En gore, en gore, en gore…
Dans un avenir proche, très proche même si l’on en croit un des protagonistes, un policier de la Sécurité, puisque selon ses déclarations Che Guevarra est mort depuis presque un demi-siècle lorsque cette aventure se déroule, ce qui nous propulse allègrement en 2017, dans un avenir proche donc, la France est gouvernée par le Général Boulanger, le Guide.
La gauche avait gagné les élections, une femme dirigeait le pays, mais tout a été balayé par un putsch des militaires. La Présidente déboutée n’a eu d’autre recours que de se suicider, l’ancien président Loulou Chou est relégué au fort de Brégançon, la sécurité est imposée par les Services de Sécurité qui patrouillent dans les rues de Paris, des voitures banalisées aux plaques d’immatriculation manquantes. Le Nouveau régime est en place.
Justement la Sécurité, représentée par Benoit, Serge et deux ou trois autres clampins, informés par les Renseignements, investissent un immeuble à la recherche de terroristes, des Rouges ou considérés comme tels, soupçonnés de vouloir préparer un attentat. Des policiers restent sur le carreau, des gauchistes aussi, mais l’un d’eux parvient à s’échapper avant d’être coincé dans le parking d’un immeuble. Stupeur des policiers lorsqu’ils ôtent la cagoule de leur prisonnier : il s’agit d’une jeune femme rousse.
Le lieutenant Lesourd, Fab pour les intimes, ses collègues et les autres, a changé plusieurs fois d’affectation en quelques mois à cause de son intempérance. Déjà, avant que Lys le quitte comme ça, sans préavis, il s’octroyait verres d’alcool sur verres d’alcool, toujours la même chose car ce sont les mélanges qui rendent malades, mais après c’était pire. Mais s’il a navigué de service en service, ce n’est pas tant à cause de son addiction aux produits éthyliques qu’à son insubordination chronique, avérée et caractérisée. Il vient d’être réintégré dans son grade à la Brigade criminelle et le nouveau directeur, un jeunot d’une trentaine d’années dont on imagine l’expérience, lui propose de lui confier une tâche urgente à condition qu’il signe sur une tablette numérique, à l’aide d’un stylo thermique, son engagement de ne plus se livrer à sa dipsomanie.
Des cadavres ont été découverts dans un parking de la rue Ramponneau. Le tableau que découvre Fab et son adjoint Toussaint, un Black, n’est guère propice à figurer dans un musée, sauf dans le quartier des natures mortes retour de chasse. Deux femmes sont accrochées par les pieds dans un box, ouvertes du sexe au sternum et éviscérées, les seins coupés et déposés dans des bassines contenant les entrailles. N’ayant pas d’images à ma disposition, je ne peux que vous conseiller d’imaginer vous-même cette scène. Le médecin légiste, docteur Dubarry, une femme qui n’a pas les foies, confite dans sa vocation, s’attèle à son travail d’expertise.
Immédiatement sont interrogés les habitants de l’immeuble ainsi que des squatteurs réguliers, des Noirs qui offrent leurs services à des frustrées du sexe comme la sexagénaire madame Duraton. Elle affirme se faire violer régulièrement par ces gentes personnes fort bien membrées, avec son aval et pour son plus grand plaisir. En effet tous utilisent des pilules à jouir, le nouveau médicament à mode.
Pendant ce temps dans les locaux de la Sécurité, la prisonnière, qui n’est autre que Lys, l’ancienne compagne de Fab, est passée à la question. Elle est enfermée dans une geôle dont le plancher est constitué de dalles dont certaines sont des plaques chauffantes, disposées de façon aléatoire, comme une marelle, et pour se déplacer du lit aux latrines il vaut mieux savoir où mettre les plantes des pieds. Ce qui n’est pas évident lorsque le détenu ne connait pas l’emplacement, qui d’ailleurs change souvent, et que la lumière est éteinte.
Ce n’est pas tant cette partie qui est intéressante, quoiqu’elle ne manque pas de saveur, que les à-côtés de l’histoire. Une projection de la France placée sous le joug d’une dictature militaire raciste. Le côté gore est à prendre au second degré, un peu comme dans ces bandes dessinées ou films d’animation dont les personnages subissent toutes les avanies possibles avec à chaque fois la possibilité de pouvoir se relever et retourner au combat. Un peu comme les aventures de Bip-bip et Vil coyote, mais en plus sanglant. Nous sommes loin des descriptions détaillées et cliniques des scènes de torture ou de charcutage pratiquées par des médecins légistes qui brossent avec complaisance leurs interventions sur des cadavres, telles qu’elles sont souvent formulées dans les thrillers modernes.
Sous la férule du Guide, le général Boulanger, mais surtout de la nouvelle junte militaire et de la présence omnipotente et omniprésente des forces de l’ordre qui se livrent en interne à une guerre de prépondérance, la France est présentée dans une situation qui frise l’apocalypse. Et si certains conseillers se frottent les mains de cette situation, d’autres réfléchissent à un possible soulèvement, nostalgiques de l’avant. Ils envisagent même de demander son avis à l’ancien président, celui qui était en poste avant la présidente de gauche, le fameux Loulou Chou qui a été transféré du Fort de Brégançon en un château de La Charité sur Loire. Le guide lui-même tergiverse.
- Alors, demandons l’avis de l’ancien président.
- Le battu par la gauchiste ?
- Ce n’était pas un cador en politique économique, mon général, mais il avait obtenu certains succès en international.
Mais en relativisant toutefois ses actions même si Loulou Chou avait une attitude appréciée des diplomates étrangers.
- Mon général, il ne faudrait quand même pas aller jusqu’aux extrémités parfois ambiguës de ses interventions
- - Comme quoi ?
- - Le jour où il a tenu à laver lui-même les pieds de la nouvelle chancelière allemande à qui il proposa ensuite de lécher ses orteils.
Edifiant, non ? Mais il est vrai que nous ne sommes pas plongés dans les arcanes du pouvoir, malgré les fuites journalistiques relayées par des méthodes discutables genre Twitter et autres.
A lire également un entretien avec Jean Mazarin/Emmanuel Errer, autres signatures de Nécrorian.
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