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25 novembre 2014 2 25 /11 /novembre /2014 09:10

Roman autobiographique ou autobiographie romancée?

Sam MILLAR : On the brinks.

Si l’histoire vraie que nous narre Sam Millar était un roman, bon nombre de lecteurs s’écrieraient au scandale, arguant que tout ce qui est écrit est peu crédible. Mais c’est justement ce manque de crédibilité qui fait que cette histoire l’est car elle est véridique. Incroyable mais vrai.

Dès son plus jeune âge Sam Millar est bousculé par la vie, un père souvent absent travaillant dans la marine marchande, une mère qui se tue au travail, récurant sans cesse puis se mettant à boire et tentant de se suicider à de nombreuses reprises. Son enfance pauvre l’amène à troquer des pommes contre des choux et autres légumes chez l’épicier. Il doit toujours courir, son père étant attentif à la durée de ses déplacements, n’hésitant pas à élever la voix même pour rien. Les années passent et on retrouve Sam Millar dans la prison de Long Kesh.

La prison de Long Kesh ressemble plus à des oubliettes qu’à une prison cinq étoiles. Pas de téléviseurs, de radio, de la bouffe que même les corbeaux dédaignent, les détenus vivent quasiment nus habillés seulement d’un torchon qui leur sert de pagne, alors qu’il n’y a pas de chauffage l’hiver et qu’ils n’ont pas d’endroit pour uriner ou déféquer. Ils n’ont vraiment pas de pots. Les tortures physiques et psychiques ne leur sont pas épargnées. Et s’ils sont nus, c’est parce qu’ils ont refusé d’endosser l’uniforme pénitentiaire anglais réservé aux prisonniers de l’IRA. Il fait partie, comme tous ceux qui sont internés dans les geôles contigües, des Blanket men. Les irréductibles qui prônent la rébellion. Et lorsqu’ils entendent le crissement de bottes neuves, cela signifie que l’un des leurs a décidé de franchir la barrière. Parfois l’un des matons, tous des Beefs (des Anglais) dont le plus virulent et le plus sadique a été surnommé la Verrue humaine, les attache avec une corde par le pénis et les traine par terre, le corps frottant sur les graviers ou le bitume.

Pourtant, ils arrivent à garder le moral grâce aux blagues de potaches qu’ils se balancent d’une grille à l’autre, des références à des personnages de bandes dessinées, comme Hulk, Superman et consorts.

Huit ans qu’il va trainer dans le Bloc H, déménageant parfois d’aile en aile, recevant la visite d’un toubib, le Docteur Pap surnommé ainsi à cause du nœud papillon qu’il arbore. Il enchaine aussi les lettres au Pape, sans effet, et pour lui la religion catholique ne correspond plus à rien, laissant faire ces ignominies. Les Orangemen, d’obédience protestante, et les représentants de la religion catholique sont à mettre dans le même panier. Tout comme les représentants du Sinn Fein composé de traîtres. Ils suivent également la lutte de Bobby Sands et sa grève de la faim, sans que cela émeuve le moins du Miss Tatcher. Enfin c’est la libération.

Sam émigre aux Etats-Unis et devient employé dans un casino clandestin new-yorkais. Il apprend à être croupier puis directeur des caisses, un métier comme un autre, jusqu’au jour où le patron doit mettre la clé sous la porte suite à une descente de police et que le tripot est bouclé. Alors Sam devient bouquiniste, spécialisé en bandes dessinées, les fameux comics qui ont alimenté l’imaginaire des gamins. Mais la rencontre avec un ami, ancien policier et responsable de la sécurité du dépôt de la Brinks à Rochester lui fournit l’idée de dévaliser l’entreprise, en douceur, avec quelques compagnons.

Sam Millar narre son enfance et ses années d’enfermement à Long Kesh appelée aussi Prison de Maze, dans un style sobre mais poignant non dénué d’humour. Si les prisonniers n’ont pas droit au sucre, ce n’est pas grave. Il s’en félicite même car au moins ils n’auront pas de problème de dentition, ce qui aurait ajouté un mal à ceux qu’ils subissaient déjà. Le nom de Liam O’Flaherty, auteur notamment du Mouchard et de Insurrection, a plané tout au long de cette lecture, le lecteur se rangeant aux côtés des Indépendantistes, des réfractaires, la religion une fois de plus devenu le flambeau des exactions.

La partie américaine, casinos clandestins et surtout braquage du dépôt de la Brinks et les aventures et mésaventures qui en découlent font penser au personnage de Dortmunder de Donald Westlake, tout en sachant qu’il ne s’agit pas de fiction mais de la réalité. Je ne vais pas m’étendre plus longtemps sur cette partie américaine, ne désirant pas trop déflorer l’histoire afin d’en préserver l’attrait aux lecteurs, et la quatrième de couverture étant déjà un peu trop explicite à mon avis, mais l’on se croirait dans un roman ou un film de gangsters un peu naïfs.

Avec pudeur, Sam Millar efface de son récit tous les moments qu’il juge inutiles, et qu’il élude savamment. Ainsi entre une partie de son enfance et son arrivée à Long Kesh, c’est le trou noir. Il est prisonnier, mais le lecteur doit le constater, et ne pas se poser de questions sur le pourquoi et le comment. De même entre sa libération et son emploi dans le casino clandestin, rideau. Tout juste si au détour d’une phrase on apprend qu’il est marié et qu’il a trois enfants à l’époque où il devient libraire. D’ailleurs cette partie ne renvoie plus à Dortmunder mais à Bernie Rhodenbarr, le héros de Lawrence Block, qui cumule les fonctions de libraire le jour et cambrioleur la nuit. Mais peut-être Sam Miller a-t-il l’intention de rédiger une suite, levant quelques voiles supplémentaires sur des épisodes cachés.

On the brinks reste une autobiographie, parfois dure, poignante, émouvante, parfois franchement irrésistible, et est une formidable leçon de courage. Sam Millar s’inscrit dans la longue lignée des auteurs écrivains, certains ayant eu comme lui la chance de pouvoir échapper à leur condition, d’autres moins tel Caryl Chessmann, auteur en prison de quatre témoignages traduits en France aux Presses de la Cité à la fin des années 50 : Cellule 2455 couloir de la mort, À travers les barreaux, Face à la justice, Fils de la haine, mais ceci est une autre histoire.

 

Sam MILLAR : On the brinks (On the brinks, the extended edition - 2009; traduction de Patrick Raynal). Première édition Le Seuil, collection Seuil Policiers. Réédition Editions Points. Parution le 14 novembre 2014. 408 pages. 7,60€.

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commentaires

S
Merci beaucoup. Thank you.
Répondre
O
Merci à vous et peut-être à bientôt pour d'autres lectures.

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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