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23 janvier 2015 5 23 /01 /janvier /2015 13:38

P comme Pouy... V comme Villard...

Jean-Bernard POUY & Marc VILLARD : L'alphabet du polar.

Les auteurs de la littérature policière et du roman noir sont joueurs ! Ils apprécient tout particulièrement les lettres, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient indifférents aux chiffres, mais ce n'est pas leur préoccupation première.

Marc Villard et Jean-Bernard Pouy se sont installés autour d'une table, surveillés de près par José Correa qui faisait l'arbitre avec son fusain. Dans un sac, les vingt-six lettres de l'alphabet inscrites sur un papier plié en quatre qu'ils ont tirées chacun leur tour, soit treize lettres par tête de pipe, puis essayé trouver un mot commençant par les lettres attribuées ainsi à leur vis-à-vis. Amphétamine pour A, Balance pour B, Copropriétaires pour C et ainsi de suite jusqu'à Zone pour Z. Et pendant qu'ils planchaient à rédiger une nouvelle correspondant à chaque mot, José Correa mettait en image leurs résultats.

 

Bon d'accord, ce n'est peut-être pas ainsi qu'ils ont conçu cet ouvrage, mais j'aime bien extrapoler. Vous sentant impatient, je dévoile donc la première lettre qui n'est autre que le A, attribuée à Jean-Bernard Pouy, lequel nous offre quelques Amphétamines.

Patrick a voyagé dans les Etats-Unis, se liant avec une bande de motards dans le Nouveau-Mexique puis lorsque qu'il est reparti vers le Texas, un endroit plus civilisé, il a caché dans un sachet d'acide acétylsalicylique deux grammes de Crystal meth, une drogue dure réservée aux hommes, aux vrais. A ce qu'il paraît. Il avait ramené sa fraise et sa dose en France et ayant rendez-vous avec un banquier, il a pensé qu'il lui fallait un petit remontant pour se calmer, ce genre de rencontre portant en général sur les nerfs.

Tout au bout de l'alphabet, se trouve la lettre Z, Z comme Zone. Pas vraiment une trouvaille pour Marc Villard, habitué de ces quartiers dits difficiles qu'il arpente régulièrement tout au long de ses romans et nouvelles.

Depuis quelques jours Henri a remarqué le manège d'une petite voleuse dans le métro parisien. Elle paraît vingt ans, il l'appelle Laura, et il l'observe passer entre les voyageurs, leur dérobant en catimini leurs portefeuille. Laura, cela remonte à loin, et les souvenirs surgissent en pagaille et en désordre dans l'esprit perturbé d'Henri à la vue de celle qu'il appelle Ma fille, mon amour.

 

Présenter des nouvelles qui s'étalent sur trois ou quatre pages n'est pas un exercice facile, à moins bien entendu de tout dévoiler, mais le charme de la lecture en serait alors oblitéré. Tout réside dans la chute qui réserve des surprises, des retournements de situation ancrés dans un registre humoristico-dramatique.

Sachez toutefois que Jean-Bernard Pouy et Marc Villard ne dérogent pas à leurs marques de fabrique. La dérision pour l'un, quelque soit le thème choisi par l'auteur, Paris et le plus souvent le XVIIIe arrondissement avec dans la besace de la drogue pour l'autre. Et pourtant, malgré tout ils savent se renouveler offrant des textes pétris d'humanisme.

 

Petit sommaire par auteur :

Jean-Bernard Pouy est donc l'auteur de

Amphétamines, Copropriétaires, Daïquiri, Evasion, Flic, Jivaro, Kafka, Outing, Quéquette, Satanique, Vivisection, Warhol, Xylophone.

Marc Villard s'est amusé à décliner

Balance, Gériatrie, Hold-up, Immigrés, Lame, Maniaque, Nibards, Panique, Rafle, Taxi, Uchronie, Yakusa, Zone.

 

Si certains titres collent à l'auteur qui les traite, d'autres au contraire sont interchangeables. Ainsi Xylophone aurait pu être dévolu à Marc Villard, vu son penchant pour la musique tandis que j'aurai bien vu Nibards sous la plume de Jean-Bernard Pouy.

C'est ce qui fait le charme de ce recueil qui aurait pu figurer dans vos achats de Noël. Mais d'autres fêtes se profilent à l'horizon, la Saint-Valentin par exemple. Et pourquoi pas une petite historiette chaque soir avant le câlin prélude à une bonne nuit de sommeil.

Jean-Bernard POUY & Marc VILLARD : L'alphabet du polar. Jean-Bernard POUY & Marc VILLARD : L'alphabet du polar.

Jean-Bernard POUY & Marc VILLARD : L'alphabet du polar. 26 histoires inédites illustrées par José CORREA. Editions IN8. Parution le 23 octobre 2014. 160 pages.25,00€.

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20 janvier 2015 2 20 /01 /janvier /2015 14:19

Comme disait ma grand-mère, qui avait eu plusieurs amants avant de se marier avec mon grand-père : il ne faut pas rester sur une mauvaise impression...

Joseph INCARDONA : Aller simple pour Nomad Island.

Etant docile et curieux, j'ai donc ouvert et commencé à lire ce roman de Jospeh Incardona malgré ma déception à la lecture de Trash Circus il y a quelques temps. Déception d'autant plus grande que bon nombre d'amis blogueurs n'avaient pas tari d'éloge à son encontre. Aller simple pour Nomad Island allait-il me faire changer d'avis ?

 

Alors qu'elle compulse sur Internet un catalogue d'un club de vacances, Iris reçoit par mail un message énigmatique et tentateur :

Oubliez que vous avez des vacances

L'île de vos rêves vous aime déjà

Nomad Island Resort.

 

Et c'est comme ça qu'après avoir convaincu son mari Paul, sans réelle difficulté, que la petite famille Jensen s'envole de Genève pour cette fameuse île paradisiaque. Sur le papier.

Iris et Paul sont les parents de Lou, une gamine d'un peu plus de quatorze ans, épanouie corporellement, un peu trop peut-être car ses hormones la travaillent, et qui s'émancipe en employant entre autres des vulgarités dont se passeraient bien les oreilles de son père. Stan est quatre ans plus jeune, plus chétif, plus maussade, plus tranquille. Mais avec son géniteur il s'entend bien. Paul est banquier et depuis quelques temps participe au conseil d'administration de l'établissement bancaire. Il n'est donc pas dans le besoin. Quant à Iris, elle est depuis un an braque, susceptible, un mauvais caractère consécutif à une fausse-couche. Déjà qu'ils avaient dû recourir à procréation assistée... Bref ce voyage devrait leur apporter de la sérénité dans leurs relations.

L'arrivée sur Nomad Island Resort n'est guère propice à la détente. Le petit Cessna qui les a transporté se pose sur le tarmac mais personne n'est là pour les accueillir. Ils se retrouvent seuls, le pilote étant déjà reparti pour d'autres occupations. Le téléphone ne capte pas, ils se sentent coupés du monde. Enfin une sorte de sumo au sexe indéfinissable répondant au nom d'Ulita daigne les récupérer, eux et leurs bagages, à bord d'un pick-up déglingué. Le retard serait dû à un problème de circulation. Le trajet jusqu'à l'hôtel, pardon le Resort, se déroule cahin-caha. Stan s'étouffe en avalant une friandise, sur la route une tortue géante leur bouche le passage et ils manquent aller au fossé, enfin lorsqu'ils arrivent en vue du camp Paul est quelque peu interloqué. Un haut portail électrifié et une guérite en protègent l'accès, des grillages entourent la propriété, et il faut s'annoncer afin que les vantaux s'ouvrent. Selon Ulita ces précautions sont destinées à les protéger du gibier.

Enfin ils peuvent s'installer dans le bungalow qui leur est alloué. Nouvelles déceptions. Le réfrigérateur est vide et leurs plateaux repas ne leur sont pas livrés. Il ne leur reste plus qu'une chose à faire : se coucher. Dans la nuit Paul se réveille assoiffé. Comme le frigo est toujours désespérément vide, il veut se rafraichir aux robinets. Mais l'eau est coupée. Heureusement dans le sac de Lou il découvre une bouteille salvatrice. Et se rendant dans la chambre de Stan, Paul aperçoit son gamin debout devant la fenêtre, le regard absent. Stan a vu comme des fantômes devant la véranda. Mais il n'y plus personne.

Le lendemain tout revient à la normale ou presque. Si le téléphone est toujours coupé, le ravitaillement est normalement servi. Paul décide de compenser la frustration nocturne par une promenade en grandes foulées le long du lagon, puis dans le sous-bois jusqu'aux grillages. C'est alors qu'il se rend compte que le haut des grilles est retourné vers l'intérieur, comme si les résidents pensaient à s'évader et qu'il fallait les en dissuader.

Péniblement la famille Jensen s'intègre parmi les Résidents. Stan joue avec deux autres gamins de son âge, une fillette dont l'un des membres supérieurs est atrpohié et un garçonnet obèse. Lou sort avec deux adolescentes qui comme elle ont des visées sur Mike, le responsable de l'endroit pendant l'absence du directeur. Iris passe son temps avec de belles et sculpturales jeunes femmes, tandis que Paul cherche à combiner un moyen d'évasion. Quant aux gentils organisateurs, ils sont plus ou moins aimable, selon les circonstances.

 

Une histoire atypique qui pourrait osciller entre la série télévisée Le Prisonnier et celle plus onirique de L'île fantastique. Un huis-clos qui devient étouffant, sanguinolent même, car enfin au bout d'une année Iris à ses règles. Des règles de vie elle en a toujours eues, mais là il s'agit de ses menstrues, une période difficile à passer mais c'est peut-être justement ce manque qui la rendait acariâtre.

Roman déboussolant, on sait juste que Nomad Island Resort se trouve dans l'Océan Indien, et l'on se demande jusqu'où l'auteur va nous mener en bateau. Le final est à la hauteur de l'intrigue et ne tombe pas à l'eau.

Bref, examen de passage réussi cette-fois, et maintenant il ne me reste plus qu'à attendre sagement le prochain titre de Joseph Incardonna.

Joseph INCARDONA : Aller simple pour Nomad Island. Le Seuil Policiers. Parution le 6 novembre 2014. 268 pages. 19,00€.

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18 janvier 2015 7 18 /01 /janvier /2015 13:46

Pas tout à fait, Lindsay Boxer est enceinte....

James PATTERSON & Maxine PAETRO : 12 coups pour rien.

Après un premier chapitre ambigu et tendancieux sur lequel je reviendrai, entrons dans le vif du sujet, ou plutôt sortons le sujet. La petite Julie vient de naître dans des conditions orageuses chez sa mère Lindsay Boxer.

Lindsay ne l'avait pas vue venir, bon d'accord à quarante ans on sait si on est enceinte ou pas quoique parturiente primipare, mais elle n'avait pas ressenti les contractions annonciatrices de l'événement. Lindsay parvient à téléphoner à son amie Claire, médecin légiste, avant que la batterie rende l'âme et les pompiers arrivent en force afin de juguler le dégât des eaux. Trois semaines plus tard, la petite Julie rechigne à se sustenter, à dormir, et pleure sans arrêt. Mais la vie continue inexorablement.

Pour Yuki Castellano, assistante du procureur de San Francisco, débute un procès qui n'est pas gagné d'avance, elle le sait, mais elle pense avoir en main tous les atouts nécessaires pour faire condamner Keith Herman. Keith Herman était un avocat véreux, radié du barreau, défenseur d'individus aux mœurs plus que discutables, et qui gagnait ses procès en faisant pression sur les témoins de l'accusation, leur promettant même une place au Paradis s'ils parlaient. Mais il est accusé d'avoir tué sa femme et sa fille. Sa fille n'a pas été retrouvée, quant au corps de sa femme il avait été découpé puis enveloppé dans plusieurs sacs poubelles, plus facilement transportables. L'avocat de Herman, Kinsela n'est guère mieux question respectabilité et lui aussi procède à de la subornation de témoins. La partie entre Yuki et Kinsela n'est pas gagnée pour la jeune femme, mais elle n'est pas perdue non plus. Du moins c'est ce qu'elle espère.

Dans le commissariat où est affectée Lindsay, l'inspecteur Rich Conklin reçoit Perry Judd, professeur de littérature anglaise à Berkeley. L'homme déclare avoir assisté au meurtre d'une jeune femme blonde dans un supermarché. Il donne des détails concernant cette cliente, cheveux blonds, un collier de fausses perles de couleur verte, des ongles de pieds recouverts de vernis bleu clair dépassant de ses sandales et autres éléments, tout en citant des extraits de romans dont L'Etranger de Camus ou encore La Nausée de Sartre, auteurs inconnus du policier. Elle a reçu une balle dans le dos puis deux autres au niveau de la poitrine lorsqu'elle s'est retournée. Il n'a pas vu le visage de l'assassin, ne sait pas s'il y avait des témoins, pour cause, c'est un rêve qui l'a perturbé la nuit précédente. Conklin est persuadé qu'il est en face d'un dérangé et il préfère jeter l'éponge ou plutôt son stylo sur la table. Mackenzie Morales, une séduisante stagiaire qui est sur le point d'obtenir son doctorat en psychologie criminelle s'intéresse à ce témoignage. Mais elle partage le point de vue de Conklin, ce témoin est en plein délire.

Lindsay est intéressée par un article journalistique écrit par son amie Cindy. Il concerne la mort de Faye Farmer, jeune et célèbre styliste retrouvée dans sa voiture garée à un croisement. Une balle en pleine tête, en général, cela ne pardonne pas. Claire, la légiste qui a aidé téléphoniquement Lindsay, veut procéder à l'autopsie de Faye Farmer, seulement un imprévu l'empêche de faire son boulot : le cadavre a disparu. Comme Faye était morte, un fait avéré, elle n'a pu partir toute seule, donc quelqu'un a subtilisé son cadavre. Une nouvelle affaire sur les bras de Conklin, le lieutenant Brady et les policiers du groupe.

Comme Julie n'arrête pas de pleurer la nuit et que cela perturbe son sommeil, Lindsay décide en accord avec Joe, son compagnon pour l'heure en disponibilité et père de la gamine, de reprendre le travail. Au moins cela la changera. De toute façon les activités ne manquent pas. Une cliente vient d'être assassinée à la caisse d'un supermarché, exactement ou presque comme dans le rêve du professeur Judd. Ainsi il s'agirait bel et bien d'une prémonition, d'autant que l'universitaire possède un alibi en bonne et due forme, pas trafiqué. A l'heure où le meurtre s'est déroulé, il était entouré d'élèves. Pis, il se représente à nouveau au commissariat afin d'exposer le nouveau rêve qu'il a eu. La conductrice d'un bus est assassinée, selon lui. Une blonde. Or, cela se produit effectivement, au détail près que la femme abattue est une Noire.

James PATTERSON & Maxine PAETRO : 12 coups pour rien.

Lindsay et ses collègues et supérieurs sont donc confrontés à trois affaires à résoudre. Le meurtre de la styliste, ceux rêvés et réels prédits par le professeur Judd sans oublier le procès de l'ex-avocat Keith Herman. Car son défenseur Kinsela parvient à retourner les témoignages, alors que de nouveaux coups de théâtre surgissent en plein procès.

 

Un roman mené tambour battant qui insensiblement fait penser dans sa construction et son atmosphère à deux anciens maîtres du roman policier : Erle Stanley Gardner et Ed McBain. En effet, les effets de manche dans le tribunal, les déclarations des témoins, leurs revirements, les objections lancées aussi bien par la procureur Yuki ou l'avocat de la défense rappellent les histoires dans lesquelles Perry Mason est impliqué, à la différence près que Yuki doit prouver la culpabilité de l'accusé et non démontrer son innocence. Ce procès se déroule tout au long du roman, placé en alternance avec les deux autres intrigues qui elles nous font songer à l'ambiance du 87th precinct d'Isola d'Ed McBain avec comme héros emblématique Steve Carrella. Lindsay joue le rôle de Carrella, et tout autour d'elle évoluent ses collègues, avec leurs affaires familiales et leurs histoires de cœur. Lindsay, Claire, Cindy et Yuki sont amies et se retrouvent environ un soir par semaine dans un bar, constituant le Women's Murder Club. Et elles sont toutes plus ou moins en couple avec des policiers de la brigade de Lindsay. Parfois, il y a des accrochages entre couples, des velléités d'infidélité. Et Lindsay est inquiète au sujet de Julie qui ne prend pas de poids, ne dors pratiquement pas, pleure sans arrêt, bref une auscultation avec un homme de l'art est envisagée. Mais quel sera le verdict ?

 

Au fait, ce fameux chapitre que j'ai évoqué en début de chronique : Lindsay est réveillée en pleine nuit par des bruits de tonnerre. Les éclairs zèbrent le ciel. Première phrase : Je fus tirée du sommeil par une forte détonation, comme si un coup de feu avait retenti près de mon oreille. Bon, pour l'instant rien de bien spécial me direz-vous, mais attendez la suite : Ebahie par la violence de l'orage, je mis plusieurs secondes avant de prêter attention à la douleur qui irradiait depuis mon ventre. Une douleur insoutenable. C'était ma faute. Je n'aurais jamais dû me gaver de haricots à la sauce mexicaine au dîner... Non, ce ne sont pas les haricots qui lui procurent des flatulences sonores, mais bien la petite Julie qui fait des galipettes dans le ventre de sa mère, peut-être apeurée par l'orage et ses déflagrations. Et comme Lindsay ne ressent pas à priori de contractions, elle se pose des questions dans la nuit, car l'électricité est coupée.

James PATTERSON & Maxine PAETRO : 12 coups pour rien. James PATTERSON & Maxine PAETRO : 12 coups pour rien.

Bref un roman qui alterne humour et dramaturgie, aux chapitres courts, vifs, et qui peu à peu laisse monter un suspense insoutenable tant au niveau professionnel que familial, et dont l'épilogue laisse une porte entrouverte à de nouveaux rebondissements, pour peu que les auteurs le jugent utile. Certains confrères jugeront sans aucun doute que cette histoire est prémâchée, prédigérée, voire formatée. Peut-être, mais ce que j'ai ressenti personnellement c'est un grand plaisir de lecture. Le genre de livre que l'on dévore à peine entamé, qui ne procure en aucun cas ennui et bâillements, et donne l'envie d'en lire d'autres du même acabit. En comme c'est le douzième de la série du Women's Murder Club, d'autres heures de plaisir sont en vue grâce au rattrapage.

 

James PATTERSON & Maxine PAETRO : 12 coups pour rien. (12th of never - 2013. Traduction de Nicolas Thiberville). Collection Suspense & Cie. Editions Jean-Claude Lattés. Parution le 5 novembre 2014. 320 pages. 22,00€.

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17 janvier 2015 6 17 /01 /janvier /2015 16:14

A l'Est y a du nouveau !

Zygmunt MILOSZEWSKI : Les impliqués

Quoi de plus reposant, de plus serein, de plus calme, de plus indiqué qu'un ancien monastère pour suivre une thérapie de groupe, une constellation familiale selon la formulation du psychiatre Cezary Rudzki.

Il a réuni quatre personnes pour un week-end et ses patients couchent dans des cellules séparées et austères. Monacales en un mot.

Seulement le samedi matin, l'un des participants est retrouvé mort, une broche à rôtir enfoncée dans l'œil droit. Le procureur Teodore Szacki est en charge de l'affaire, assisté du commissaire Oleg Kuzniecov. La piste du suicide est envisagée car un tube de somnifère a été retrouvé dans la cellule du mort. Seulement il faudrait un courage inconscient à un individu pour s'enfoncer ainsi un objet pointu dans un globe oculaire.

Teodore Szacki interroge les différents participants à ce jeu de rôle particulier au cours duquel chaque personne interprétait un membre de la famille du sujet soumis à la thérapie. Et lorsqu'il n'y avait pas assez de monde, des chaises jouaient le rôle de figurants. D'ailleurs Cezary Rudzki montre au procureur une vidéo qui a été enregistrée le samedi, Henryk Telak étant confronté aux autres membres de cette réunion. Telak, directeur de la société Polgrafex, une imprimerie, avait perdu deux ans auparavant sa fille qui s'était suicidée. Son fils plus jeune est atteint d'une maladie cardiaque qui lui laisse peu d'espoir de survie. Et l'une des participantes devait jouer justement le rôle de la fille de quinze ans.

Alors qu'il attend Hannah Kwiatkowska, trente cinq ans, les autres patients étant Barbara Jarczyk, soixante ans, et Ebi Kaim, quarante ans, une jeune femme s'introduit dans le bureau deTeodore. Elle se présente comme étant Monika Grzelka, une journaliste qui d'habitude couvre les faits-divers et dont c'est la première fois qu'elle doit rédiger un papier sur une affaire criminelle. Fort avenante Monika impressionne Teodore qui, s'il n'en perd pas se moyens, se promet fort de la revoir. D'ailleurs c'est ce que Monika demande, puisqu'elle doit couvrir l'affaire.

Les dépositions des témoins, où plutôt des membres du groupe de thérapie, puisque personne n'a assisté au meurtre, madame Jarczyk ayant découvert le cadavre dans une crypte, une fois enregistrées, c'est au tour du thérapeute de donner sa version des faits. C'est lors de cet entretien que le procureur visionne la vidéo.

Mais Teodore n'a pas que cette affaire sur les bras et sa supérieure lui demande instamment de se dépêcher sans pour autant boucler le dossier et le classer sans suite. Au cours des funérailles auxquelles il assiste, il lui semble que la femme du défunt et son fils ne sont guère affligés.

 

Attardons nous maintenant sur Teodore Szacki et sa vie familiale. Avec Weronika, sa femme, avec laquelle il vit depuis quatorze ans, d'abord en union libre puis le mariage, ce n'est plus la fougue des débuts de leur liaison. Seule sa fille, Hela, sept ans, compte pour lui. Presqu'une relation fusionnelle. Mais à bientôt trente six ans, il se sent fatigué, vieux avant l'âge. Ses cheveux sont blancs, car il a pensé perdre Hela quelques années auparavant, et ces histoires de suicides ne sont pas là pour lui redonner le moral. Toutefois son attirance envers Monika ne se dément pas, et la jeune femme semble prendre un malin plaisir à le provoquer. Ils se donnent rendez-vous dans des cafés, dans un parc qu'il fréquentait souvent enfant et correspondent par mails. Mails qu'il efface soigneusement et dont il impute la faute à son travail lorsque sa femme est là. Mais il ne roule pas sur l'or et il lui faut calculer ses dépenses, afin de ne pas mettre en péril la comptabilité du ménage. Il est également un adepte des jeux vidéos.

 

Teodore se pose de nombreuses questions sur le meurtre de Talek. Par exemple, la découverte de grilles de loto, et plus particulièrement une combinaison qui figure sur chaque bulletin : 7, 8, 9, 17, 19, 22 (tentez votre chance !) et il est persuadé que ces numéros n'ont pas été choisis au hasard. En relisant les rapports, les dépositions, en discutant avec le policier Oleg Kuzniecov, il a l'impression qu'un élément lui échappe. Cette pensée le taraude mais il n'arrive pas à mettre le doigt, façon de parler, dessus. D'autant qu'en parallèle il doit s'occuper d'autres affaires, des dossiers en souffrance. En reprenant les numéros de loto, il pense qu'il pourrait s'agir de dates, aussi il se plonge dans des archives, compulsant d'anciens journaux. Les numéros fétiches de Talek doivent se référer à des épisodes du passé, mais lesquels ?

Peu à peu, ce qui n'était au départ qu'un roman d'énigme, quatre personnes cloitrée dans un lieu clos, chacune d'entre elles pouvant être considérée comme le ou la coupable idéale, se transforme en roman historique. En effet il faut à Teodore se plonger dans le passé de la Pologne, celle d'avant la chute du mur de Berlin, et s'intéresser au fonctionnement des services politiques et sécuritaires. Car, comme le fait si bien remarquer un de ses interlocuteurs, un historien, les services de sécurité s'ils ont été abrogés, les hommes qui en dépendaient n'ont pas pour autant été chassés. Il consulte également un collègue de Cezary Rudzki afin d'avoir un avis différent. Et Teodore ne sait pas qu'un vieil homme suit de loin son enquête.

 

On appréciera la visite guidée de Varsovie, un parcours semé de monuments mais sur l'architecture desquels l'auteur ne s'appesantit pas trop afin de distraire le lecteurs de l'intrigue. Quelques réparties humoristiques sont placées ça et là afin de détendre l'atmosphère, comme dans la vie courante, de même que la scène du supermarché où Teodore effectue ses emplettes sent le vécu.

L'histoire se déroule du 5 juin 2005 au 17 juin 2005, avec une impasse sur les 12 et 16 juin, chaque date équivalant à un chapitre et se clôture le 18 juillet de la même année. Chaque chapitre est précédé de brèves de journaux, décisions politiques, faits divers et culturels du monde et de la Pologne, météo du jour. Ce qui permet de se remémorer certains événements.

Si des auteurs polonais ont déjà été traduits en France, dans le domaine de la SF notamment avec Konrad Fialkowski dans la collection les Best-sellers de la Science-fiction au Fleuve Noir, c'est à ma connaissance la première fois qu'un auteur de romans policiers l'est.

 

Zygmunt MILOSZEWSKI : Les impliqués (Uwiklanie - 2007. Traduit du polonais par Kamil Barbarski). Première édition Editions Mirobole. Réédition Pocket le 8 janvier 2015. 472 pages. 7,90€.

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13 janvier 2015 2 13 /01 /janvier /2015 13:18

A ne pas confondre avec la pyramide du Louvre...

Jean-François PAROT : La pyramide de glace.

En cette fin du mois de février 1784, il gèle à pierre fendre. L'hiver est rude pour les Parisiens qui subsistent comme ils peuvent. Louis XVI et Marie-Antoinette prennent en compte cette famine qui se dessine et procèdent à quelques largesses alimentaires. Pourtant la révolte commence à gronder tandis que des pyramides de glace sont érigées sur des places par certains habitants de la cité en guise de reconnaissance.

En cette soirée du 23 février, Nicolas Le Floch, commissaire de police, Aimée d'Arranet, sa maîtresse, et quelques autres invités discutent de tout et de rien, bavardages badins, et de la situation actuelle avant de se mettre à table, déguster un potage au vin, puis des œufs en matelote et quelques autres mets propres à réchauffer l'estomac, préparés par Catherine Gauss, la cuisinière d'Aimé de Noblecourt leur amphitryon.

Le lendemain Nicolas est réveillé par Aimée qui lui signifie que Bourdeau, un inspecteur de police, l'attend. Une affaire grave le requiert. En effet durant la nuit, mais il avait autre chose à faire avec Aimée que d'entendre la pluie tomber, le dégel a entamé quelques-unes des pyramides. Or l'une de ces pyramides de glace, située boulevard du Midi (aujourd'hui boulevard des Invalides) non loin de la rue de Sèvres, ne s'est pas contentée de commencer à fondre. Elle recélait en son sein le cadavre d'une femme dont les cheveux cachent le visage.

Assisté de Semacgus, chirurgien de marine reconverti en médecin légiste, de Sanson le bourreau qui lui sert d'assistant, de ses adjoints et de ses mouches (mouchards, ancêtre des indics) et de quelques autres dont l'ancien lieutenant général de police et ancien ministre, monsieur de Sartine, Nicolas Le Floch va devoir enquêter afin de découvrir l'identité de cette morte congelée, et le pourquoi du comment de cet assassinat. Auprès de la tombe de glace les curieux affluent de même que quelques individus qui prêchent la révolte contre le régime.

Dégagée de son suaire de glace et mise à l'abri au Châtelet il apparait que cette personne du sexe féminin possède une ressemblance troublante avec la reine Marie-Antoinette. Commence un long travail qui consiste à recueillir les témoignages du voisinage. La maison la plus proche de la pyramide en déliquescence appartient à Philippe de Vainal (vénal ?), président à mortier (du nom de la toque dont ils sont coiffés et non parce qu'il font de la maçonnerie) au Parlement de Paris.

Nicolas Le FLoch est reçu par Hermine Vallard, la prétendue servante de Philippe de Vainal, mais elle est trop bien vêtue pour n'être qu'une domestique. De plus elle s'empêtre dans ses mensonges, affirmant d'abord ne pas connaître l'existence de cette pyramide puis revenant sur ses déclarations. En fouillant un peu plus et grâce à ses mouches, Nicolas établit bientôt que cette résidence sert à Vainal comme maison de plaisirs fréquentée entre autres par le duc de Chartres, le cousin honnis du roi, qui connait des problèmes de dette et a recours à des arrangements financiers.

L'autopsie de la malheureuse congelée n'est pas sans surprises. En effet un morceau de porcelaine de Sèvres est fiché dans sa nuque, et pas n'importe quel fragment. L'objet provient de la collection royale, composée de pièces uniques et il semblerait que des disparitions inexpliquées de la vaisselle de Versailles entacheraient des membres de la cour.

 

Il existe un lien entre nobles haut placés et modestes courtisanes, une magicienne surnommée Voit la mort, une revendeuse à la toilette, un ouvrier à la manufacture de Sèvres, le duc de Richelieu, madame de la Motte, Cagliostro, Casanova, une maquerelle, une autre sosie de la reine, un moine, et quelques autres personnages gravitent dans cette enquête menée par Nicolas Le Floch.

Outre l'enquête, l'auteur s'attache à dépeindre l'atmosphère, l'ambiance du Paris qui manque de tout, bois de chauffage, nourriture, à cause des rigueurs de l'hiver. Et bien entendu, il évoque quelques problèmes qui fâchent et qui de tout temps ont alimenté des récriminations et des plaintes de la part du petit peuple mais dont les grands gagnants étaient les nantis : les impôts. Ainsi

On crée toujours des impôts nouveaux, remarqua Aimée. Pourquoi n'en supprime-t-on pas ?

Ah ! Ma mie, dans le cas où le contrôleur général parlerait de supprimer un impôt, soyez assurée qu'il aurait projet deux ou trois autres.

Plus loin :

Encore une taxe ! Mais quel est ce royaume où l'on estime que tout problème doit être réglé par une taxe !

On sent poindre sous les récriminations et les plaintes des Parisiens la Révolution, alimentée en cela par l'aversion envers la Reine, son "amitié" avec le Suédois Fersen, et surtout les frasques de nombreux nobles. Mais si Nicolas Le Foch et ses compères regrettent cet état de fait, la pénurie notamment, ils ne se privent pas pour autant et participent à de somptueux repas roboratifs décrits complaisamment par l'auteur.

Je regrette toutefois que Jean-François Parrot n'applique pas à lui-même cette phrase : Nicolas rendit compte avec cette capacité rigoureuse d'aller à l'essentiel. A mon avis il y a un peu trop de délayage et enlever le surplus de gras eut été le bienvenu. Mais évidemment ce n'est que mon avis que tous les lecteurs ne partageront certainement pas.

 

Jean-François PAROT : La pyramide de glace. Les enquêtes de Nicolas Le Floch. Editions Jean-Claude Lattès. Parution le 1er octobre 2014. 480 pages. 19,00€.

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11 janvier 2015 7 11 /01 /janvier /2015 13:58

...est moins sympa que la voisine d'à côté !

Joseph FARNEL : Le voisin du dessus.

Depuis leur première rencontre, le jour de son installation dans l'immeuble, Georges Lernaf n'a jamais vraiment apprécié ce voisin qui habite à l'étage au dessus de son appartement.

Octogénaire, François Saler est un homme sec, élancé, impassible, maniaque, possédant ses habitudes, affichant un air de condescendance attristée, peu aimable et dédaignant toutes relations même de voisinage. La seule personne qui accède à son appartement est la concierge, laquelle procède au ménage quelques heures par semaine, tout comme chez Lernaf d'ailleurs. Il a un fils, la cinquantaine, antithèse du père physiquement et à l'abord aimable. Selon la bignole, évidemment.

Sa voisine de palier, elle, possède tous les charmes, les atours et les atouts pour attirer son attention. Elodie est masseuse et ses clients n'ont apparemment pas à se plaindre de ses manipulations, car ils repartent enchantés, et la bourse plus vide qu'en arrivant. Je voulais dire le portefeuille, mais vous m'avez compris. Elle est souvent en combinaison de travail, petite tenue affriolante, ou nuisette entrebâillée sur ses appas et ses appâts.

Ce jour-là, alors que Lernaf s'apprête à descendre l'escalier comme s'il était pressé, il se retrouve nez à nez avec une apparition à couper le souffle, lui qui l'a déjà court. Cette délicieuse quadragénaire aux mensurations prometteuses se prénomme Nathalie, et outre qu'elle est une amie d'Elodie, elle venait précisément le rencontrer pour lui proposer une petite affaire. Une enquête si vous préférez. Et elle ne manque pas d'arguments traduits en bons billets de banque qui rejoignent illico le tiroir du bureau de Lernaf, celui-ci préférant garder par devers lui l'argent plutôt que de le confier à son banquier qui, il le sait, l'engloutirait aussitôt pour combler son trou bancaire.

Nathalie est persuadée connaître le voisin du dessus qui vient de les croiser. En fouillant dans sa mémoire, tout revient. Une vingtaine d'années auparavant, alors qu'elle travaillait dans un réseau de call-girls, sa patronne l'avait envoyée dans une soirée spéciale. Etaient présents à cette petite sauterie Français et Allemands. Et François Saler, qui à l'époque s'appelait Franz Schwanz, avait voulu jouer à la cravache avec elle. Nathalie ne s'était pas laissée faire et c'était elle qui avait fouetté l'homme complètement bourré. Elle avait perdu sa place mais pas la face. Lernaf avait un peu raison quand il avait catalogué son voisin comme un vieux collabo avec sa dégaine de pète-sec, béret et parapluie en guise d'accessoires. Il s'était tout simplement trompé de nationalité et Saler/Schwanz était un ancien nazi.

Le problème qui amène Nathalie à demander l'aide de Lernaf réside à la suite des mésaventures de la jeune femme. Virée donc, elle est présentée à un homme qui devient son amant avant d'être arrêté pour le braquage d'une bijouterie qui tourne mal. Ensuite elle fait la connaissance d'un autre homme, marié, qui la met enceinte mais meurt dans un accident d'automobile. Nathalie se retrouve une fois encore seule avec une gamine âgée aujourd'hui de huit ans. Heureusement l'homme, prévoyant et riche, avait assuré l'avenir de sa maîtresse et de sa fille et Nathalie n'est pas vraiment dans le besoin. Seulement, si elle a envoyé quelques mandats à son ex julot au début de son incarcération, peu à peu elle a tourné la page, mais il se manifeste à nouveau. Il se nomme Pierrot le Dingue, a longuement eu les honneurs des journaux et il vient d'être libéré, assigné à résidence en Bretagne. Et il est bien décidé à récupérer beaucoup d'argent. D'autant que Pierrot le Dingue était impliqué dans deux braquages de bijouteries, qu'il avait chargé un complice d'apporter le magot à Nathalie, mais qu'elle ne les avait jamais vu, ni le complice ni le magot.

 

Commence alors une enquête qui va mener Lernaf dans une combinaison familiale quelque peu complexe. En effet Nathalie et Elodie sont cousines mais d'autres membres plus ou moins proches de la famille gravitent autour de cette affaire alambiquée. Surtout que lorsque le lendemain matin Lernaf sort péniblement d'un sommeil profond engendré par une soirée alcoolisée. Le barouf qu'il entend à la porte n'est que le résultat des coups de poings assenés par son ami le commissaire Emile Dujardin et appuyés par sa voix de stentor. Le voisin du dessus est mort, pas de vieillesse mais d'une balle en plein front. Et dans la chambre de ce brave homme sont disposées des armes et des reliques nazies. Lernaf en profite pour demander à Dujardin de lui rendre un petit service, pas grand chose, juste localiser Pierrot le Dingue.

Si tout était facile, il n'y aurait plus besoin de détectives privés, de commissaires de police, de concierges même ou de masseuses gentillettes. Mais comme nous sommes dans un roman, l'auteur s'amuse à compliquer les situations, pour le plus grand plaisir des lecteurs, et de faire passer le goût amer de certaines situations à l'aide de grands verres de pastis, de whisky, et autres alcools qui réjouissent les papilles mais emberlificotent parfois les neurones. Exemple de situation compliquée, Nathalie, la pulpeuse Nathalie, la Vénus non démembrée, n'est autre que la fille de François Saler alias Franz Schwanz ! Elle a eu chaud lors de sa rencontre avortée vingt ans auparavant !

Dire qu'il y a des réminiscences de San-Antonio dans ce roman serait un euphémisme. Il existe de grandes ressemblances, physiques notamment entre Dujardin et Bérurier et leur goût pour la nourriture. Lernaf lui lorgne du côté du commissaire San-Antonio, avec cette attirance qu'exercent sur lui les femmes. Et puis cet humour quasi permanent, avec toutefois des passages très sombres. Mais là s'arrête la comparaison du double de Frédéric Dard, car Joseph Farnel fait du Farnel et il le fait bien. Ce n'est pas du prêt à porter mais de la haute couture.

Joseph FARNEL : Le voisin du dessus. Editions Pascal Galodé. collection Poche. Première édition Editions SAFED - 2004. Parution le 29 septembre 2014. 232 pages. 9,90€.

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10 janvier 2015 6 10 /01 /janvier /2015 13:52

Moi je ne doute pas de mon âge. Quoique, parfois, j’ai l’impression d’avoir trente ou quarante ans de moins. Dans quelles circonstances, vous me permettrez de ne pas le préciser.

Andrea CAMILLERI : L’âge du doute.

La journée commence mal pour le commissaire Montalbano. D’abord il a rêvé qu’il était mort et qu’il assistait aux préparatifs de son enterrement. Ensuite, alors qu’il se rend à son bureau à Vigata, son véhicule est immobilisé, coincé entre deux autres voitures. Il tombe des trombes d’eau et se rendant aux renseignements il rend compte que la voie a cédé sous les caprices météorologiques. La chaussée est coupée par un mini précipice. Le véhicule de tête est sur le point de plonger dans le creux et il aide la conductrice à se dépatouiller.

Vanna Digiulio, la jeune personne en question, est âgée d’à peine trente ans. Ses lunettes en cul de bouteille lui donnent l’air d’un scaphandrier perdu dans un bathyscaphe. Pas vraiment jolie, mais comme elle semble en perdition, Montalbano la prend sous son aile tutélaire. Il l’emmène chez lui afin qu’elle puisse enfiler des vêtements secs, Livia, l’éternelle fiancée de Montalbano habitant sur le continent, disposant d’une garde-robe de rechange. Vanna, qui dit résider à Palerme, se rendait au port, ayant appris que sa tante qui voyage à longueur d’années à bord d’un bateau doit y faire escale.

 

Petit exercice de style afin que le lecteur entre dans l’univers linguistique de Montalbano par Camilleri interposé.

Il areçoit ‘n appel tiliphonique de l’acapitainerie annonçant que l’Havanna vient de signaler qu’il entre au port avec un naufragé à son bord. Enfin, pas lui pirsonnellement en pirsonne mais l’un de ses adjoints qui a une forte propension à déformer les noms propres. Le Vanna a donc arepêché un cadavre gisant dans ‘n canot.

 

Fin de la récréation, et reprenons notre présentation.

Madame Giovannini, propriétaire du yacht le Vanna, est tout étonnée lorsque Montalbano lui parle de sa nièce. Le commandant Sperli itou, mais ils prennent avec philosophie l’annonce. Le cadavre n’est pas mort noyé et l’assassin, ou les assassins, l’ont défiguré avant de le placer dans un canot. Un autre yacht entre dans le port, L’As de cœur, qui s’amarre bord à bord au Vanna. Intrigué par cette histoire de nièce, Montalbano téléphone au numéro indiqué sur l’annuaire et est tout étonné d’apprendre que la dame en question femme est décédée depuis des années.

Le cadavre devait bien demeurer sur l’île, pense-t-il, du moins depuis un certain moment. Et c’est ainsi que le propriétaire d’un hôtel luxueux lui apprend qu’en effet il y avait bien un pensionnaire qui n’a pas donné signe de vie depuis quelques jours. Une ébauche de piste surtout lorsqu’il met la main sur un passeport au nom de Lannec, passeport qui après un examen attentif semble un vrai faux papier d’identité.

Au-delà de l’intrigue, de facture somme toute classique et qui nous change un peu de la production policière actuelle, c’est le rôle dévolu à Salvo Montalbano dans cette histoire qui retient l’attention du lecteur. Osons l’écrire, ce sont les à-côtés qui donnent une dimension humaine à cette fiction, avec les bons moments, l’humour efficace, mais aussi les affaires de cœur dans lesquels il se trouve plongé ou encore la dramaturgie élaborée par l’auteur. Il est attiré par Laura, lieutenant à la capitainerie, un sentiment réciproque, mais combattu par l’un et l’autre.

Les petites tracasseries administratives auxquelles Montalbano est confronté et avec lesquelles il se dépatouille tant bien que mal tiennent aussi une place non négligeable. Sous l’impulsion de la pluie qui s’infiltre dans son bureau, ses dossiers sont trempés, bons à jeter à la corbeille. Et comme tout n’est pas mouillé, il en humidifie le reste afin d’en être débarrassé. Ce qui l’oblige à trouver des échappatoires lorsque le questeur lui demande de les reconstituer. Ou encore lorsque celui-ci, qui est persuadé à tort que Montalbano est marié et possède des enfants, lui demande des nouvelles de sa progéniture. Il joue avec cette méprise, quitte à inventer des imbroglios, des tragédies familiales.

Enfin Montalbano est un grand lecteur, surtout de Simenon, et c’est en se souvenant d’une de ses lectures, Les Pitards, qu’il met le doigt sur le défaut de la cuirasse.

Serge Quadruppani traduit depuis de longues années les romans de Camilleri, respectant autant qu’il peut l’écrit dans la forme et le fond. Certains lecteurs sont agacés par cette démarche, personnellement je trouve cette langue savoureuse. J’ai essayé d’en pasticher un petit paragraphe, mais cela ne reflète que grossièrement le texte du roman. La traduction de Serge Quadruppani est beaucoup plus subtile et aérée.

Dernière petite précision concernant le parler sicilien. Il ne faut pas oublier que les Normands se sont installés en Sicile au XIème siècle, principalement avec l’arrivée de Robert Guiscard, fils de Tancrède de Hauteville, petit seigneur de la région de Coutances. Et j’ai retrouvé certaines similitudes avec le parler normand, principalement celui de la Haute Normandie. En effet, mais peut-être n’est-ce guère plus employé aujourd’hui, les Hauts Normands avaient pour habitude d’ajouter des A au début de certains mots. D’ailleurs, il était courant de dire qu’on était d’Arouen, le pays des Aremorqueurs (on était de Rouen le pays des remorqueurs). Et donc il ne serait pas absurde de penser qu’il reste des traces linguistes de l’implantation normande en Sicile.

Andrea CAMILLERI : L’âge du doute.

Andrea CAMILLERI : L’âge du doute. (L’éta del dubbio - 2008. Traduction de Serge Quadruppani). Première édition Editions Fleuve Noir. Réédition Pocket. Parution le 8 janvier 2015. 264 pages. 6,80€.

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9 janvier 2015 5 09 /01 /janvier /2015 13:18

Hélas... !

Malcolm MACKAY : Ne reste que la violence

Lorsqu'il sort de son bureau, sa journée terminée, Richard Hardy, comptable sans histoire apparemment mais qui monnaie ses services auprès de truands afin de falsifier leur comptabilité, est abordé sur le parking par deux hommes. L'un d'eux se présente comme l'inspecteur Lawrence Mullen et lui demande de les accompagner au commissariat afin de répondre à quelques questions concernant l'un de ses clients.

En réalité Mullen n'est autre que Calum MacLean, tueur à gages de Jamieson, truand qui a la haute main sur la voyoucratie locale et les différents trafics. Hardy, avant d'embarquer dans le véhicule de Mullen, avait déjà ouvert la portière de sa voiture. Il balance son téléphone portable à l'intérieur, ferme les portières et en avant. Hardy petit ! Seulement le chemin emprunté par les deux hommes lui semble bien long et ne pas se diriger directement vers le commissariat. Effectivement arrivé dans une zone isolée, il est abattu par Mullen, lequel ne fait pas demi-mesure puisque le tueur se débarrasse également son coéquipier Kenny. Auparavant il a chargé celui-ci de creuser un trou et les deux corps sont balancés dedans.

Calum MacLean est bien décidé à ce que ce travail soit le dernier qu'il ait à effectuer et il prépare son départ avec l'aide de William, son grand-frère, lequel a des accointances pour lui fournir de nouveaux papiers d'identité et peut l'aider à passer à l'étranger en l'emmenant à l'aéroport d'Edinbourg.

Jamieson s'inquiète de la concurrence et de la montée en puissance que représente Shug Francis. Francis est propriétaire d'un réseau de voitures et de garage, couverture officielle, mais qui en réalité recèle un trafic de voitures volées. Une petite entreprise qui marche bien grâce à son associé Fizzy Waters. Francis veut s'allier avec MacArthur pour se débarrasser de Jamieson, avec l'aide de Greig, policier qui mange à tous les râteliers, et éventuellement de Fizzy en lequel il n'a plus guère confiance.

Mais comme toujours dans ces cas là, les rouages se grippent et l'élément perturbateur se nomme Deana. Deana est la compagne de Kenny, le chauffeur complice dans l'enlèvement de Hardy et abattu par Calum MacLean. Jamieson n'avait plus confiance en Kenny qu'il jugeait peu fiable. Deana contacte donc Fisher, un policier qui prend au départ la disparition de Richard Hardy comme une blague. Seulement sur le parking où est garée la voiture du comptable, force lui est de constater que quelque chose cloche : il téléphone sur le portable de Hardy et entend la sonnerie à l'intérieur du véhicule. Alors il entreprend une visite dans les locaux du comptable et épluche les dossiers, dont un au nom de Shug Francis. Seulement il faut compter avec les fuites qui brouillent l'enquête, au grand dam de Fisher.

 

Troisième et dernier volet des aventures de Calum MacLean, Ne reste que la violence sent le réchauffé. Si Il faut tuer Lewis Winter et Comment tirer sa révérence étaient fort et âpre comme un whisky tourbeux écossais et pétillant comme une Scottish Ales, une bière brune caractéristique des Highlands. Mais cette fois, la magie n'a pas fonctionné, et ce roman manque de pétillant, avec même une impression d'éventé. Pourtant les phrases sont toujours sèches, épurées, avec un mélange de narration à la troisième personne et de déclinaisons de pensées à la première personne. Mais il existe un aspect répétitif, aussi bien dans la narration, la même phrase étant triturée afin de dire la même chose mais différemment dans le même paragraphe, que dans cette confrontation entre policiers et malfrats, entre gangs eux-mêmes, reliée par un trait d'union qui est le policier véreux. Noir, certes, dénué d'humour, mais un peu trop dilué dans l'aspect descriptif et l'analyse. Dommage. Ne reste que la violence des mots mais pas le plaisir ressenti avec les deux premiers volumes. Heureusement chaque titre peut se lire séparément.

Vous pouvez également, et je vous le conseille fortement, prendre connaissance des chroniques de deux amis blogueurs qui ne partagent pas forcément mon opinion, et c'est heureux :

Malcolm MACKAY : Ne reste que la violence (The Sudden Arrival of Violence - 2014. Traduction de Fanchita Gonzales Batlle). Editions Liana Levi. Parution le 2 octobre 2014. 320 pages. 19,00€.

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7 janvier 2015 3 07 /01 /janvier /2015 13:40

Il est fort, Knox !

William Patrick MAYNARD : Le destin de Fu Manchu.

Pour paraphraser la publicité d'un célèbre magasin parisien dans les années soixante-dix, il se passe toujours quelque chose dans ce roman. Et cette affirmation est justifiée !

Surchargé de travail, le docteur Petrie est obligé de rester au Caire tandis que Kara, sa femme, Greba, son infirmière et le fiancé de celle-ci Spiridon Simos, un archéologue, sont partis pour Corfou. La cérémonie de mariage entre Spiridon et Greba doit être célébrée sur l'île grecque. Petrie pense à tous les événements qui se sont déroulés durant les années précédentes, la lutte contre Fu-Manchu en compagnie de Nayland Smith, qu'il ne voit plus que de loin en loin. Il est dérangé dans ses rêveries par l'intrusion de trois Dacoits qui l'enlèvent. Lorsqu'il se réveille, après avoir été assommé en bonne et due forme, il se retrouve en présence de...

Pendant ce temps, à Corfou, le professeur Michael Knox, l'assistant de Spiridon, participe au repas dînatoire en compagnie de son maître et des deux jeunes femmes. Il doit diriger les fouilles à Louxor tandis que Spiridon et Greba partiront en voyage de noces. Infatué, il fait la cour à la belle Kara, tout en sachant que celle-ci est mariée, mais elle le rabroue avec tact. De retour à leur hôtel Kara vient de recevoir un télégramme l'avertissant que son mari a été enlevé. La seule solution qui se présente à son esprit est de demander à Nayland Smith de l'aider.

Il est l'heure de se coucher mais pas question de batifoler avant le mariage. Pas de corps fous à Corfou ! Aussi près un petit bisou, Greba intègre sa chambre et Spiridon en profite pour discuter avec Knox. Knox se plaint de Sir Lionel Barton un ami de Nayland Smith, auquel il ne fait pas confiance et qui doit déjà être sur place à Louxor. Il faut dire que Knox a ingurgité un peu trop d'alcool, et rentré dans sa chambre, il pense à Kara. Alors il se lève, s'introduit dans la pièce de la belle et... Elle n'est pas là ! C'est Spiridon qui l'accueille, une arme à la main. Spiridon est manifestement en colère et Knox se laisse enfermé dans un placard. Nouvel arrivant, un nommé Neapolis. Dans son réduit, Knox peut entrevoir les deux hommes mais surtout entendre la conversation au cours de laquelle il est question du Si-Fan, de Notre-Dame du Si-Fan, et autres objets de discussions qui enveniment l'ambiance. Neapolis parti, Spiridon anxieux libère Knox et lui offre deux possibilités : oublier l'incident et continuer son petit bonhomme de chemin ou se montrer imprudent. Knox pense à sa peau, se montre lâche selon l'opinion de Spiridon et peut regagner sa chambre. Et c'est à partir de ce moment que tous les ennuis vont lui tomber dessus comme une avalanche, l'obligeant à fuir et se rendre en plusieurs pays.

William Patrick MAYNARD : Le destin de Fu Manchu.

Il est réveillé par des cris horribles. Spiridon vient d'être grièvement blessé à l'aide d'un Shuriken. C'est ce que lui apprend Neapolis et paniqué Knox s'enfuit. Il parvient à échapper à ses poursuivants et monte dans l'Orient-Express. Il pense enfin être tranquille mais une jeune femme s'installe dans son compartiment. Elle se présente, Helga Graumann, et commence à s'intéresser à lui, lui posant des questions et fumant une cigarette à l'arôme très particulier. Sans s'en apercevoir il s'endort, fait un rêve merveilleux et sans s'en rendre compte détaillet sa vie, son œuvre, ses fouilles Louxouriantes à Helga et lorsqu'il se réveille, il est seul dans le compartiment. Déambulant dans le couloir afin de satisfaire un besoin naturel il se heurte à une gamine qui dit se prénommer Margarita et l'emmène dans son compartiment, à la recherche de sa mère, qui n'est autre que Helga Graumann, laquelle déclare ne pas le connaître. Margarita se transforme en vilain petit être, en nabot grimaçant, qui veut absolument lui enfoncer une aiguille empoisonnée. Knox court, grimpe sur le toit du wagon sur lequel un individu arrivé par autogire le récupère.

Il s'agit de Nayland Smith qui lui apprend que Helga Graumann s'appelle aussi, selon les jours et les circonstances, Koreani ou Fah lo Suee et est la fille de Fu-Manchu. Bon sang ne saurait mentir !

Les aventures et mésaventures de Knox vont s'enchaîner sur un rythme infernal, retrouvant sa sœur, brillante zoologiste installée en Abyssinie, se frottant à un gorille appelé Monkey et à l'aspect vindicatif, puis toujours en compagnie de Nayland Smith se retrouvera à Munich, lors de la fameuse conférence de septembre 1938, conférence à laquelle participent Daladier et Chamberlain d'un côté, Hitler et ses séides de l'autre. Avec le résultat que l'on connait. Episode qui est passé inaperçu de la plupart des historiens, c'est le lâcher de papillons semant la mort dans la cité bavaroise.

 

Sans vouloir faire un mauvais jeu de mots, si quand même un peu, cette histoire mettant en scène le fameux Chinois Fu-Manchu est totalement débridée. Et William Patrick Maynard profite de l'absence de réglementation de la vitesse pour dérouler son intrigue à fond les gamelles. Et des gamelles nos héros ne vont pas manquer d'en rencontrer au cours de leurs périples transportant les protagonistes, et les lecteurs, de Grèce en Egypte à la recherche de la chambre mortuaire d'une reine égyptienne, d'Abyssinie en Europe, avec en toile de fond les prémices de la Seconde Guerre Mondiale.

Si le docteur Petrie n'apparait que fugitivement dans ce roman, le rôle principal est dévolu à un nouvel héros, le professeur Knox. Mais tous deux narrent l'histoire à la première personne du singulier. Knox ne se présente pas à son avantage au début du récit. C'est un individu poseur, vaniteux, superficiel, quelque peu lâche, qui n'hésite pas à draguer les femmes mariées et à déclarer à un chauffeur de taxi : Les femmes, vois-tu, sont comme des taxis. Il y en a beaucoup à prendre, et les meilleurs sont ceux qui font les trajets le plus rapidement.

Mais les événements vont l'obliger à se transcender, aidé toutefois par Nayland Smith et de plus au fur et à mesure du déroulement du récit le lecteur en apprend un peu plus sur Knox, sa sœur, et les failles qui ont marqué leur jeunesse.

 

L'antagonisme en Nayland Smith et Fu-Manchu est toujours vivace et les agissements du maître du Si-Fan toujours aussi délétères. Mais le rôle de sa fille, quelque soit le nom dont elle s'affuble selon les circonstances, n'est pas négligeable non plus. Elle fait une leçon de comportement envers Knox, justifiant ses actes ainsi : Il n'y a pas de loi à suivre, ni celle du bien ni celle du mal. Vous autres occidentaux, vous êtes tellement rigides dans votre manière de penser qu'il est bien surprenant que votre civilisation n'ait pas déjà été anéantie, emportée par votre incapacité à vous adapter aux constants mouvements de notre monde.

Ce sera le mot de la fin, ou presque. Fu-Manchu se fait vieux et il n'est pas impossible que l'on retrouve sa fille et le professeur Knox, avec toujours en héros récurrent Nayland Smith, dans de nouvelles aventures.

 

William Patrick MAYNARD : Le destin de Fu Manchu. Traduction de Martine Blond. Collection Noire N°66. Parution 2014. 336 pages. 20,00€.

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3 janvier 2015 6 03 /01 /janvier /2015 10:39

Et elle l'a bien fait... !

Franz BARTELT : La bonne a tout fait.

Un fait-divers caché parmi tant d'autres dans le journal, et Gérard, le bistrotier du restaurant Au Pied de Porc de la Sainte-Scolasse tente par tous les miens d'attirer l'attention de son ami Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe, connaissant son appétence pour les histoires délicates, et même indélicates.

Et tout ça à cause d'une petite phrase dans son horoscope du jour. On a beau ne pas y croire, des phrases ambigües comme celle qu'il vient de lire, cela attise la curiosité : Attention, sans le savoir, vous avez mis le doigt sur une affaire qui pourrait avoir des répercussions tragiques sur la vie d'un certain nombre de personnes. Or en tournant la page, au même endroit où il avait posé son doigt, il peut lire l'article suivant : Nouvelles disparitions dans un village de l'Ardenne. Suit un descriptif de ces étranges disparitions qui englobent veaux, vache, mouton, un barbecue, un anorak (neuf), six pantalons, trois paires de bottes en caoutchouc, des ballots de paille et de foin. Plus une femme, le tout dans le petit village de Painrupt.

Gabriel balaie d'un revers de main cet article, arguant qu'après tout si mystère il y a, ce n'est pas à lui de se pencher dessus. Les mois passent, un deuxième enlèvement, ou disparition, est signalé, mais quelques temps plus tard, troisième signalisation d'évanouissement dans la nature. Plus quelques animaux qui ont préféré aller brouter ailleurs. Comme depuis plus d'un an un certain Versus Bellum l'inonde de lettres dénonçant le meurtre de l'épouse d'un nommé Alfred Bermont, riche forestier de la région de Painrupt, lequel serait l'assassin avec la complicité de sa bonne entrée à son service vingt ans auparavant à l'âge de seize ans, il n'en faut guère plus pour convaincre Gabriel à visiter l'Ardenne.

Comme Versus Bellum se réclame de son ami Pedro, et se présente comme un anar pur et dur, Le Poulpe se rend sur place, persuadé qu'il ne tirera pas grand chose de cette affaire, mais qui au moins aura l'avantage de l'occuper.

Le cadavre de Madame Bermont, plus âgée que son mari de quelques décennies, avait été retrouvé sur une décharge, non loin du Grand Duché du Luxembourg. C'est ce que Le Poulpe apprend par Versus Bellum, une espèce de lutin, qui l'accueille à sa descente de car par un Salut et fraternité, écrasons l'infâme, à bas la calotte, vive l'anarchie, j'en passe et des plus raides. En chemin puis chez lui, Versus Bellum raconte à Gabriel tout ce qu'il sait et même plus lui demandant de rencontrer Bermont et sa bonne, et si possible de les faire parler. Pour cela il a une idée : Gabriel va prendre l'identité d'Amadeo Pozzi, devant négocier l'achat de l'exploitation forestière dont Bermont cherche à se débarrasser.

Et c'est ainsi que, vêtu en truand de la belle époque, au volant d'un véhicule rose, au poignet une montre énorme que si tu la possèdes pas à cinquante ans t'as pas réussi, Gabriel devenu Amadeo Pozzi arrive à midi pile devant chez Bermont dans le petit village de Bollerval. Les premiers échanges entre les deux hommes est plutôt vindicatif et acrimonieux, Amadeo Pozzi jouant son rôle comme s'il était sociétaire de la Comédie Française, mais après avoir englouti quelques bouteilles le ton devient plus amène. Comme il n'aime pas le vin, Gabriel Amadeo avance une incompatibilité religieuse : il est Mormon, et seule la bière ne lui est pas interdite. La bonne prénommée Zabe, diminutif d'Elisabeth, n'est pas franchement jolie, ni aimable, d'ailleurs elle est toujours célibataire. Mais ceci ne nous regarde pas... Sauf que Gabriel Amadeo, suspicieux, se demande si des relations ancillaires n'uniraient pas Bermont et Zabe. De toute façon il aura le temps d'affiner ses recherches car Bermont lui propose de coucher sur place, le temps de régler les détails de la transaction.

 

Franz Bartelt pratique un humour à froid, pince sans rire, caustique parfois, et ce roman poulpesque nous change des inévitables aventures contre des fascistes que Gabriel Lecouvreur est amené à vivre. Au fin fond des Ardennes, dans une ambiance bucolique, Gabriel Lecouvreur est investi par son nouveau personnage. Et il se rend compte qu'Amadeo prend le pas sur Gabriel, devenant une sorte de Docteur Jekill et Mister Hyde, dans sa façon de penser et de réagir.

Et Franz Bartelt n'applique pas à la lettre la Bible du Poulpe telle qu'elle avait été édictée afin de donner une cohérence à l'ensemble. Pas de Polikarpov, pas de Cheryl, un tout petit peu de Pedro, un tout petit peu de Gérard, et beaucoup de bières. De toute façon il est encouragé par Versus Bellum :

Il faut respecter le rituel mis au point par nos anciens. On ne cause jamais avant d'avoir bu la deuxième bouteille. Jamais. Il faut le temps de s'humecter les papilles, de se décrasser les chicots, de se délier la langue. Les fondamentalistes soutiennent même qu'on ne commence à bien causer qu'en décapsulant la quatrième.

Ceux qui ont déjà goûté aux ouvrages de Franz Bartelt ne seront pas désarçonnés. Un univers légèrement décalé, et surtout une écriture, un langage savoureux, recherché, sans pour autant tomber dans le burlesque. Plutôt dans un genre baroque mais qui possède un fond social, et l'épilogue est là pour nous le prouver.

 

Franz BARTELT : La bonne a tout fait. Le Poulpe N°282. Editions Baleine. Parution Octobre 2013. 172 pages. 9,50€.

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