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15 janvier 2016 5 15 /01 /janvier /2016 14:50

Z'à la vie, z'à la mort...

Léon SAZIE : Zigomar. Tome 1.

A l'instar de Rocambole, Zigomar aura laissé son empreinte dans la langue française, à défaut d'être passé à la postérité comme son prédécesseur, puis son successeur dans la littérature populaire, Fantômas.

Zigomar qui a été décliné en Zigoto, Zig, et autres déformations pour définir un individu inquiétant, bizarre, extraordinaire, ou qui cherche à épater.

Nées sous la plume de Léon Sazie en 1909, plus exactement le 7 décembre dans le journal Le Matin, les aventures de ce malfaiteur seront éditées en fascicules chez Ferenczi. Et il aura fallu la patience et la pugnacité de Denis Balzan pour que ces textes tombés dans l'oubli soient enfin aujourd'hui réédités. Car s'il a connu un franc succès, aussi bien littéraire et au cinéma avec les films réalisés par Victorien Jasset, devenu un produit de consommation sous forme de biscuits, de personnages en pain d'épice, et autres déclinaisons, Zigomar a été enfoui dans les limbes littéraires, tandis que son fils spirituel, Fantômas, est toujours présent.

 

Dans la première partie, Le maître invisible, nous entrons de plein cœur dans le sujet sans rencontrer ce personnage qui prend de l'ampleur au fur et à mesure du déroulement du récit, sans que son visage et son identité nous soit dévoilés. Même si progressivement cela devient une évidence pour le lecteur.

Le banquier Montreil vient d'être assassiné, c'est ce qu'annoncent à grand fracas les crieurs de rues chargés de vendre les journaux. Assassiné mais pas mort. Il a été retrouvé dans son bureau, mal en point, allongé dans une mare de sang. Les policiers, notamment Baumier chef de la Sûreté et Paulin Broquet, le célèbre détective considéré comme le plus fin et le plus habile des inspecteur de la Sûreté, sont sur place. Paulin Broquet se met à examiner immédiatement le blessé et les lieux. Il déduit que le coup a été porté par un gaucher, des bouts de papier déchirés sont découverts dans la cheminée, à moitié calcinés. Sur le coffre-fort il relève des traces de sang et parvient à déchiffrer une signature en forme de Z.

Le meurtrier présumé ne peut être que l'un des derniers visiteurs de Montreil, c'est à dire le comte de la Guairinière et monsieur Laurent, deux personnages dont les finances sont dans le rouge. Seulement il faut pouvoir prouver que l'un des deux visiteurs du soir est le coupable.

Une confrontation est organisée entre Montreil et le comte de la Guairinière car le banquier a dénoncé le gentilhomme dans sa déposition qu'il a signée. Seulement, lors de cette entrevue, réalisée devant Paulin Broquet et consorts, le banquier revient sur sa déposition et affirme que le comte n'est pas celui qui lui a porté le coup. Et il s'écroule, mort pour de bon, devant ses deux amis venus à son chevet, maître Béjanet, notaire, et Grillard, huissier.

Les deux fils de Montreil, Raoul, avocat, et Robert, médecin, sont abasourdis, de même que leur sœur Raymonde et leur mère. Eux aussi sont interloqués par cette mort. Quant à Raymonde, elle est chiffonnée par les malheurs qui arrivent à la famille d'une de ses amies. Ceux-ci meurent de façon mystérieuse atteints d'une troublante maladie qui ne veut pas dire son nom.

Robert est amené à soigner une indigente habitant près de l'avenue de Clichy, dans une mansarde délabrée, avec une fille bossue et une autre qui heureusement travaille dans une maison de couture et dont la paie lui permet de survivre. Le père est décédé des années auparavant. Riri, la cousette, est la joliesse même, mais elle est sage et sérieuse, malgré les nombreuses propositions qui ne manquent pas de lui être signifiées. Par un fait du hasard, Raoul et Robert sont tous deux amoureux de cette charmante jeune fille. C'est ainsi qu'ils se retrouvent ensemble par hasard devant l'immeuble décrépi. Et qu'ils aperçoivent un ouvrier qui n'est autre que Paulin Broquet déguisé, et le comte de la Guairinière qui poursuit de ses assiduités Riri.

Des dossiers appartenant au banquier et concernant certains de ses clients ont disparu et les deux frères décident de se rendre chez maître Béjanet afin de se les approprier. Hélas il y a déjà du monde, des voleurs encagoulés. Ils pensent reconnaître le comte mais n'ont pas le temps de réfléchir. Eux-mêmes sont maîtrisés, leur tête encapuchonnée, et ils s'endorment du sommeil du juste. Lorsqu'ils reprennent leurs esprits c'est pour s'apercevoir que le veilleur de nuit a été poignardé. Ils n'ont plus qu'à recourir aux bons offices de Paulin Broquet qui démontre qu'ils ont été chloroformés. Quant au comte il a un alibi indiscutable. Il ne pouvait pas être présent sur les lieux du drame au moment où celui-ci s'est déroulé.

Léon SAZIE : Zigomar. Tome 1.

Dans cette sarabande effrénée orchestrée par Léon Sazie, les événements se précipitent, se suivent mais ne se ressemblent pas. Les scènes d'action, les situations, les façons de procéder et les diverses péripéties décrites, amorcées dans Arsène Lupin et Rocambole, seront largement exploitées par la suite dans les romans policiers criminels classiques, Fantômas le premier s'en inspirant largement. Tous les ingrédients sont déclinés dans ce roman qui est quelque peu précurseur en la matière.

Les différents personnages usent, voire abusent des déguisements. Que ce soit Paulin Broquet et ses hommes, L'Amorce, Gabriel, Clafous et d'autres dont le métier de policier est caché par une autre activité professionnelle. Le comte de la Guairinière lui aussi se déguise, mais il possède un avantage qui le sauve des griffes des policiers. Non seulement il parvient à leur échapper, grâce à sa bande des Ramogiz, nom des Tziganes qu'il emploie, mais il semble doué du don d'ubiquité.

Paulin Broquet ne ménage pas sa peine pour traquer Zigomar, parfois à ses risques et périls. Ainsi, pensant pouvoir déjouer l'attention des sbires du bandit masqué, il se rend dans l'antre des voyous, un bar près de Montmartre, et effectue le geste de reconnaissance, un Z tracé en l'air avec une main. Seulement il ne connait pas toutes les ficelles et se retrouve enfermé dans une galerie, l'une des nombreuses existantes lors des anciennes carrières de gypse.

Un thème éternel est également abondamment développé, celui de la finance, du système employé par les usuriers pour mettre leurs débiteurs genou à terre, et de la spéculation.

L'honnêteté en affaires est ce qui ne peut tomber sous le coup de la loi. Vous êtes honnêtes tant que vos spéculations, quelles qu'elles soient, ne vous occasionnent pas de condamnation. Prenez cela pour principe. C'est la vérité, c'est le seul moyen d'agir avec profit.

Ceci date de 1909, mais est toujours valable de nos jours. Et les banques et les sociétés de prêt avec le crédit renouvelable sont toujours des affameurs, légalement.

Il est dommage que la couverture de cette réédition soit si fade, comparée aux illustrations de Georges Vallée dont quelques reproductions figurent en portfolio en fin de volume.

Et comme tout bon feuilleton, il ne me reste plus qu'à terminer cet article en concluant ainsi : A suivre...

Léon SAZIE : Zigomar. Tome 1.

Léon SAZIE : Zigomar. Tome 1. Contient Le Maître invisible et Les lions et les tigres. Collection Rayon Vert. Editions Les moutons électriques. Parution 7 janvier 2016.

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13 janvier 2016 3 13 /01 /janvier /2016 13:54

S'il est invisible, c'est quoi sa couleur ?

Pierre PELOT : La couleur de Dieu.

Même s'il savait ce qu'il allait découvrir, Dylan Stark ne peut s'empêcher d'éprouver une vive émotion en revenant au pays, à la ferme familiale. Ou ce qu'il en reste.

Il était parti, enrôlé malgré lui dans les rangs sudistes, et son retour à Jaspero, Arkansas, ne signifie pas les retrouvailles du fils prodigue. La ferme a été incendiée, ses parents sont décédés, et son jeune frère a disparu. Mais ce ne sont pas les soldats nordistes, même s'ils patrouillent encore dans la région, qui sont à l'origine de cette destruction.

Son arrivée à Jaspero ne passe pas inaperçue. Personne ne l'attend, lui ce fils de métis Cherokee, un Bois-Brûlé comme ont l'habitude de les surnommer les Sudistes ancrés dans un racisme primaire. Mais il sait qu'il doit accomplir une mission : retrouver ceux qui ont dénoncé ou massacré ses parents.

A Jaspero, l'instituteur Dashiell Manton songe. Depuis un mois il a accueilli un élève noir dans l'unique classe du village. Mais les habitants sont furieux et ont même décidés de retirer leurs gamins de l'école si Lincoln Sodom continue à fréquenter l'établissement. Le vieux Rakaël, son seul ami, lui apprend que Dylan est de retour. Manton est effondré et soupire. Dylan, l'ami et le condisciple lorsqu'ils étaient gamins.

Dylan se présente chez Manton, ne sachant où aller et pensant à juste titre qu'il y sera bien reçu. Il est étonné toutefois d'apprendre que son ami est marié, avec Lilith, celle qui partageait leurs jeux lorsqu'ils étaient gamins. Les seuls avec Rakaël qui se réjouissent de retrouver Dylan tout en ayant peur pour lui.

 

Car en ville, dans une pièce du saloon Beckett, des hommes, des scélérats discutent, surveillant l'arrivée de Dylan qui franchit la porte de l'école. Ils n'ont pas spécialement peur, quoi que l'un d'eux redoute ce retour. Il sait que Dylan va chercher à se venger. Les Stark ont été abattus par des guérilleros, la version officielle, mais les assassins ne sont pas venus uniquement pour le plaisir.

Le maire, Lovedown, suivi comme son ombre par le shérif, n'en a cure du retour de Dylan Stark. Pour l'heure, seule l'affaire Lincoln Sodom l'énerve, l'exaspère. Un Noir dans une école réservée aux Blancs, c'est inadmissible. D'ailleurs les parents n'osent plus envoyer leurs gamins étudier.

 

C'est dans ce contexte délétère sur fond de racisme que Dylan Stark va se battre, moralement et physiquement sur plusieurs fronts. Retrouver ceux qui sont à l'origine du meurtre de sa famille, mais également aider les parents du petit Lincoln. Le gamin ne comprend pas ce qui lui arrive, lui qui ne demande qu'à apprendre à lire et à compter.

Les habitants de Jaspero sont en majorité des racistes qui n'acceptent pas que les Noirs puissent jouir des mêmes avantages que les Blancs, si l'éducation peut être considéré comme un avantage. Et le maire, homme tout puissant du village, riche et méprisant, va devoir subir la colère de Dylan Stark. Mais celui-ci, de même que Rakaël, est confronté à la vindicte des scélérats et les coups de fouet, une arme dont le vieil homme s'est fait une spécialité, sont un moyen dérisoire pour se défendre contre les armes à feu.

 

En cette année 1865, la guerre de Sécession a cessé, c'est sûr, mais pour autant les mentalités n'ont pas changé. Au contraire, il semble que le racisme, l'acrimonie envers les Noirs, se sont renforcés avec la défaite devant les Nordistes. Et cent ans plus tard, lors de l'écriture du roman, Pierre Pelot ne racontait pas une histoire qui se terminait, mais bien qui se prolongeait et se prolonge encore à cause de l'imbécilité des hommes et de leur supposée prépondérance naturelle envers ceux qui ne sont pas de la même couleur de peau qu'eux. Pourtant, qui peut dire quelle est la couleur de peau de Dieu ?

Bizarrement, en lisant la description des paysages peints par Pierre Pelot, j'ai eu l'impression diffuse que l'auteur était assis devant sa fenêtre et s'inspirait du décor qu'il avait devant lui.

Ce roman est destiné pour tous, à partir de onze ans affirme l'éditeur. Je suis sceptique, même si l'intention est bonne. Je ne sais pas si à onze ans, on comprend toutes les subtilités, les messages que désirait faire passer Pierre Pelot. Il est vrai qu'en 1967 ou encore en 1980, le contexte n'était pas le même qu'aujourd'hui. Les enfants lisaient plus et n'étaient pas saturés par les jeux vidéos et les violences, et donc étaient plus réceptifs à ce genre de lecture. Mais ce n'est que mon avis, et je pencherai plutôt pour une lecture à partir de quatorze ans.

 

Merci à Serge, qui m'a offert ce livre et qui se reconnaîtra.

Première édition Marabout. 1967.

Première édition Marabout. 1967.

Réédition Lefrancq. 1997.

Réédition Lefrancq. 1997.

Réédition Le Navire en pleine ville. 2006.

Réédition Le Navire en pleine ville. 2006.

Réédition Bragelonne. Version numérique. Février 2014.

Réédition Bragelonne. Version numérique. Février 2014.

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12 janvier 2016 2 12 /01 /janvier /2016 13:33

On ne peut pas dire que ce soit une déclaration d'amour...

Alexis AUBENQUE : Tout le monde te haïra.

Dans une dizaine de jours, Noël arrivera avec son lot de cadeaux.

Pourtant, la distribution ne sera pas équitable pour tout le monde. Ainsi Alice Lewis arrive dans la petite ville côtière de White Forest, sise au sud de l'Alaska, n'ayant plus de nouvelles de sa sœur Laura. Sa mère, juste avant son décès, lui a appris quatre mois auparavant qu'elle possédait une sœur de vingt ans plus âgée qu'elle. Elle lui a écrit, Laura lui a répondu mais depuis un mois, c'est le silence total.

Alice veut signaler auprès des services du shérif Trévor cette disparition, mais elle se fait jeter dehors, le nom de Laura Barnes n'étant guère en odeur de sainteté. Laura est mariée avec Lloyd, le fils du maire de la petite ville, a un fils de dix-sept ans, Zachary, et travaille comme journaliste dans un périodique local. Elle enquêtait, aux dernières nouvelles, sur l'apparition lors de l'été de cadavres charriés par un iceberg en dérive et provenant d'un navire ayant échoué cent ans auparavant, le New Horizon. Mais c'est pour une toute autre raison que le nom de Barnes est tabou.

A sa sortie du commissariat, Laura glisse sur une plaque de gel et un homme qui passait inopinément par là la relève. Une occasion unique pour faire connaissance, mais lorsqu'Alice déclare qu'elle recherche sa sœur et évoque le nom de Barnes, l'homme a un haut-le-cœur. Il est détective privé, se nomme Nimrod Russel, et a été viré de la police par le maire, Abraham Barnes, pour une vague histoire d'inceste sur laquelle il avait enquêté. Nemrod a gardé de bonnes relations avec ses anciens collègues, car il n'était nullement fautif, au contraire, mais le maire n'avait pas du tout apprécié le résultat de cette enquête, pour des convenances amicales avec le père blâmable.

Nonobstant, Nimrod propose à la jeune fille de l'héberger, en tout bien tout honneur, chez lui, sur l'île Douglas qui est située juste en face de White Forest. Comme Alice n'est pas fortunée, elle s'occupera du ménage, des repas et de sa chienne Laïka, si celle-ci l'accepte. Et lui se mettra à la recherche de Laura, ne promettant pas de résultats probants.

 

Pendant ce temps, Tracy Bradshaw, lieutenant de police, est mandée d'urgence sur une affaire de meurtre particulièrement sanglante. D'ailleurs le meurtrier n'a pas fait dans le détail. Kruger a été pendu, dans sa grange, par les pieds avant d'être éventré du sexe jusqu'à la gorge par un hakapik, un pique de chasse utilisé par les Inuits pour la chasse au phoque. Nul doute que quelqu'un voulait signer le crime, le mettre à l'actif des Inuits qui sont cantonnés dans la région et que les envahisseurs américains tiennent en piètre estime.

Avec Scott, son nouveau coéquipier, qui a remplacé Nimrod, qui comme on l'a lu précédemment a été viré sans gloire, Tracy va s'atteler à une enquête difficile. Comme si elle n'avait pas assez d'ennuis personnels. Avec son mari Vernon, pas de problème, avec Alyson, leur fille, pas plus même si elle entre dans l'âge ingrat, mais Ridley, le garçon, fait des cauchemars la nuit, réveillant ses parents, les empêchant de jouir d'une nuit de repos entière, réparatrice et amplement méritée. Il se réveille en hurlant, déclarant voir des flammes partout, ayant peur pour sa sœur et ses parents, et affirmant que tout le monde le hait.

Avec Nimrod, Tracy a toujours eu de bonnes relations, et ce n'est pas la mise à l'écart de son ancien collègue qui a changé quelque chose. Ils parlent de leurs enquêtes respectives, et éventuellement se proposent d'échanger leurs renseignements, de se suppléer, de retrouver leur ancienne complicité. Mais cela ne se fera pas sans dommage, leurs adversaires inconnus ne leur ménageant pas les coups, ceux qui font mal. Mais qui sont ces adversaires qui se dressent sur leurs chemins ?

Est-ce l'enquête de Laura sur les cadavres du New Horizon, et surtout la disparition inexpliquée d'une centaine d'orphelins qui théoriquement étaient à bord du navire et dont les corps n'ont pas été retrouvés ? La disparition tout simplement de Laura, abandonnant sa famille pour un autre homme ? Le meurtrier de Kruger qui pourrait être une jeune femme d'origine inuit, et tient une sorte de maison de plaisirs particuliers, dont les clients sont adeptes de déguisements en tout genre, particulièrement celui de phoque énamouré ? Autre chose ? Ou tout simplement tout cela à la fois ?

 

Comme ces bons feuilletonistes qui savaient relancer l'action au moment crucial, abandonnant leurs personnages dans une situation délicate pour en retrouver d'autres qui eux aussi connaissaient des problèmes dans les chapitres précédents, Alexis Aubenque construit son intrigue en naviguant d'un protagoniste à un autre, d'une phase angoissante à une autre. En y incorporant ses thèmes de prédilection, l'eau, la mer de préférence, et les îles.

Tel une arachnide méticuleuse, Alexis Aubenque tisse sa toile sans se laisser distraire par les à-côtés tout en élaborant son intrigue comme un véritable Dédale, un labyrinthe qui offre de nombreuses voies de sorties en trompe l'œil. Parfois un cadavre vient s'engluer dans cette dentelle plus solide qu'il y parait, mais rien ne perturbe l'arachnide qui continue à broder. Une secousse qui pourrait sembler sismique, mais au contraire renforce l'édifice patiemment élaboré.

Alexis Aubenque possède cette faculté que n'ont plus de nos jours bon nombre de romanciers, celle d'entretenir l'intérêt du lecteur, sans s'adonner à des considérations oiseuses permettant de gonfler l'ouvrage mais n'apportent rien de plus que de l'ennui.

L'histoire se déroule sur quatre jours, et en incrustation le lecteur découvre le calvaire de Vassili, un gamin qui narre sobrement son parcours de jeune mineur. Pose de dynamite dans des galeries, puis le travail à la pioche comme les grands, les rebuffades, les réprimandes, avec au bout l'espoir qu'un jour il pourra retrouver Mère Russie.

 

Sous couvert d'un roman d'aventures palpitant, les origines complexes de cette intrigue nous offrent un final éblouissant jouant sur l'appât du gain et l'indifférence des êtres humains qui ne se demandent pas pourquoi certains produits sont si peu onéreux, alors que se sont des enfants qui les fabriquent. L'auteur évoque un contexte socio-économique malsain avec une introspection historique.

Vous savez aussi bien que moi que cela arrange toute la planète qu'il y ait des pauvres pour engraisser les riches.

Une déclaration émise par l'un des protagonistes qui démontre un cynisme émanant de riches et de ségrégationnistes ou d'antisémites envers toute une population parfois inconsciente ou aveugle de ce qu'il se passe réellement.

 

Mais Alexis Aubenque joue également avec le lecteur. S'il évoque furtivement Jack London, le décor et certaines scènes nous incitent à penser à ce grand écrivain, il renvoie à d'autres personnages célèbres. On ne peut que rapprocher le prénom du détective, chasseur d'images puisqu'il travaille essentiellement sur des affaires de cocufiages, à celui d'un autre grand chasseur mythologique. Nimrod, qui en hébreu signifie se rebeller, ne serait donc que la déformation de Nemrod, le chasseur éternel. Et que penser du patronyme de cette jeune fille qui recherche sa sœur : Alice Lewis, qui est une référence implicite à Alice de Lewis Carol.

 

Le bon point du jour est également attribué à Alexis Aubenque, qui connait mieux le français que bien des journalistes lesquels n'hésitent pas à déclarer : il y avait deux mille chômeurs l'an dernier et cette année ils sont deux fois moins (ceci n'est qu'un exemple). Ce qui veut dire, si je compte bien, qu'ils sont quatre mille en moins. Deux mille moins quatre mille égale ? Et oui, il y a un truc et pourtant on entend ou on lit ce genre de phrase quotidiennement.

Page 361, Alexis Aubenque écrit : Il mit moitié moins de temps pour rejoindre le campement de base qu'il n'en avait mis pour grimper. La formulation est exacte et nos braves journalistes ou économistes qui veulent nous donner des conseils et affirmer leur supériorité intellectuelle devraient en prendre de la graine.

Alexis AUBENQUE : Tout le monde te haïra. Collection La Bête noire. Editions Robert Laffont. Parution 4 novembre 2015. 432 pages. 20,00€.

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11 janvier 2016 1 11 /01 /janvier /2016 15:04

Bon anniversaire à Eduardo Mendoza,

né le 11 janvier 1943.

Eduardo MENDOZA : La ville des prodiges.

La ville des prodiges, c'est Barcelone, une ville en pleine expansion, en pleine fièvre industrielle en cette année 1888, et qui organise après Londres et Paris "son exposition universelle".

Dans cette cité en effervescence, débarque un jeune garçon, Onofre Bouvila, qui, à treize ans, se lance à corps perdu dans la bataille de la vie sans aucun complexe.

Il s'installe dans un hôtel miteux et pour payer sa pension va distribuer des tracts de propagande anarchiste. Qu'importe le métier, il veut réussir. Il deviendra successivement camelot, homme de main, chef de gang, trafiquant, grand industriel, et il devra sa réussite grâce à un manque total de préjugés, à sa faculté d'adaptation quelles que soient les épreuves, son obstination sans faille, la facilité avec laquelle il ourdit les plans les plus ingénieux et dans lesquels succombent ses ennemis et ceux même de ses amis tombés en disgrâce à ses yeux.

Il avait une confiance sans limites dans sa capacité à surmonter n'importe quel obstacle et à tirer profit de n'importe quelle difficulté.

 

Au travers de cette ascension, c'est la ville de Barcelone, son histoire, la grande et la petite, son expansion, son développement qui nous sont révélés, avec force détail, avec minutie, avec chaleur, avec amour, avec réalisme mais sans complaisance, par l'un des plus grands romanciers espagnols actuels.

 

Eduardo Mendoza dépeint une jungle dans laquelle vivent, survivent, meurent, rufians, maquereaux, filles de joie, travestis, voyous en quête d'honorabilité, bourgeois décadents aimant s'encanailler, toute une faune haute en couleurs, prête à tuer pour se défendre, prête à toutes les compromissions, mais avide de respectabilité.

Les aventures des derniers des Picaros, ces aventuriers espagnols, qui ont justement fourni ce qualificatif de picaresque aux romans d'action.

 

Un roman dense, touffu, prenant. Le lecteur suit avec intérêt, avec passion, les aventures, l'ascension de Onofre Bouvila, mais aussi l'extension, l'industrialisation de Barcelone souvent à l'avant-garde du progrès, réceptrice d'idées nouvelles, et souvent refrénée dans son essor par Madrid, la capitale.

Plus qu'un roman policier, plus qu'un roman d'aventures, c'est un roman d'amour. Un roman d'amour pour une ville : Barcelone.

Première édition Le Seuil. 1988.

Première édition Le Seuil. 1988.

Eduardo MENDOZA : La ville des prodiges. (La Ciudad de los prodigios - traduction d'Olivier Rolin). Collection Points Romans. Parution septembre 2007. 544 pages. 8,40€.

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9 janvier 2016 6 09 /01 /janvier /2016 13:38

N'est pas celle du Père Noël !

Georges-Jean ARNAUD : La défroque.

Avec son menton en galoche, ce qui lui a valu son surnom, qui posé sur les cageots de légumes ou de fruits, les retient sur son diable, et avec ses petits bras musclés, Luigi Sorgho est très demandé par les déballeurs sur le marché de Hyères.

Il boit ses rosés que lui ont offert les acheteurs pour ses bons et loyaux services de manutentionnaire, chez Henri, un petit bar rendez-vous des marchands et maraîchers. Italien, il vit avec sa sœur Grazia dans un petit appartement qui leur suffit amplement. Ils sont restés célibataires et cela leur convient bien.

Ce jour là il aperçoit un homme, habillé de bric et de broc, buvant une menthe à l'eau (mais n'est pas maquillé comme une star de ciné). Ce visage, il le connait mais est incapable de se remémorer où il a vu ce personnage qui lui sourit. Luigi s'informe auprès d'Henri. Le cafetier ne peut guère donner de renseignements. L'homme apporte des cageots de cerises, lorsque c'est la saison, et achète de la ficelle à Marguin, un grossiste, et circule dans une vieille fourgonnette. Les autres consommateurs, qui taquinent volontiers Galoche, n'en savent pas plus, sauf qu'il vivrait dans une communauté près de Méounes. Il y a en même un qui lâche avec détachement qu'il lui fait penser à un curé.

Le déclic ! Le soir même Galoche annonce à sa sœur qu'il a vu l'abbé Corti, en civil. Il est inquiet. Ayant assassiné deux ans auparavant un homme, il s'était confessé sur les instances de Grazia à cet abbé alors qu'ils séjournaient à Digne. Ce crime était resté impuni, mais quand même. Que fait donc Corti à Hyères, si ce n'est pour le harceler. Il faut absolument retrouver où il crèche (normal pour un curé), et savoir ce qu'il lui veut. Peut-être pour le dénoncer.

Alors Grazia et lui vont unir leurs forces pour découvrir où se terre ce curé. Et ce qu'ils apprennent dépasse leur entendement. Corti n'est plus curé, de plus il est marié et dirige avec sa femme une communauté recueillant des routards. Galoche s'affole et obnubilé par son premier crime et la peur au ventre que son ancien confesseur le dénonce auprès de la police, il va commettre un second meurtre.

 

Luigi est un être fruste, s'exprimant difficilement en français, vivant sous la domination de sa sœur Grazia, confite, comme un vieux citron, en dévotion. La peur de se voir confondu pour un crime ancien, être dénoncé par un ancien curé, l'empêche de réfléchir sereinement, et dans sa panique va commettre justement ce qu'il ne fallait pas faire. Il est vrai qu'il est mal conseillé par Grazia, mais il redoute également les forces policières, n'étant pas vraiment en règle dans son pays d'adoption.

Peu à peu, à la façon de Frédéric Dard et d'Alfred Hitchock conjugués, Georges-Jean Arnaud joue sur l'inquiétude de ce couple frère-sœur, non incestueux je précise, inquiétude renforcée par la peur que leur passé les rattrape. Ils sont incapables de penser, réfléchir sereinement, et s'affolent avant de savoir réellement ce que fait Corti dans la région.

Une atmosphère romanesque lourde qui de plus est développée par la chaleur de la région. Luigi-Galoche ne crache pas, au contraire, sur les petits verres de rosé qui lui sont offerts, s'en paient quelques-uns supplémentaires ce qui bien évidemment occulte sa réflexion, son cerveau étant quelque embrumé.

 

Si le thème de ce suspense est intemporel, un homme fautif qui pense, à tort, être traqué, certains éléments ancrent ce roman dans une époque révolue.

Ainsi, en ce début des années 1970, il est commun de parler encore en anciens francs, même si le nouveau franc est de mise depuis 1960. Ce qui peut occasionner à ceux qui n'ont pas connu cette période quelques désagréments dans la compréhension des sommes indiquées. Luigi reçoit cinq à dix francs (nouveaux) pour son travail de manutention auprès des acheteurs de légumes. Dans le même temps une brave femme indique qu'elle touche deux mille francs (anciens soit vingt francs) pour une demi-journée de travail.

Dans le bureau de poste où Luigi et Grazia recherchent un numéro de téléphone, ils sont surpris de ne pas trouver l'annuaire des Basses-Alpes, oubliant que depuis 1970 ce département a été rebaptisé Alpes-de-Haute-Provence. Et alors qu'ils veulent téléphoner à l'évêché afin de demander un renseignement concernant Corti, la demoiselle (c'est toujours une demoiselle) du guichet téléphonique leur signifie qu'il y a une demi-heure d'attente. L'automatique n'était pas encore en place partout, ce qui amène à nous souvenir du fameux sketch de Fernand Raynaud, le 22 à Asnières.

 

Merci à Patrick qui se reconnaitra et m'a fait parvenir ce roman.

Première parution collection Spécial Police N°1044. 1973.

Première parution collection Spécial Police N°1044. 1973.

Réédition collection Spécial Police N°1604. 1980.

Réédition collection Spécial Police N°1604. 1980.

Georges-Jean ARNAUD : La défroque. Collection Crime Fleuve Noir N°19. Editions Fleuve Noir. Parution février 1992. 224 pages.

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8 janvier 2016 5 08 /01 /janvier /2016 14:40

Viens dans mon joli pavillon...

Fred KASSAK : Une chaumière et un meurtre.

Il n'est guère aisé de travailler dans une ambiance dans laquelle le bruit est roi.

C'est ce que déplore Lionel Fribourg, égyptologue distingué, qui aimerait pouvoir écrire un mémoire sur les religions de l'Egypte ancienne d'après les tonnes de notes qui s'entassent dans un appartement exigu et réceptif à toutes sortes de sons discordants, cacophoniques et assourdissants.

Un mémoire qui lui entrouvrirait les portes du Collège de France et lui apporterait la consécration, et peut-être l'opulence.

Une rencontre inopinée avec Agnès, jeune femme naïve, très naïve, pour ne pas dire plus, lui fait miroiter ce qu'il n'osait plus espérer : un havre de paix dans un pavillon de banlieue.

Ah le calme, la tranquillité !

C'est sans compter sur le destin malin qui semble jouer comme au ludion inaccessible avec ce pavillon tentateur.

 

Fred Kassak est un auteur de roman policiers et romans noirs et, outre une ingéniosité perverse dans ses intrigues, il allie à une trame solide une écriture humoristique très travaillée, proche de celle de Wodehouse ou de Dickens dans les Papiers Posthumes de Monsieur Pickwick ou encore Charles Exbrayat.

L'humour est présent d'une façon sobre, apparemment facile, excluant toute vulgarité. C'est un humour axé sur le descriptif et la situation des personnages.

Ce roman a été adapté en 1963 par Pierre Chenal sous le titre L'assassin connait la musique. Avec dans les rôles principaux Paul Meurisse, Maria Schell (que j'aime) et Jacques Dufilho.

Fred KASSAK : Une chaumière et un meurtre.
Première édition Collection Un Mystère N° 570. Presses de la Cité. 192 pages.

Première édition Collection Un Mystère N° 570. Presses de la Cité. 192 pages.

Réédition format Kindle avril 2015. 4,49€.

Réédition format Kindle avril 2015. 4,49€.

Envie de connaitre Fred Kassak ? Cliquez sur le lien ci-dessous :

 

Fred KASSAK : Une chaumière et un meurtre. Collection Le Masque jaune N°1981. Librairie des Champs Elysées. Parution décembre 1989.

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6 janvier 2016 3 06 /01 /janvier /2016 10:05

Bon anniversaire à Serge Quadruppani

né le 6 janvier 1952.

Serge QUADRUPPANI. Y.

Dans un grand brassage politico-terroriste mâtiné de truanderie, tout le monde pense tirer la ficelle alors que ce ne sont que des pantins manipulés.

Même le héros Emile K., ex agent du GIGN reconverti comme privé, qui n’était entré dans la police que sur infiltration et appartenait à un noyau d’extrême gauche depuis dissous.

Un cas que cet homme, presque un superman, qui utilise les sophistications modernes de la communication, se prend pour un Indien, se réfugie dans la poésie, écoute les vieilles chansons françaises à texte et donne ses rendez-vous dans des cafés à l’aide d’un code astucieux.

Claude, surnommé l’Escogriffe, fils d’un banquier qui vient de se faire la belle en subtilisant des documents et de l’argent, Claude, drogué, est traqué par une pléiade de personnages allant de l’énarque au truand. Les voies du Seigneur sont impénétrables, celles des terroristes et des politiques encore plus.

Adèle est à la recherche de sa sœur Annie, secrétaire du banquier avec qui elle s’est enfuie ou séquestrée par celui-ci. Entre Claude et Adèle s’établit une sorte de complicité semi-amoureuse, orchestrée par les événements et Emile K.

Mais la gravitation autour de ce couple d’un conseiller présidentiel, d’un député, de terroristes à la solde de pays du Moyen-Orient, de maffiosi, plus quelques éléments comme la drogue, nerf de la guerre secrète, font de ce roman comme une concentration de plusieurs affaires qui ont secoué le paysage politique et alimenté les faits divers, principalement en France.

Comme si tout ce qui se passe depuis quelques temps était joué sur une seule et unique scène de théâtre, par des acteurs déclamant des scénarii différents, éclairé par un projecteur.

Comme si d’un seul coup toutes ces saynètes s’imbriquaient dans une osmose dramatique.

De ce roman se dégage une grande violence, choix délibéré de l’auteur; une violence ressentie de l’intérieur, qui existe mais n’est pas toujours perceptible par le quidam qui la découvre à la télévision, à la radio ou dans les journaux.

Une violence canalisée par les médias. Une violence diffuse, latente, dans laquelle s’intercale la poésie, comme une page publicitaire dans un film de guerre.

 

Serge QUADRUPPANI. Y. Collection Métailié Noir. Editions Métailié. Parution octobre 1998. 214 pages.

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5 janvier 2016 2 05 /01 /janvier /2016 08:56

La vie continue... comme avant !

Roland SADAUNE : Gisants les-Rouen.

Des Sans Domicile Fixe, ou des Sans Abris, mendigotant aux entrées des commerces ou des édifices publics, couchant sur des bancs, cela peut ternir l'image d'une ville qui compte sur les rentrées d'argent touristiques.

Alors le meilleur moyen pour s'en débarrasser, c'est de faire comme la concierge qui pousse la poussière sous le paillasson, c'est de les cacher loin de la ville. C'est un édile Rouennais qui a eu cette lumineuse idée !

Le programme est chargé pour la capitaine Elise Verdoux, de la police judiciaire, qui doit enquêter sur l'assassinat de trois policiers territoriaux. Avec en bonus celui d'un SDF, dont le corps présente de nombreuses traces de lacération. D'autant plus bizarre que les vêtements eux sont intacts. Mais pour le moment, ce meurtre est à classer dans la case profits et pertes, l'enquête sur les territoriaux primant.

L'adjoint Praquetti, qui a décidé d'appliquer avec le maximum d'efficacité le décret concernant les SDF, est sur les dents, et bien naturellement le procureur, le responsable de la police Raymond Keller, Elise Verdoux, qui fut sa maîtresse durant deux ans mais a rompu depuis quelques mois, et quelques autres sont conviés à résoudre au plus vite cette affaire qui fait tache. Dans une poche de vêtement de chacun des trois policiers municipaux, une photo identique a été découverte. Celle d'une grille rouillée ouvrant sur un parc. Comme indice on pourrait faire mieux.

Heureusement une artiste peintre qui privilégie la nature comme thème de ses tableaux a assisté à un étrange manège près d'Hénouville à l'ouest de Rouen. Elle a réalisé une petite vidéo qu'elle a transmise à Verdoux et Person, l'adjoint de la policière. Et ce qu'ils découvrent leur ouvre des portes, celles de l'enfer. D'autant que sur cette vidéo ils reconnaissent un individu qu'ils côtoient quasi quotidiennement.

Cette première partie de l'enquête résolue mais pas terminée, Elise Verdoux se sent obligée de traquer celui que se nomme pompeusement Gladiator.

Gladiator, un être brutal, pervers, se sait débusqué, mais il pense qu'il bénéficiera de quelques indulgences auprès d'une hiérarchie qui se serre les coudes. Il va se planquer chez Lancaster, au grand dam de celui-ci, qui ne souhaitait aucun invité imposé dans sa résidence secondaire.

Lancaster est un écrivain qui vient de manquer de peu d'obtenir le Prix Jeanne d'Arc, alors que son éditeur et bien d'autres, auraient mis leur bras au feu persuadés qu'il partait gagnant haut la main. Il s'est réfugié dans la chaumière héritée de ses parents près de Lyons la Forêt, dans l'Eure, et Underwood chargée de rubans encreurs et de ramettes de papier, il va s'attaquer à un nouveau roman dont le thème est dicté par des réminiscences paternelles.

Son père également journaliste et romancier avait écrit quelques ouvrages sur les loups-garous, notamment l'Eure du loup-garou. Pour forcer l'inspiration, il avale à l'aide de verres de vin rouge des cachets d'ecstasy, ce qui le fait déconnecter parfois de la réalité. Sa voisine, qui aurait une certaine tendance à s'incruster, lui affirme qu'Ici les morts sont bien vivants. Un thème, une légende, un mantra, une affirmation gratuite à développer, pourquoi pas.

Commence alors une cavale pour Gladiator qui sème, à l'instar du Petit Poucet, des cadavres dans la forêt, près d'une plaque sur laquelle ont été sculptés des gisants.

 

Si le début de ce roman est une enquête véritable, la suite est une traque et un huis-clos. Traque menée par Elise Verdoux, laquelle ne sera pas à la noce, et huis-clos entre Gladiator et Lancaster.

Roland Sadaune emprunte à ses thèmes favoris, la peinture, le cinéma, mais aussi, plus personnel, la chaise roulante, pour construire ce roman en deux parties d'inégales longueurs mais dont le suspense monte progressivement. Une traque mêlée d'un huis-clos qui deviennent vite étouffants, âpres, violents et vont crescendo.

Les personnages qui gravitent dans ce roman, découpé en soixante-quatorze courts chapitres qui entretiennent une certaine vivacité dans le déroulement de l'action, sont autant de protagonistes parfois décalés et aux motivations troubles qui prennent à leur insu, ou non, une part prépondérante dans cette histoire. Si je me garde de dévoiler l'identité de Gladiator, c'est pour garder une part de mystère dans le récit, mais le lecteur perspicace de cette chronique aura rapidement mis un nom sur ce personnage malsain.

Roland Sadaune nous dépeint une société en déliquescence dont les acteurs malfaisants ne sont pas forcément ceux auxquels on pourrait songer.

Autres ouvrages de Roland Sadaune :

Et si vous désirez une lecture plus approfondie de ce roman, je vous engage à diriger le curseur de votre souris sur le lien ci-dessous :

Roland SADAUNE : Gisants les-Rouen. Val d 'Oise éditions. Thriller. Parution octobre 2015. 310 pages. 14,00€.

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4 janvier 2016 1 04 /01 /janvier /2016 11:58

Elles en avaient dans le ventre !

Michel MOATTI : Retour à Whitechapel.

Le mythe, ou plutôt la véritable histoire qui n’a jamais connu de dénouement, de Jack L’Eventreur, alimente depuis plus d’un siècle l’imaginaire des romanciers, et les historiens confrontent leurs conjectures sans véritablement apporter de solution satisfaisante.

Du 31 aout 1888 au 9 novembre de la même année, cinq prostituées, ou cataloguées comme telles car elles ne recherchent souvent que quelque menue monnaie afin de se payer boisson alcoolisée, nourriture et endroit pour dormir, ont été égorgées, éviscérées, découpées, dans l’East-End de Londres, les quartiers de Whitechapel et de Spitalfields. Dont deux la même nuit, comme si leur agresseur n’avait pas réussi ce qu’il voulait entreprendre sur la première.

En septembre 1941 Londres ploie mais résiste sous les bombes lâchées par les bombardiers allemands survolant la capitale depuis des mois. C’est le Blitz. Les nombreux blessés sont dirigés vers les hôpitaux, dont le London Hospital situé dans l’East-End. Mary Amelia Pritlowe, infirmière-chef dans l’établissement vient de recevoir une lettre de son père décédé récemment. Une lettre testament dans laquelle il explique que Mary Amelia est la fille de Mary Jane Kelly, la dernière des cinq victimes de l’Eventreur.

Robert Pritlowe avait quitté Mary Kelly peu après la naissance de leur fille dont la garde était confiée à la mère, ou à une amie de celle-ci ou au père, selon les circonstances. Mary Kelly vivait avec Joe Barnett, fréquentait Maria Harvey, sa meilleure amie, devait plus d’un mois de loyer à John McCarthy, propriétaire de nombreux taudis, l’équivalent des propriétaires qui louent à prix d’or des pièces insalubres actuellement en France, les marchands de sommeil. Mary Jane Kelly n’avait que vingt-trois ans, était encore jolie et insouciante.

Robert Pritlowe avait récupéré définitivement la gamine âgée de deux ans après l’assassinat de Mary Kelly, et la petiote avait suivi son père en France, placée dans une institution près de Dieppe puis dans un établissement où elle a appris le métier d’infirmière. Durant la première guerre mondiale elle avait exercé dans l’Argonne puis était rentrée en Angleterre. Cette lettre émanant de son père la plonge dans le désarroi. Elle veut en connaître davantage sur sa mère dont elle ne se souvient pas, savoir réellement ce qu’il s’est passé en ces semaines tragiques, remonter la piste de l’agresseur. Venger sa mère en découvrant l’identité de son meurtrier. De nombreuses hypothèses ont été énoncées, notamment celle selon que le fameux Jack l’Eventreur serait issu de la Haute, mais cela ne lui suffit pas, et comporte un certain nombre d’aberrations.

Alors elle consigne dans des carnets, achetés spécialement à cette intention, ses différentes démarches effectuées notamment auprès de la Filebox society, qui conserve précieusement toutes les archives, articles de journaux, témoignages divers, photographies d’époque des victimes, des lieux. Elle s’inscrit à cette association qui ne comprend que des hommes, des ripperologues passionnés, et compulse tous les documents mis à leur disposition, parfois aidée par les membres eux-mêmes touchés par sa détresse et sa pugnacité.

Enserrés entre les différentes relations des recherches, des démarches, de ses relations avec les membres de la Filebox society, de ses réflexions, consignées au jour le jour ou presque, car les blessés et les malades n’attendent pas, d’Amelia Pritlowe, l’auteur effectue une véritable reconstitution historique des drames enregistrés. C’est ainsi que nous voyons évoluer tour à tour Mary Ann Nichols dite Polly, Annie Chapman, Elisabeth Stride, Catherine Eddowes et enfin Mary Jane Kelly ainsi que les voisins, les amies, les commerçants, les policiers, l’ombre du tueur lui-même. Mais les scènes de meurtres et ce qui précède ou suit, ne vaudraient guère si des événements extérieurs n’étaient pas retracés, placés dans un contexte de misère. Les ouvriers dépensent leur argent dans des pichets de gin aussitôt le maigre salaire encaissé, afin d’échapper à la réalité désastreuse.

Par exemple le défilé revendicatif des allumettières, les ouvrières des usines Bryant & May, le visage rongé, ravagé, par les projections de phosphore durant la fabrication des allumettes et qui réclament de l’argent à la place des denrées avariées fournies en guise de salaire. Un épisode émouvant de la détresse de ces ouvrières exploitées et qui sont confrontées aux gros bras, les contremaitres de la fabrique, armés de gourdins sous les yeux furieux de la direction et ceux impavides des policiers.

D’autres évocations sont plus amusantes, et utilisées par certains romanciers de la littérature policière à ces débuts. Par exemple le recours à l’optographie, phénomène qui consiste à prélever l’iris d’un œil afin de trouver l’image de l’assassin, image qui se serait plaquée sur la rétine au moment du décès de la victime. Ou encore le recours à l’induction hypnotique qui permettrait à Amelia de recouvrer la mémoire et retrouver certains souvenirs de sa vive enfance, alors qu’elle avait tout juste deux ans. Souvenirs qui devraient être enfouis mais pourraient remonter à la surface en procédant à une forme d’hypnose.

Ces encarts ne sont pas écrits selon la sécheresse des minutes des procès-verbaux rédigés par les greffiers lors des retranscriptions des différents témoignages des policiers, des voisins, des supposés témoins ou autres, mais possèdent une force d’évocation narrative vivante (?!).

Une fiction fort documentée qui amène l’auteur à proposer sa version concernant l’identité du meurtrier, identité évidente car tous les arguments développés se tiennent. Michel Moatti a été hanté par cette affaire et durant trois ans, il a arpenté les rues de Whitechapel, compulsant les dossiers de la Metropolitan Police de Londres, les archives de la presse britanniques de l’époque. Et les documents consultés sont réunis dans un carnet d’enquête, avec de nombreux ajouts, des notes prises sur le vif ( !), carnet qui était joint en annexe lors de la première parution de ce roman.

Un roman fort documenté qui repose sur des bases historiques solides et indéniables dans lequel la fiction s’interfère dans l’authenticité de faits réels et d’une déduction que l’on ne peut guère prendre en défaut. Un roman qui fera date dans le cercle des ripperologues et que tout amateur de littérature policière devrait lire.

Première édition : HC éditions. Parution 24 janvier 2013. 350 pages. 19,90€.

Première édition : HC éditions. Parution 24 janvier 2013. 350 pages. 19,90€.

Réédition éditions Pocket. Parution le 9 janvier 2014. 416 pages. 7,80€.

Réédition éditions Pocket. Parution le 9 janvier 2014. 416 pages. 7,80€.

Michel MOATTI : Retour à Whitechapel. Editions 10/18. N°5020. Parution décembre 2015. 414 pages. 8,10€.

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3 janvier 2016 7 03 /01 /janvier /2016 08:26

Un cadavre en cavale, ça fait désordre...

Samuel SUTRA : La mort dans les veines.

Dans son laboratoire de l'Institut Pasteur, le professeur Morel pense enfin avoir combattu, avec succès, les forces du mal qui sont en nous, un virus tueur.

Un homme s'est introduit dans la pièce et injecte le produit dans le cou du professeur qui sombre. Et pour sombrer, il sombre, de nuit, dans le canal Saint-Martin, un lieu très touristique, balancé à la flotte par l'intrus du labo.

Son cadavre est repêché par les secours rapidement arrivés sur place, grâce à la vigilance de témoins opportuns et transporté à l'Institut Médico-légal Mazas dans le douzième arrondissement parisien.

Luc Mandoline, qui flagelle sur ses guitares à cause d'une absorption immodérée de boissons alcoolisées dans lesquelles il noie un chagrin sentimental et une contrariété, est attablé dans son bar préféré, Le Cépage, qui coup de bol est situé juste à côté de chez lui. Il est abordé par une accorte gente dame qui requiert ses services.

Adèle a été contactée par un appel téléphonique anonyme, ce qui est le moyen le plus sûr lorsque l'on ne veut pas dévoiler son identité, et se présente comme la fille du professeur Morel. Elle ne croit pas à son suicide (évidemment seul le lecteur est au courant de ce qu'il s'est réellement déroulé dans le laboratoire) et, conseillée par son correspondant, souhaite que Mandoline effectue sa petite enquête sans véritablement savoir qui est ce Mandoline vers qui on l'a dirigée.

Adèle, permettez-moi de ne pas m'abaisser à écrire un mauvais jeu de mot sur son prénom puisque c'est son père qui est mort et non elle, sait trouver les mots justes pour convaincre Luc Mandoline à prendre cette affaire au sérieux, d'autant qu'elle a raclé les fonds de tiroirs pour le payer en conséquence.

Morel était un professeur réputé pour ses travaux en épidémiologie, travaillait sur des virus émergeants et surtout était l'un des médecins à l'origine des trithérapies devant juguler les symptômes immuno-déficients des malades atteints du SIDA. Mais surtout le professeur Morel, affirme Adèle, a disparu de l'IML. Un cadavre baladeur ce n'est pas nouveau en littérature policière mais dans la vraie vie, c'est plus rare. Pourtant Mandoline en a confirmation auprès d'un de ses amis travaillant dans cet Institut.

Adèle souhaite, veut, exige que Mandoline retrouve son père afin de lui permettre d'être inhumé dignement. Et accessoirement définir si ce décès est dû à une mort naturelle par suicide ou si cela cache autre chose, un meurtre par exemple.

Mandoline commence par le début, c'est à dire enquêter auprès des collègues, devenus des ex, de Morel. Il apprend notamment qu'un jeune chercheur Serbe d'origine aurait quitté l'Institut Pasteur sans avoir terminé ses études. D'ailleurs il n'était pas vraiment à la hauteur et travaillait en dilettante, contrairement à Morel qui passait la plupart de ses nuits dans l'établissement. Coïncidence bizarre, lors du conflit yougoslave, Morel avait pratiqué des missions dans ces pays qui s'entredéchiraient.

 

Commence une quête qui réservera de très nombreuses surprises à Luc Mandoline, les apparences étant souvent trompeuses, et au cours de laquelle il sera amené à retrouver, côtoyer, composer avec d'anciennes connaissances, ce qui ne l'emballe guère. Et les coups bas ne manquent pas de pleuvoir de partout. Heureusement Elisa, sa belle et douce Elisa, dont la jalousie l'avait conduit à sérieusement se pinter (c'est ce qu'on dit quand on absorbe de la bière), sera là au bon moment pour le tirer d'un sale pétrin. Ce qui ne l'empêche pas de se montrer sarcastique dans cette déclaration toute sutraienne (c'est un néologisme) :

Si tu savais tout ce que je te cache, mon grand, tu saurais que tu peux me confier un secret.

Roman policier et noir, La mort dans les veines flirte également avec le roman d'espionnage. On ne peut pas dire qu'il existe une guerre des polices, mais tout au moins certains conflits se font dresser les uns contres les autres des services qui devraient enquêter la main dans la main. Mais ce serait trop demander, heureusement pour les écrivains qui n'attendent que ce genre de bisbilles pour étoffer leurs romans. Ce qui procure parfois l'impression que les tenants et les aboutissants sont plutôt confus. Impression ressentie par l'un des protagoniste, qui déclare :

Costa, conscient soudain qu'il évoquait certains points qui étaient évidents pour lui, mais pas pour son auditoire qui nageait une brasse coulée dans toute cette histoire, décida de tout éclaircir.

Samuel Sutra, qui nous avait habitué à des ouvrages légers et pétillants d'humour, notamment sa série des Tontons, nous offre ici, comme dans Kind of Black un roman plus sombre. Seulement, chassez le naturel il revient au galop, comme disait ma grand-mère qui ne pratiquait pas l'équitation, l'épilogue verse dans la grandiloquence et le visuel cinématographique.

Samuel Sutra souffle le chaud et le froid, le show et l'effroi !

Et pour moi, c'est l'un des meilleurs, pour ne pas dire le meilleur, Embaumeur de la série. Opinion tout à fait personnelle que j'assume.

 

A lire également de Samuel Sutra :

 

Dans la série L'Embaumeur, je vous conseille :

Enfin, si vous désirez faire la connaissance d'un précurseur de l'Embaumeur :

Samuel SUTRA : La mort dans les veines. Préface de Marie Vindy. Collection L'Embaumeur N°10. Editions L'Atelier Mosesu. Parution 20 octobre 2015. 188 pages. 13,00€.

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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