Sur l'écran noir de mes nuits blanches...
Chroniqueur et critique cinématographique spécialisé dans les films d’horreur, pigiste pour un petit magazine parisien, Boris Phécrier est aussi auteur de romans du même genre sous le nom de Julien Gras. Et ce n’est pas parce qu’il habite place du Panthéon qu’il roule sur l’or. Il vivote dans un petit studio de huit mètres carrés, est marié mais sa femme va voir ailleurs si c’est meilleur, et une gamine de douze ans nommée Cuivre. Il a Cuivre en garde de temps en temps, lorsque sa femme est en déplacement charnel, et l’amusement principal entre le père et la fille est de se faire de petits quizz sur des films d’horreur.
En compagnie de son ami Fuchiglia, qui est bouquiniste sur les quais mais également touche-à-tout puisqu’il cumule les emplois de photographe de jazz, d’agent musical, de directeur littéraire chez Dupneu, directeur de la collection qui a accueilli Le rivage des tripes de Julien Gras, Boris se rend à une soirée prétendument littéraire. En réalité il s’agit de fêter la sortie d’un livre géant, texte de Dhûle et dessins de Nick Mégalo, une nouvelle aventure imaginaire de Gary Pinson, le Sherlock Holmes belge. En effet beaucoup de monde se presse dans cette galerie d’art, sise dans une petite rue du XIVème arrondissement de la capitale, le gratin de la littérature populaire, auxquels se sont adjoints quelques pique-assiettes, sans lesquels les soirées parisiennes ne seraient pas ce qu’elles sont, et une jeune femme qui fait du charme à Boris.
Phécrier et Fuchi retrouvent parmi les convives le capitaine Duclos, fervent passionné de Gary Pinson, Le Mosque, ancien directeur de la défunte collection Saignant chez Talbin Michel et agent littéraire et scénariste, JBPP, intellectuel et inventeur de la série La Pieuvre et auteur à la Série Glauque, Faty romancier chez Talbin Michel et directeur de la Série Glauque, ainsi qu’Aldo Selma, le meilleur rital de polars français qui a signé Eviscéré comme une playmate dans le plumard d’un GI. Seul manque à l’appel, pour le moment car il est attendu avec impatience, Dhûle qui devait assister à une séance un peu spéciale avec quelques amis. Selma prend à part Phécrier et lui propose un travail qui devrait être juteux. Un scénario d’horreur déniché par Le Mosque, mais les quatre amis achoppent sur l’épilogue, incapables de terminer le texte sur une scène finale forte. Quatre pages à écrire et un gros paquet de billets à la clé.
Une rumeur circule concernant un film, Au château d’alcool, un film d’horreur dont la projection s’avérerait maléfique et mortelle. Lors d’une première séance privée, des spectateurs, une quarantaine environ, seraient décédés ou devenus fous. Et lors de la fameuse séance spéciale organisée par Dhûle, séance dont quelques uns se gaussaient laissant penser qu’il s’agissait d’une partie fine, quelques-uns des participants dont Dhûle lui-même, décèdent d’une crise cardiaque. L’écrivain s’était procuré une copie de ce film funeste. Duclos, le policier, a récupéré dans le lecteur de DVD l’enregistrement et invite Boris Phécrier et des spécialistes de l’analyse de vidéos à participer à un visionnage de l’objet du délit, en prenant toutefois quelques précautions.
Si la lecture du disque permet de solutionner quelques mystères, l’enquête n’en est pas pour autant close. Qui et pourquoi sont les questions qui restent en suspens, plus quelques autres qui en découlent.
Avec Au château d’alcool, François Darnaudet nous invite à lire un roman transgenre, qui marie polar, fantastique, gore et suspense, ce qui n’est pas forcément incompatible. La dose entre tous ces éléments est savamment mesurée, pondérée, et chacun pourra y trouver son content. Des passages savoureux où alternent humour, émotion (Ah la petite Cuivre !), petits coups de griffe pas méchants et réflexions pertinentes. Ainsi, Boris Phécrier déclare sans acrimonie aucune, une simple constatation de sa part que se partagent bon nombre de lecteurs de journaux : La critique cinématographique moderne répugne souvent à résumer un film. Il m’arrive parfois de lire des articles dans Libé ou Le Monde en me demandant de quoi parle le journaliste et quel est le thème du film chroniqué. Moi, à 7 jours sur Paris je commence toujours par donner un résumé avant de décortiquer la structure scénaristique et rappeler les principaux titres de gloire du réalisateur et des acteurs. Mais je suis sûrement un tocard puisque je ne suis pas à Libé ou au Monde. Cela sent le vécu…
De plus François Darnaudet, outre l’intrigue resserrée, invite le lecteur à s’amuser et pose des jalons, en incitation à découvrir quels auteurs réels se cachent sous les patronymes des personnages du roman. De même que pour les maisons d’éditions citées ou les titres des romans évoqués. Un des protagonistes qui apparait plus tard dans l’histoire se nomme Piter Surlot. Il compte à son actif plus de cent-quarante titres de romans, vit dans les Vosges et possède un chien qu’il a appelé Gallimard, parce que c’est la seule maison d’édition qui a refusé de le publier. Je suis persuadé qu’avec votre sagacité habituelle vous découvrirez tous ces private-joke, comme l’on dit en bon français, et que vous vous amuserez à la lecture. Je ne vous donne pas d’indice et si vous séchez, vous pouvez toujours me laisser un commentaire afin que j’éclaire votre lanterne.
Au château d’alcool, un livre comme je les aime : divertissant, plaisant, amusant, alerte, prenant, dénué de digressions vaseuses. Une véritable récréation. Une petite citation en passant :
- C’est quoi un louseure ?
- Un loser ! Le mot anglais… C’est un soixante-huitard qui a mal digéré l’avènement du socialisme libéral !
A lire également de François Darnaudet, chez Rivière Blanche et chez Actu SF : La Lagune des mensonges.
François DARNAUDET : Au château d’alcool. Collection Noire 34.
Editions Rivière Blanche. 204 pages. 17,00 €. Version E-book chez Actu
SF : 3,99 €.