Il faut tuer Savonarole...
Il est difficile de ne pas effectuer un parallèle entre des événements qui ont secoué la ville de Florence en 1497 et l'état d'esprit qui régnait alors, et certains événements socioreligieux actuels.
Dieu ne veut pas de crucifix d'argent à côté d'estomacs affamés.
Cette diatribe imprimée à Florence et émanant de Jérôme Savonarole, le moine dominicain qui veut imposer aux habitants de la cité une règle de conduite plus pure, indispose fortement le Pape Alexandre VI, Rodrigo Borgia.
Avec l'évêque Adriano Castellesi, qui est également son ami, le pape décide de supprimer purement et simplement son ennemi. Il recherche donc un candidat susceptible de mener à bien cette mission et le trouve en la personne d'un novice, Stefano Arezzi, car selon Castellesi, sa foi frise le fanatisme.
Enfant trouvé, Stefano, qui entre dans sa vingtième année, a été élevé par les Franciscains, a étudié la théologie, les mathématiques, l'astronomie, les langues, à l'université de Bologne, et est actuellement au couvent de l'Aracoeli. Seulement Stefano ne sait pas manier les armes et son maître sera un sicaire qui aurait pu prétendre lui aussi à affronter Savonarole. Après un entraînement poussé, Stefano se rend à Florence, muni d'un coffret contenant une Bible mais qui dissimule des fioles de poisons et des objets pouvant servir de cachette telle qu'une bague au chaton amovible.
Les troupes de Charles VIII remontent vers la France, les Médicis ont été chassés de Florence, et la populace est divisée en trois factions d'inégales compositions. Savonarole possède ses partisans, les Piagnoni, tandis que les Arrabiati s'érigent en ennemis du moine, les Compagnacci représentant la tendance dure des Arrabiati. Les Médicis sont soutenus par les Bigi qui espèrent leur retour aux affaires. Mais ce sont surtout les jeunes gens issus de familles riches qui se montrent les plus virulents.
Savonarole a proscrit la musique, la danse, les masques et les carnavals, obligé les femmes à cacher leurs cheveux sous un voile, et bien d'autres manifestations qui font de lui un moine intégriste enflammant une grande partie des Florentins. Les livres, les œuvres d'art licencieuses ne trouvent pas grâce à ses yeux, de même que le luxe affiché par l'Eglise et les puissants, la recherche du profit, et la vente bénéfique financièrement d'Indulgences. Une réforme humaniste dans l'excès.
Le cerveau du Frate est trop étroit pour comprendre que la jeunesse préfère la musique, la danse, les masques et les jeux de l'amour qui accompagnaient les carnavals d'autrefois aux litanies de l'église.
C'est dans cette ambiance trouble que Stefano débarque à Florence et il se rend, sur les conseils de Castellesi chez Maître Turca, un riche drapier-lainier, afin de devenir le précepteur de ses deux enfants, Gustavo et Léna. Gustavo se montre un élève appliqué, mais Léna, proche des quatorze ans, est déjà une petite femme aux formes généreuses et elle se montre aguicheuse auprès de Stefano. Mais ce n'est pas Lena qui décrochera le pompon, ce sera Fedora, la femme de Turca, qui lui rendra visite en catimini dans sa couche un soir.
Gustavo est embrigadé dans la formation des Anges blancs, dont la mission est de récolter des subsides pour construire des hospices. Stefano est chargé de le surveiller car Turca se méfie des manigances du Frate, alias Savonarole. En guise de subsides, les Anges blancs reçoivent des pierres lancées par des gamins vivant dans un quartier défavorisé. Il évite toutefois à Vittorio, l'un des agresseurs d'être écharpé, ce qui lui vaut la reconnaissance familiale et celle du voisinage. Il devient même le général d'une section des Anges blancs. Mais il s'attire les quolibets et les inimitiés de la part des Compagnacci, des jeunes gens tout feu tout flamme.
Ce que n'avaient pas prévu Alexandre VI et Castellesi, c'est l'attirance qu'exercera Savonarole sur Stefano. Il rencontrera bien d'autres personnages, dont le jeune Nicolas Machiavel, et surtout la belle et veuve Antonella Sarafini, dont le fils est lui aussi membre des Anges blancs. Il lui faudra également déjouer des tentatives d'assassinat, des complots, car les ennemis de Savonarole ne manquent pas, soit dans Florence même, soit dépêchés par le Pape qui ne s'est pas résigné à subir les affronts de Savonarole, lequel va jusqu'à organiser un autodafé, le bûcher des vanités, au plus grand dam de ses adversaires.
Stefano va apprendre qu'il ne faut pas confondre la religion, la politique et le négoce, ces trois éléments étant souvent incompatibles.
Gérard Delteil nous invite à un voyage dans le temps à une époque au cours de laquelle la religion possédait une prépondérance maléfique dans la vie quotidienne des êtres humains, régissait tout et imposait une vision déformée des enseignements humanistes.
Si le but de Savonarole, réfuter l'amas de richesses engrangées de la papauté et les redistribuer aux pauvres, était avisé et louable en soi, c'est sa façon de procéder qui est condamnable. Imposer des préceptes intégristes et plonger la masse populaire dans l'ignorance, et ses prises de positions principalement vis à vis de la gent féminine, nous ramène inconscient (ou pas) aux préceptes des talibans tels qu'ils l'exercent aujourd'hui. Et Savonarole influencera peut-être Luther et Calvin lorsqu'ils poseront les bases de la Réforme.
Et au delà du roman, très fouillé, construit avec une recherche historique, même si cela reste justement un roman, ce sont bien les débordements religieux qui s'ancrent dans l'esprit du lecteur. De plus, entre les Dominicains dont fait partie Savonarole, et les Franciscains, religieux dont le Pape est proche, existe un antagonisme flagrant.
Gérard Delteil démonte l'hypocrisie qui règne, les magouilles et manipulations exercées au nom de l'église en appliquant les doctrines selon ses envies et ses besoins personnels. Le personnage de Savonarole se montre ambigu, et dont justement il faut se méfier. Tout comme les religieux, quelle que soit leur confession, d'aujourd'hui qui veulent infliger leur vision en abaissant moralement leurs fidèles, en se servant de textes dénaturés, et les obligeant à se conduire en rétrogrades exaltés, fanatiques, subissant des enseignements iniques.
Un roman historique passionnant, dans la veine d'Alexandre Dumas, mais avec une approche sur des événements actuels , même si cela n'est pas défini et exprimé dans l'ouvrage, et qui va au-delà du simple plaisir de la lecture.
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