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4 juin 2013 2 04 /06 /juin /2013 08:47

Un Poulpe médusé et médusant !

 

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Mais que peut bien faire Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, un Poulpe complètement vaseux, à Cairns, sur la côte est de l’Australie, un endroit infesté de méduses ? Sans oublier les crocodiles qui se délectent de membres inférieurs placés à leur proximité.

Le départ de cette aventure se situe au Pied de porc de la Sainte Scollasse, le bar attitré du Poulpe. Gérard le patron lui fait lire un entrefilet dans le journal relatant les malheurs de Me Pinard, un habitué du lieu, avocat de profession, spécialiste des affaires internationales, et dont le corps est retrouvé en partie à Cairns, alors qu’il devait exercer ses fonctions à Perth, sur la côte ouest australienne, soit à 4 000 kilomètres de son lieu occasionnel de résidence. Ne subsistaient que quelques reliques appartenant à ses membres inférieurs sur la plage et un couvre-chef.

Pinard, qui soit dit en passant ne buvait jamais de vin en dégustant ses pieds de porc amoureusement mitonnés par la femme du bistrotier, passait volontiers ses vacances en Australie et avait accepté de s’occuper d’une affaire d’héritage assez compliquée et spécieuse, selon certains membres de la famille qui réfutent les droits de l’héritière présumée. Comme Gabriel est en mode pause avec Chéryl, et que rien de spécial ne le retient à Paris, il décide de se rendre aux antipodes.

De Perth à Cairns en passant par Sidney il mène son enquête sur la mort de Pinard, interrogeant les membres de la famille de Bingo Cockburn, aujourd’hui décédé et qui avait construit sa fortune dans l’exploitation de gisements de minerai. Il avait eu de nombreux enfants hors mariage, dont Zelda qui aujourd’hui réclame une part du gâteau afin de construire des établissements pour enfants déshérités. Mais la seconde épouse de Cockburn, et sa descendance officielle ne veulent pas en entendre parler.

Grâce à Chéryl avec qui il correspond par mail et un apprenti de la coiffeuse, Anthony, qui a bien connu Pinard, Gabriel possède des renseignements qu’il exploite. D’abord auprès d’une drag-queen, Dolly, et d’autres personnages dont Cattrioni, un officier de police avec lequel il sympathise. Et oui tout arrive ! Mais cela ne va pas sans coups durs et Gabriel manque de laisser sa peau dans cette affaire. Heureusement il trouve aussi quelques compensations, notamment dans la dégustation, parfois immodérée, de bières locales aussi surprenantes les unes que les autres. Et pour mener à bien sa mission, il proposera même à un gérant de club de jouer pour une soirée au transformiste, enfilant pour cette occasion la dégaine de Lady Gaga.

 

Cet épisode du Poulpe vaut surtout par le côté exotique et par la description sans complaisance des mœurs australiennes, la ségrégation entre aborigènes et descendants de pionniers. Par certains moments je n’ai pu m’empêcher de penser à Chat sauvage en chute libre de Mudrooroo. Et si Gabriel enquête dans les communautés gays, et sympathise avec quelques-uns d’entre eux, ou établit une relation constructive avec un évêque de Geraldton, ville située non loin de Perth et dans laquelle vivent de nombreux défavorisés, le trait n’est pas appuyé, ni dans un sens ni dans l’autre. Un roman plaisant à lire, dépaysant et qui nous montre un Poulpe dans un cadre inhabituel.


Hervé CLAUDE : Mort d’un papy voyageur. Le Poulpe 271. Editions Baleine. Novembre 2010. 9€.

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3 juin 2013 1 03 /06 /juin /2013 13:35

On voit la paille qui est dans l’œil du voisin mais pas la poutre qui est dans le sien.

 

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C’est ce qu’aurait pu rétorquer Zoya à Mikhaïl Ivanov, l’un des accompagnateurs de la délégation russe composée d’étudiants, venue donner un concert pour la Paix et le rapprochement entre l’URSS et les USA. Alors qu’elle regarde dans sa chambre d’hôtel les programmes télévisés, des dessins animés, Ivanov, jeune agent de la propagande communiste émargeant au Service A, vitupère, lui affirmant que les émissions télévisées ne servent qu’à abrutir les citoyens. Ce n’est pas un simple divertissement, mais une arme essentielle pour se maintenir au pouvoir. On laisse les gens s’évader devant des programmes débiles pour les empêcher de se poser des questions gênantes. Oui, il oublie aussi qu’en URSS la propagande sévit. Sa mission a pour objectif de convaincre les Américains de la supériorité du communisme sur le capitalisme, d’attirer leur attention sur les inégalités inhérentes au système capitaliste et de promouvoir le communisme autrement que par la force ou l’intimidation. Et pour cela il va utiliser Elena, la jeune sœur de dix-sept ans de Zoya, pour convaincre un ancien chanteur noir américain de sortir de sa retraite.

Mais transportons-nous le 21 janvier 1950, à Moscou, place de la Loubianka, au siège de la MGB, ancêtre du KGB. Leo Demidov, vingt-sept ans, ancien militaire couvert de médailles, apprend à Grigori, l’un de ses élèves, à lire entre les lignes un journal intime, à rechercher les sous-entendus cachés, afin de démontrer que le scripteur voulait écrire autre chose que ce qu’il a noté. C’est ainsi qu’il repère des failles ou qu’il interprète à sa façon quelques lignes dans le journal intime d’une jeune femme qui est l’objet d’une enquête de routine. Puis alors que Grigori avait placé le dossier en bas d’une pile, il le place en évidence afin qu’il soit traité en priorité. Il ne sait pas trop pourquoi il agit ainsi, peut-être parce qu’il s’est rendu compté que Grigori était tombé amoureux de la suspecte. Mais une autre tâche l’attend. Il doit accompagner Jesse Austin, chanteur noir américain, acquis à la cause communiste, célèbre aux USA par ses prises de position et ses déclarations lors de ses concerts.

Austin doit aussi participer à un spectacle et tout doit être fait afin que tout se passe bien durant son séjour de deux jours. Un seul mot d’ordre : garantir l’attachement d’Austin aux idées du parti. Il l’emmène donc dans des endroits soigneusement choisis afin de lui montrer le bon côté du communisme et le conforter dans son opinion politique. Il est logé dans un appartement de luxe, mais Jesse Austin ne l’entend pas de cette oreille, et demande à résider comme les moscovites, dans un petit logement, tout simple. Ensuite, dédaignant les grandes épiceries qu’il doit visiter, il se rend dans des petites boutiques de quartiers, alors qu’une file de clients potentiels attendent d’être éventuellement servis. Leo Demidov encourage le gérant à servir tout le monde, ce qui ravit les chalands, mais une petite grand-mère qui est l’heureuse héritière d’une boite d’œufs la fait malencontreusement tomber. La boite ne contenait en réalité que des galets, impropres bien évidemment à la consommation.

Leo, interrogé par Austin, admet avoir une petite amie, ce qui est faux. Il prétend qu’elle se nomme Lena et est enseignante. Alors puisqu’ils doivent emmener Austin dans une école, il le conduit dans un établissement où il connait vaguement une instructrice. En réalité la jeune femme se nomme Raïssa et elle accepte de jouer le jeu.

Quinze ans plus tard, Leo et Raïssa sont mariés et ont deux filles, Elena et Zoya, deux sœurs qu’ils sont adoptés trois ans après leur union. Leo a démissionné de la police secrète et est devenu le directeur d’une usine. Le train de vie n’est plus aussi confortable mais il presque en harmonie avec lui-même. Parfois les réflexes remontent à la surface, et c’est ainsi qu’il découvre sous le matelas d’Elena un carnet intime dont il a juste le temps de lire les premières lignes. Raïssa doit faire partie de la délégation qui se rend à New-York pour une série de concerts où étudiants russes et américains participeront ensembles. Jim Yates, un agent bien noté du FBI, se rend chez Jesse Austin. Le vieux chanteur et sa femme vivent d’expédiant dans un quartier délabré de Harlem. Sa carrière a brutalement dégringolé à cause de ses opinions politiques. Le FBI a lancé des rumeurs, des insinuations sur la vie privée et sexuelle du chanteur, lui brisant sa carrière. Austin avait tenté de se remettre à flot mais les salles de concerts lui étaient interdites, ses disques retirés de la vente, et les rares patrons de clubs susceptibles de l’accueillir étaient menacés de fermeture définitive en cas d’accueil.

Jim Yates veut savoir si Austin a été contacté par des agents russes à propos du concert donné en faveur de la Paix. Yates sait pertinemment que ses services ont intercepté le courrier qui lui était destiné, mais il redoute que des agents du KGB aient pu lui faire parvenir par un autre moyen leur invitation. Malgré les dénégations d’Austin et de sa femme, Yates reste méfiant. Il reste en embuscade dans la rue. C’est alors qu’il aperçoit une jeune fille, qui n’est autre qu’Elena, mais celle entre dans l’immeuble par les arrières, aidée par un commerçant du quartier. Manipulée par Ivanov, elle persuade Austin que sa présence est indispensable sur les lieux du concert.

Ce qu’elle ne sait pas, c’est que de l’autre côté de la rue, dans une pièce dont la vue donne sur celle où sont Austin et Elena, un homme les prend en photo. La prise est bonne. L’adolescente pose sa main sur le bras du vieux chanteur, et en fond de décor figure un lit aux draps froissés. Toutes les interprétations sont possibles.

Le soir du concert, devant le siège des Nations Unies, Austen est présent et juché sur une caisse il commence à haranguer la foule. C’est alors qu’un coup de feu est tiré en provenance de la foule. Elena qui était non loin du chanteur est bousculée et elle se retrouve avec une arme à feu dans la poche de sa veste. Raïssa est accusée du meurtre mais elle ne pourra jamais se défendre car elle aussi est abattue.


Ensuite nous survolons les années, et nous retrouvons Leo Demidov en 1980, à Kaboul où il réside depuis sept ans comme conseiller soviétique spécialisé dans les services secrets auprès du régime communiste afghan. Il n’a pas revu ses filles depuis des années, n’a aucune nouvelle, et il se morfond, se droguant afin d’oublier Raïssa. Mais les images de sa femme sont trop ancrées dans son esprit pour pouvoir l’effacer de sa mémoire. Il décide alors de se rendre à New-York afin de soulager sa conscience, et surtout de retrouver l’agent 6, qui serait à l’origine de la mort par ricochet de sa femme.

Tom Rob Smith montre dans cet ouvrage copieux, trop copieux même car la seconde partie, principalement celle dévolue aux pérégrinations afghanes, ralentit le bon déroulement de l’intrigue, et ne lui apportant guère plus de suspense. L’intérêt réside dans la relation effectuée par l’auteur entre les agissements du KGB et du FBI qui démontrent des similitudes dans leur accomplissement de leur mission de propagande et de répression. Ces deux agences utilisent les rumeurs, les insinuations, les fausses informations, choisissant avec rigueur ce qu’il faut montrer et ce qu’il faut cacher. La manipulation, les photos truquées, les mensonges éhontés, la répression organisée au service de l’idéologie, les menaces à l’encontre des membres de la famille, tout est bon pour casser psychiquement un opposant au régime. Ou supposé tel.


Austin fait partie des idéalistes sincères aux paupières closes, refusant de regarder la réalité en face, et des victimes de la propagande organisée, véhiculée par des partisans pas forcément intègres. Même si au cours de son voyage à Moscou il désire se plonger au cœur de la ville afin de se faire sa propre opinion. Son engagement politique est porté par l’envie de combattre la ségrégation dont sont victimes ses frères de couleur mais le FBI ne rechigne devant aucune malveillance pour briser toute velléité. Au contraire tout est fait pour le discréditer. Et plus que sur les magouilles, les manigances, les mystifications, les faux-semblants, les manipulations du KGB, l’auteur s’en prend sur celles du FBI, l’agence toute puissante aux mœurs et agissements délétères. Un roman profond, qui ne sombre pas dans l’apologie ou l’idéologie américaine au contraire, et malgré quelques longueurs se révèle une véritable étude comportementale d’un système, qu’il soit russe ou américain, destiné à asservir des citoyens. Seul l’épilogue est un peu convenu sans véritablement impressionner le lecteur qui s’attend à une telle conclusion.

 

 

Tom Rob SMITH : Agent 6 ( Agent 6 – 2011. Traduit par France Camus-Pichon). Editions Belfond, collection Belfond Noir. 526 pages. 22,50€.

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3 juin 2013 1 03 /06 /juin /2013 08:06

Un bon Point et quelques images.

 

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A quarante ans, Georges Crozat monte toujours sur le ring, affrontant de jeunes boxeurs plein d’allant et de fougue mais manquant d’un peu d’expérience. Georges, surnommé le Mur, ne va pas au tapis si facilement, il ne se couche pas. En jeu, quelques centaines d’euros dont une partie revient à Paolo, son manager soigneur. Accessoirement il est policier municipal et vit seul. Ce qui l’amène à fréquenter des péripatéticiennes, surtout une, Mireille, une Noire opulente.

Ce soir là, il a laissé son adversaire s’essouffler puis a gagné son match à l’endurance, dans une salle quasi déserte. Alors qu’il se fait soigner par Paolo, Kravine, un organisateur de combats, puis le Pakistanais, boxeur frimeur et videur, servant éventuellement d’indic, viennent le voir. Paki propose une petite affaire rémunérée cinq cents euros. Pas grand-chose, juste tabasser un mec pour une histoire de cocufiage. Malgré son dégoût Georges accepte, quoique la proximité de Roman, un flic de la Criminelle, l’indispose. Il reçoit dans sa boite aux lettres une enveloppe qui contient les billets ainsi que la photo du gars à corriger. Ce sera la première et dernière fois se promet-il, mais une deuxième affaire se présente à lui puis une troisième. Là il ne peut pas.

Il s’agit d’un vieil Arabe avec lequel il a une discussion. Son commanditaire a l’air de bien prendre cette défection et lui soumet deux autres contrats. Georges est sur les nerfs et il dépasse la mesure. Il manque d’ailleurs se faire prendre sur le fait par un témoin qui se pointe à l’improviste. Seulement les coups ont porté, trop, car l’une des victimes est retrouvée plongée dans le coma. Et là, stupeur, il apprend que les deux hommes sont des journalistes qui étaient en train d’écrire un livre ayant pour sujet une vieille affaire criminelle remontant à 1974 et mettant en cause un affilié au Front National. Alors que les autres tabassages n’avaient pas eu les honneurs d’être relatés dans les journaux. Il reprend l’entrainement qu’il avait délaissé, à sa manière, en dilettante, afin d’honorer un nouveau combat. Mais il sait sciemment ce qu’il fait, et Roman qui est dans la salle peut sourire, il ne pourra se contenter que d’esquisser un rictus lors du gong final.

1957. Pascal Vérini, vingt ans, employé au service technique d’une fonderie de Nanterre, va bientôt partir à l’armée. Il veut s’engager pour devenir marin et échapper à la traversée de la Méditerranée pour rejoindre l’Algérie qui est en proie à l’insurrection. Son père, émigré italien et communiste n’apprécie pas du tout que son fils entre à l’armée, pour lui la guerre d’Algérie n’a pas lieu d’être. Pascal a une petite amie, Christine, dont le beau-père ne goûte guère cette relation. Durant ses classes, Pascal se montre un peu trop agressif, et ce qu’il redoutait se produit. Il embarque pour l’Algérie et est affecté au secteur Rabelais, non loin d’Orléansville. Dans une DOP, détachement opérationnel de protection. La Ferme, comme a été surnommé l’ensemble de bâtiments qui sert de prison aux prisonniers rebelles. Ce n’est pas pour cela que Pascal va se faire mousser. Au contraire. Tout comme ses copains Chapel et Casta, il ne veut pas participer à ces petits amusements électriques dont se délectent quelques militaires dont Rubio, qui est né dans ce pays en rébellion. Ils sont considérés comme réfractaires, surnommés les Nons. Des supplétifs participent aux travaux d’extérieur dont Ahmed puis le Kabyle. Des Algériens dont l’attachement à la France est parfois mis en doute.

 

Si les Algériens rebelles, le FLN principalement et l’ALN, ceux qui étaient appelés les Fellaghas, ont été souvent montrés comme des terroristes et les militaires français comme des défenseurs de la nation, le manichéisme affiché se lézarde de plus en plus. La torture n’était pas l’apanage d’un camp, pourtant très longtemps, les journalistes ne jetaient l’opprobre que du côté de ceux qui désiraient acquérir leur indépendance. Il faut avouer que la Grande Muette et les hommes politiques ne pouvaient admettre que dans les rangs des militaires français, certains s’amusassent à de telles exactions. Mais depuis quelques années, les auteurs de romans noirs tentent de réhabiliter les vérités historiques.

Antonin Varenne a puisé dans la mémoire paternelle, et s’il s’agit d’un roman, on peut affirmer que certains passages sont véridiques. Le talent de l’auteur faisant le reste. Entre 1957 et 2009 (je ne sais pas pourquoi le premier chapitre indique 2008, surement une coquille, puisque les autres sont tous datés de 2009), le destin de deux hommes, qui va se catapulter, s’entrecroiser, se réunir autour d’un troisième homme, est décrit parfois d’une façon poignante. Antonin Varenne utilise une écriture saccadée, des phrases qui giclent en rafales, comme sorties d’une mitrailleuse, qui s’avère efficace et procure une émotion trouble, surtout pour ceux qui ont connu cette époque. De près ou de loin.


Citation :

T’es pas musulman ?

Non, socialiste.


Antonin VARENNE : Le Mur, le Kabyle et le Marin. (Réédition de Collection Chemins Nocturnes. Editions Viviane Hamy). Editions Points. 312 pages. 7,30€.

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2 juin 2013 7 02 /06 /juin /2013 16:35

Lorsque Oppel revisite un conte médiéval...

 

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Leroy Arthur, patron du restaurant La Table Ronde, est sur le grill, tout comme les petits propriétaires de ce centre ville de cette banlieue parisienne pas si décrépite qu'une autre. Mais les promoteurs sont goinfres, il leur faut tout, et le reste.

Alors ils achètent, grondent, parlementent, terrorisent, indemnisent, rudoient, soudoient, et finissent par obtenir gain de cause. Ils démolissent des immeubles vétustes, ou simplement vieux, pour reconstruire du neuf en plus cher, en moins beau et moins solide.

La défense s'est organisée mais au fur et à mesure des brimades, le comité s'étiole, et la mairie s'allie aux promoteurs leur fournissant papiers et gages. Une bataille dans laquelle Martin le chanteur, fils de Leroy, trouve sa partition. Sa muse, Morgane Laffay, vendeuse de fringues, adepte du joint et réconfort occasionnel du frustré de la braguette s'immisce dans l'orchestre en chouravant des papiers compromettants.

Le torchon brûle, la cacophonie règne et l'incendie couve dans les caves, sur un air de blues-rock joué à la guitare solo.

 

Oppel, dont on avait lu avec une joie ineffable Pirana Matador dans la Série Noire, nous entraîne dans une autre jungle, plus vicieuse, plus malodorante, plus saignante, celle de la ville avec ses crocodiles-promoteurs aux dents longues qui aimeraient avoir le beurre, l'argent du beurre et la laitière en prime. Par cette fable moderne Oppel apporte sa pierre à l'édifice de la mémoire du vingtième siècle, et se place parmi les artisans de la littérature noire, ceux qui ne produisent pas beaucoup mais dénoncent les imperfections, les abus d'un système.


Jean Hugues OPPEL : Brocéliande sur Marne. Rivages Noir N° 183. Mars 1999. 7,65€.

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1 juin 2013 6 01 /06 /juin /2013 13:25

Une aventure de Teddy Verano.

 

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Désœuvré, Teddy Verano se promène nuitamment dans le treizième arrondissement parisien. Il distingue dans le brouillard trois individus avançant avec difficulté. Il suppose que l’homme encadré par ses deux compagnons est sous l’emprise de la boisson. Toutefois le flair du détective le pousse à suivre les trois silhouettes. Ce qui lui permet de prêter l’oreille aux propos tenus par les deux hommes soutenant le troisième, visiblement mal en point, alors qu’ils sont sur le point de l’embarquer à bord d’un véhicule.

Il entend une partie de la conversation où il est question du « baiser de la veuve ». Sa présence est décelée et les malfrats abandonnent ce qui se révèle être un cadavre horriblement transpercé de trous, comme s’il avait été blessé par de multiples coups de poinçons.

Verano averti immédiatement son ami l’inspecteur Farnèse. Peu après la veuve du défunt lui demande d’enquêter sur le décès de son mari. Si elle s’adresse au détective plutôt qu’à la police, c’est pour une double raison. Elle désire faire de révélations pouvant compromettre l’honneur de son ex, ensuite elle pense être suivie. Pourtant elle est sûre que son mari, quoique gravitant dans un milieu quelque peu marginal, n’était ni un voyou, ni un assassin.

Verano intercepte effectivement un homme qui tente de pénétrer chez la malheureuse veuve. Il lui propose un marché : il ne le dénonce pas si le truand lui révèle l’adresse de ses employeurs. Le soir même Verano se rend sur place. Un spectacle digne du grand guignol l’attend. Il découvre le cadavre du malfrat dégoulinant de sang. Un message signifie que Reine Herson, la veuve, subira le même sort s’il ne renonce pas à son enquête. En effet la jeune femme a été enlevée et Verano aura toutes les peines du monde à la sauver des griffes des criminels et à sauvegarder sa propre peau du « baiser de la veuve ».

 

Plus qu’un roman policier, Mille et unes blessures jour dans le registre gore dont les années 80 seront si friandes. Plus que l’enquête, c’est l’effet sanguinolent qui prime, pimentant l’aspect énigmatique. Quel est ce fameux « baiser de la veuve » ?

Le cadavre ruisselait de sang. Le bruit venait d’une hémorragie qui achevait de se produire, goutte à goutte. Sous la chaise, une véritable mare rouge inondait le plancher. Teddy se rua, souleva le corps pour découvrir le visage. L’homme portait les mille et unes blessures. Un des mystérieux poinçons l’avait atteint en plein dans l’œil. Et la paupière avait été crevée du coup, si bien qu’il n’y avait plus qu’un horrible trou dans l’orbite, ruisselant d’un filet de sang.

Ces poinçons proviennent d’une machine infernale digne des supplices hérités du Moyen-âge, plus particulièrement employée par les tortionnaires allemands et connue sous le nom de Vierge de Nuremberg. Une sorte de caisson en forme de cercueil dont les parois étaient tapissées de longues pointes qui s’enfonçaient dans les corps des suppliciés.

 

Le détective de l’étrange Teddy Verano, qui traverse toute l’œuvre de Maurice Limat, semble être apparu pour la première fois dans la collection Le Petit Roman d’Aventures des éditions Ferenczi, avec notamment Le mystère des hommes-volants (1937) et Radio-Infernal (1938) passant ensuite d’une collection à l’autre, de Allo Police à Police Express puis Angoisse du Fleuve Noir.


Maurice LIMAT : Mille et une blessures. Société d’Editions Générales. Collection Police Express N°3. 1er trimestre 1945. 20 pages.

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31 mai 2013 5 31 /05 /mai /2013 11:58

Hommage à Serge Brussolo, né le 31 mai 1951.

 

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Plonger dans l’univers de Serge Brussolo, c’est s’immerger dans un monde étouffant, oppressant, envoûtant, angoissant, c’est aussi se prendre une bonne claque revigorante, façon douche écossaise. On connait les recettes de Serge Brussolo et pourtant à chaque fois il réussit le tour de force de se renouveler. Ainsi dans Ceux d’en bas, le second volet de L’Agence 13, les paradis inhabitables, il alterne réalité et imaginaire, avec sa propension à utiliser une pointe de fantastique dans une mise en scène solide n’excluant pas le côté poétique.

Mickie Katz travaille dans une agence spécialisée dans l’aménagement de terrains en parc de loisirs et de remise en forme. En réalité elle est chargée d’embellir d’anciennes scènes de crimes, afin d’effacer les atrocités commises et appâter les éventuels touristes. Sa nouvelle mission consiste en l’étude d’une proposition dans le Montana, à la limite du Canada.

Hantée par le souvenir de son père terroriste en fuite, elle vit en marge, fuyant Los Angles pour un coin de désert. Son guide, Trois Griffes, descendant d’Indiens, la met en garde. Late Encounter, l’ultime rencontre, déformation de Lake Encounter, lac de la rencontre, le lieu où ils se rendent, n’a pas bonne réputation. Ses quelques quatre cents habitants vivent quasiment en autarcie, dans un village près d’un lac et sur lequel plane une malédiction. Dans la cabane qui a été attribuée à Mickie, a séjourné Lenora, une jeune femme elle aussi décoratrice, mais son séjour s’est terminé dans le lac en chemise de nuit.

Mickie trouve, coincé entre des livres, un petit carnet sur lequel Lenora a consigné ses démêlés dans le village. Mickie aimerait en savoir un peu plus mais tous ceux auprès de qui elle se renseigne se referment, ne lâchant qu’avec regrets leurs révélations. Le shérif Pitman tient sa petite communauté d’une main de fer. Tanner Holt, ancien scénariste de télévision sur le déclin assure les programmes télévisés locaux tandis que Noah Jenson, le chargé de communication, vit depuis quelques années et semble avoir été adopté. Mais tout n’est que façade.

L’origine de ce village remonte à deux cents ans en arrière, alors que des chercheurs d’or envahissaient ce coin montagneux du Montana occupé par les indiens Kichawas. Afin d’éliminer les occupants l’un des chercheurs a employé un stratagème subtil, sans effusion de sang et sans gaspillage de munitions. Il a simplement fourni aux autochtones des couvertures ayant servi à envelopper des malades atteints de la variole. Peu après la communauté indienne était décimée. C’est l’une des légendes qui court sur cet endroit, mais ce n’est pas la seule. Un archer énigmatique arrose de trois flèches à intervalles de plus en plus serrés les habitants de Late Encounter, parfois occasionnant des dégâts corporels. Les événements mystérieux se succèdent et à chaque fois Mickie est en possession de deux versions selon ses interlocuteurs. Ceux déjà cités mais aussi Sue Rolden la veuve présumée d’un plongeur hydrographe dont la dépouille n’a jamais été retrouvée et son fils Billy Bob, ou Ron-Russo Wichita, un octogénaire qui vit dans une résidence imposante et luxueuse sur le flanc de la montagne.

Démêler le vrai du faux et le faux du vrai, deux rôles qu’endosse Mickie tout en travaillant sur le projet qui lui a été confié. Les révélations, les agissements des uns et des autres, les tragédies qui se succèdent, ses propres initiatives la conduisent dans le lac au péril de sa vie et dans une excavation secrète qui recèle beaucoup plus que ce qu’elle croyait trouver.

 

Serge Brussolo joue avec les nerfs de ses lecteurs, entretenant le suspense tout au long du récit qui se déroule sans temps mort, dans une atmosphère d’angoisse de plus en plus prégnante, et minutieusement installée dès le début de l’histoire. Si certains n’hésitent pas à le placer près de Stephen King, personnellement je trouve que son sens de l’intrigue et sa virtuosité dans le gravissement progressif de l’échelle de l’angoisse sont plus forts que chez Stephen King. En effet le maître de l’horreur américain souvent s’englue dans les premiers chapitres, l’histoire ne décollant véritablement qu’au bout d’une centaine de pages. Serge Brussolo instille dès le prologue un climat envoûtant, tout en prévenant son lecteur à plusieurs reprises, instaurant une muraille fictive entre réel et imaginé.

Ainsi page 11 il écrit : Aucun de ces romanciers de pacotille qui écrivent des romans d’horreur n’oserait inventer une chose pareille ! Plus loin, il persévère : Personne n’est assez bon pour réussir un coup pareil, sauf au cinéma ou dans les romans. Comme si ce qu’il raconte est issu d’une histoire véridique et non pas une fiction provenant d’une imagination fertile. Il n’y a que dans les romans policiers que tout s’explique à la fin, dans la réalité, des zones d’ombre demeurent, et rien ne parvient jamais à les éclairer, tous les flics le savent. Quant à Mickie, jeune femme décalée, qui aimerait avoir un enfant, en choisissant un géniteur selon son goût, ni trop fade, ni trop musclé, elle est composée de deux éléments antinomiques : Parfois j’aurais voulu être une ménagère modèle vivant dans un joli pavillon d’une banlieue du Connecticut pour cadres huppés, parfois également, je me disais que ce genre d’expérience m’aurait rendue folle d’ennui, et que j’avais beaucoup de chance de tomber sur des cadavres chaque fois que j’ouvrais un placard. C’est bien connu, les femmes ne savent pas ce qu’elles veulent !


Serge BRUSSOLO : Ceux d’en bas. (Réédition des éditions Editions Fleuve Noir – octobre 2010). Editions Pocket novembre 2011. 320 pages. 6,70€.

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31 mai 2013 5 31 /05 /mai /2013 06:35

Le contraire d’un bon petit Diable ?

 

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Charlie Riggio n’en était pas à son premier déminage mais la bombe placée près du centre commercial était plus vicieuse qu’il y paraissait. Riggio laisse sa vie sur le terrain et l’enquête est confiée à l’inspecteur Carol Starkey qui elle-même a été sérieusement blessée trois ans auparavant. Son coéquipier, et amant, n’a pas eu la chance dont elle a bénéficié et depuis elle s’est réfugiée dans l’alcool et le tabac.

La bombe qui a coûté la vie à Riggio était télécommandée à distance, et tous les éléments dont elle (Carol Starkey, pas la bombe !) dispose concordent vers la piste d’un certain M. Rouge, spécialiste dans la fabrication de ce type d’engins et qui désire ardemment figurer sur la liste des dix hommes les plus recherchés par le FBI.

Jack Pell, un agent fédéral de l’ATF (bureau de l’Alcool, Tabac et Armes à feu) dont elle doit supporter la suffisance et les certitudes, est intiment persuadé que M. Rouge est à l’origine de cette bombe, même lorsque Carol pense autrement. Tout comme ses deux collègues, Beth et Santos alias Nibard, elle aurait préféré travailler seule, mais Pell leur a été imposé et elle ne peut se rebeller contre sa hiérarchie. S’ensuit une véritable course contre la mort et contre la montre, Carol s’attachant à une autre piste, réfutant les allégations de Pell. Elle compare les débris et note les petites divergences. Et malgré Pell et ses supérieurs, elle se tourne résolument vers une autre piste, un inconnu qui communique par mails. Engoncée dans ses souvenirs, ses peurs, ses répulsions, ses rejets, Carol s’obstine néanmoins dans cette confrontation à distance.

 

Un ange sans pitié est un pur produit made in USA, avec ces dialogues incisifs, ses multiples rebondissements, ses fausses pistes, sa montée en puissance, ses personnages entiers, son final presque apocalyptique. Un roman dans lequel la tension monte progressivement. Un roman qui prend dans ses filets le lecteur, dès les premières pages, avec évidemment un épilogue auquel on est en droit de s’attendre, mais qui réserve bien des surprises.

De Robert Crais, je n’avais lu que Prends garde au toréador paru à la Série Noire en 1988, un roman qui ne m’avait guère convaincu. Un ange sans pitié au contraire m’incite à lire d’autres ouvrages de cet auteur, édités principalement chez Belfond mais aussi au Seuil.

 

Robert CRAIS : Un ange sans pitié. (Demolition Angel – 2000. Traduction de Jacques-André Trine. Réédition des éditions Belfond collection Nuits noires 2002. Réédition Pocket Thriller N° 12012. 480 pages. 7,60€.

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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 14:07

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Le titre de ce roman-document est à mon avis quelque peu réducteur, car l’auteure nous raconte l’histoire de la Roumanie depuis le début des années 1900 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en s’attachant à présenter quelques figures juives marquantes de ce pays durant ce demi-siècle. Viviane Janouin-Benanti s’attarde longuement sur leur parcours chaotique qui les amènera à combattre le régime, l’extrême-droite, à s’engager dans le parti communiste et à défendre les ouvriers en général et leurs coreligionnaires en particulier puis, pour certains, à s’exiler en France.


Ana_Pauker.jpgEn ce temps là, les Juifs étaient méprisés, vilipendés, accusés de tous les mots. Les différents pogroms comme ceux de 1801 ou de 1897 en décimèrent une grande partie. Le gouvernement rédigea même un décret excluant les juifs de toute profession. Ils ne pouvaient accéder qu’à quelques fonctions comme banquiers, prêteurs sur gages ou s’établir dans le commerce. C’est dans cette ambiance délétère qu’Hannah Rabinsohn, fille et petite-fille de rabbin grandit à Bucarest. Les écoles gratuites d’état leur étant interdites, les juifs ne pouvaient qu’entrer dans des écoles professionnelles, dont les droits d’inscription étaient exorbitants. Et les jeunes filles sont encore plus mal loties, pourtant Hannah fait des pieds et des mains pour intégrer l’une d’elle. Son grand-père obtient qu’elle puisse entrer dans l’école de la Fraternité, mais son destin bascule lorsqu’à treize ans elle est agressée dans la rue, en compagnie de sa sœur et de deux autres camarades, par une quinzaine de garçons. Ils les traitent de Jidani, une injure durement ressentie, et frottent leurs visages avec du charbon et crachant dessus. Hannah s’évanouit et lorsqu’elle sortira de son coma, au cours duquel elle délire, elle ne sera plus la même. Elle est fiévreuse et sera longue à se remettre. Mais surtout elle a décidé qu’elle ne serait plus juive. Devenue adolescente elle contribue à la fondation du parti communiste roumain lors de la scission en 1917 du parti social-démocrate roumain. En 1922 elle est élue au Comité central. En 1921 elle épouse Marcel Pauker et ont ensemble un premier enfant, Tanio, qui ne vivra quelques mois. Une perte ont elle ne se remettra guère.

 

A Baia Sprie, petite ville située dans la région des Maramures boczov.jpgaux confins de l’Ukraine et qui est encore hongroise à l’époque, vivent les Wolf. Le père, Yaakov, est prêteur sur gage, et malgré qu’il pratique un taux d’usure peu élevé, selon lui, en comparaison à d’autres (6%), il n’est pas aimé, principalement par les paysans dont la terre appartient aux Boyards. Mais c’est lui qui est l’objet de la vindicte des fermiers. Avec sa femme Esther, ils n’ont que des filles lorsqu’enfin nait en février 1906 Ferenz, un garçon. Yaakov est rigide dans ses convictions religieuses, il ne permet aucun écart et s’il aime son fils, il ne le montre guère. Pourtant il veut absolument que son fils obtienne des diplômes afin de pouvoir accéder à une position sociale reconnue. Ferenz est attiré par les armes à feu et à quatorze ans il achète son premier fusil, malgré les interdictions de son père, sur ses propres deniers et tue un loup, ce qui est un exploit. Il est envoyé à Cluj dans un internat afin de continuer ses études, devenant interne. N’ayant pas de famille à Cluj, il faut désigner un correspondant. Le choix de Yaakov se porte sur le père d’un condisciple de Ferenz, assuré que son fils aurait de bonnes fréquentations. Gheorghe Iaicu, qui est le directeur des chemins de fer, accepte cette mission de confiance. Il aime son travail et Ferenz est subjugué par les locomotives, se rendant tous les samedis matin, après l’internat à la gare avant de rejoindre son correspondant. Il devient ami avec Mihaly, un garçon de son âge préposé à l’entretien. Il s’intéresse à la mécanique et donne son point de vue sur certains détails, la longueur de la loco par rapport à celle des wagons par exemple, détails qui lui serviront plus tard lorsqu’il sera intégré dans la Résistance en France dans les FTP-MOI. Il fait la connaissance d’Ana Pauker, et devenu communiste, ingénieur chimiste spécialisé en explosif. A trente-trois-ans, il part combattre les troupes franquistes, ralliant l’Espagne à pied, en compagnie d’amis dont Mihaly. Puisque les antisémites ne cessaient de louer Franco, il fallait aider les républicains à l’abattre. Mais avant de partir il s’est fait confectionner de faux papiers au nom de Joseph Boczov. Le pacte germano-soviétique lui est resté en travers de la gorge, tout comme à ses amis, et arrivés en France, après un passage dans le camp d’Argelès, dont ils s’évadent, ils intègrent la Résistance, dans le Groupe Manouchian, formant la 4ème brigade dite des dérailleurs.

 

olga.jpgA douze ans Golda Bancic est ouvrière dans une usine de confection de Kichinev, une ancienne ville bélarusse devenue roumaine et rebaptisée Chisinau, mais s’attire les foudres de la contremaîtresse pour une couture soi-disant mal faite. Pourtant Golda est sûre que son travail est bien fait. Le début d’une rébellion sanctionnée par des coups de bâtons sur son postérieur déculotté. Elle ne supporte pas cet avilissement et le jour de ses treize ans elle décide d’entrer au syndicat local. Elle se présente comme juive roumaine à la femme qui la reçoit. Cette femme n’est autre qu’Ana Pauker, qui impressionnée par le déterminisme de l’adolescente lui confie la mission de distribuer des tracts à la sortie de la ganterie. Golda change son prénom en Olga, ce qui lui permet de masquer son origine juive. Elle est incarcérée à plusieurs reprises, maltraitée, et devient membre actif du syndicat local. En 1938 elle part pour la France, un voyage long et périlleux, épouse Alexandre Jur, dont elle a une fille, Dolorès, qu’elle confie à une famille française et rejoindra elle aussi les FTP-MOI.

 

Contrairement aux trois personnalités présentées ci-dessus, Corneliu_Zelea_Codreanu.jpgCorneliu Zelea Codreanu est profondément antisémite, comme la plupart de ses compatriotes, et en devient le porte-drapeau. Extrêmement populaire il fonde la légion de L’Archange Michel qui deviendra Garde de fer et se réclame d’obédience chrétienne. D’ailleurs il met toujours en avant, pour justifier l’ostracisme dont il fait preuve, cette appartenance religieuse soulevant les foules. A noter que pratiquement la religion chrétienne servira de support aux exactions contre les Juifs, partout où ils sont installés, alors qu’elle devrait prôner la paix, l’amour du prochain. Mais ceci est un autre débat. Plusieurs fois arrêté, car il gêne le pouvoir royaliste, à chaque fois il est libéré sous la pression populaire en qui il incarne le sauveur. Il soulève les foules par des déclarations fascistes et anticommunistes, et devient un leader politique d’extrême-droite dont se méfie le gouvernement. D’autant que son rapprochement avec Hitler et les nazis n’est pas du tout du goût de la droite traditionnelle. Ses prises de positions engendrèrent toutefois une profonde aversion pour les Juifs, qui pour les plus riches d’entre eux en vendant actions et obligations provoquèrent une crise financière préjudiciable à la Roumanie. Des nombreux ministres seront assassinés sous ses ordres.

 

Plaque_Affiche_rouge-_19_rue_au_Maire-_Paris_3.jpgLa jeunesse d’Ana Pauker née Rabinsoh, de Jospeh Boczov alias Ferenz Wolf ainsi que celle d’Olga Bancic est longuement décrite, tout comme les événements qui secouent la Roumanie durant leur adolescence. Leur engagement dans le parti communiste dont ils attendent beaucoup, les avanies qu’ils subissent de la part du gouvernement, de l’extrême-droite, mais également des ouvriers et des paysans qui de tout temps ont jetés l’opprobre sur les Juifs, les accusant de tous les maux sont minutieusement exposés tandis que les épisodes espagnols et français pour Ferenz/Joseph et Olga ne sont qu’esquissés. Si Ana Pauker joue un rôle primordial dans le gouvernement roumain après la guerre, les deux autres trouveront la mort. Ferenz fait partie des vingt-trois résistants du groupe Manouchian fusillés au Mont Valérien le 21 février 1941.

 

Viviane Janouin-Benanti après avoir exploré les faits-divers criminels, comme La séquestrée de Poitiers, Le Chéri magnifique, Le Tueur du Paris-Mulhouse, La Serpe du Maudit et quelques autres, se tourne depuis quelques ouvrages vers le roman-document historique, comme Le double visage du docteur Karl Roos. Des ouvrages solidement documentés, qui explorent les parties peu connues de la Première ou Seconde Guerre Mondiale, se révélant poignants, émouvants, tragiques, mettant en avant des figures politiques qui tendent à s’effacer peu à peu des mémoires mais qui ont joué un rôle primordial dans la lutte pour la Liberté. Joseph Boczov et Olga Bancic font partie de ces figures de l’ombre qui luttèrent pour défendre non seulement leurs coreligionnaires, mais pensaient que leur combat ne serait pas vain. Ils étaient persuadés qu’en étant membres du parti communiste, ils œuvraient pour le bien de la Roumanie, oubliant que l’ostracisme, le ségrégationnisme, l’antisémitisme étaient trop ancrés dans les esprits et les mœurs pour être effacés du jour au lendemain. Et l’on se rend compte aujourd’hui que l’antisémitisme, malgré les déclarations des hommes politiques, pèse de plus en plus dans la vie quotidienne et occasionne troubles et attentats meurtriers.


Viviane JANOUIN-BENANTI : Au nom de la liberté. Joseph Boczov et Olga Bancic, deux de l’Affiche rouge. L’Apart éditions. 320 pages. 20€.

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29 mai 2013 3 29 /05 /mai /2013 09:45

Dans le port d’Ambernave, y’a des marins qui…

 

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Dans le port d'Ambernave la terreur règne. Un croquemitaine sévit la nuit, décimant au hasard hommes, femmes, enfants. Mais Patte Folle n'en a cure malgré les recommandations de deux policiers qui effectuent leur ronde sur les quais, parmi les entrepôts. Patte Folle doit son surnom à une claudication provoquée par un accident, lorsqu'il était docker et s'appelait encore Emile. Depuis il cuve son vin, vivant chichement d'une maigre pension, vivant dans une maison délabrée. Sa maison, seul vestige de son passé.

Des colleurs d'affiches d'une énième campagne électorale le prennent en chasse et il se réfugie dans un hangar où il découvre un géant amorphe, muet, probablement étranger, soldat ou déserteur américain. Seuls les jappements d'un chiot qu'il a adopté sortent le zombi de sa léthargie. Emile héberge l'inconnu, lui apprend les rudiments du quotidien. Ouvrir une boîte de lait, par exemple. Il cherche à percer l'identité de son invité et en désespoir de cause le baptise Jo. Il lui faut rogner sur sa pension, chouraver plus de boîtes de conserves dans les supermarchés de la ville, au risque de se retrouver en tôle.

Pourquoi Emile s'est-il entiché de ce géant ? Par humanisme devant une déchéance plus profonde que la sienne ? Par compassion ? Toutes bonnes raisons mais surtout parce qu'il retrouve dans ce couple qu'il forme avec Jo‚ les protagonistes d'un roman qu'il traîne à longueur de journées et de nuit dans les poches de son manteau. Il est Georges et Jo‚ devient Lennie. Deux échappés du chef d'œuvre de Steinbeck, Une souris et des hommes, un livre qu'il connaissait par cœur avant que l'alcool n'embrume son cerveau.

 

Avec Ambernave, Jean Hugues Oppel retrouve dans son prologue le lyrisme qu'il avait déployé dans Piranha Matador. Et ces pages, empreintes de la chanson de Jacques Brel Amsterdam, vaudraient à elles seules la lecture de ce livre. Un roman dans lequel l'ode à l'amitié est le véritable moteur de l'histoire. Une amitié offerte sans calcul, sans espoir de retour et de bénéfice quelconque, sans égoïsme. Emile prend sous sa coupe, lui qui est devenu un rebut de la société, un être tombé encore plus bas que lui. Mais il ne réclame rien. Juste une présence à qui il peut offrir un maigre réconfort. Un roman qui est édité dans le cadre d'une collection noire, donc pour beaucoup de lecteurs potentiels restrictive, mais qui mériterait une plus large diffusion.


Du même auteur lire : French tabloïd et Chaton : trilogie.


Jean Hugues OPPEL : Ambernave. Rivages Noir N° 204. Février 1995. 272 pages. 8,15€.

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28 mai 2013 2 28 /05 /mai /2013 15:22

Et ça papote, et ça papote...

 

vieux vampire

 

Parfois il se passe de drôles de choses lors des réunions d’un conseil municipal. Je passe sur les habituelles altercations entre membres de la majorité et de l’opposition, cela relève du lieu commun. Mais des événements, des phénomènes étranges peuvent se dérouler, comme celui qui a eu pour cadre la mairie d’Aniche, dans le Nord.

Alors que l’adjointe à l’environnement vitupère contre la prolifération de moucherons prédateurs, prenant pour cible la glycine du presbytère, un sacrilège à n’en point douter, une petite étoile violette jaillit du vitrail des verriers. Le temps semble s’être arrêté et les participants à cette réunion, figés comme des statues, sont vêtus comme pour un carnaval à l’ancienne. Crinoline, redingotes, et même une peau de panthère sur les épaules du maire. Une autre petite étoile, rouge celle-ci, se propulse de sous le buste de Jaurès et la collision entre les deux minuscules novas remet tout en ordre.

Quelques mois plus tard, le narrateur atteint d’insomnie, croise le maire déambulant en bicyclette. Seul petit détail qui attire l’attention, l’édile est affublé d’ailes d’ange, ailes tachées de sang. Des petites traces de sang sur la neige forment des boucles et à y regarder de plus près, il s’aperçoit qu’elles figurent des six. 6 6 6. Trois chiffres qui l’incitent à prendre sa voiture et à rouler jusqu’à Anvers, une ville qui l’a toujours attiré.

Deux jours plus tard, notre narrateur est dans le bureau du maire, mais il garde le silence sur les événements dont il a été le témoin, à la demande de celui-ci. Il ne le rompra qu’en janvier 2012, à cause du calendrier maya. Et de la petite étoile violette qui a récidivé et a permis à un fantôme d’entrer dans la salle en se jouant des murs comme dans le perce-muraille de Marcel Aymé.

Notre narrateur, qui n’est autre que l’auteur, propose au conseil municipal que la cité d’Aniche devienne la capitale de la fin du monde. Commencent alors moult péripéties qui entrainent notre auteur, ainsi que le vieux vampire le Chevalier Le Clément de Buirette qui possède encore de bons restes malgré les siècles entassés sur ses épaules et qui est heureux de pouvoir rendre service à l’Anonyme d’Anvers, un illustre contemporain de Rubens. Leur mission : faire mentir les prophéties liées au calendrier maya (qui entre nous a été mal traduit, puisque, s’il s’agit d’un palindrome numérique, devrait situer la catastrophe le 21 12 2112). Et accessoirement retrouver une copie d’un ancien film muet datant du début du XIXe siècle, intitulé l’Evangile de sang, et qui fut projeté à l’Idéal Cinéma, le plus ancien cinéma ouvrier du monde sis à Aniche, en 1910 pour une poignée de verriers.

L-Ideal_Cinema_-Jacques_Tati.jpgDans ce roman débridé, burlesque, farfelu, qui emprunte parfois au fantastique de nos lectures juvéniles (souvenez-vous de la fée Clochette dans Peter Pan qui apparaissait sous forme d’étoile), et qui n’est pas sans rappeler quelques ouvrages d’Albert Robida par l’humour discret, il est plaisant de trouver un narrateur qui n’est autre que l’auteur se trouvant dans des situations abracadabrantesques et enlevées.

Si Aniche fut l’un des hauts lieux du charbonnage, il ne faut pas oublier que la cité fut aussi un fleuron de la verrerie d’art et du vitrail. Et que l’Idéal Cinéma dont il est question dans ce roman est le plus ancien cinéma ouvrier du monde puisque inauguré le 26 janvier 1902 il est toujours en activité.

Cette nouvelle collection 666 proposée par les éditions Engelaere comporte trois titres qui paraissent simultanément, Les œufs de Lewarde de Jean-Marc Demetz et 666, quai de la Scarpe de Michel Meurdesoif, que j’aurais l’occasion de vous présenter dans quelques jours.

Les couvertures sont signées Jan Sanders Van Hemessen, extraites de L’Enfant prodigue, et datent de 1566.


Lire également de Roger Facon : Le saigneur des pierres.


Roger FACON : Entretiens avec un très vieux vampire. Collection 666, éditions Engelaere. 96 pages. 6€.

challenge régions

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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