Ô mon île au soleil
Paradis entre terre et ciel...
Mai 1968. Alors que dans Paris volent des grenades lacrymogènes, noix de coco en réduction, dans l’archipel polynésien d’énormes champignons, vesces de loup trop mûrs, éclatent en dégageant une fumée noire et de vives lueurs. Chrétien, caméraman à l’ORTF, en déplacement au Liban afin de couvrir le voyage diplomatique en Iran de Pompidou, alors Premier Ministre, est rappelé par 3D, son chef des informations, Denis Desmond Doriant de son nom complet, afin de filmer les débordements des étudiants et des prolétaires en rébellion contre la politique du gouvernement. Et ce qu’il enregistre sur sa petite caméra le dégoute. Des CRS et des gardes mobiles qui prennent en nasse des étudiants, les forçant à se réfugier dans un square où les attendent des katangais, milice fasciste. Ou des étudiants, ou pseudo tels, qui tire délibérément avec une arme à feu chargée sur les policiers, ajustant froidement leurs cibles. Mais 3D ne peut diffuser les images, pas toutes du moins. Ecœuré Chrétien prend une mappemonde, la fait tourner, pointe le doigt dessus, puis s’envole pour la Polynésie. Destination l’îlot de Tureia, l’un des nombreux grains de beauté qui essaiment l’Océan.
Arrivé sur l’île de Tahiti, il s’enquiert d’un petit avion susceptible de l’emmener sur place. Mais les informations qu’il recueille ne sont guère encourageantes. L’île de Tureia serait habitée par des anthropophages dirigés par le général Arakino et les blancs, les popa’a, ne sont pas les bienvenus. Malgré toutes ces recommandations, Chrétien persiste dans son désir et finit par obtenir gain de cause. L’avion affrété depuis le petit aéroport d’Hao le dépose sur Tureia sans s’arrêter. Personne pour réceptionner Chrétien, sauf des chiens. Le village est désert. Lors de sa déambulation il remarque une cabane sur pilotis dans le lagon. Soudain une lueur embrase le ciel, la terre se met à tanguer. Les habitants de l’atoll prévenus par les autorités qu’une charge allait exploser s’étaient réfugiés sur une île voisine. Les premiers contacts entre Chrétien et Arakino sont houleux mais à force de persuasion les deux hommes se lient d’amitié.
Chrétien surnommé Upo (fêlé en Maori) est avide d’intégration. Il apprend le Maori, il se plie aux coutumes locales qu’il découvre et parcourt le nouveau domaine qui l’accueille. Domaine par ailleurs pas si accueillant que cela. Tureia est divisée en deux parties séparées par un ruisseau. Celle où vivent les insulaires, et de l’autre côté, une bande de terre, la presqu’île de Taravo, gardée par des légionnaires. Entre les deux des crabes carnivores, entassés les uns sur les autres et qui forment une véritable frontière. C’est Moto Guzzi, un coureur de nuit qui doit son pseudonyme au fait qu’il se déplace à bord d’une moto. Il est l’équivalent d’une estafette chargée d’assurer la liaison entre les deux communautés, qui leur fournit des renseignements, ceux qu’il juge nécessaire sans entrer dans les détails ou les secrets. Moto Guzzi n’est guère prolixe, néanmoins Upo apprend que l’homme, d’origine italienne, a tué ses père et mère ainsi que ses frère et sœur. Emprisonné il a échappé à la guillotine en acceptant de se prêter à des expériences nucléaires d’abord dans le Sahara puis dans l’archipel polynésien.
Upo prend de l’ascendant autant sur le général Arakino, appelé ainsi parce que son livre de chevet est un ouvrage contant les biographies de militaires français ayant joué un rôle prépondérant durant les différentes guerres engagées ou subies par la France. Upo apprend que la cabane est une ferme dans laquelle Motu élève des huitres perlières. Ces perles noires à la valeur inestimable, servent à l’achat des denrées alimentaires et autres, permettant aux Maoris de subsister. La livraison est effectuée par Joe, un commerçant louche de Hao qui livre les provisions par bateau. Maïna, une jeune fille, est retrouvée assassinée, égorgée. Près de son corps, gît l’harmonica de Moto Guzzi. Tout indique que le coureur de la nuit est le coupable, tout, sauf que la mise en scène est trop grosse selon Upo. Parallèlement Upo comprend que les îliens se font gruger et il se rend à Papeete et passe un contrat, non sans mal et sans horions auprès d’un Japonais qui s’avérera plus fiable que Joe. Désormais c’est lui qui règle les dépenses et il en profite pour acheter une petite caméra qui jouera un grand rôle quelques mois plus tard.
Il se marie selon les us et coutumes Maori avec Hina et est intronisé par Arakino le père adoptif de deux gamins de treize ans, Téva et Hiro. Des gamins débrouillards qui lui vouent une admiration sans borne et sans faille. Mais l’orage gronde au dessus de Turiea à cause d’un film pris par les deux enfants dans la presqu’île de Taravo, à l’insu des légionnaires et de leur chef un certain Albinos. Upo change une nouvelle fois de nom à l’initiative d’Arakino. Désormais il devient Foch, pour tout le monde. Comme le Maréchal. Seulement ce nouvel alias n’éloigne pas les nuages constitués par des paras et des hommes de la DST qui débarquent un beau ( ?) jour sur l’atoll. Sans oublier les nouvelles déflagrations des essais nucléaires.
Des images fortes se dégagent de ce roman : la culture des huîtres perlières et le prélèvement par Muto des perles, le combat d’Upo contre un requin blanc, la fuite de Foch et des deux enfants et d’Hina à bord d’une pahis (pirogue) construite avec le bois d’un arbre auprès duquel a été enterré le pito des enfants, leur combat dans les éléments déchainés lors du passage d’un typhon, et bien d’autres…
Ce nouveau roman de Pascal Martin permet de comprendre la série des Coureurs de la nuit (huit volumes qui se lisent indépendamment dont La traque des maîtres flamands, La Vallée des cobayes et L'ogre des Landes) et dévoile la genèse du maître de l’Œuvre, une organisation dont les membres sont des orphelins recrutés dans les prisons françaises. Et le lecteur découvre un homme à double facette. Sensible, humain, consensuel, froid, sec, dur, autoritaire, selon les circonstances, qui non seulement s’intègre parfaitement dans sa nouvelle condition, mais par certains côtés devient plus Maori que les natifs de l’archipel. Un condensé de Popa’a et de Polynésien, n’hésitant pas à affronter les militaires et le pouvoir politique, les faisant plier par le charme ou le chantage.
Difficile après avoir lu ce livre que l’on referme avec une pointe de regret qu’il soit déjà terminé, malgré ses cinq cent huit pages, de prendre dans la pile de romans en instance celui qui saura autant captiver. C’est assurément l’un des ouvrages de la rentrée, à ne pas négliger, d’autant qu’il offre aventures, exotisme réel et non surfait, humanisme et plongée historique. Pascal Martin a connu cette époque des essais nucléaires puisqu’en 1968 il s’est rendu à Tahiti avec sa famille. Son père, employé au Centre d’Energie Atomique, a été rapatrié un an plus tard, emportant dans ses bagages un cancer. Alors pour clore cette chronique, certains lecteurs pensant peut-être que Pascal Martin a par trop enjolivé quelques éléments de cette histoire, qui n’est qu’un roman, (quoi que !) j’emprunte cette citation de Foch, le patron des Coureurs de nuit : « Lorsque le vrai est faux, c’est que le faux est vrai ».
Pascal MARTIN : Le Seigneur des Atolls. Presses de la Cité. Parution 18 août 2011. 510 pages. 22,00€. Version numérique 15,99€.