Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
14 avril 2018 6 14 /04 /avril /2018 10:19

Qui ne seront jamais compensées…

Alain BRON : Toutes ces nuits d’absence.

Atrabilaire, un peu comme Paul Léautaud, Jacques Perrot est écrivain et n’a pour seul compagnon que Iago, un chat qui possède ses habitudes parfois dérangeantes pour la sérénité du romancier.

Ainsi il aime se blottir, à un certain moment de la journée, sur une planche disposée au dessus de la cheminée, derrière une boîte en fer. Au début, sa corpulence ne prêtait guère à conséquence, mais en vieillissant Iago a pris de la consistance, et ce qui devait arriver arriva. La boîte tombe et laisse échapper des photos anciennes, des années de jeunesse de Perrot. Une photo de classe, notamment, et il reconnait dessus certains de ses condisciples du Lycée d’Etat de Troyes. Année 1966/1967.

Les souvenirs remontent comme des bulles dans une vasière. Le petit groupe de musique folk, les Hors-la-loi, dans lequel il jouait de la planche à laver. Mais c’est surtout le visage de Brigitte qui s’inscrit dans son esprit. Brigitte qui l’avait repéré lors d’un concert. Brigitte qui avait vingt ans. Lui dix-neuf. Elle l’avait déniaisé, mais ce n’était pas son premier coup d’essai. D’ailleurs elle l’avait avoué dans un sourire. Elle cumulait les amants. Elle poursuivait ses études à Paris, mais revenait en fin de semaine à Troyes, dans un petit studio et où elle était censée étudier, loin du vacarme de la capitale.

Leur liaison avait duré quelques semaines, et il la retrouvait chez elle, traversant la ville avec son vélo jaune. Or, un matin, il apprend par un de ses copains, que le corps de Brigitte vient d’être retrouvé noyé. Elle avait été violée avant d’être étranglée.

Cela le turlupine, car il ne se souvient qu’approximativement de cet épisode de son adolescence, et il demande à son éditeur de lui organiser une séance de dédicaces dans la capitale de l’andouillette. Puis il téléphone au rédacteur en chef d’une publication locale afin de pouvoir s’immerger dans les archives du journal.

Rendez-vous est pris et le revoici sur les terres de son enfance. Naturellement, le journal local a publié un entrefilet annonçant sa venue pour une séance de dédicaces, mais également qu’il enquêter sur la disparition près de cinquante ans auparavant de Brigitte Sobiel. Il va bénéficier de l’aide de Ninon, une jeune stagiaire, qui va l’aider activement.

Ninon prépare un mémoire et tout en travaillant pour le journal, elle anime comme auteur, metteur en scène et actrice une troupe théâtrale. Pour cela elle conduit une vieille camionnette. C’est une adepte de l’informatique qu’elle maîtrise, s’introduisant, pour la bonne cause, dans des sites administratifs ou réussissant à berner ses interlocuteurs au téléphone.

L’annonce de la présence de Perrot, si elle est bénéfique pour les dédicaces, ne l’est guère pour sa santé. A plusieurs reprises il manque d’être agressé, voire assassiné. Mais il s’obstine, il se plonge dans les archives, notamment celles d’un journaliste qui avait couvert l’affaire et prêtée par sa veuve, retrouve quelques vieilles connaissances, ce qui l’oblige à regarder la réalité en face. Il était le jouet, le vilain petit canard, dans la communauté des soupirants, actifs, de Brigitte. Tous fils de notables de la cité troyenne, alors que sa mère tirait le diable par la queue, et encore quand elle le trouvait. Il se rend compte qu’il aimait Brigitte, alors qu’il n’était qu’un jouet. Sa consolation réside en ce qu’il n’était pas le seul.

Certains d’entre eux ont été soupçonnés, mis en garde à vue et l’un d’eux a été arrêté, condamné, et il s’est suicidé. Seulement, Perrot commence à se demander pourquoi il n’a pas été inquiété. Son vélo jaune avait été aperçu devant chez Brigitte et il avait oublié cet incident. Il a oublié beaucoup de choses d’ailleurs. Il se demande même si ce n’est pas lui l’assassin.

 

Alors il remonte la piste des intervenants lors de l’enquête, d’un inspecteur ayant été nommé commissaire à Lyon, de ceux qui avaient été inquiétés par la police, et il se rend compte qu’il met le pied dans un marigot puant. En 1966 et début 1967, le corps de Brigitte ayant été retrouvé le 8 janvier, puis après, il n’avait pas fait attention à des prises de position qui aujourd’hui ont pris de l’importance dans la vie politique française. C’est le nombre de notables et fils de notables qui frayaient à l’époque, et encore aujourd’hui avec l’Extrême-droite, épousant des idées qu’ils n’hésitent pas à afficher mais avec componction, avec démagogie.

Une histoire d’aujourd’hui qui remonte le temps, juste avant les fameux événements de mai 68, et pour ceux qui avaient vingt ans à cette époque, comme moi, les souvenirs remontent à la source. Souvenirs nostalgiques d’une période révolue, constatations d’une continuation dans la propagation d’idées délétères, et mises en parallèles des progrès techniques et de l’enfermement dans une somnolence de petites villes qui connurent leur heure de richesse et deviennent moribondes à cause de biens des facteurs liés, entre autres, au consumérisme.

 

Le lecteur suit le double parcours quelque fois chaotique de cet écrivain qui possède une certaine notoriété sans parvenir à s’élever et a connu de nombreux problèmes sentimentaux dus à son caractère renfermé et atrabilaire, et est resté financièrement pratiquement au bord du seuil de pauvreté. On entre dans son esprit, surtout lorsqu’il se remet en cause, mais il évolue. Il se remet en question, ce qui n’est pas le cas de tous.

Pour autant ce roman propose des moments d’humour, parfois caustique, et enchaîne avec les scènes d’action denses, sans oublier les analyses psychologiques des personnages, des événements, des conséquences. Sans conteste, une réussite qui mériterait une mise en avant de la part des libraires, qui trop souvent se cantonnent dans l’exposition des ouvrages des « grandes » maisons d’édition et oublient les « petits » éditeurs qui osent.

 

Pour quelques glânes de plus :

 

La pensée totalitaire, ajouta-t-il, fabrique des crétins capables de nier l’évidence, de mentir pour être dans la ligne, d’agresser les autres pour se prétendre supérieurs. Je crois que si on laisse faire les intolérants au nom de la tolérance, les tolérants seront balayés, et avec eux la société de tolérance.

 

A l’époque, vous savez, on n’était pas embêtés par les avocats et tout le tremblement. On travaillait à la caresse. Les baffes, les coups de bottin dans la poitrine et les doigts tordus, ça y allait. Bon il a fini par cracher le morceau et le juge l’a inculpé. On a cru que l’affaire était pliée.

 

Les romans suivent l’état d’esprit de leur créateur, et souvent avec zèle. Mais, attention, ils ont le chic pour se détourner, se cabrer, se faufiler à la moindre occasion. A l’auteur de les reprendre au lasso et de les guider vers leur fin. A moins du contraire.

 

Mais, l’empathie c’est un moyen d’éviter l’autre en lui laissant croire qu’on est son semblable.

 

L’informatisation à outrance des services avait abouti à des conséquences inattendues : impostures, quiproquos, faux, manipulations… Une commedia dell’arte numérique qui commençait à peine.

 

Alain BRON : Toutes ces nuits d’absence. Editions Les Chemins du Hasard. Parution le 15 mars 2018. 284 pages. 18,00€.

ISBN : 979-1097547066

Partager cet article
Repost0
12 avril 2018 4 12 /04 /avril /2018 11:15

C’est joli Popa, c’est comme Poupa ou Papa, mais en plus poétique…

Louisa KERN : Popa.

C’était hier, ou avant-hier, à moins que ceci se passe de nos jours. Est-ce important de dater ? D’autant que la situation décrite aurait pu se dérouler n’importe quand. Peut-être même demain.

Non, il est question d’une 404, ce qui précise un peu à quelle époque les événements se sont déroulés, mais comme elle n’est pas neuve, laissons travailler notre imagination.

Pour le reste aussi laissons notre imagination batifoler dans la campagne, avec cet homme qui plante des piquets, tous les deux pas, afin de délimiter une parcelle de terrain. Annette, la gamine, deux ans, ou trois, ou peut-être quatre, il ne se souvient plus l’accompagne. Mais ce dont il se rappelle, c’est qu’elle le suivait maladroitement, malgré les mottes de terre, qu’elle l’appelait Popa, et qu’au loin, enfin un peu plus loin, les hommes de la petite communauté s’activaient au foin, et que la mère venait leur donner à boire. A lui aussi, et qu’elle ramenait la gamine cahotante.

Et puis, parfois elle le rejoignait le soir. Pas pour parler. Pour fumer un joint, puis s’occuper à autre chose. Et puis un jour, un intrus…

 

Alors, évidemment, le lecteur, moi en l’occurrence, pense au Larzac, à Sivens, voire à Notre-Dame-des-Landes, et s’immisce dans les pensées de l’homme aux piquets. Et quand l’on sait combien un cerveau possède de circonvolutions, parfois le lecteur se trompe de chemin.

Une nouvelle toute en finesse, que l’on relirait uniquement pour le plaisir, pas parce qu’on n’a pas tout compris, mais pour saluer le joli tour de force.

A noter que, même s’il vit loin de la mer, l’homme construit un bateau. Comme Louisa Kern qui s’ingénie dans cette nouvelle à nous mener en bateau ? Rien n’est moins sûr, même si tout est possible.

 

Et pour vous procurer, sans frais d’envoi, cette nouvelle, une seule adresse :

Louisa KERN : Popa. Nouvelle numérique. Collection Noire Sœur. Editions Ska. Parution avril 2018. 10 pages. 1,99€.

ISBN : 9791023406955

Partager cet article
Repost0
11 avril 2018 3 11 /04 /avril /2018 08:21

Chaque pays pourrait les revendiquer !

Kyotaro NISHIMURA : Petits crimes japonais.

Après avoir publié un roman-hommage mettant en scène quelques grands détectives de la littérature policière, Les grands détectives n’ont pas froids aux yeux, les éditions Clancier-Guenaud dans leur collection Série 33 proposaient un recueil de nouvelles du même auteur, Kyotaro Nishimura.

Cette collection qui était dirigée par Stéphane Bourgoin et François Guérif n’a pas obtenu la consécration qu’elle méritait, pourtant les auteurs proposés au catalogue étaient tous de vieux routiers du roman policier et de fantastique, de renommée mondiale. Un problème de mise en place, peut-être, de distribution et de diffusion, de notoriété, mais celle-ci ne s’obtient en général que dans la durée, toute une conjonction de causes défavorables qui firent que cette collection fut abandonnée au bout de seize titres.

Il est vrai que parallèlement François Guérif dirigeait également, et ce depuis 1986, la collection Rivages/Noirs qui était soutenue par les éditions Payot qui possédaient plus de visibilité chez les libraires.

Huit nouvelles, dont sept inédites à l’époque de la première édition de ce recueil, qui traitent avec humour et ironie des petits crimes, des crimes dont les protagonistes sont des personnages simples, des gens de tous les jours, des Monsieur Tout le monde.

Le crime, qui est perpétré par ces chômeurs, ces ouvriers, ces policiers, et autres représentants de la population nippone, est commis un peu comme une tentation, un jeu, un défi, mais aussi par provocation. Provocation envers un destin inéluctable, envers une façon d’interpréter les principes moraux, envers une certaine forme d’injustice, mais toujours effectuée en fonction d’un besoin. Besoin alimentaire certes, mais besoin aussi de dignité.

La banalité au quotidien, serais-je tenté de penser, mais une banalité épicée par la révolte, parfois toute relative, du héros malgré lui qui fait un pied-de-nez à son avenir, à la société ou plus prosaïquement à celui dont il est la victime.

Une femme désirant se débarrasser de son mari devenu encombrant depuis qu’il est chômeur, un policier secourant les clochards d’une manière peu orthodoxe, une jeune fille s’inquiétant de l’état de santé d’un voisin dépressif, un milliardaire apprenant les règles de la charité, tels sont les sujets de ces petites histoires traitées avec un humour noir, narquois, goguenard, grinçant, mais toujours plaisant, raffiné, délicat, comme ces estampes japonaises célèbres pour la minutie de leur dessin.

 

Première édition collection Série 33 N°13. Editions Clancier-Guenaud. 1988.

Première édition collection Série 33 N°13. Editions Clancier-Guenaud. 1988.

Kyotaro NISHIMURA : Petits crimes japonais. Traduction de Jean-Christophe Bouvier. Collection Rivages Noirs N°218. Editions Rivages. Réimpression. Parution le 11 avril 2018. 224 pages. 8,50€.

ISBN : 978-2-7436-4361-4

Partager cet article
Repost0
10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 07:54

Et la source est loin d’être tarie !

Hervé HUGUEN : La source du Mal.

Ne pas être présente à un rendez-vous, c’est manquer de courtoisie et de respect envers celui qui vous l’a proposé et à qui vous aviez confirmé votre présence.

Pourtant, il existe parfois des impondérables qui vous empêchent non seulement de se rendre au lieu déterminé, mais encore de prévenir la personne avec laquelle vous deviez passer la soirée.

Ainsi Jérôme Segui s’impatiente car Agathe, comme Madeleine dans la chanson de Jacques Brel, ne vient pas ce soir. Il est vingt heure dix, ils avaient rendez-vous pour visiter l’exposition Costaner puis dîner ensemble, mais toujours pas de nouvelles d’Agathe. Il lui téléphone, mais elle ne décroche pas. Il se rend chez elle, mais il trouve porte close. Toutefois, la voiture est devant chez elle. Il retourne à son lieu de départ, puis enfin rentre chez lui.

Il émet toutes sortes de suppositions, mais pas la bonne. Il décide de retourner chez Agathe mais cette fois son véhicule n’est plus là. La solution de cette défection, il l’apprendra plus tard. Agathe a été retrouvée dans son véhicule incendié dans une zone industrielle en friche près d’une ancienne conserverie. C’est un voisin qui alerté par les flammes a prévenu les policiers et les pompiers.

Tôt le lendemain matin, Baron et son adjoint Arneke prennent les rênes de l’enquête. Tout d’abord ils recueillent les premiers renseignements sur les lieux du drame, puis auprès des voisins d’Agathe et enfin auprès de ses proches grâce aux appels téléphoniques qu’elle a reçu avant son décès et sa crémation.

Questionnements auprès de Nadine, la collègue d’Agathe, de Thomas, l’ex petit ami d’Agathe qu’elle avait plaqué un an auparavant alors qu’ils étaient ensemble depuis cinq ans mais vivaient séparément, de Jérôme son nouveau petit ami depuis six mois puis quelques autres personnages susceptibles de leur fournir le moindre renseignement.

Agathe travaillait pour une assurance, spécialisée dans les placements d’argent et les assurances-vie, et il se pourrait que l’un de ses clients mécontents se soit rendu chez elle avec des intentions belliqueuses. Ses dossiers ont été fouillés, mis en vrac à terre chez elle, et pour l’heure il est impossible de déterminer si des papiers ont été subtilisés. Mais il ne faut pas négliger l’aspect sentimental de cette affaire, car Thomas possède un trou dans son emploi du temps de la soirée.

 

Du samedi 4 novembre jusqu’au lundi 6, Baron et Arneke, assistés de quelques membres du commissariat de Vannes, vont multiplier les rencontres, les interrogatoires, les déplacements, se rendant à Auray, Malestroit et même jusqu’à Saint-Malo, afin de débusquer la vérité, pratiquement sans dormir, fouiller dans le passé, vérifier les appels téléphoniques, les alibis, s’immiscer dans la vie privée.

Et déboucher sur une affaire provoquée puis résolue à cause d’une petite erreur. Agathe avait ce que l’on pourrait considérer comme une double vie. A première vue rien de bien répréhensible mais lorsque le mobile réside dans de vieux papiers, il ne faut s’étonner de rien. Surtout des remous, des soubresauts, des résultats mortifères.

Un bon roman de détection classique dans lequel Baron se prend pour Maigret, sans le vouloir, sans s’en rendre compte, un mimétisme reposant.

Quelque chose le rongeait, qu’il ne parvenait pas à définir vraiment. Le sentiment qu’un détail leur échappait, une connexion qui ne se faisait pas. Ils suivaient deux histoires parallèles, et le propre des parallèles est qu’elles ne se rencontrent jamais.

 

Baron ne répondit pas. Ses yeux ne cherchaient pas ceux de Lanne, il semblait ailleurs. Est-ce qu’il écoutait seulement ? Est-ce que cette conversation avait un sens pour lui ?

 

Oui, Nazer Baron est un homme comme un autre, pas un super-héros, mais quelqu’un qui réfléchit au lieu d’user de la force. Et avec l’âge, et les séquelles du métier, conjugués aux intempéries, il ressent des tensions dans la hanche, là où sa cicatrice se réveillait parfois quand l’humidité froide venait lui rappeler son ancienne blessure. Il avait renoncé à conduire. Mais ce n’est qu’un mauvais moment à passer, et il prend sur lui (et peut-être quelques antalgiques et analgésiques mais il le cache, un policier ne se drogue pas) afin de diminuer la douleur, et peu après il pourra reconduire. Mais parfois il mérite un carton jaune :

D’une pichenette, Baron envoya le mégot s’éteindre dans le caniveau et reprit sa progression lente.

J’en connais qui se sont pris une prune à 68 euros pour avoir laissé tomber un mégot sur le trottoir, sous le motif d’abandon de déchets sur la voie publique.

 

Hervé HUGUEN : La source du Mal. Série Nazer Baron N°13. Editions du Palémon. Parution le 2 mars 2018. 272 pages. 10,00€.

ISBN : 978-2372605175

Partager cet article
Repost0
9 avril 2018 1 09 /04 /avril /2018 08:36

Alors fais-moi un signe

Apparais je t'attends.

Thomas LAURENT : Le signe du Diable.

Affalé dans son fauteuil, près de la cheminée, le vieil homme semble dormir. Mais ce n’est qu’une apparence. Le bon curé du village, le prêtre Bérard, vient de décéder. Sa fille Morgane, dix sept ans environ, en est fort marrie et déboussolée.

Car le bon curé, fort estimé de ses ouailles, a fauté. Personne ne lui en a tenu rigueur. Seule la mère de Morgane a essuyé la vindicte de la populace qui la considérait comme une sorcière, une maléficière. Et Morgane, qui ne s’aventure guère près du village, possède une tache de naissance sur le front qui la désigne comme héritière des dons et pouvoirs de sa mère.

Les villageois, venus apporter quelques vivres au curé, forcent la porte car Morgane s’est retranchée dans la cabane. Ils découvrent le tableau macabre et accusent aussitôt Morgane d’être responsable du décès de son géniteur. Ils l’emmènent jusqu’à un arbre afin de la pendre, mais un éclair subit coupe la corde attachée à une branche et Morgane peut s’enfuir dans la forêt à dos de mule.

Morgane arrive dans le village de Hurlebosque, mais comme elle n’est guère connue par les habitants du bourg, elle pourrait s’intégrer et vivre des jours calmes si deux événements ne précipitaient son destin. Pourtant son intrusion n’est pas passée inaperçue. Exténuée, harassée, sale, les cheveux blanchis par l’épreuve, heureusement avortée de la pendaison, elle est recueillie par un vieux couple de boisilleurs dont la seule ressource consiste en le ramassage de branchages et la confection des fagots.

 

Les deux événements qui se précipitent résident d’abord dans le fait que le seigneur du lieu est décédé quelques semaines auparavant dans des conditions tragiques et mystérieuses, sans que son corps soit redécouvert. Depuis son fils Philippe semble atteint d’un mal qui l’oblige à murer les ouvertures de son château et lui-même se cloître.

L’autre événement est lié à la venue de l’inquisiteur Henri Niger. Morgane est tout désignée pour subir les foudres de ce religieux qui traque les maléficières et autres personnes qui pourraient se montrer hostiles envers la religion. Morgane est arrêtée et ne peut s’empêcher, sous la torture, d’avouer un crime imaginaire. En attendant son dernier supplice, la mort, Morgane est enfermé dans les caves du castel. Elle est délivrée par le fils du seigneur défunt du lieu qui lui demande de remplir une mission. Elle sera accompagnée par un jeune chevalier, Thierry de Mânecombe.

Ils doivent débarrasser la région de Maurie, une sorcière malfaisante réputée qui vit au milieu des marais. Et selon le baron Philippe, seule Morgane peut arriver à accomplir cette mission qui en même temps signifie sa libération.

 

Morgane assistée de Thierry va vivre, ou plutôt subir moult épreuves dans ce qui pourrait être un parcours initiatique, un parcours du combattant semé d’embûches. Niger et ses séides la traquent sans relâche, jusque dans les marais. Elle échappe à bon nombre de périls dont une noyade, une ordalie, exemple de la bêtise religieuse qui veut qu’une personne jetée dans une rivière est possédée du démon si elle survit, et innocente si elle se noie. Elle parcourt, toujours en compagnie de son garde du corps chevalier-servant la région, traversant des villages exsangues, bravant le danger envers et contre tout, manquant de mourir dans diverses circonstances, dont un empoisonnement, bref une épopée épique dont à chaque fois elle se relève plus forte. Mais tiendra-t-elle jusqu’au bout de ce périple riche en émotions ?

Dans une France qui a subi les dégâts de la Guerre de Cent ans, puis les affres de la peste et de la lèpre dont des séquelles se manifestent encore, le lecteur suit cette jeune fille sans peur et sans reproche, dans ce qui pourrait être n’importe quelle région française, et que j’aime à situer en Normandie ou dans le Nivernais. Pourquoi, je n’en sais rien, une impression.

En cette fin de Moyen-âge, les seigneurs, les hobereaux de province se conduisent en petits tyrans, et plus particulièrement Raoul de Hurlebosque, dit Raoul le Fel.

A quoi bon épargner les petites gens ? Les sang-bleu ne s’en sont jamais soucié, encore moins ici où tous sont issus de vieux lignages. Ils vivent dans le passé, bercés par la gloire de leurs ancêtres, s’efforçant d’ignorer ce que la guerre, la peste et la ruine ont fait d’eux : des princes de pacotille, retranchés dans des forteresses en ruine ouvertes aux quatre vents.

La France est à un tournant de son histoire, coincée en fin du Moyen-âge et approche de la Renaissance. Mais pour l’heure ce sont bien les méfaits des seigneurs qui règnent sur leur petits domaines et la religion représentée par des inquisiteurs qui ne méritent pas l’appellation de chrétiens qui dominent le peuple.

Dans une atmosphère proche du fantastique mais sans jamais s’y adonner, cette intrigue est un véritable roman policier historique avec la recherche de coupables pour des faits de meurtres, de disparitions inexpliquées, d’empoisonnements. La recherche également de la vérité par une jeune fille, et son compagnon de route, dans un contexte où tout est voué à la sorcellerie, époque oblige, aux superstitions, et à des errances médicales qui se heurtent à la tentative de compréhension de l’origine des maux corporels.

Un premier roman abouti, ficelé comme par un vieux grognard de la littérature de l’Imaginaire, où tout est précis et flou à la fois, comme les silhouettes des personnages, des spectres qui hantent les marais. Thomas Laurent fleurète avec le fantastique mais sans vraiment se laisser aller à la facilité. Et tout est cartésien malgré les apparences. Et petit bonheur de lecteur, Thomas Laurent ne verse jamais dans les violences inutiles, gratuites, ni dans la vulgarité, mais au contraire déniche quelques mots de vieux français, un vocabulaire riche, peut-être désuet comparé à tous ceux qui usent et abusent d’anglicismes (peut-être parce qu’ils cèdent à une mode délétère et snobinarde) mais au combien réjouissant, un peu à la façon de Brice Tarvel et de Robert Darvel.

Un premier roman prometteur foisonnant, épique, avec de l’action, de l’effroi, de l’angoisse, du suspense, de l’amour et une once de psychologie

Dernière petite précision, l’auteur avait vingt et un ans lors de la sortie de ce livre.

© Photo de l’auteur par Julien Laurent.

© Photo de l’auteur par Julien Laurent.

Thomas LAURENT : Le signe du Diable. Editions Zinedi. Parution le 23 juin 2016. 248 pages. 20,00€.

Partager cet article
Repost0
8 avril 2018 7 08 /04 /avril /2018 14:19

C’est comme pour les œufs de Pâques, suffit de les chercher !

Monstres Cachés. Anthologie 2018.

Neuvième anthologie publiée par Imajn’ère, ce recueil, comme tous ceux précédemment publiés, est une aimable composition entre auteurs chevronnés et nouvelles plumes dont le sommaire est détaillé en fin d’article.

Si la présence d’un auteur comme Brice Tarvel est incontestable, la découverte d’autres noms m’a fort étonné, par exemple celui de David Verdier dont je ne connaissais que les romans de détection et meurtres en chambre close. Et à côté de ceux-ci, la présence de lauréats du concours Imajn’ère signifie un attrait sérieux pour une littérature souvent considérée comme futile.

Futile ? Oui mais au combien enthousiasmante, délassante, et surtout propice à amener de jeunes lecteurs à cette passion dévorante. Même si nos parents n’avaient de cesse de nous enjoindre à poser nos romans et à aller batifoler dehors, de profiter du bon air. Mais de nos jours, il veut encore mieux rester chez soi, à lire des ouvrages tels que celui présenté, que de se baguenauder, au risque de se trouver dans une rafle aveugle, surtout lorsqu’on habite en banlieue.

J’écris, j’écris, mais si je vous entretenais plutôt de ce qu’il y a à l’intérieur ? C’est ce pour quoi vous me lisez, non ?

Alors difficile de tout vous présenter, et difficile d’effectuer un choix parmi tous ces auteurs et toutes ces nouvelles. Tant pis, au risque de déplaire à certaines et certains, je vais me lancer et plouf, plouf, le premier qui lira sera :

Des choses au fond des yeux de Célia Rodmacq. Pourquoi celui-là ? Parce que le titre déjà m’attire, je pense que trouver quelque chose au fond des yeux au lieu d’au fond de… (complétez-vous-même les points de suspension) est porteur de générosité. Une introspection dans un esprit, celui du narrateur qui vit dans une pièce étroite, obscure, encombrée et malodorante. Portant la maison est grande, claire, vide et fade. Il l’aime quand elle est silencieuse, que Maman ne répare pas la voiture, que Papa n’écoute pas la musique, que Billie ne regarde pas la télévision d’où s’échappent les rires des dessins animés. Mais quand il est seul, c’est le calme, et il peut déambuler à loisir et regarder, examiner une photo. Pas de grandiloquence dans ce conte, mais une forme d’étouffement. Le reflet d’un monde vu par un narrateur qui ne se décrit pas, ne se connait pas, peut-être.

David Verdier, avec East end, november, nous envoie en 1888, à Londres et plus précisément dans le quartier de Whitechapel. Point n’est besoin, me semble-t-il de continuer mon développé concernant le tueur qui sévit dans cette nouvelle. Toutefois, David Verdier nous offre une théorie non négligeable dans ce qui constitue un mystère sur l’identité de cet adepte du couteau.

Brice Tarvel, un habitué des anthologies et grand romancier de l’Imaginaire, explore dans La prison de cuir un domaine dont un romancier Américain, qui fait toujours parler de lui et est l’objet de nombreuses études, fut le chantre. Son nom n’est pas cité, donc je m’abstiendrai, tout en précisant toutefois qu’Innsmouth sert de décor à cette aventure vécue par cinq jeunes gens, quatre garçons et une jeune fille, qui n’ont rien à voir avec un fameux club. Mais si Brice Tarvel s’immisce dans une histoire à référence, il n’emprunte pas, contrairement à ce qu’il a déjà produit avec Harry Dickson, à un personnage ou à un auteur, et garde son libre imaginaire dans une histoire digne de son célèbre prédécesseur.

Les morts ont toujours tort, d’après Roxane Dambre, qui situe sa nouvelle dans une agence dirigée par Isadora, une tueuse. Celle-ci vient d’accomplir un contrat, avec vingt-deux morts à son actif, et un personnage cauteleux lui demande de conclure un nouveau contrat. Mais Isadora n’est pas naïve et elle possède des alliés inattendus qui savent la seconder dans cette histoire de poker-menteur.

Avec Simon Sanahujas, nous voici transporté dans un monde qui n’est pas vraiment défini dans une époque qui ne l’est guère plus. Un monstre qui se cache là-dedans pourrait être une histoire mettant en scène Ulysse rentrant chez lui, ou le fils prodigue, ou tout autre personnage revenant au pays après avoir longtemps pérégriné, sorte de mercenaire à la Rambo. Toutefois, si Karn, c’est son nom, est le protagoniste principal, Sturnelle, une gamine, est bien plus qu’un faire-valoir.

Pour Thomas Geha, Le monde selon Minos est une projection dans l’avenir, mais espérons que ce qu’il pronostique ne se réalisera pas. Quoi que, d’apprendre qu’en 2027 vient de décéder Poutine n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Les événements politiques et scientifiques ponctuent la trajectoire de Jérôme Vergonnes qui, à trente-deux ans, survit à un accident de la route qui a coûté la vie à sa femme et ses deux jeunes enfants. Il est handicapé, sans emploi stable, et naturellement, l’un découlant de l’autre, grevé de dettes. Il fait un jour la connaissance d’une jeune femme et au bout de quelques mois, celle-ci lui propose de se rendre dans un pays d’Amérique centrale afin de se faire opérer.

Le mentor, le grand-prêtre, le grand manitou de ces anthologies, Jean-Hugues Villacampa avec Phenomenae NY nous propose de nous emmener aux Etats-Unis, en compagnie de Randolph Derleth, professeur d’occultisme, qui assiste en compagnie d’une jeune dame, Carmélia, à des événements étranges dans Central Park. Et de fil en aiguille, il va faire connaissance d’autres protagonistes dont le mari de Carmélia, John-Hugues, bouquiniste. Un clin d’œil, pour reconnait en ce personnage la figure même de l’auteur, et qui va en amener d’autres. Le thème central est l’annonce de la conjonction de cinq planètes, phénomène rare, en ce mois de juillet 2016, et dont la statue de la Liberté, va se trouver comme le clou de cette histoire. Et ce n’est pas parce qu’il est l’instigateur de cette anthologie, et des précédentes, que Jean-Hugues Villacampa se laisse aller. Enfin si, il se laisse aller dans un imaginaire débridé, mais il signe également la plus longue nouvelle du recueil.

Enfin, pour terminer mon petit tour d’horizon, suivons un auteur prometteur qui œuvre dans des genres divers sans se galvauder. Julien Heylbroeck, dont j’ai déjà eu le plaisir de vous présenter deux romans, s’immisce dans l’Histoire, relativement proche, ou plutôt dans la continuation de l’Histoire. Bleu, tel est le titre de son texte, et des bleus, l’homme qui se réveille dans une cave, lié à des tuyaux de cuivre en est marqué. Il se demande comment et pourquoi, il est arrivé dans cet endroit de désolation, et recherche dans ses proches souvenirs, ceux qui lui restent après une biture dans un bar, en compagnie d’un homme qui lui semblait inoffensif.

Et comme il faut parfois une respiration entre deux nouvelles, Patrick Eris s’est amusé à rédiger de petites brèves de comptoir littéraire. Quelques lignes, voire une page, pas plus, mais qui se lisent comme un petit blanc avalé vite fait entre deux boulots, une décompression qui n’est pas factice.

 

Un véritable choix vous est donc proposé parmi tous ces monstres, monstres cachés en nous, monstres humains, monstres mythologiques, monstres de papier, le rayon est bien garni et n’attend plus que les chalands en quête de sensations fortes.

 

 

Sommaire :

Préface de Caza, illustrateur de couverture et 20 images intérieures. Page 7.

Nouvelles de :

RODMACQ Célia : Des choses au fond des yeux. Page 11. Lauréate du concours Imajn’ère.

CEDE : Une si jolie chose ! Page 29. Lauréat du concours Imajn’ère.

REEVES J. A. : Une histoire de loyer. Page 51. Lauréate du concours Imajn’ère.

RAVAT Christian : La spécialité de Charcoin. Page 59. Lauréat du concours Imajn’ère.

CHAUDERON Samantha : Mort dans l'œuf. Page 79. Lauréate du concours Imajn’ère.

VERDIER David : East End, november. Page 99. Lauréat du concours Imajn’ère.

TARVEL Brice : La prison de cuir. Page 119.

DAMBRE Roxane : Les morts ont toujours tort. Page 141.

SANAHUJAS Simon : Un monstre se cache là-dedans. Page 161.

DAVOUST Lionel : Regarde vers l'ouest. Page 177.

HEYLBROECK Julien : Bleu. Page 211.

GREENE Beth : Un si beau costume. Page 225.

LEROY-RAMBAUD Martine : Les elligrées. Page 241.

LEBOULANGER Camille : Le chant du Profond. Page 251.

CALVIAC Audrey : Mon très cher monsieur Lapin. Page 273.

SONCARRIEU Pierre-Marie : Memento Mori. Page 283.

CUIDET Arnaud : Mon pire ennemi. Page 305.

LUCE Christine : AIRE3. Page 323.

GEHA Thomas : Le monde selon Minos. Page 343.

VILLACAMPA Jean-Hugues : Phenomenae NY. Page 353.

MALLET Sarah & Romain : Mais... qu'avez-vous fait gober à Solange ? Page 405.

CARPENTIER Francis : Tanatot. Page 423.

VERSCHUEREN Jérôme : La petite chose de Yuggoth. Page 443.

ERIS Patrick : Les brèves. Pages 49, 77, 117, 159, 209, 239, 271, 303.

Postface de Jean-Hugues Villacampa. Page 459

Les auteurs : Page 461.

L’illustrateur : Page 479.

 

En 2013, j’avais eu le plaisir (si, si !) de vous présenter Total Chaos, qui était le premier recueil publié par Imajn’ere. Et en compulsant le sommaire, réduit à l’époque, on peut se rendre compte que depuis quelques lauréats au concours ont tracé leur sillon avec leurs plumes trempées dans l’encre noire. Par exemple Julien Heylbroeck et Jérôme Verschueren qui ont offerts quelques bons titres depuis, aussi bien aux éditions du Carnoplaste qu’aux éditions Les Moutons électriques.

 

Pour vous procurer ce recueil, une seule adresse :

Monstres Cachés. Anthologie 2018. Imajn’ère. 17,50€ jusqu’au 25 avril 2018. Ensuite 19,00€. 484 pages.

Partager cet article
Repost0
6 avril 2018 5 06 /04 /avril /2018 08:12

Aimer à perdre la raison

Aimer à n’en savoir que dire…

Philippe COLLAS : L’amour et la folie.

Rêveur, Jean de la Fontaine certes il l’est. Mais ce n’est que de façade, car il est aussi observateur.

Il ne se contente pas d’étudier les visages de ses voisins, de table par exemple, mais il s’amuse, en les contemplant, de les affubler de masques animaliers, mais pas forcément ceux qu’il étudie dans la nature tout en herborisant.

En ce mois d’avril 1662, Jean de La Fontaine est âgé de quarante ans, et sa femme Marie de douze ans de moins. Mais de Marie, il ne s’en préoccupe guère, pensant surtout à ses vers, pas ceux qu’il observe mais ceux qu’il écrit, et dont il aimerait qu’ils soient publiés chez le libraire-éditeur parisien Pinchêne. Seulement la missive d’acceptation tarde à arriver.

Enfin, une réponse. Déception, il s’agit de son ami Henri, le marquis de Sorel près de Reims. Celui-ci le mande afin de l’aider dans le classement de ses planches botaniques et ornithologiques ainsi que sa bibliothèque constituée de livres précieux. En remerciements, un effet est joint, ce qui arrange fort notre fabuliste, qui ne l’est pas encore.

Alors, le Maître des Eaux et Forêts de Saint-Quentin se décide à rejoindre la Champagne, à Reims précisément, afin de se purifier l’esprit, une nouvelle algarade verbale l’ayant opposé à Marie.

Après quelques heures de chevauchées en compagnie de Rossinante, ne vous y méprenez pas, il s’agit d’un cheval mâle mais La Fontaine aime Cervantès, le voici en vue du château de son hôte. Vivent ou sont présents dans cette demeure, outre les nombreux valets, cuisinières, jardiniers, chambrières, Marie la jeune femme d’Henri de Sorel, la mère d’icelle, Eléonore (mais ne le perd pas) comtesse de Saint-François, Charles le frère puîné d’Henri, bientôt rejoint par son fils Louis, ainsi que le chevalier des Essarts qui aimerait que Henri de Sorel lui prête de l’argent afin de concrétiser un projet qu’il porte avec un comparse, celui de produire du vin pétillant. Mais ceci est une autre histoire.

Henri de Sorel aimerait que La Fontaine l’aide rédiger un testament, mais il n’en aura pas le temps. Au cours de l’après-midi, tandis que le marquis s’empiffrait de pâtes de fruits, La Fontaine se morfondait. Lui aussi aurait bien aimé goûter à ces friandises, seulement le marquis n’est pas prêteur, comme une certaine fourmi. La Fontaine tente bien d’en dérober une mais elle tombe à terre, et ce sera pour une autre fois. Quant au testament, lui aussi ce sera pour une autre fois, mais sans le marquis. Le marquis est retrouvé mort dans son lit, probablement empoisonné par les pâtes de fruits qu’il a consciencieusement englouties. Même Melchior, le chien qui n’était pas mage, a succombé à sa gourmandise, mâchouillant la friandise que La Fontaine n’avait pu récupérer.

L’adjoint au lieutenant de la police du roi en poste à Reims, Pierre Gribeauval, est chargé d’enquêter sur cette mort mystérieuse. Or Pierre et Jean se connaissent bien, et s’ils se manifestent l’un à l’encontre de l’autre comme une forme d’inimitié, il existe aussi une complicité née en même temps qu’eux ou presque. Enfants, ils étaient accrochés à la même poitrine, chacun son téton. Ils ont été élevés par la même nourrice, et si les liens de sein ne sont pas les liens du sang, ils possèdent les liens du lait.

L’enquête va durer trois semaines, durant lesquelles il se passera quelques petits drames, des conflits, mais également des moments de béatitude en compagnie notamment de la comtesse de Saint-François.

Si l’origine du décès est sujette à caution, sa cause est plus appréhendable. Une histoire d’héritage. Mais qui peut en profiter réellement ?

 

Dans une ambiance parfois houleuse, parfois légère, voire ludique, nous voyons évoluer le poète méconnu et futur fabuliste reconnu dans des scènes campagnardes propices à éveiller ses sens.

Un roman qui emprunte un peu à La Bruyère dans la description des divers protagonistes, tant sont étudiés les Caractères. Mais pour autant, si la psychologie, de boudoir, y est présente, l’humour l’est également, et quelques scènes d’action complètent le tableau. D’ailleurs La Fontaine se met à la peinture champêtre et bucolique en compagnie de madame de Saint-François, mais il n’oublie pas d’herboriser et d’étudier les hyménoptères, cœlomates et arachnides. D’ailleurs, une araignée s’amuse à le narguer, tissant tranquillement, benoîtement, insouciamment sa toile afin de prendre dans ses rets un diptère qui ne demandait rien à personne et encore moins à qui que ce soit.

Le lecteur sera à même à se demander pourquoi il aura fallu trois semaines pour résoudre une enquête. D’abord parce que l’auteur l’a voulu ainsi, afin de placer ses différents pions en toute quiétude. Ensuite, parce qu’à l’époque, les transports modernes n’existaient pas (les grèves non plus d’ailleurs), les divers systèmes de communication n’étaient pas aussi évolués que de nos jours, sauf ce que l’on a appelé le téléphone arabe qui fonctionne toujours aussi bien surtout en zones dites blanches. Donc pour moult raisons l’enquête traîne un peu en longueur, voire en langueur.

 

Avant Philippe Collas, d’autres auteurs se sont amusés à mettre en scène des personnages célèbres, des enquêteurs occasionnels ou non. Par exemple le Juge Ti de Robert Van Gulik, Elliott Ness de Max Allan Collins, le roi Edouard VII de Peter Lovesey… sans oublier l’un des plus grands parodistes et pasticheurs, René Réouven, qui dans La vérité sur la rue Morgue met en scène Edgar Poe, Evariste Gallois, Gérard de Nerval et quelques autres dans un roman publié en 2001.

Mais c’est Philippe Collas qui a véritablement imaginé de se servir d’un personnage célèbre pour le muer en enquêteur débutant, doué pourtant d’un sens inné de l’observation.

Les bons mots foisonnent et offrent un petit air guilleret à une enquête qui semblerait morne sans. L’écriture est limpide, un peu vieille France ce qui m’agrée fort, me changeant des scènes de violence et des dialogues vulgaires. Donc ne boudons pas notre plaisir, d’autres romans sont prévus pour paraître dans cette collection, des rééditions je précise. L’amour et la folie ayant déjà été publié chez Plon en 2004 sous le titre Le château de l’araignée.

 

Quelques citations, afin de vous mettre l’eau à la bouche :

 

Entre la pensée et l’acte, il y a un chemin bien long qui se nomme la civilisation.

Il n’avait pas peur de la mort, mais il ne voulait pas souffrir. Comme il souffrait déjà, il essaya de se convaincre que ce ne pourrait pas être tellement pire.

Ce n’était pas tout d’accepter de mourir, c’était terrible de penser que les autres allaient finir par ne plus se rendre compte que vous aviez cessé d’exister !

Il fallait qu’il cesse d’observer tout et rien, d’en tirer des conclusions, alors même que personne n’avait posé la moindre question. Ce n’était plus de l’instinct, c’était une manie.

S’il était physiquement presbyte, Charles était intellectuellement myope. Incapable de lire de près sans ses lorgnons, il n’était pas plus apte à avoir rapidement la vision globale d’une situation.

Je n’étais pas loin de penser que vous n’écoutiez rien. Un peu comme ces vieux prêtres que la femme avertie choisit quand elle va à confesse.

Philippe COLLAS : L’amour et la folie. Les enquêtes de Jean de la Fontaine N°1. Collection Polar. French Pulp Editions. Parution le 15 février 2018. 336 pages. 8,50€.

Partager cet article
Repost0
3 avril 2018 2 03 /04 /avril /2018 08:37

Un fruit à pépin, sans nul doute !

Mehdy BRUNET : Le fruit de ma colère.

Réfugié près de Bilbao, Josey Kowalsky tente d’oublier sa précédente mésaventure dans laquelle il a perdu sa femme et sa fille dans des conditions décrites dans Sans raison… Et son passé le rattrape lorsque Paul Ackerman, qui ne pétille pas, vient le solliciter.

L’ancien policier, qui avait aidé Josey dans son enquête, est plus qu’inquiet. Son frère jumeau Eric, avocat qui devrait intégrer un cabinet renommé, a été enlevé et depuis il n’a plus eu de nouvelle de sa part ou de celle de ses ravisseurs.

Josey ne peut refuser son aide, et malgré que sa présence sur le territoire français soit sujette à caution, il accepte. La dernière fois où Eric a été aperçu, c’était lors d’une fête entre copains qui s’était terminée dans un cabaret parisien, le Paradis rose.

Les deux compères regagnent donc Paris, se rendent dans le cabaret où officient des effeuilleuses, et l’une d’elles est fort étonnée en voyant Paul. Ils essaient d’interroger les jeunes femmes, car il ne s’agit plus, d’après leur métier, de jeunes filles, mais personne ne connait ou se souvient d’Eric.

Ils repèrent une voiture et grâce à la plaque minéralogique, ils apprennent de source sûre que la voiture se dirige vers l’Irlande. C’est un collègue d’Ackerman qui leur fournit l’information dans un café. Une réunion qui n’est guère prisée apparemment car ils essuient des tirs d’armes à feu, et le collègue trop serviable reste sur le carreau. Josey et Paul sont persuadés qu’il y a une taupe dans le commissariat de Boulogne, car leurs déplacements sont suivis à la trace.

Pour preuve, ce véhicule qu’ils ne remarquent pas immédiatement mais les suit sur la route qui les mène en Bretagne, jusqu’à Roscoff, à la poursuite du premier véhicule. Il s’agit d’une jeune femme qu’ils interceptent et elle aussi est à la recherche de son jeune frère qui a été kidnappé. Ils unissent leurs efforts, et Léa va se montrer plus entreprenante et plus vigoureuse que le laisserait penser son physique.

Après quelques démêlés et retards dus à leur manque de préparation ils arrivent enfin en Irlande dans le comté de Cork, à la recherche d’un château où sont retenus les otages kidnappés.

 

Dans ce château, qui n’est pas celui de la Belle au bois dormant, règne La Dynaste servie par ses amazones modernes, héritières des guerrières de l’antiquité grecque. Dans les caves sont retenus et torturés des hommes dont le comportement n’a pas été apprécié et qui subissent la vindicte de La Dynaste.

 

Ce roman est placé dans un contexte très actuel, surtout depuis l’affaire Weinstein, mais également bon nombre d’autres cas qui peu à peu sont révélés au grand jour, les langues se déliant.

Harcèlements au travail ou sur la voie publique, viols, incestes, autant d’exemples dont sont victimes quotidiennement les femmes et dont les auteurs ne sont pas toujours punis, la justice se montrant parfois laxiste, les dépôts de plaintes pas toujours suivis d’effets, la honte ressentie refrénant même les cibles de ces agissements dans leurs désirs de déposer des mains courantes.

Bien sûr, aux côtés de toutes celles qui ont été abusées physiquement, qui n’osent pas dénoncer les prédateurs, il existe aussi celles qui se servent de certaines situations, les affabulatrices. Ces starlettes par exemple qui couchent avec le producteur, espérant qu’un grand rôle leur soit attribué et qui, déçues que leurs rêves ne se concrétisent pas, crient au viol. Mais parfois, la vengeance, légitime, est égale ou pire que le crime commis, car aveugle. Vaste sujet pour un débat qui ne sera jamais clos, car de tous côtés il existera des abus.

J’avoue que certains passages ont heurté ma sensibilité de vétéran, mais s’il faut en passer par là pour sensibiliser les lecteurs, après tout pourquoi pas.

 

Mehdy BRUNET : Le fruit de ma colère. Editions Taurnada. Parution le 15 mars 2018. 230 pages. 9,99€.

ISBN : 978-2372580403

Partager cet article
Repost0
2 avril 2018 1 02 /04 /avril /2018 13:00

Un Sioux, c’est un Sioux !

Stanislas PETROSKY : La vengeance de Wandu.

Et Wandu, sorcier, homme-médecin, revendique son appartenance ethnique, refusant même ses soins à un Blanc venu le consulter.

Car Wandu, dans sa jeunesse, a eu à se plaindre de l’agissement de ces envahisseurs qui ne respectaient rien, pas même les autochtones.

Pourtant, à l’origine c’était un pacifiste qui aurait aimé tissé des liens avec ces Blancs, mais ce qu’ils ont fait à Enola, il ne l’a pas digéré. Il l’avait retrouvée violée et battue à mort et il avait fallu toute l’influence d’Amarok, le vieil homme, le sorcier de la tribu, pour différer sa vengeance et ne frapper les auteurs de ce viol et de cet assassinat qu’à bon escient.

Une bouteille de whisky laissée auprès du corps d’Enola, des traces de pas, et il avait remonté jusqu’aux agresseurs.

 

Délaissant son style humoristique, avec lequel il se complait dans ses romans dédiés aux aventures de Requiem, Stanislas Petrosky nous conte une histoire sobre qui ne se prêtait pas aux jeux de mots et délires verbaux.

C’est le côté humaniste qui ressort de cette histoire dans laquelle les barbares ne sont pas ceux qui sont ainsi affublés de cette qualification la plupart du temps. Ce ne sont pas les Sioux, mais bien les hommes Blancs qui se conduisent en prédateurs.

Une histoire intemporelle, qui a cours dans toutes les parties du monde depuis que celui-ci existe, et souvent sous couvert d’apporter la civilisation, ce sont les envahisseurs qui se comportent en bêtes sauvages.

 

 

Pour se procurer cette nouvelle, une seule adresse :

Quelques titres signés Stanislas Petrosky :

Stanislas PETROSKY : La vengeance de Wandu. Nouvelle numérique. Collection Noire Sœur. Editions SKA. Parution 1er octobre 2015. 12 pages. 1,49€.

ISBN : 9791023404463

Partager cet article
Repost0
31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 10:28

Et ce ne sont pas des larmes de crocodiles !

Guy RECHENMANN : Même le scorpion pleure.

C’était un p’tit gars, qui s’appelait Anselme, l’avait pas d’papa, l’avait pas d’maman…

Être né sous X, c’est un handicap, et Anselme Viloc, quadragénaire et inspecteur de police, ne s’y résout pas. Mais avoir été déclaré à l’état-civil être né sous X, pas de maman connue, et sous Y, pas de papa non plus, cela lui pollue de plus en plus l’esprit.

Des réminiscences qui s’accentuent lorsque son ami Augustin, pêcheur pendant soixante ans, soixante-seize ans au compteur, décède brusquement d’une rupture d’anévrisme. Une fin de non recevoir sur terre qui intrigue Anselme, car selon toutes vraisemblances Augustin était en excellente santé, et qu’il venait de vendre sa maison en viager. C’est donc qu’il supposait en récolter les fruits durant encore un nombre respectable d’années. Et ce qui indispose Anselme, ce n’est pas la présence du débit-rentier lors de l’inhumation, mais ce petit air de satisfaction qui éclaire sa face, ce petit sourire ironique qu’il arbore. Raphaël Tournebise, qu’il se nomme le faquin.

Anselme se souvient avoir prêté à Augustin quelques CD, notamment un de Didier Lockwood auquel il tient, aussi il se rend chez Augustin. Il en profite pour regarder les aîtres, et se rend compte que la pièce à vivre est quelque peu chamboulée. Augustin avait pour habitude de se reposer dans son fauteuil, près de la cheminée, Pompom, le chat rouquin confortablement installé sur ses genoux, et regarder la forêt non loin et la mer. Surgit alors le gominé, alias Raphaël.

Il en parle à son amie, la petite Lily, toujours de bon conseil, puis un dimanche soir, il va se restaurer à l’Escale, avec Sylvia sa compagne et Noémie, leur fille. C’est alors que David, le restaurateur, lui fait part qu’une mamie, trois mois auparavant, est décédée dans les mêmes conditions qu’Augustin. Rupture d’anévrisme peu après avoir mis sa maison en viager.

Des viagers, ce n’est guère courant, et des morts similaires non plus. Anselme est en vacances, il en profite pour enquêter sur ces décès suspects à ses yeux et en parle à son ami et collègue Jérémy ainsi qu’à son patron du commissariat de Castéja. L’heureux débirentier est un trentenaire, tout comme Tournebise et lorsqu’Anselme se rend sur place, il est fort étonné de voir que la bâtisse va être transformée. Par un architecte de la région parisienne, accoquiné avec un notaire de Neuilly.

Puis c’est un troisième décès qui lui est signalé. Son patron est d’accord pour lancer une procédure officielle, mais peu après le juge préfère classer l’affaire sans suite. Pas assez de preuves probantes. Que des coïncidences, selon lui.

Pour autant Anselme est toujours tourneboulé par son problème de recherche parentale et pour se vider l’esprit, il rencontre un thérapeute qui l’oblige à fouiller sa mémoire vive, à remonter le temps, à fouiller dans son passé, jusqu’à son enfance et même avant. Il rencontre également un sourcier qui le branche sur un radiesthésiste et un astrologue qui lui détaille son thème astral. Scorpion ascendant Gémeau. Pour Anselme ce serait plutôt j’ai mal. Un j’ai mal, des gémeaux. Et le Scorpion est en contradiction avec le Gémeau. L’un est bénéfique tandis que l’autre broie du noir.

 

Nouvelle enquête pour Anselme Viloc, le flic de papier comme il a été surnommé par son patron de commissaire, enquête dans le milieu des viagers, une pratique peu courante mise surtout en valeur par le film de Pierre Tchernia, Le viager justement, et par l’exemple de Jeanne Calment qui vendit à son notaire, lequel décéda bien avant la brave centenaire.

Et des imbrications mettent en cause quelques hauts personnages, dont un, ami du notaire de Neuilly, qui est à l’époque des faits, 1993, député-maire de cette ville siamoise au XVIe arrondissement parisien. Pas de nom, peut-être n’est-ce qu’une coïncidence.

Et l’enquête policière d’Anselme l’amène à rencontrer des personnages, tels que le sourcier, le radiesthésiste ou un géobiologue, lesquels vont lui inculquer les notions d’ondes positives ou négatives, de leur influence, des courants qui passent dans le sol, et bien d’autres choses encore, dont je n‘ai retenu que peu de choses, mais qu’il est préférable, par exemple, de mettre la tête de son lit dans le sens nord-sud, et que des points noirs existent dans certaines parties d’une maison qu’il ne faut pas construire en dépit du bons sens.

Parallèlement, d’ailleurs les parallèles font parties de cette notion d’ondes, parallèlement, on suit les problèmes personnels et familiaux d’Anselme, et surtout l’acharnement de Sylvia, sa femme, à suivre des cours d’ostréicultrice afin de pouvoir garder leur cabanon situé sur la baie d’Arcachon. Cabanon promis à la démolition si cette bâtisse n’est plus affectée à l’ostréiculture. Le fisc et autres étant de plus en plus restrictifs sur les biens personnels et leur utilisation.

Lily, la gamine de douze ans, véritable Pic de la Mirandole, va aider consciemment Anselme dans ses diverses recherches, et, plus étonnant, les chats, de préférence rouquins, vont également se trouver au cœur du problème. Pas uniquement Gédéon, le chat à trois pattes d’Anselme, mais d’autres, qui contrairement aux chiens, savent se débrouiller seuls et possèdent des esprits supérieurs. Mais ça, on le sait, la présence d’un chat dans une maison permet de se débarrasser d’entités malveillantes.

 

Roman de terroir sortant des sentiers battus, Même le scorpion pleure aborde des thèmes peu utilisés dans un roman policier ou même de littérature dite générale. L’influence des ondes magnétiques souterraines, bénéfiques ou non, les sourciers dont la capacité de découvrir des sources d’eau ou autres relevait autrefois de la sorcellerie et qui maintenant est une spécificité plus ou moins reconnue puisque la géobiologie possède même une école, de même que la recherche du thème astral, étudié scientifiquement bien sûr, procurent un souffle nouveau sur le roman dit policier tendance ésotérique.

Quant au commissaire Plaziat, c’est un hédoniste littéraire, aimant à placer dans ses conversations, ses observations, ses conseils vis-à-vis de ses interlocuteurs, des citations empruntées principalement à Victor Hugo mais aussi aux philosophes grecs de préférence.

 

Si le métier de flic était un couteau suisse, observation et patience seraient, à mon sens, les deux lames indispensables.

Guy RECHENMANN : Même le scorpion pleure. Collection Polar Cairn. Editions Cairn. Parution le 27 février 2018. 232 pages. 16,00€.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
  • Contact

Recherche

Sites et bons coins remarquables