Monte et vite et haut...
Dans la tête de Thelma Vermont, tourne en boucle la chanson extraite d'un film de série B, Montevideo hotel, une chanson interprétée par Dana Raise, une épigone de Marylin Monroe. Il faut bien se raccrocher à quelque chose et Thelma Vermont a connu trop de vicissitudes pour être d'humeur folâtre. Elle essaye de mettre derrière elle la perte de ses parents, surtout son père, d'un aviateur aussi, qu'elle aimait, et ses années de guerre à Londres. Les années ont passé, nous sommes fin 1956, et Thelma Vermont ne possède que deux amis. Abraham, un exilé européen, et Bennie, un journaliste. Elle est devenue misanthrope, tous ses déboires lui ayant sapé le moral. Son bureau est placé près d'une librairie mais elle n'a même pas échangé un mot avec la gérante depuis son installation. C'est dire son refus de communication !
Ce jour là, alors qu'elle ressasse une fois de plus le passé, un homme lui demande d'enquêter sur un meurtre qui s'est déroulé un mois auparavant. Thelma Vermont est détective privé, mais elle ne s'occupe en général que de cocufiage ou de chantage. Alors enquêter sur un meurtre, c'est du domaine de la police, sauf que celle-ci a entériné un suicide.
C'est bien pour faire plaisir à son quémandeur que Thelma accepte la mission, mais également parce qu'elle aime le jazz. John Ginger est contrebassiste dans une petite formation mixte, composée de Noirs et de Blancs et il veut, souhaite, aimerait que Thelma se penche sur le sort de Martin, qui était saxophoniste dans le même groupe, le Beaulieu's Band. Martin ne faisait partie de la formation que depuis quelques mois, et était en colocation avec John. Martin avait une petite amie, Susan, qui est écrivain mais boucle ses fins de mois en étant serveuse dans un petit restaurant du coin, l'Egril.
Grâce à une photographie que lui montre John, elle peut faire la connaissance des membres du groupe. Leroy Beaulieu, le leader et pianiste, plus âgé que les autres musiciens, fils du propriétaire du Black Coffee, le club dans lequel ils se produisent. Complètent cette formation, Georgie, présent depuis l'origine, et Jackson, le chanteur qui joue également du saxo et remplace Martin en alternant vocal et instrumental.
Thelma déjeune à l'Egril et Susan, jeune femme accueillante et affable, la sert, ce qui tombe bien puisque c'était le but recherché par la détective. Elles sympathisent et Susan ne semble pas abattue par la perte de son amant. En réalité il y avait de l'eau dans le gaz entre eux et ils étaient séparés depuis quelque temps. Et cela arrange bien Beth, la grande sœur acariâtre de Susan, qui grenouille à Hollywood mais revient souvent à New-York.
Thelma va faire la connaissance de la petite bande, musiciens mais également poètes, dont Spencer ami de Leroy qui avait présenté Susan à Martin.
Ce pourrait être la conséquence d'une jalousie entre l'un des membres de ce joyeux petit cénacle, seulement d'autres suppositions se greffent sur ce meurtre. Un malfrat, dépendant d'un pontife de la Famille a été découvert mort non loin du cadavre de Martin, dans une ruelle adjacente. Or deux grands patrons de la truanderie de New-York et Chicago sont en bisbille et les dommages collatéraux ne sont pas à dédaigner.
Thelma s'attelle à cette enquête avec l'apport non négligeable de son ami Bennie, le journaliste, profession qu'elle endosse pour donner le change, ainsi qu'en se liant d'amitié avec certains des musiciens. Mais cette enquête n'est pas de tout repos, elle se sent suivie sans pouvoir découvrir celui, ou celle, qui la file, et elle va même essuyer des coups de feu.
Greenwich Village, le haut lieu new-yorkais des artistes, musiciens et écrivains notamment, sert de décor à ce roman ancré dans les années 1950. L'ambiance des clubs de jazz, la renommée grandissante d'Elvis Presley, les manifestations et les tensions entre Noirs et Blancs, les séquelles du Maccarthisme, servent de support à cette intrigue résolument ancrée dans les années d'or du roman noir.
Thelma, détective privée perturbée à cause d'événements familiaux et autres, que l'on découvre peu à peu, n'est plus en phase avec le genre humain, mais pourtant elle ne vit pas recluse. Elle carbure au café mais ne dédaigne pas une goutte, voire deux, d'alcool, fume comme une grande et n'a pas peur, enfin pas trop. Elle se rend compte que le métier de détective n'est pas de tout repos, mais cela lui permet également de s'apercevoir qu'elle n'est pas la seule à posséder des démons intérieurs.
Et on aura le plaisir de retrouver Thelma, sans Louise, dans de prochaines aventures car de nombreuses zones d'ombre subsiste autour d'elle.
Muriel MOURGUE: Montevideo hotel. Collection rouge. Editions Ex-Æquo. Parution 12 juin 2012. 170 pages. 16,00€.