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17 septembre 2015 4 17 /09 /septembre /2015 13:04

Un Simenon ? Mais si !

Christian BRULLS : Les pirates du Texas.

Dans un bar américain, près des Champs Elysées à Paris, un homme corpulent accompagné de sa fille bouscule un client accoudé au comptoir. Lorsqu'il sort des toilettes, à nouveau il le culbute et celui-ci ne peut plus faire l'ignorant. D'autant que le colosse l'apostrophe par son nom.

Ted Brown est un agent américain de la police spéciale pour la défense de la prohibition et il est aux basques de Bob Cummins, à la tête d'un important réseau de trafiquants d'alcool. Seulement, le hic (c'est le cas de le dire !) réside dans le fait que Ted Brown est amoureux de la fille de Cummins et qu'il n'est pas indifférent aux yeux de celle-ci. Mais ils ne sont pas à Galveston, haut lieu du trafic d'alcool, mais à Paris, et donc ils peuvent déguster ensemble un, voire plusieurs verres d'un breuvage interdit.

Cummins ne se prive pas d'offrir un cocktail bien tassé à Ted Brown puis de l'inviter à déjeuner en sa compagnie et celle de sa fille Winnie, qui n'est pas une oursonne. Il va même chercher à la cave, c'est un habitué des lieux, une bouteille poussiéreuse et verse généreusement le vin dans le godet de Ted Brown. Celui-ci s'assoupit peu après, il sombre même dans un profond endormissement.

Cummins se rend au Havre, toujours avec Winnie, où ils doivent embarquer à bord de l'Hidalgo, un cargo battant pavillon d'une nation sud-américaine et qui transporte pour quatorze millions de francs d'alcool. L'équipage est armé jusqu'aux dents, provenant de diverses nations mais ayant comme point commun d'être des malfrats. La destination du navire est inconnue et la cargaison sera débarquée en un endroit tenu secret afin que les autorités américaines, toujours sur la brèche, ne puissent pas l'arraisonner.

Seulement à bord se cache Ted Brown, qui méfiant, n'avait pas avalé la boisson proposée et avait rejoint le port normand à bord d'un avion. Ted Brown se cache dans un canot de sauvetage bâché et fait tout son possible pour ne pas être découvert. Il possède quelques tablettes de chocolat qu'il économise et passe son temps à regarder Winnie déambuler sur le pont, tout en restant soigneusement caché. Il récupère un journal américain qui allait tomber à l'eau et est fort étonné en découvrant un article consacré à Cummins, le fameux milliardaire qui effectue, selon le journaliste, une croisière le long des côtes de Floride. Bizarre. Comment se fait-il que Cummins soit en deux endroits en même temps ?

Un jour, alors qu'il veut écouter une conversation entre le capitaine du navire et Cummins, il bouge légèrement son embarcation qui émet un petit bruit. Il espère ne pas avoir éveillé la curiosité des deux hommes, mais ceux-ci continuent leur discussion comme si de rien n'était. De plus Ted Brown n'a rient entendu, étant placé trop loin.

Le soir, il reçoit la visite de Cummins, hilare, qui avait bien entendu le craquement. Le bootlegger lui propose de venir partager sa confortable cabine, et une fois installés, il lui tient un discours sur la force des bootleggers, environ vingt mille, et celle des policiers qui ne possèdent pas le nombre d'éléments susceptibles de les contrer, et surtout ne peuvent prendre d'initiatives sans en référer à leurs chefs et n'ont guère de moyens financiers pour mener à bien leur chasse. Il propose même à Ted Brown, son ennemi potentiel, dix mille dollars pour rejoindre leurs rangs et fermer les yeux. un marché que refuse bien évidemment le policier.

Le bâtiment approche des eaux du Texas, non loin de Galveston, et un petit rafiot embarque à son bord une partie du chargement. Le lendemain, même manège. Ted Brown sent que l'escale va bientôt se terminer et il se débarrasse de Cummings, saute par dessus bord et échappe de peu à de petits canots à moteur qui patrouillent, surveillant le bon déroulement des opérations. Blessé, il gagne le rivage et s'évanouit sur le sable. Lorsqu'il reprend connaissance, il est installé dans une chambre et une brave femme lui propose à manger répondant avec un accent allemand à quelques questions. Notamment qu'il a été sauvé par Le mari. Le mari, pas son mari...

Mais l'histoire continue et Ted Brown se demande s'il reverra Winnie et parviendra à mettre fin aux agissements des bootleggers, Cummings en tête. Un dilemme le ronge en même temps. Comment conquérir le cœur de la jeune fille, si ce n'est déjà fait, alors qu'il traque son père. Les embûches, les coups de feu, des empoignades, des journées passées en prison et bien d'autres péripéties attendent Ted Brown jusqu'au mot Fin.

 

Sous l'alias de Christian Brulls, Georges Simenon peaufine sa plume et ses intrigues, tout en songeant sérieusement aux premiers Maigret via des romans dans lesquels il ébauche celui qui deviendra le policier le plus célèbre de France, et en entamant le cycle de ses romans noirs, ou durs, sous son véritable patronyme. En cette fin de décennie, il produit beaucoup, des romans d'aventures ou sentimentaux, chez Ferenczi, Tallandier, des éditeurs populaires.

Ce roman dans lequel résonne le souffle de l'aventure avec un côté sentimental qui aurait pu cataloguer cette histoire dans les collections dédiées justement à ce genre de romans, possède les prémices de ce qui fera le succès par la suite de l'œuvre simenonienne, une marque de fabrique à nulle autre pareille. L'intrigue est simple sans être simpliste et Simenon commence à fouiller la psychologie des personnages et introduit dans certaines scènes le côté intimiste de ses grands romans comme La maison du canal, Betty, La neige était sale, La fuite de Monsieur Monde, La neige était sale, Les inconnus dans la main, Feux rouges, La vieille et bien entendu Trois chambres à Manhattan.

Une curiosité à ne pas dédaigner et qui possède l'avantage de transporter le lecteur de l'époque dans un univers qu'il connait peu, celui des trafiquants lors de la Prohibition. Depuis de nombreux auteurs, Américains plus particulièrement ont traité abondamment de ce sujet, mais le charme de Simenon opère toujours et le roman n'a guère vieilli. Et l'alcool s'est bonifié.

C'est une remarque que chacun a fait cent fois dans son existence, que la vie est beaucoup plus romanesque que les plus romanesques des romans.

Première parution : Collection Le livre de l'aventure N° 10. Editions Férenczi. 1929

Première parution : Collection Le livre de l'aventure N° 10. Editions Férenczi. 1929

Christian BRULLS : Les pirates du Texas. Collection Les introuvables de Georges Simenon. Presses de la Cité. Parution novembre 1980. 196 pages.

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