout si aucun événement prémonitoire ne pouvait laisser envisager ce départ, cette fuite ou cette disparition.

Âgé bientôt de vingt ans, Victor Dauterive, lieutenant de gendarmerie à Paris, hérite enfin de sa première véritable mission. Son chef, le colonel Hay, lui demande d’enquêter sur la disparition mystérieuse d’Anne-Louise Ferrières, fille cadette d’Antoine Ferrières, baron de Méry-sur-Oise et autres titres, demeurant au Mesnil à La Varenne près de Saint-Maur. Ce sont des nobliaux désargentés, et Anne-Louise, à trente ans, n’est toujours pas mariée.

Après avoir rencontré Hacar, serrurier et assesseur du juge paix du canton, qui lui fournit volontiers quelques renseignements sur cette famille, Dauterive se présente chez le baron. Seulement, malgré que ce soit celui-ci qui ait mandé par missive au colonel Hay d’effectuer des recherches, le voici réticent. De même que sa femme. Ils sont en colère et demandent à Dauterive de regagner la capitale et de les laisser tranquilles. Le juge Gruchet lui signifie qu’il n’a rien à faire dans sa juridiction. Seule une petite bonne, loin des oreilles de ses patrons, lui demande de continuer ses recherches.

Seulement peu après Dauterive aperçoit la jeune fille dans la rivière et il ne peut rien faire pour la sauver. Toutefois, le jeune lieutenant continue son enquête et apprend qu’Anne-Louise a été fiancée, et que deux ou trois ans auparavant elle avait fait un séjour dans une abbaye près de Villiers-le-Bel. Mais cet édifice va être racheté par un nobliau qui a gagné son pécule, important, en étant le banquier de jeu de la Reine, et seules quelques sœurs y résident encore. Toutefois le lieutenant échappe à un tir d’arme à feu.

La jeune fille est retrouvée morte. Pour la famille et le juge, il s’agit d’un accident, éventuellement d’un suicide. Mais pour Dauterive il s’agit d’un assassinat, car il remarque que des coups ont été portés à la tête.

Dauterive se voit confier une autre mission par son mentor, le marquis de La Fayette. Ce héros des Deux-Monde a l’intention de se présenter à la mairie de Paris, mais un autre prétendant pourrait lui faire de l’ombre. Il s’agit de Pétion dit le Vertueux. Or celui-ci se rend en Angleterre et Dauterive, accompagné de Charpier, son meilleur ennemi, nouveau député et membre du Comité de Surveillance de l’Assemblée Nationale, doit essayer d’en connaître les raisons. Tandis que Charper est prié de regagner la France, Dauterive fait la connaissance de patriotes irlandais et se heurte à un agent du gouvernement anglais, qui pourrait être à la solde de William Pitt. Son séjour se marquera par des tentatives d’assassinat et d’exactions physiques. Il perdra même un ongle à un annulaire, ce qui l’handicape fortement. Pourtant il n’est pas une chochotte.

Pendant ce temps, son amie Olympe de Gouges reprend l’enquête sur la disparition d’Anne-Louise Ferrières, malgré qu’elle ne soit pas investie de l’autorité de l’Etat, tout en pensant à la pièce de théâtre qu’elle est en train de rédiger : La nécessité du divorce.

Après quelques tribulations mouvementées, Dauterive revient en France, mais c’est pour s’apercevoir que Joseph, le gamin boiteux qu’il a recueilli, n’est plus à son domicile. Pour autant, ses ennuis ne sont pas terminés et il va se retrouver mêlé à des manigances dont il se serait bien passé, son intégrité physique étant en jeu.

 

Si l’on ne peut nier une influence d’Alexandre Dumas chez Jean-Christophe Portes, d’ailleurs évolue dans La disparue de Saint-Maur un personnage féminin nommé Lady Arrabella Winter ce qui nous ramène immédiatement à Milady de Winter des Trois mousquetaires, on ne peut non plus disconvenir d’une parenté littéraire avec Jean d’Aillon ou Jean-François Parot, pour la rigueur et le respect historique de l’intrigue, et à Eugène Sue et Xavier de Montépin, pour les descriptions de la faune parisienne et banlieusarde et des déboires des gamins qui vivent seuls dans les rues, du misérabilisme de la population.

Les chevauches épiques, les manigances, les trahisons, les double-jeux, les guets-apens, les combats, les séquestrations, la misère sociale, les déguisements, la Révolution en toile de fond, font de cet ouvrage historique et social un roman dans la veine du roman populaire dans le bon sens du terme.

On suit les démêlés de Victor Dauterive avec intérêt, un intérêt accru lorsqu’il pense reconnaître parmi les agents britanniques qui le poursuivent son frère François avec lequel il a eu des démêlés dans sa jeunesse. Avec toujours le couperet près de sa tête car il n’a que vingt ans et s’il ne veut pas se conformer aux ordres de son mentor, celui-ci lui promet de le renvoyer dans sa famille, ce que Dauterive ne veut point.

Quelques scènes charmantes égaient ce roman bruissant de fureur, notamment lorsque Dauterive, qui prend des cours de dessins à l’atelier de Jacques-Louis David, peintre alors en vogue, côtoie une jeune fille qui lui fait des yeux doux. Et le côté poignant réside en cette disparition de Joseph, ce gamin miséreux venu de sa Mayenne natale, qu’il a recueilli et dont il se rend compte qu’il le rabroue plus souvent qu’à son tour.

Deux enquêtes, deux histoires qui s’entremêlent, qui se mélangent, fort bien construites et qui laissent à penser qu’une suite reprendra quelques-uns des personnages qui y évoluent mais n’ont été qu’esquissés. Et parmi les personnages qui figurent dans cette histoire, personnages réels ou fictifs, celui de La Fayette est particulièrement trouble, ces hauts faits en Amérique lui ayant apportés l’adhésion du peuple, mais certaines de ses prestations, notamment lors de la fusillade du Champs de mars le 17 juillet 1791, lui faisant perdre de son aura.

Après deux très bons premiers romans mettant en scène Dauterive, de son vrai nom Victor Brunel de Saulon, chevalier d’Hauteville, voici un excellent troisième épisode qui débute le 29 novembre 1791 et se clôt le 28 décembre de la même année. Et, une fois n’est pas coutume, j’adhère totalement à la déclaration de Gérard Collard : Un nouveau grand du polar historique est né !

 

Jean-Christophe PORTES : La disparue de Saint-Maur. Editions City. Parution le 15 novembre 2017. 528 pages. 19,00€.

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5 janvier 2018 5 05 /01 /janvier /2018 09:48

Pas perdu pour tout le monde…

Jean-Christophe MACQUET : Le trésor perdu des Rothschild.

Lorsqu’il sort du coma, Eugène Ravier ne se souvient de rien.

Les médecins affirment qu’il se nomme ainsi, qu’il a été atteint d’une balle dans la tête quinze jours auparavant par un anarchiste, et qu’il était chef-comptable à la Banque Rothschild, agence de Paris. Actuellement il est hospitalisé à Berck-Plage et se remet tout doucement grâce aux bons soins prodigués par les professeurs Morainville et Meunier. Une infirmière est également mise à sa disposition, Saskia Verwoorde, d’origine flamande.

Quelques plus tard, se tient à son chevet, Casimir Coutain, qui se présente comme son beau-père. Mais impossible pour Eugène Ravier de se souvenir de quoi que ce soit. Quelques jours plus tard Casimir revient accompagné de son épouse Zélie, de Roseline, sa fille mariée avec Eugène et de Guy Mortelecque, l’ami et collègue d’Eugène. Aucune tête ne lui est connue, pas même celle de Roseline. Pourtant si c’est sa femme, il devrait ressentir un petit quelque chose dans la poitrine.

Entre temps, Ravier a été transféré dans un chalet, et sous l’influence de Saskia, il pratique la gymnastique. Une discipline fort en vogue à l’époque, venue de Suède, et qui devrait lui permettre de retrouver ses moyens physiques, à défaut de la mémoire. De la marche sur la plage de Berck, et des bains de mer.

Eugène Ravier s’habitue rapidement à ces exercices, même si au début il est encore un peu flageolant. Saskia est impressionnée par sa musculature, son torse bronzé, sa facilité à se mouvoir dans l’eau. Pas vraiment le profil d’un gratte-papier enfermé à longueur de jours dans un bureau. Mais Ravier ne peut expliquer les constatations émises par son infirmière.

Et les événements s’enchainent. Eugène couche avec Roseline. Il a le droit puisque c’est sa femme. Et il va même jusqu’à la dessiner, allongée sur le lit, un peu à la manière de Courbet dans L’origine du monde. Un talent qu’il ne se connaissait pas. Et un jour dans un restaurant de Berck, un inconnu s’adresse à lui en l’appelant Jean Domergue. Il va également être victime d’un attentat par des individus cagoulés lors d’une promenade en calèche en compagnie de Roseline. Et il sera enfermé dans une remise, délivré par une furie.

L’homme qui l’a abordé au restaurant, Léon Moreau, est persuadé avoir reconnu en Eugène Ravier un ancien journaliste et caricaturiste, Jean Domergue, exerçant son art durant l’occupation de Paris par les troupes prussiennes et ayant participé à la Commune, combattant les Versaillais. Et ce malgré les dénégations d’Eugène Ravier. De retour dans la capitale, il en fait part à ses amis, Caroline Rémy et Jules Vallès, tous deux journalistes au Cri du Peuple, journal qui vient d’être relancé. Caroline écrit sous l’alias de Séverine, tandis que Jules Vallès, malade, rédige L’Insurgé. Tous deux se rendent à Berck et rencontrent Eugène Ravier et le convainquent qu’il est bien Jean Domergue, dont Séverine fut amoureuse, alors qu’elle n’avait que quinze ans, au moment de la Commune. Mais pour cela il faut entamer des recherches et ce n’est pas le plus facile, car comme le signalait le fils de Jean le Bon, le futur Philippe Le Hardi, lors de la bataille dite de Poitiers en 1356, Père, gardez-vous à droite ! Gardez-vous à gauche ! Eugène Ravier devra se méfier de tous et de chacun en particulier, à cause d’un trésor dérobé des banquiers Rothschild.

 

Dans ce roman historique d’excellente facture, les événements décrits et les personnages qui y gravitent relèvent du domaine de la fiction mais aussi de la réalité.

Si l’intrigue tend à se focaliser autour d’Eugène Ravier, ce sont les figures historiques de Séverine, alias Caroline Rémy, et de Jules Vallès qui prédominent. Si Louise Michel est évoquée dans ce roman, c’est bien Séverine qui tire la couverture à elle, sans le vouloir, et il est dommage que son nom soit oublié de nos jours. Ardente féministe, auteur de quelques ouvrages dont Notes d’une frondeuse : de la Boulange au Panama, et de Affaire Dreyfus : Vers la lumière... impressions vécues, elle défendit la cause de l’émancipation des femmes et dénonça les injustices sociales.

La Commune, point de départ du roman, tient une place prépondérante également, et les exactions des Versaillais, sous la domination d’Adolphe Thiers, souvent encensé dans les manuels d’histoire, ne sont pas toujours décrites telles qu’elles se sont déroulées. Adolphe, prénom à la résonance sulfureuse encore de nos jours. Et la vie privée de Thiers, quoique l’on se doit de ne pas s’y immiscer puisque justement elle est privée, n’est pas exempte de reproche, puisqu’il fut l’amant de la sœur et de la mère de sa femme. Un exemple à ne pas suivre, vous en conviendrez.

Donc Jean-Christophe Macquet nous ramène à une période de l’histoire souvent mise sous l’éteignoir, la Commune étant montrée du doigt comme une période anarchiste. Pourtant ses représentants furent les rebelles des tractations entre représentants de l’état et la Prusse. Et comme ce sont les Versaillais qui gagnèrent, la France perdit l’Alsace et la Lorraine. Et l’on pourrait presque comparer les Communards aux Résistants sous la Seconde Guerre Mondiale, et les Versaillais, un gouvernement précurseur de celui de Vichy. Mais c’est hors sujet.

Jean-Christophe Macquet revient également sur l’histoire de Berck, de l’engouement que suscitèrent les bains de mer et de leur influence sur les bienfaits thérapeutiques dans le traitement de la tuberculose osseuse. Et incidemment sur la construction de la ville nouvelle de Paris-plage.

Un voyage dans le temps non dénué de charme, d’intérêt historique, avec cette pointe de réalisme, d’aventures et d’amours alors que les hommes et les femmes pouvaient se baigner, mais dans un périmètre défini, éloignés les uns et des autres de deux cents mètres.

 

Du même auteur dans la même collection :

 

Jean-Christophe MACQUET : Le trésor perdu des Rothschild. Collection Belle Epoque N°7. Editions Pôle Nord. Parution le 1er juin 2017. 268 pages. 11,00€.

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31 décembre 2017 7 31 /12 /décembre /2017 09:37

Allez, encore un petit Noël tout en douceur, avant de basculer en 2018 !

Georges SIMENON : Un Noël de Maigret.

Bien que ce soit jour de repos, jour de fête, Maigret ne veut pas déroger à ses habitudes. Il prend son café, debout, dans la cuisine, au grand dam de madame Maigret qui se faisait une joie de le dorloter au lit, allant même chercher au petit matin des croissants tout chauds.

C’est ainsi qu’il voit deux femmes sortir de sous le porche de l’immeuble en face de chez lui et traverser la rue pour se rendre apparemment chez lui. Son flair de policier ne le trompe pas. L’une des deux femmes ne lui est pas inconnue. Elle est proche de la cinquantaine, et habite depuis de longues années dans cet immeuble face au sien. Et elle est secrètement amoureuse du commissaire. L’autre est nettement plus jeune, ne vivant là que depuis quelques années, et semble réticente à se présenter devant le policier.

Mademoiselle Doncoeur explique ce qui les amène, elle et sa voisine, Loraine Martin, à venir déranger le commissaire de si bon matin, un jour de Noël.

La petite Colette, sept ans, a aperçu le Père Noël dans sa chambre durant la nuit. Elle s’est réveillée, une petite lampe était allumée, et elle a aperçu le Père Noël en train de fouiller sous le plancher. Il était habillé en Père Noël, avec tous les accessoires afférents, et avant de partir, il lui a donné une magnifique poupée, ce qui prouve qu’elle n’a pas menti.

C’est mademoiselle Doncoeur qui narre la plus grande partie de cette histoire abracadabrante car elle était venue pour offrir des jouets à la petite Colette. La gamine a une jambe dans le plâtre depuis quelques semaines suite à un accident. Quant à madame Martin, maman Loraine comme dit la gamine, elle n’est que la tante de la fillette. Elle l’a adopté lorsque sa mère est décédée dans un accident. Et son père, le frère de son mari, a sombré dans l’alcoolisme, alcoolisme qui déjà se prononçait fortement avant l’accident.

A la question de Maigret qui aimerait savoir comment le visiteur nocturne a pu s’introduire dans la chambre de Colette, la réponse est simple. La pièce communique par une porte à la salle à manger de l’appartement, une autre porte donne directement dans le couloir qui dessert l’étage. Mais la serrure n’a pas été fracturée.

Monsieur Martin est en déplacement, à Bergerac précise sa femme, et Maigret s’en assure en téléphonant à l’hôtel censé l’héberger. Confirmation lui est donnée par monsieur Martin lui-même. Puis il va lui-même interroger la petite Colette qui confirme son récit.

Le téléphone va jouer un rôle important dans la résolution de cette énigme. Maigret demande à Lucas, qui est de permanence au 36 Quai des Orfèvres de se renseigner sur certaines personnes, de vérifier des identités, de remonter quelques pistes, des chauffeurs de taxi par exemple, de retrouver le père de Colette qui traîne parfois dans quelques bars du quartier, de rechercher dans le passé de Loraine Martin, et le cas échéant de se faire aider par Torrence.

 

L’enquête sera conduite par Maigret en une journée, qui se termine tard, et quasiment sans bouger de son appartement. Juste quelques allers-retours à l’immeuble d’en face, et un petit passage dans un café afin de déguster en compagnie de Lucas, deux bières, histoire de digérer les petits verres de prunelle.

Mais ce qui ressort de ce roman, et qui pourtant ne relève pas de l’intrigue, ce sont les regrets du couple Maigret de ne pas avoir eu d’enfant. Des regards, quelques paroles échangées, et beaucoup de pudeur.

Chut ! Il ne fallait même pas avoir l’air de comprendre. On ne lui laissait pas le loisir de penser, en ce matin de Noël, au vieux couple qu’ils étaient, sans personne à gâter.

 

Première édition : Presses de la Cité. Parution 1951.

Première édition : Presses de la Cité. Parution 1951.

Georges SIMENON : Un Noël de Maigret. Le Livre de Poche. Parution 12 décembre 2007. 96 pages. 5,60€.

Première édition : Presses de la Cité. Parution 1951. Ce volume contenait, outre Un Noël de Maigret, deux autres nouvelles dans lesquelles ne figurait pas le célèbre commissaire : Sept petites croix dans un carnet et Le petit restaurant des Ternes.

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30 décembre 2017 6 30 /12 /décembre /2017 11:12

Hommage à Sue Grafton, décédée le 28 décembre 2017.

Sue GRAFTON: Assurance tout risque

Tout va mal pour Kinsey Millhone, enquêtrice à la compagnie d'assurances California Fidelity. Parnell, l'un des rédacteurs, est abattu au pied de l'immeuble et on pense à remettre son contrat en cause. Pourtant Kinsey assure et s'occupe d'une certaine Bibianna Diaz qui demande une indemnité pour dommages corporels, mais dont l'adresse correspond à un terrain vague.

Flairant une escroquerie à l'assurance, Kinsey endosse l'identité de Hannah Moore, jeune femme affranchie sans peur et peut-être pas sans reproche, et retrouve Bibianna. Dans une boite de nuit, elle est reconnue par le petit ami de Bibianna, Jim Tate, un ex-flic viré des Stupéfiants, qui accepte de ne pas dévoiler sa véritable identité. Ils dînent tous trois dans un restaurant; un incident a lieu avec Chago, le frère de Raymond Maldonado, un être pervers qui considère Bibianna comme sa propriété. Le trio est emmené au poste de police où la détective réussit à se faire une amie de Bibianna.

Le lieutenant Dolan insiste pour que Kinsey infiltre la bande de Maldonado qui dirige un racket à l'assurance impliquant avocats, médecins et chiropracteurs. Elle va refuser, mais elle accepte en apprenant que Parnell travaillait sur le dossier Maldonado. Elle veut trouver les dossiers accablant le gangster et prouver qu'il a tué ou fait tuer Parnell.

Kinsey et Bibianna sont relâchées; Maldonado les attend à la sortie. Dans la planque de Maldonado, Kinsey est mal accueillie par la bande, à commencer par Luis, bras droit du truand.

A son corps défendant, elle est entrainée dans des escroqueries et y prend un malin plaisir. Elle en profite pour fureter chez des casseurs de voitures et obtient un rendez-vous chez un chiropracteur suspect. Maldonado se méfie d'elle et la fait surveiller par Luis.

En conflit perpétuel avec Maldonado, Bibianna finit par s'évader; le gangster se lance à sa poursuite en voiture en emmenant Kinsey. Accidentée, Bibianna est emmenée à l'hôpital en réanimation. Kinsey parvient à alerter Dolan. Maldonado, fou furieux, veut achever la jeune femme. Jim Tate, lui aussi libéré de prison, survient; des coups de feu sont échangés entre les deux hommes. Tate est sérieusement blessé. Luis, en réalité un policier de Los Angeles infiltré dans la bande, sauve la vie de Kinsey et appréhende le bandit.

 

Tout est bien qui finit bien... ou presque: Kinsey, malgré sa réussite, est virée de la compagnie par le nouveau directeur.

Sue Grafton se démarque véritablement de ses consœurs romancières en mettant en scène une détective de chair et de sang, souffrant dans son corps et son cœur et non un ectoplasme à qui tout réussit. Kinsey s'engage à fond, en femme libérée, meurtrie, consciente des conséquences. Elle mène son enquête avec sérieux sans se prendre pour une superwoman et son amitié pour Bibianna n'est pas un vain mot.

Le personnage de Maldonado s'avère plus complexe : atteint du syndrome de Tourette (maladie des tics débouchant sur une dégénérescence mentale avec délires obsessionnels), il aime Bibianna tout en la considérant comme une ennemie. Prosterné à ses pieds, il peut, cinq minutes plus tard, la torturer mentalement et physiquement.

Sue Grafton ne joue pas uniquement dans le registre de la psychologie. Son domaine c'est le roman noir, mais écrit d'une façon plus humaine et moins tarabiscotée que certaines œuvres dues à des confrères machistes et misogynes.

 

Sue GRAFTON: Assurance tout risque (H IS FOR HOMICIDE – 1991. Trad. de l'américain: Michèle Truchan-Saporta). Presses de la Cité. Mars 1993.

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26 décembre 2017 2 26 /12 /décembre /2017 09:00
Georges-Jean ARNAUD : Noël au chaud.

Mais avant de partir,

Il faudra bien te couvrir,

Dehors tu vas avoir si froid,

C'est un peu à cause de moi.

Georges-Jean ARNAUD : Noël au chaud.

Plus tout à fait alerte physiquement, Raymonde Mallet possède encore un esprit vif et alerte. Et si elle marche avec une certaine difficulté, c’est à cause d’une flaque d’eau inopinément présente sur les tommettes de sa cuisine. Elle a chuté, fracture du col du fémur à la clé et à l’hôpital, quelques semaines d’immobilisation puis rééducation.

Il lui arrive bien d’avoir de petits oublis entraînant des désagréments sans véritables conséquences mais qui auraient pu tourner au drame, mais elle n’est pas sénile. Pourtant c’est ce qu’aimeraient lui faire croire le maire de ce petit village de l’arrière-pays toulonnais, l’assistante sociale et le promoteur immobilier. Et les voisins, si compatissants qu’ils préfèrent appeler les pompiers plutôt que de se déranger afin de prendre de ses nouvelles.

Promis, elle va faire attention, plus que d’habitude. Ne plus allumer un feu d’herbes trop sèches dans son jardin, ou oublier une casserole sur le feu, ce qui provoque des débuts d’incendie. Car sa grande demeure, huit pièces, et son terrain arboré que l’on pourrait presque confondre avec un parc s’il n’était pas à l’abandon, attisent les convoitises. Si elle daignait vendre et aller en maison de retraite, cela pourrait être aménagé en lotissement et amener de nouveaux habitants.

Mais Raymonde veut rester chez elle. Elle vit seule, son mari est décédé et ils n’ont jamais eu d’enfant. Si, un, qui est mort à l’âge de trois ans d’une méningite. Et les enfants, elle ne les aime pas. Pas même la petite Léonie qui s’infiltre chez elle en passant sous la haie de cyprès.

Ce sont les vacances scolaires estivales et elle aperçoit Léonie ramper dans les herbes hautes, couper des roseaux par exemple. Alors elle dispose dans de petites coupelles des bonbons à son intention, ou des gâteaux, tout en faisant semblant de ne pas la voir.

Augusta, sa voisine, son amie, la grand-mère de Léonie, vient lui rendre visite deux fois par semaine. Elles papotent, mais Augusta a la langue acérée, et les piques ne manquent pas lors de leurs échanges aigres-doux.

C’est ainsi que Raymonde apprend que Laurent, le fils d’Augusta et père de Léonie, va se retrouver au chômage. Il travaille dans un garage, mais la conjoncture n’est guère favorable. Alors Raymonde imagine lui proposer de monter son propre garage, cela manque dans le village, il aurait des clients, en lui louant sa propre remise qui peut contenir au moins six véhicules. Et comme il est bon bricoleur, il pourrait installer le chauffage central dans sa grande et froide demeure.

Il n’aurait qu’à vendre sa propre maison, et il s’installerait avec toute sa petite famille chez Raymonde qui ne garderait qu’une ou deux pièces pour vivre. Après des travaux d’embellissement naturellement. Une sorte de viager qui lui conviendrait très bien. Mais encore faut-il le convaincre ce brave Laurent, et surtout convaincre l’acariâtre Augusta, toujours aussi fielleuse, et s’attirer les bonnes grâces de Léonie.

Jusqu’au jour où le drame arrive, soigneusement orchestré par Raymonde qui veut parvenir à ses fins. L’installation du chauffage central dans sa demeure pour Noël.

 

A la relecture de ce roman, près de quarante ans après sa parution, les personnages d’Augusta et de Raymonde, qui ont à peu près le même âge, Raymonde ayant soixante-seize ans et Augusta un de moins, m’ont fait penser aux Vamps, le duo comique interprété par Dominique de Lacoste, Gisèle, et Nicole Avezard, Lucienne.

Augusta, dans le rôle de Gisèle, toujours entrain de tarabuster la maigriotte Lucienne.

Mais au-delà de ces deux personnages, c’est la condition des personnes âgées qui prédomine. Dans ce roman on pense à Simenon et à Frédéric Dard, une histoire simple et pourtant tout en subtilité. Un regard acéré sur les convoitises immobilières, la solitude mais en même temps le besoin d’être seul et de gérer ses propres affaires sans être commandé.

Le drame du troisième âge avec les affres de la maison de retraite qui se profile inexorablement, l’antichambre de la mort.

Une nouvelle version d’un thème cher à Georges-Jean Arnaud, la maison, thème qu’il a exploré sous différentes versions dont La Maison-piège, Le Coucou, mais renouvelé à chaque fois. Et avec très peu de personnages, il instille une atmosphère lourde et pesante. Ce n’est pas à proprement parler un roman policier avec enquête et tout le cérémonial qui en découle, mais un roman réaliste.

La référence à Noël s’inscrit dans les désirs, les envies, les besoins de chaleur de la part de Raymonde. Chaleur physique et chaleur humaine, et au début du roman, c’est le mois de juillet qui prédomine, il s’agit presque d’une parabole. Le long déclin de la vieillesse, le passage du temps vers l’hiver…

 

Première édition : Collection Spécial Police N°1479. Editions Fleuve Noir. Parution 1er trimestre 1979. 224 pages.

Première édition : Collection Spécial Police N°1479. Editions Fleuve Noir. Parution 1er trimestre 1979. 224 pages.

Georges-Jean ARNAUD : Noël au chaud. Editions French Pulp. Parution 23 novembre 2017. 224 pages. 15,00€.

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23 décembre 2017 6 23 /12 /décembre /2017 13:59
Agatha CHRISTIE : Le Noël d’Hercule Poirot

Ils sont venus, ils sont tous là, il va mourir

le Papaaa…

Agatha CHRISTIE : Le Noël d’Hercule Poirot

Lire ou relire Agatha Christie, de nos jours cela semble incongru aux yeux des amateurs forcenés et acharnés du roman policier et du roman noir.

Des histoires que l’on pourrait croire simples, pour ne pas dire simplistes, désuètes, vieillottes, dépassées. Et j’en passe.

Et pourtant dans ce roman datant de 1938, les petites pensées ou échanges oraux, émis par les protagonistes, sont imprégnés de la situation internationale et jettent un regard dénué d’aménité sur les Britanniques en général. Il existe une dose de philosophie et une profondeur d’esprit que l’on ne peut capter que si l’on ne lit pas ces textes superficiellement.

Vieillard riche, quasi impotent, mais cynique, Simeon Lee a décidé de réunir en cette veille de Noël ses enfants. A part Alfred et sa femme Lydia, qui vivent à demeure dans la grande demeure de Gorston Hall à Addlesfield, les autres reviennent pour la première fois ou presque depuis des années de séparation. Si Alfred est tout dévoué à son père, Lydia elle n’apprécie guère le vieil homme.

George, politicien, membre du Parlement, député de Wersteringham, et sa belle et jeune femme Magalene. Elle est dispendieuse, tandis que George est constamment en quête d’argent, Simeon lui envoyant des subsides fréquemment. David, le rêveur qui en veut à son père depuis le décès de sa mère, décès qu’il impute aux frasques de son père, et sa femme Hilda, petite boulotte qui ne s’en laisse pas compter. Harry, le rebelle, le voyou, toujours par monts et par vaux, accumulant les méfaits. Enfin la jeune Pilar, sa petite fille née de Jennifer, sa fille et d’un Espagnol. Le père est décédé en prison depuis longtemps, et Jennifer depuis un an environ. Pilar est donc la seule rescapée et seule représentante féminine de la famille Lee. Les garçons n’ayant pas eu d’enfants et donc de garçons.

Invité surprise, Stephen Farr, qui passait dans la région et vient rendre visite au patriarche. Simeon et son père furent des amis lorsque tous deux vivaient en Afrique du Sud, exploitant des mines de diamants. D’ailleurs Simeon possède encore dans son coffre des pierres brutes, non taillées, ressemblant à de vulgaires cailloux mais dont la valeur s’élève à dix mille livres environ. C’est ce qu’il déclare à Pilar dont il s’est entiché.

Font partie de la maison, mais côté domestiques, Tressilian, le vieux majordome, quarante ans de service auprès de Simeon Lee. Plus quelques femmes de chambre, de cuisinières, et depuis un an environ Hornbury, le valet-infirmier, dont la seule fonction est de s’occuper de l’ancêtre. Un type bizarre, Hornbury, marchant comme un chat. On ne sait jamais où il est, se déplaçant sans bruit, semblant épier tout le monde.

Sugden, le policier local, demande à être reçu par Simeon, car il quête pour l’orphelinat de la police. Mais en début de soirée, il revient, car il a été appelé pour une affaire de vol. Les diamants ont disparu et il a été chargé par le vieil homme d’enquêter.

C’est à ce moment qu’un grand bruit se produit et qu’un cri retentit dans la maison. Cela provient de la chambre de Simeon qui est fermée à clé de l’intérieur. Tout le monde accourt, plus ou moins en même temps. Stephen et Harry unissent leurs efforts pour ouvrir la porte et ce qu’ils voient dépasse tout entendement.

Le riche vieillard a été égorgé, les meubles sont les uns par-dessus-les autres. Et du sang est répandu un peu partout. Comme le murmure Lydia : Qui aurait cru que ce vieil homme tant de sang en lui… Une référence à Shakespeare.

 

Alors qu’Hercule Poirot devise tranquillement en compagnie de son ami, le colonel Johnson, celui-ci reçoit un appel téléphonique de Sugden, l’avertissant d’un meurtre. Johnson invite Poirot à se rendre avec lui à Gorstan Hall.

Les candidats assassins potentiels sont nombreux mais tous possèdent un alibi conforté par les autres malgré les dissensions qui peuvent exister, s’élever entre eux.

Mais Hercule Poirot relève certaines anomalies, certains mensonges. Il effectue des comparaisons, regarde les tableaux accrochés dans les couloirs. Il vérifie ou fait vérifier les antécédents des invités, des employés, notamment d’Hornbury, car le personnage ne lui plait guère. Il s’intéresse à tout. Au passé de Simeon qui fut un coureur de jupons, ce qui d’ailleurs a entraîné la mort de sa femme. Et il soupçonne Harry, au passé trouble.

Selon les participants à cette soirée de Noël particulière, Simeon désirait annuler son précédent testament, ils en avaient eu confirmation lorsque convoqués, ils l’avaient entendu téléphoner à son notaire. Mais Simeon ne s’amusait-il pas avec eux ? Ou alors, désirait-il remplacer le nom de sa fille Jennifer par celui de Pilar, sa petite fille dont il s’était entiché. Voulait-il, comme il l’avait laissé entendre, couper les subsides alloués à George ? Un nouveau testament pouvait favoriser les uns, peut-être léser les autres.

Agatha Christie, dans ce roman construit sous forme de Cluedo (jeu qui ne fut invité qu’en 1943), de jeu avec le lecteur, dissimule les indices, qui parfois sont trop voyants, trop appuyés, pour être véritablement des indications fiables, et naturellement, elle sort de sa plume un coupable auquel nul de pensait. Mais à la relecture on s’aperçoit que tout est imbriqué avec machiavélisme et l’on ne peut que s’ébaubir à la réalisation sans défaut de cette intrigue qui aurait pu être un meurtre en chambre close.

L’histoire débute le 22 décembre et se clôt le 28 du même mois. Auparavant la romancière prend le temps d’installer et présenter ses personnages, d’abord Stephen Farr et Pilar qui se rencontrent dans le train qui doit les amener à Gordon Hall. Et naturellement elle distille les doutes, d’autant qu’elle jette les soupçons sans vraiment les compléter, les explications venant plus tard.

Ainsi Pilar, qui paraît ne pas être concernée par les événements, et est attirée par son oncle Harry, bel homme à la stature impressionnante, mais également par Stephen, et pourquoi pas par Sugden.

Mais Agatha Christie, en cette Angleterre encore victorienne, joue avec les mœurs de ses compatriotes, qu’elle juge froids, tristes. Pourtant Simeon, alors que c’était mal venu dans ce pays puritain, accumulait les bonnes fortunes, et pas seulement que les diamants. C’est un peu un coup de pied dans la mare. Et un roman subtil beaucoup plus intéressant qu’il y paraît, quoique certains puissent penser que les intrigues de la Bonne Dame de Torquay sont légèrement désuètes.

Agatha CHRISTIE : Le Noël d’Hercule Poirot (Hercule Poirot’s Christmas – 1938. Nouvelle traduction révisée de Françoise Bouillot). Collection Le Masque Christie. Editions Le Masque. Parution le 18 décembre 2012. 230 pages. 5,60€.

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20 décembre 2017 3 20 /12 /décembre /2017 08:48

 

 

Le Noël de la rue

C'est la neige et le vent

Et le vent de la rue

Fait pleurer les enfants

Jason DARK : Noëls de sang

Noël ! Période de fête, de joie, de paix.

Période propice pour offrir des cadeaux, indépendamment de leur valeur, seul le geste comptant.

Dans les rues, dans les maisons, tout le monde s’affaire. Sapins, guirlandes, bougies, papier d’emballage, boîtes mystérieuses envahissent les appartements, si modestes soient-ils.

Martin Adamic, dix ans, malgré ses malheurs, une mère pocharde et un père gueulard qui ne se montre pas avare de taloches, Marin ose espérer. Depuis deux ans, il n’a pas connu de vrais Noëls, et, sentant pour une fois sa mère dans de bonnes dispositions, il rêve d’une soirée relativement calme, semi-familiale, avec, pourquoi pas, un petit cadeau en apothéose.

Il ne demande pas grand-chose, juste une montre, la moins chère possible, mais une montre qui fonctionne et qu’il pourra exhiber devant ses camarades de classe.

Alors que sa mère, qui est décidemment dans un bon jour, lui offre le cadeau tant attendu, l’intrusion de son père déguisé en Père Noël trouble la sérénité complice qui s’était instaurée entre la mère et l’enfant.

Accès de colère du père qui écrase sous son talon rageur la montre-cadeau et, devant la rébellion maternelle, inflige une mortelle raclée à la génitrice du pauvre Martin qui n’en peut mais.

Ensuite, lé père meurtrier emmène le fils, éberlué par cette scène guère digne d’un réveillon, si frugal et si misérable soit-il, dans les docks londoniens. Il a fait un pacte avec le Diable et il entend bien que sa progéniture suive le même chemin.

Emprisonné, le meurtrier s’évade dix ans après et entame un règlement de comptes ayant pour cible les policiers qui l’ont mis sous les verrous.

Première victime, la femme de l’inspecteur Blake qu’il assassine pratiquement sous les yeux de l’inspecteur Sinclair.

Les premiers témoignages font état d’un Père Noël au faciès cadavérique. Et voici John Sinclair entraîné dans de nouvelles aventures.

 

Terreur, angoisse et diableries pour cette sixième traduction française dans cette collection. Sur un rythme enlevé, rapide, débarrassé des scories descriptives et des réflexions métaphysiques, dont sont souvent empreintes les œuvres de Stephen King, Graham Masterton, et autres auteurs américains ou britanniques qui s’amusent parfois à encombrer leurs récits, ce petit roman allègre se lit avec plaisir, même s’il n’atteint pas les sommets du chef-d’œuvre.

Jason DARK : Noëls de sang (Mörderische Weihnachten – 1987. Traduction de Jean-Paul Schweighaeuser). Collection John Sinclair, chasseur de spectres N°6. Editions Fleuve Noir. Parution mai 1992. 192 pages.

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16 décembre 2017 6 16 /12 /décembre /2017 09:09

Tandis que l’amant dîne…

Lucienne CLUYTENS : Amandine à la cour du Tsar.

Malgré son emploi comme représentante de la fabrique de chocolats de ses parents, visitant les pâtisseries et clients désireux de se procurer d’aussi bons produits en région picarde, Amandine est nostalgique du temps où elle enquêtait avec son ami, et amant, Raoul Plantier inspecteur à la Brigade mobile parisienne.

En cet été 1912, elle rejoint Berck afin de promouvoir ses produits et rendre visite à son amie Juliette. D’ailleurs elle se rend souvent dans cette station balnéaire qui accueille une petite colonie de Russes, apprenant auprès de Loulia cette langue étrangère, pour son seul plaisir. Mais pour l’heure Amandine et Juliette se rendent à l’institut orthopédique du docteur Calot, chirurgien de renom, un hôpital qu’il a fait construire en bord de mer.

La société huppée russe est en pleine conversation, et si Amandine ne saisit pas tout, elle comprend que les discussions tournent autour de la personne de Raspoutine, ce pèlerin mystique guérisseur confident de l’épouse de Nicolas II. Les propos sont animés, mais la Princesse Nicolas de Grèce ainsi que sa petite cour composée de comtesses, de dames de compagnie et de caméristes, et de militaires, se taisent en s’apercevant de sa présence. Les chocolats d’Amandine deviennent la principale attraction.

Pourtant Amandine apprend qu’un cadavre a été retrouvé sur la plage, coincé entre des piquets, des bouchots sur lesquels s’agglutinent les moules, et d’après la description qui lui en est faite, elle ne tarde pas à se demander si justement ce Russe qui côtoie de près, de trop près aux dires de certains, la famille du Tsar Nicolas II.

Son instinct d’enquêtrice se réveille et il lui faut peaufiner ses renseignements. Et elle retourne à Berck, sous le prétexte de promotionner auprès de pâtissiers et autres confiseurs, les produits imaginés et fabriqués dans l’usine de sa mère.

Or elle apprend que le corps qui avait été entreposé à la morgue a disparu. Mais elle peut s’entretenir avec le légiste qui a procédé aux premières constatations, et ainsi établir une sorte de portrait robot, détaillant les vêtements portés par le cadavre. Elle fait part de ses doutes, qui deviennent des certitudes, à son père ainsi qu’à Raoul, son amant policier. Elle discute avec Loulia, son amie professeur de russe et dame de compagnie, avec Katia, la femme de chambre de la comtesse Olga Belaïevna, avec la comtesse elle-même et d’autres personnes de son entourage.

Mais une surprise bientôt l’interloque tout en lui faisant plaisir. Proposition lui est faite de se rendre à Saint-Pétersbourg, pour présenter ses chocolats et éventuellement procéder à l’installation d’une boutique. Une initiative qui la comble et bientôt, après en avoir informé ses parents, ainsi que Raoul, elle prend le Nord-Express qui va la conduire jusqu’à Saint-Pétersbourg. Quelle n’est pas sa surprise de constater qu’une passagère partage son compartiment, voyageuse qui n’est autre que Katia. Celle-ci argue de son désir de retrouver son fiancé qu’elle n’a pas vu depuis trop longtemps.

Sur place Amandine va connaître des désagréments et même se faire enlever. Par qui ? Pour quoi ? Ses investigations gêneraient-elles ? Pourtant, elle avait un chaperon, en la personne d’un attaché d’ambassade ou équivalent, en réalité un agent secret anglais.

 

Si Amandine est le pivot de cette histoire, les soubresauts qui agitent la Russie prennent une importance capitale dans ce récit. Les soulèvements, menés par des anarchistes, des révolutionnaires, des syndicalistes, entretiennent une ambiance délétère et la personnalité de Raspoutine, sa proximité avec la famille impériale y est pour beaucoup. Du moins dans une certaine couche de la société, car les ouvriers et les paysans réclament plus de liberté.

Ces événements extérieurs marquent Amandine, mais elle est en proie à un autre problème. Familial celui-ci. Sa liaison avec Raoul est cahotante. Elle ne se voit pas mariée avec un policier et être obligée à rester chez eux, à se faire du mouron tandis que son époux serait par monts et par vaux, traquant les bandits et être à la merci d’un assassinat. De même Raoul n’envisage pas de quitter la police, la brigade mobile, sa passion et sa raison de vivre. Mais un autre embarras surgit, et elle se demande bien comment elle va résoudre cette difficulté sans se mettre à dos parents et amant.

Et nous retrouverons, j’espère, Amandine dans de nouvelles aventures, passionnantes, et savoir si elle a résolu son embarras.

 

Lucienne CLUYTENS : Amandine à la cour du Tsar. Collection Belle-époque N°8. Pôle Nord Editions. Parution 31 août 2017. 212 pages. 11,00€.

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  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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