Pour une fois, ce n'est pas dans un placard que le cadavre est découvert
Sur l’îlot de Hamneskär, à quelques encablures de Marstrand en Suède, deux ouvriers polonais délivrent un cadavre emmuré dans l’un des celliers de la partie habitation du phare Pater Noster. Roland, l’entrepreneur chargé de la rénovation du site, craignant des complications et des retards préjudiciables à l’attribution d’un bonus substantiel si les travaux sont terminés dans les délais, demande à ses ouvriers polonais de se taire et leur offre six mois de paye afin qu’ils retournent au pays. Mais ceux-ci préviennent quand même la police.
Karin, affectée depuis un an au service recherches, se voit confier, pour la première fois de sa carrière, la responsabilité d’une enquête. En effet, l’inconnu n’a pas pu s’emmurer seul, donc il s’agit d’un meurtre. Mais auparavant il faut déterminer depuis combien de temps le cadavre attend dans le noir, et surtout pouvoir lui attribuer une identité.
C’est en compagnie de Folke, un policier expérimenté mais dilettante, discourtois, attentif aux détails sans leur donner suite, et surtout susceptible sur le bon emploi des locutions lexicales de ses compatriotes qu’elle est chargée de l’enquête. Elle rencontre un ancien policier de Marstrand, sans que celui-ci lui apporte de véritables éclaircissements.
Une alliance est retrouvée peu après non loin où était emmuré le corps. Mais selon un technicien de la police scientifique, le bijou est neuf et n’a pas du servir longtemps. Toutefois une inscription figure à l’intérieur, Elin et Arvid, et une date. D’ailleurs les ouvriers contactés affirment que le cadavre ne portait pas de bague.
Pour Karin et ses collègues, l’enquête s’avère longue et fastidieuse. Mensonges, dissimulations, révélations assorties de rumeurs, faux-semblants, souvenirs oubliés ou volontairement cachés, changement d’identité sont les pierres d’achoppement de cette affaire qui oscille tout autour de Marstrand et le phare de Pater Noster. Les ramifications vont aussi bien au Danemark que dans le passé. Le lecteur entre dans une sorte de labyrinthe constitué de panneaux de verre opalescents, et tente de résoudre l’énigme, même s’il est invité à des scènes que Karin ne peut pas connaître. Par exemple les retours en arrière, au début des années 60. Et même plus loin encore, durant la Seconde Guerre Mondiale, avec un épisode durant lequel les Juifs sont spoliés et leurs biens transportés sur des navires en direction de l’Allemagne.
Une énigme qui fleure bon le roman policier classique avec des chiffres énigmatiques tatoués sur un corps et dont il est bien difficile d’en trouver la signification. Et il est difficile de discerner le vrai du faux, surtout lorsque le faux semble plus vrai que nature.
C’est l’ambiance d’une petite ville qui est reconstruite, avec ses personnages qui vaquent à leurs affaires, qui sont en congés de maladie, ce qui par ailleurs n’est pas du goût de tous, les jalousies et les rancœurs qui remontent au jour. Construit sur un faux rythme, qui semble se laisser aller au gré des vagues, ce roman est toutefois prenant, et pas ennuyeux, contrairement à certains romans nordiques.
Mon carton jaune est destiné à la traductrice, non pas tant sur le fond que sur la forme. En effet, si dans le texte original des dialogues en anglais existent, il est normal de les reproduire en les mettant en italiques afin de prévenir le lecteur que la traductrice respecte le contexte. Mais traduire du suédois en français en passant par la case anglais, sans prévenir, ceci est anormal. Trouver au détour d’une phrase des locutions comme Burn out ou Brainstorming, des anglicismes dont se gargarisent des technocrates et des cadres dits supérieurs et qu’utilisent volontiers des cadres inférieurs, laissant supposer que ceux-ci possèdent un réel bagage intellectuel alors qu’ils ne sont que de simples perroquets, cela me semble à mon avis manquer de correction et de courtoisie envers le lecteur de base. La langue française serait-elle si pauvre ?
Ann ROSMAN : La fille du gardien de phare (Fyrmastarens dotter – 2009. Traduit du suédois par Carine Bruy). Réédition de Balland – 2011. Le Livre de Poche Thriller N° 32763. 432 pages. 7,60€.