Improvisation ou pas, seul compte le résultat !
Et dans la vie, contrairement au jazz, l'improvisation n'est pas toujours de mise. Par exemple pour Elysée Gaumont qui pensait qu'en cumulant le jazz (il faut du souffle pour jouer du saxophone !) l'alcool et les femmes, c'était la belle vie. Plus belle la vie même puisqu'il est actuellement à Marseille. Mais les abus ont eu raison de sa santé et s'il grimpe à vélo la côte qui mène à Notre Dame c'est afin de se remettre d'un AVC. Cinq frites, pardon cinq fruits et légumes par jour, de l'eau coupée d'eau, voire du thé vert, et de l'exercice physique, tel est le régime auquel il est astreint. Heureusement le toubib ne lui a pas interdit l'usage du saxo. Aussi direction les calanques marseillaises et un petit boulot alimentaire pour lui occuper l'esprit. Il doit mettre en musique des paroles débiles, enfin c'est ainsi qu'il juge la prose d'un chanteur à la mode, au moins cela va l'occuper et garnir son portefeuille.
Pour l'instant il est en train de peiner à gravir la côte qui conduit à Notre-Dame, et en arrivant c'est totalement essoufflé qu'il s'adresse à une jeune fille qui attend, et semble passablement énervée. Elle lui demande de bien vouloir attacher son vélo avec le sien. Que ne ferait-on pas pour une jolie fille ! Elysée accepte et rendez-vous est pris une demie heure plus tard. Mais au bout de deux heures, personne en vue et Elysée doit redescendre. L'abbé auprès de qui il se renseigne affirme ne pas avoir aperçu la vélocipédiste. Alors il laisse le vélo de son inconnue à la garde de son antivol et redescend plus vite qu'il a monté la côte.
Le lendemain, après avoir composé quelques petites mélodies alimentaires, Elysée grimpe jusqu'à la basilique et le vélo est toujours là. Un peu plus tard, alors qu'il manque d'être écrasé par un grosse cylindrée, une BMW, il se souvient de quelque chose qu'il avait à peine remarquée mais qui possède son importance. Ce n'est pas un biclou que la jeune fille chevauchait, mais un objet coûteux de même marque que l'automobile qui aurait pu se transformer en hosto mobile. En se renseignant auprès des marchands de vélos susceptibles de vendre une monture de prestige, Elysée apprend que seule madame Escebarria en serait la propriétaire. Or à cette époque de l'année cette gente dame est en voyage.
Elysée décide de prendre contact avec son ami Vauch, trompettiste de jazz installé dans la cité phocéenne et l'invite à venir prendre un pot en sa modeste demeure. Juste au moment où quelqu'un se présentant comme le propriétaire de la bicyclette lui téléphone, mais il s'agit d'un certain Castagnède, le père de la fille qui lui a confié l'engin. Bizarre autant qu'étrange pense Elysée. Ce qui ne l'empêche pas de se rendre au parking improvisé, de détacher le cadenas, non sans avoir repéré auparavant une petite plaque portant comme inscription L.E. et probablement une date, de récupérer le petit carton où il avait inscrit son numéro de téléphone et l'affaire est bouclée. Presque.
Elysée narre son aventure à Vauch, et celui lui annonce que justement il doit jouer le samedi pour fêter l'anniversaire de mariage, le troisième ou quelque chose comme ça, d'Escebarria. Le trompettiste lui propose de faire partie de son petit groupe et en avant, Elysée reprend du service. Escebarria est un magnat du poulet élevé en batterie, ce qui ne correspond pas dans ce cas aux drums d'un musicien de jazz. Elysée fait la connaissance d'Escebarria, de sa jeune épouse, mais pas de la fille qui est en vacances, et en fouinant un peu dans une remise, retrouve le vélo à l'origine de cette affaire.
Après avoir effectué un petit voyage à Paris afin que son toubib vérifie sa tuyauterie et retrouvé son amie Déborah, contorsionniste et intermittente du spectacle, et un petit voyage en Bretagne, c'est le retour à Marseille. Escebarria a été retrouvé mort dans son poulailler au milieu de ses poux laids, poulets.
Tout en jouant avec Vauch en diverses occasions, et en prenant du bon temps avec Déborah qui se révèle précieuse, en continuant à griffonner ses notes sur ses partitions pour le chanteur poète, Elysée mène sa petite enquête sous les auspices de Charlie Parker et de Miles Davis.
Sur un ton badin et facétieux, ponctué d'airs de jazz, à ce propos j'ajouterai aux noms des deux musiciens précités celui de Louis Armstrong pour sa faconde plus communicative que Parker et Davis, Delphine Solère nous entraîne entre humour et gravité sur les notes d'une histoire qui n'est pas vraiment improvisée car travaillée. Mais il ne faut pas que les lecteurs imperméables à cette musique aussi bien enjouée que mélancolique ressentent un phénomène de rejet car il ne s'agit que d'une musique d'ambiance.
Au passage on notera une petite visite dans un élevage breton de gallinacés qui ne manque pas de piquant. Et puis, la grande force de ce roman, ou plutôt de l'auteur, Delphine Solère, c'est de jouer avec les mots et d'enfiler les métaphores comme un joueur de jazz professionnel (et talentueux) enchaîne les standards sans partition. Et je vous propose même quelques perles, histoire de vous appâter:
Le regard de ce mec était aussi franc que la parole d'un militaire français en Angola.
Je suis ressorti de l'hosto plus remonté qu'un patron du CAC40 à qui on retire ses tickets restaurant.
J'ai ouvert la porte, énervé, mais avec la prudence d'un Arabe invité à une fête du Front National.
Et vous pouvez retrouver la chronique de Yv sur son blog ainsi que celle de Claude Le Nocher sur Action Suspense
Delphine SOLERE : Les risques de l'improvisation. Editions Michalon. Parution le 3 juillet. 224 pages. 17,00€.