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18 février 2014 2 18 /02 /février /2014 08:46

Et ce n'est pas tabou !

 

mortel-tabou.jpg


Etre dérangé dans ses pensées par son ancien adjoint, qui plus est à même pas neuf heures du matin, n'est pas du goût de l'ex-commissaire Louis Gardel. Mais Raymond Bartholet est vraiment embêté et il pense que son ancien supérieur hiérarchique pourrait, éventuellement, lui donner un petit coup de main. Car l'affaire est grave ! Jean-Paul Sartre a été agressé ! Une tentative d'assassinat qui s'est déroulée dans son quartier. Gardel invite à déjeuner Bartholet et tout en prenant son café au Flore, justement là où Sartre possède ses habitudes, il se remémore quelques épisodes de sa vie, notamment sa fille Camille, qui fut journaliste et qui en décédant lui laissait un bébé, Paul Bauley, qui aujourd'hui a vingt et un ans et suit les traces de sa génitrice.

Paul Bauley est donc journaliste débutant à Paris-Matin, et Jean-Paul_Sartre_FP.JPGfréquente les jeunes gloires du Quartier Latin et du Tabou, le cabaret à la mode, un endroit mal famé selon les riverains. Il est vrai que la musique sort de la cave et envahit la rue, sans compter les nuisances sonores occasionnées par les clients légèrement pompettes qui en sortent. Paul est ami avec Boris Vian qui écrit des romans et commence à se faire un nom, d'ailleurs sans qu'il s'en défende vraiment il est accusé de se cacher sous le pseudonyme de Vernon Sullivan et d'avoir écrit un roman sulfureux ayant pour titre J'irai cracher sur vos tombes. Officiellement il n'en est que le traducteur, mais les langues vont bon train.

Sartre ne doit la vie sauve qu'à l'intervention musclée de Ferdinand, son concierge ancien catcheur. L'agresseur, qui était muni d'une massette, a réussi à se sauver laissant entre les mains de Ferdinand son blouson et son portefeuille qui contenait une carte d'identité à moitié déchirée, une carte du parti communiste datant de 1937 et un peu d'argent. Il s'agirait d'un certain Jean-Pierre Dunois demeurant dans le XXe arrondissement. L'inspecteur Miko est chargé de l'enquête de voisinage.

vian.pngMalou, qui a été la nourrice de Paul Bauley, tient une loge de concierge et les samedis après-midi elle organise une réunion du club, à laquelle participent d'autres représentants de cette profession aujourd'hui disparue. Il y a madame Jean, Albert et Ferdinand et ça papote à qui mieux-mieux des petits événements qui se déroulent dans le quartier. Et ils glosent sur leur entourage, de Paul qui habite l'immeuble, de Charlotte la nièce d'Albert qui fréquente plus ou moins Paul, de Sartre, de Boris Vian, de Juliette Gréco et quelques autres qui vivent tous dans les environs.

Paul Bauley est intéressé par l'affaire Sartre et il sent qu'il peu écrire de bons papiers, d'autant que son rédacteur en chef est dans l'incapacité temporaire de se rendre au journal. Il glane ses renseignements auprès de Bartholet mais un meurtre est perpétré, à la sortie du Tabou. Avec une massette ou un marteau. Le dénommé Dunois serait-il un récidiviste ? Mais auparavant il faudrait pouvoir mettre la main dessus afin de l'interroger.

En ces mois d'avril et de mai 1947, le Quartier Latin est en effervescence. Les habitants n'en peuvent plus d'entendre le chahut à la sortie du Tabou.

A la question de savoir si Sartre possède des ennemis, il a répondu : pas plus que ça, à part les communistes, les catholiques, les fascistes et les journalistes. Ce qui n'avance guère les enquêteurs. Il est vrai que ses thèses sur l'existentialisme gêne les bourgeois honnêtes.

 

Gilles Schlesser prend prétexte d'une intrigue policière pour mettre en scène l'atmosphère, l'ambiance qui règnent dans cet après-guerre alors que les tickets de rationnement ont toujours cours. L'approvisionnement n'est pas toujours assuré. Et bien entendu les éternelles récriminations, du genre c'était mieux avant, ne manquent pas d'être exprimées.

- Tu as vu ça ? Pour le pain, en ce moment, c'est dansons la capucine. ! Les grèves, par dessus-ça ! Ce n'était pas la peine de gagner la guerre !

- Ce sont les Américains qui l'ont gagnée, Malou ! Avec les Russes.

- Quand même, on l'a gagnée un peu...

- Tu parles, les seuls qui ont gagné quelque chose dans l'histoire, ce sont les trafiquants du marché noir...

Une discussion banale parce qu'une boulangerie est fermée et parce que juste auparavant quelqu'un du quartier leur a demandé de signer une pétition:

- Une pétition contre l'introduction du Coca-Cola en France. Une boisson méprisable qui n'a rien à faire chez nous. La preuve, c'est que Bonaparte n'en buvait jamais.

Les temps ont bien changé, les mœurs aussi.

 

Un voyage dans le temps qui permet de jouer avec personnagesboris-vian.jpeg fictifs et réels, dans lequel évoluent Anne-Marie Cazalis, Boris Vian, Juliette Gréco et bien d'autres dont Jacques Loustalot surnommé le Major, souvent habillé en militaire et qui amuse la galerie avec son œil de verre. C'est également un panorama de Paris, des prédominances de certains partis politiques dont le parti communiste, et déjà les problèmes financiers des journaux. Or un article inédit fait vendre et c'est pour cela que Paul Bauley, qui signe Oxymore, est bien placé car il recueille à la source les informations. Ce qui ne fait pas tout évidemment. Tout se résume dans le petit doigt, celui qui attire la chance, qui décrotte les oreilles pour recueillir les confidences : Sans son petit doigt, le journaliste n'est qu'un revolver sans munitions.

Et en filigrane on suit l'envie de Paul Bauley de connaître son origine, de savoir qui était son père, et de suivre les traces de sa mère. Et ce roman est un peu la suite de La mort n'a pas d'amis (chez le même éditeur) à la manière de Dumas : vingt après (ou presque). Mais Paris reste toujours la capitale des Arts et des Lettres, tout au moins dans l'esprit de ces deux époques, même si l'extravagance de certains artistes défraye la chronique et attire l'ire des gens bien pensants.

Un roman plaisant à lire qui nous change de la production actuelle qui s'engonce dans la violence à défaut d'une véritable histoire bien construite. Ici nous sommes en apnée et pour les lecteurs de ma génération ils se trouveront en territoire connu ou presque.

Et une petite visite sur Action - suspense s'impose (et c'est gratuit !)


Gilles SCHLESSER : Mortel Tabou. Editions Parigramme. Parution 6 février 2014. 192 pages. 7,90€.

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17 février 2014 1 17 /02 /février /2014 11:59

Un titre pudique, émouvant, pathétique...

 

escargots.jpg


Ce recueil est composé de deux romans, revus et complétés par l’auteur, parus précédemment dans la collection Anticipation du Fleuve Noir.

 

Pour une poignée d’Hélix Pomatias : Chris Malet possède un don pagel1.jpgrare et peu commun, ce qui l’amène à travailler pour les Services Secrets, épisodiquement et quelque peu en dilettante. Il est capable de se projeter physiquement au sein d’un roman, quel qu’il soit et d’en modifier sensiblement le déroulement, d’influer sur l’histoire, de sauver par exemple des personnages d’une mort qui était irrévocablement décidée par l’auteur.

Et si son supérieur fait appel à lui, c’est bien parce qu’une situation décrite dans un roman d’origine étrangère risque de porter préjudice à la nation entière. Oui mais, voilà, tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait et Chris Malet en fait l’amère expérience, à son corps défendant.

Complètement délirant, ce livre est une farce énorme, une bouffonnerie, au sens noble des termes, un tourbillon dans lequel s’enchevêtrent les situations les plus cocasses, alors qu’elles devraient être tragiques, et le lecteur est entraîné à la suite du héros comme sur un immense toboggan. Les aventures ou mésaventures de Chris Malet se suivent à un rythme infernal et c’est tout juste si le lecteur a le temps de reprendre son souffle. Et pourtant du souffle il lui en faut, ne serait-ce que pour pouvoir rire tout son saoul.

Tout concourt à réjouir le lecteur, que ce soit dans la description des événements, des situations, dans la formulation des dialogues, dans l’apparition de personnages secondaires tels que Hammett ou Chandler, ou encore dans les adjonctions et différents notules en bas de page, façon San-Antonio. Jusqu’à l’auteur lui-même qui prend une part active et fort intéressante à l’action et à la rédaction de son propre ouvrage.

 

pagel2.jpgLe cimetière des astronefs : Gaba est un petit trafiquant, fournissant de tout et n’importe quoi, aux quatre coins de l’univers, ce qui dénote de sa part esprit d’initiative et propension à se fourvoyer dans des endroits inaccessibles. Son astronef Betty n’est plus de première jeunesse, mais fidèle à l’adage “ c’est dans les vieux pots qu’on fait la bonne soupe ” Gaba ne crache pas dans le potage. Il a rendez-vous dans un centre de loisirs à Tchoume, ou sur Givrée, je ne sais plus bien. Le principal n’étant pas le lieu mais le pourquoi, c’est à dire le motif de ce rendez-vous.

Aykip D. Foot Jr charge notre ami, nous pouvons lui décerner ce qualificatif puisque Gaba est tout de même le héros de l’histoire, de dérober un cerveau positronique sur un astronef afin de contrer John I. Mustgotothe, le créateur fabriquant exclusif de cette petite merveille. Seulement l’unique moyen de s’approprier un cerveau positronique est simple, dangereux, aléatoire et tutti quanti. Il suffit de récupérer le dit organe sur la carcasse d’un astronef hors service, mais pas n’importe où : dans le cimetière des astronefs, qui comme celui des éléphants est inconnu, inaccessible, ailleurs et plus loin. Gaba, de la marine de l’air, n’écoutant que son courage et le bruit sympathique des billets froissés par une main généreuse, s’élance au cou de l’Aventure.

Michel Pagel et Le cimetière des astronefs sont au roman de science-fiction ce que San-Antonio est au roman policier. Installez-vous à l’aise, dans vos charentaises, laissez-vous transporter dans l’univers délirant, onirique, farfelu, débridé (aucune connotation anti-asiatique), fantaisiste, bizarre, extravagant, fantastique, et complètement dingue. En un mot réjouissant et jubilatoire.

 

 

Ce recueil est également disponible sur le site du Bélial en version numérique, au prix de 7,99€ et les deux romans qui le composent peuvent être achetés séparément en format numérique au prix de 4,99€ chacun.

 

Michel PAGEL  : Les escargots se cachent pour mourir. Editions du Bélial. Parution Juin 2003. 300 pages. 15,00€.

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16 février 2014 7 16 /02 /février /2014 07:27

Ramses.jpg Parodiant une célèbre devise publicitaire qui fut assaisonnée à toutes les sauces, collant à l’image de marque d’un hebdomadaire belge pour enfants qui connut son heure de gloire dans les années 50 à 70, Pierre Thiry invite tous les lecteurs de dix à cent-dix ans à découvrir son ouvrage qui emprunte à la littérature populaire tout en gardant son propre imaginaire.

Sigismond est un bouquiniste érudit et entre lui et sa nièce Alice, s’échangent des joutes littéraires. Mais lorsqu’Alice, qui possède un lapin blanc prénommé Raymond et un gros Saint-bernard répondant au nom de Ramsès auxquels elle aime raconter des histoires, lui demande quels livres a écrit J.K. Rowling, Sigismond est fort embêté. Pour une fois il ne connait pas la réponse. Les défis s’enchaînent tout autour de la littérature populaire, les noms de Dumas, Paul D’Ivoi, Andersen, Jules Verne, Daniel Defoe jouent les balles de ping-pong. Sigismond est à nouveau piégé, il ne connait pas le personnage créé par Georges Chaulet.

Ultime attaque d’Alice : qui a écrit Ramsès au pays des points-virgules. Devant son ignorance elle lance un nom, comme ça, un peu au hasard. Jérôme Boisseau. Afin de ne pas sombrer définitivement, de perdre de son prestige devant une nièce taquine, il affirme connaitre l’auteur, et un peu excédé il lance, afin de rompre la conversation : Va te faire cuire un œuf. Alice lui rétorque, c’est aussi de Jérôme Boisseau ? Sigismond lui affirme qu’en effet c’est le titre de l’ouvrage et qu’il va en retrouver un exemplaire. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il a bien l’intention de rédiger le fameux bouquin. Et c’est ainsi, qu’en s’endormant dans le métro, Sigismond rêve d’une histoire farfelue dans laquelle le lecteur entre de plein pied, en suivant les tribulations de Sissi.

Sissi est une gamine qui aime préparer des pancakes et ce jour là elle est enquiquinée, n’ayant plus d’œufs pour réaliser ses gâteaux favoris. Dans la rue elle est interpellée par une chanson interprétée par un petit monsieur qui siège sur le trottoir entre un vieil ordinateur et quelques boîtes de conserve cabossées. Il arbore fièrement un chapeau haut-de-forme huit reflets et déclare s’appeler Ramsès II. Il ne ressemble guère à l’image que se faisait Sissi de ce célèbre pharaon Egyptien, mais charmée par l’histoire de celui-ci elle décide de partir avec lui dans sa deux-chevaux rouge afin de parcourir le monde. C’est ainsi qu’ils arrivent en Angleterre où ils sont accueillis par Alice et son lapin.

Alice requiert leurs services, le lapin servant d’interprète, afin de résoudre un ténébreux mystère qui entoure le château de Baskerville habité par un certain Lord Cyklopp qui terrorise la région. Je vous fais grâce des détails, ne désirant pas dévoiler les tribulations de nos amis. Simplement je me contenterai de vous dire que le lecteur se trouve plongé dans une atmosphère dans laquelle il trouvera des évocations des Milles et une nuits, d’Alice au pays des Merveilles, des contes pour enfants comme le Chat botté, une mésaventure méconnue de Pinocchio, un personnage de Star Wars, Walton Watson, Charles Hockolmess, Princesse Sissi et autres références à découvrir. Sans oublier quelques fables de La Fontaine, revisitées par l’auteur, le jazz et l’hommage à Boris Vian. Que viennent faire les points-virgules du titre ? Juste une déclamation en honneur de cette ponctuation tout simplement parce que c’était la bête noire de Pétain.

Cet ouvrage n’a d’autre prétention que de divertir le lecteur et l’entraîner dans un imaginaire fantastique débridé, et c’est réussi. Evidemment les grincheux ne manqueront pas de fustiger contre un manque de rigueur, de cartésianisme, mais n’est-ce pas justement le propos des classiques tels que Les Mille et une nuits, Alice au pays des merveilles et autres contes de Perrault, Andersen, des frères Grimm et tous ces auteurs qui ont enchanté notre enfance, sans oublier les romanciers populaires ? Quant à l’épilogue, il est logique, et s’il ne convient pas au lecteur, celui-ci peut se permettre de le modifier, toute latitude lui étant laissée par l’auteur.

 

 

Pierre THIRY : Ramsès au pays des points-virgules. Editions Books on Demand. Novembre 2009. 184 pages. 13,00€.

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 15:33

harpignies.jpg


L'art pictural, tout comme la sculpture, est souvent présent dans l'œuvre littéraire de François Darnaudet : Les Dieux de Cluny, Trois guerres pour Emma, Le Fantôme du Quai d'Orsay, Art et artistes en pays catalan... aussi n'est-il point étonnant qu'il s'intéressa à la vie d'une peintre paysagiste méconnu : Harpignies.

Henri-Joseph HarpigniesMais cette bande dessinée, si elle narre le parcours d'Henri Harpignies (1819 - 1916), n'est pas à proprement parler une biographie même si l'on suit l'artiste tout au long de sa carrière, est également le prétexte à mettre en scène un jeune descendant du peintre confronté à un quotidien pas forcément rose. D'autant que tout comme son ancêtre il préfère le bleu cobalt, le vert Véronèse, le vert émeraude, l'ocre jaune, la terre de Sienne naturelle, la terre de Sienne brûlée, le brun rouge et le blanc d'argent.

Le jeune Eric vient de perdre sa grand-mère et s'il a du chagrin, il ne le montre pas, contrairement à d'autres membres de sa famille. Et en regagnant le domicile de ses parents à Perpignan, il croit qu'un cambrioleur s'est introduit dans leur logement. Un tableau a disparu. Sa mère, confuse, est obligée de lui expliquer qu'à cause de besoins pressants d'argent elle a été obligée de vendre la toile signée Harpignies. Toutefois il reste un carnet de dessins qu'elle lui donne.

Eric doit rentrer à Paris afin de poursuivre ses études mais un problème de train (C'est devenu d'une banalité !) l'oblige à passer le restant deHenri_Harpignies-paysage.jpg la journée à Montpellier. Sa prochaine correspondance n'étant prévue que pour le lendemain matin aux aurores. Il décide alors de visiter le musée Fabre et il rencontre une jeune fille, Marie, qui prépare une thèse sur l'école de Barbizon. Ils sympathisent, il lui montre les dessins de son trisaïeul, ils papotent, elle l'invite à passer une nuit blanche... dans une boîte de nuit. De retour à Paris, Eric se morfond. Il pense à Marie, il communique avec elle par mails et joue de la guitare, tentant de composer des chansons.

Profitant du prétexte de rencontrer son directeur de thèse à la Sorbonne, Marie retrouve Eric. Un rapide passage chez le jeune homme pour déposer ses affaires ensuite direction le musée du quai d'Orsay où il peut croquer rapidement un Harpignies, puis retour chez Eric. Et ce qui devait arriver arrive, mais ceci ne nous regarde pas ! Eric se met à peindre un tableau à la façon de son ancêtre tout en réfléchissant à sa situation avec Marie qui est retournée chez elle.

Je ne la connais pas mais j'ai envie d'être avec elle. C'est aussi parce que je ne la connais pas que j'en ai envie. D'ailleurs j'ai peur de la connaître et d'avoir envie de ne plus être avec elle.

C'est en exprimant cette profonde pensée qu'il continue son tableau. Son père arrive à l'improviste, le félicite pour son coup de pinceau et lui remet un vieux chapeau qui trainait dans une malle et avait appartenu à Henri Harpignies. Ainsi chapeauté, Eric peut s'imprégner de l'esprit du peintre. D'ailleurs Marie, revenue s'installer avec Eric lui fait une proposition étonnante qui bouleverse le train-train quotidien de notre peintre amateur.

harpignies2.jpgLes deux histoires, celle d'hier et celle d'aujourd'hui, s'imbriquent sans que le lecteur perde le fil de l'intrigue. L'humour est souvent présent, surtout dans les dialogues ou dans les pensées de notre jeune héros. Ainsi lors de l'enterrement de sa grand-mère, qui est en fait une crémation, une des personnes présentes demande, comme si cela avait une importance vitale, à Eric : Dis-moi, tu sais pourquoi elle n'a pas voulu être enterrée ? Eric répond en toute sobriété : Elle disait qu'elle était claustrophobe.

Le dessin signé Elric est clair, sobre, dépouillé, épuré même parfois, mais en même temps travaillé finement, au service du scénario qui par ailleurs comme je l'ai déjà écrit ne manque pas d'humour. Nous ne sommes pas loin de la ligne claire de l'école belge. Afin de mieux comprendre comment travaille Elric je vous conseille de vous reporter à un entretien accordé à Nicolas Vadeau lors de la sortie de Marche ou rêve (Dargaud - 2011) et mis en ligne sur Bulle d'encre. Un autre article lui est consacré dans les pages de l'Indépendant.


ELRIC & DARNAUDET : Harpignies. Collection Blandice, éditions Paquet. Parution 12 février 2014. 80 pages. 15,50€.

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 08:38

bramiDe son vrai nom Claude Brami, Julien Sauvage est né le 20 décembre 1948 à Tunis. Il débute au Fleuve Noir en 1973, à l’âge de 25 ans, avec un roman, La Lune du fou, dont le thème sous-jacent est l’amitié entre deux hommes, dans Lune-du-fou.jpgla veine de Une souris et des hommes de Steinbeck. L’histoire de l’évasion de deux prisonniers, Griffin le colosse blanc et Hayes le Noir, d’un pénitencier des Etats-Unis puis leur errance sur la route jusqu’à New-York où Hayes essaye de retrouver pourquoi et comment il est tombé entre les mains de la justice. Hayes le débrouillard et Griffin qui joue le rôle de l’idiot, ou plutôt de la brute, l’inverse de l’image stéréotypée du Noir, être frustre et pauvre d'esprit traînant aux basques d’un Blanc démerdard. Ensuite Julien Sauvage va créer le personnage de Bruno Campana plus connu sous le surnom du Condottière, un aventurier. Parallèlement il écrit des romans d’espionnage avec pour héros Nicolas Rone. Dans Le jeu du Scorpion Rone doit aider un groupe de rebelles marocains à se débarrasser d’un encombrant chef de la police, qui cumule les fonctions de responsable de la Sûreté militaire et des Services de renseignement. Rone s’apercevra un peu tard qu’il est manipulé et le pivot central d’une vaste machination.

Parallèlement il écrit sous le nom de Christopher Diable pour les éditions Denoël dont un roman au titre à rallonge, La plus longue course diable.jpgd’Abraham Coles, chauffeur de taxi, qui a obtenu le grand prix de littérature policière en 1977. Depuis, il écrit sous son nom de Claude Brami des ouvrages de littérature générale et semble avoir abandonné le genre policier.

Sauvage/Brami a découvert le plaisir d’écrire lors de cours de géographie qu’il détestait, couchant sur le papier des aventures imaginaires tandis que son prof pensait qu’il avait devant lui un élève studieux. Après deux années de faculté de pharmacie puis autant en psychique chimie, Sauvage décide d’opter pour l’écriture espérant parvenir à concevoir un héros à la Alexandre Dumas, lui qui dès l’âge de cinq ans dévorait des romans de chevalerie et d’aventures. Passionné de peinture moderne, de bandes dessinées, de jazz et sports de combat et de ping-pong, Sauvage garde un amour immodéré pour le soleil, la mer et les plages de sable blanc, reliquats de son enfance passée à Tunis.

EspionnageCondottiere.jpg

1282 - Le Jeu du scorpion

1299 - Le Tueur d'Amsterdam

1352 - Coup pourri

 

Spécial Police

1013 - La Lune du fou

1033 - Portes closes

1084 - Le Condottiere

1115 - Le Condottiere et la blonde qui pleurait

1191 - Le Condottiere et le chasseur de scalps

1348 - Le Condottiere et le tueur au monocle

 

Autres publications sous le nom de Christopher Diable : Une affaire très personnelle (Crime Club, Denoël, 1973), La petite demoiselle au chewing-gum (Crime Club, Denoël, 1974), La plus longue course d’Abraham Cole, Chauffeur de taxi (Sueur Froide, Denoël, 1977).

Sous celui de Claude Brami : Chez Denoël : Le garçon sur la colline (1980; Prix des Libraires 1981); La danse d’amour du vieux corbeau (1983); La grande sœur (1986). Chez Gallimard : Parfums des étés perdus (1990) Mon amie d’enfance (1994); La chance des débutants (1997).

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14 février 2014 5 14 /02 /février /2014 13:47

A Nantes sous la Terreur !

 

enrage-copie-1.jpg


Après leur attaque avortée devant Granville, les Chouans ou Vendéens surnommés aussi les Brigands par les Révolutionnaires, se replient vers Dol emmenés notamment par Guy de Paramé.

Mais l'armée des Bleus de Kléber n'est pas loin et La Briantais, le commandant des canonniers accompagné de son fidèle Decius, n'est pas loin

Denise qui chevauche en compagnie du jeune Roch tente de rejoindre ses amis Vendéens mais elle tombe entre les mains des Révolutionnaires. Roch défend si bien sa cause, qu'elle est remise à La Briantais qui veut la protéger. Seulement l'infâme Thomas Laîné est sur leurs traces bien décidé à récupérer le scapulaire contenant des indications sur le trésor de Marie-Rose, sa grand-tante et qui avait été confiée à Denise.

bouffay.jpgDenise et Guy Paramé, qui a lui aussi été fait prisonnier, sont emmenés dans les geôles du Bouffay, une prison nantaise.

Quelques semaines plus tard, La Briantais, qui a obtenu un congé, est à Nantes. Il veut délivrer Denise afin de lui permettre de se rendre à Jersey puis en Angleterre où elle sera en sécurité. Le général De Marigny, un Chouan déguisé en ouvrier, est là lui aussi et son but est de faciliter l'évasion de Guy de Paramé. Ils se retrouvent nez à nez devant un tripot, rendez-vous des exaltés de la Révolution. Thomas Laîné est là lui aussi, s'étant accoquiné avec ces assassins, avec toujours en tête de pouvoir récupérer le fameux scapulaire.

Nantes est le théâtre des exactions orchestrées par le sangchouans-nantes.jpguinaire Carrier qui possède une façon bien particulière de se débarrasser des Chouans ou assimilés. Des prêtres, des laboureurs, des artisans, des femmes et des enfants sont emprisonnés même s'ils ne participent pas à la révolte. Non seulement des exécutions par la guillotine sont programmées, mais ce qui met le plus en joie Carrier et ses sicaires, ce sont les noyades en masse organisées à bord de gabares ou de galiotes, ce qu'il appelle des déportations verticales. Les prisonniers condamnés à mort sont enfermés dans des cales puis le navire est sabordé et coulé. Ceux qui tentent de survivre en nageant et en s'agrippant au bord des canots qui surveillent l'opération ont les mains tranchées à coup de sabre. Ou alors ils sont carrier litho belliardbalancés par dessus bord des galiotes, les mains et les pieds attachés par des cordes, ce qui signifie une noyade inéluctable. Mais des mariages sont également organisés par Carrier et ses adjoints, Bachelier, Goulin et Grandmaison. Un homme et une femme sont attachés, nus, ensemble et sont jetés à l'eau, à la grande joie des Sans-culottes, qui pour la plupart sont ivres, et souvent n'ont rejoint la Révolution que par intérêt personnel. Leur joie est à son comble lorsqu'ils peuvent attacher ensemble un curé et une religieuse.

Guy de Paramé et Denise doivent faire partie du prochain contingent, et quoique La Briantais et de Marigny soient adversaires ils s'unissent afin de leur éviter ce traitement. Thomas qui est dans les bonnes grâces des Révolutionnaires doit participer, malgré lui, à cette évasion. Il échafaude plan sur plan pour récupérer le scapulaire, mais La Briantais et degaspard_de_bernard_de_marigny_2.jpg Marigny veillent au grain, et il est obligé de devenir leur complice. La Briantais prend place seul dans un canot tandis que Decius se poste sur la berge. De Marigny, déguisé en charpentier, une hache à la main se trouve à bord de la galiote qui doit être sabordée. Thomas Laîné, quant à lui, doit leur faciliter les opérations d'évasion. Seulement, un impondérable surgit en la personne de Grandmaison qui entend diriger les manœuvres à sa façon même s'il a derrière la tête son plan concernant l'avenir de Guy de Paramé et de Denise. Thomas sait qu'il est surveillé, et qu'éventuellement il peut-être dénoncé comme traître.

Cet épisode des noyades de Nantes, dont on peut retrouver l'historique dans divers articles sur le net, reste l'un des événements marquant de la Terreur, alors que peu de livres scolaires relatent ces événements. Mais il serait injuste de jeter l'opprobre uniquement sur les Bleus alors que les Chouans eux-aussi se rendirent coupables d'exactions. Et si Fortuné de Boisgobey s'attarde sur cette période sanguinaire nantaise, il n'omet pas de signaler que les Vendéens ne furent pas des saints pour autant.

Toutefois, un paragraphe intéressant interpelle le lecteur et nous renvoie à des déclarations négationnistes plus ou moins récentes.

Il a été écrit des livres pour démontrer qu'on avait beaucoup exagéré le nombre des victimes de la terreur nantaise. Carrier, Grandmaison et Pinard ont eu des défenseurs posthumes qui avouent bien deux ou trois noyades, autant de fusillades et quelques petites fournées de guillotine, mais qui soutiennent que leurs tristes héros n'ont pas été jugés équitablement par l'histoire.

Heureusement, ils ont été exécutés, et leur acte d'accusation est là, rédigé par des républicains purs, par des membres du tribunal révolutionnaire qu'on ne s'est pas encore avisé de ranger parmi les modérés.

Ce roman date de 1880, soit près de quatre-vingt dix ans après les événements décrits, mais l'horreur était encore présente dans bien des mémoires. Mais comme pour les négationnistes des camps de concentration, des fours crématoires, de la Shoah, même si l'on sait pertinemment qu'ils profèrent des mensonges, des dénis, il n'en est pas moins vrai que certaines personnes fragiles mentalement ou qui abondent au plus profond d'eux-mêmes dans leur sens, colportent à l'envi ces déclarations honteuses.

Si l'épopée nantaise prend une grande part dans ce second tome de L'Enragé, elle se poursuit en comportant de nombreuses péripéties jusqu'àmare-de-bouillon.jpg la Mare de Bouillon, mais tous ces protagonistes n'étant pas au complet. La mare de Bouillon existe réellement et est plus proche d'un étang que d'une simple flaque d'eau puisqu'elle possède une superficie de cinquante-cinq hectares. Depuis 1972 la commune de Bouillon est rattachée à celle de Jullouville, elle-même station balnéaire crée en 1882 par Armand Jullou, d'où son nom.

Il n'y aurait pas d'histoire véritablement complète si à l'intérieur de ce récit ne se greffait pas une histoire d'amour contrariée. Guy de Paramé aime Denise qui elle-même ressent un profond sentiment envers La Briantais qui lui ne la considère que comme une amie. Mais n'en disons pas plus, car l'essentiel n'est pas là. Et le scapulaire, me demanderez-vous avec pertinence ? Ses pérégrinations et son contenu sont décrits dans le roman.

 

Lire la chronique du Tome 1 de l'Enragé mais également Rubis sur l'ongle et un article sur Fortuné de Boisgobey.


Fortuné du BOISGOBEY : L'Enragé tome 2 : Des noyades de Nantes à la Mare de Bouillon. Editions Pascal Galodé. Parution le 23 janvier 2014. 264 pages. 23,90€.

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14 février 2014 5 14 /02 /février /2014 10:27

L'infortune de Fortuné.

 

rocambole1.jpg


"Je remercie d'abord mon cher confrère d'avoir exposé ses griefs avec beaucoup de mesure et de courtoisie. Vives et sérieuses sur le fond, ses attaques sont modérées par la forme, et dans ces termes d'honnêteté, la discussion est toujours acceptable."

"D'abord, s'il s'agit de politique, êtes-vous sûr que la politique soit un aliment très sain pour l'esprit des masses ? M'est avis, au contraire, qu'elle ne s'impose que trop par le temps où nous vivons, et qu'il n'est pas nécessaire de pousser encore le peuple dans cette voie périlleuse."

Ces deux citations sont extraites d'une chronique parue le mardi 26 septembre 1871 dans le journal la Petite Presse, signée Robinson, et qui répondent à une attaque d'un journaliste auteur d'un article dans le Journal de Falaise. Robinson s'érige en défenseur de la presse populaire et stigmatise dans un plaidoyer courtois mais ferme ceux-là même qui jettent l'opprobre sur la publication de romans feuilletons populaires. Or à la même époque, paraît dans le rez-de-chaussée de La Petite Presse un feuilleton, "La bande rouge", dû à la plume fertile de Fortuné du Boisgobey. Mais Fortuné du Boisgobey et Robinson sont les deux facettes d'un même homme, Abraham Dubois.

Qui se souvient encore aujourd'hui de Fortuné du Boisgobey, le Gaboriau méconnu ?

Né à Granville le 11 septembre 1821, Abraham Dubois, son véritable patronyme, reprit pour signer ses œuvres le nom de ses ancêtres, nom perdu dans la tourmente de la Révolution. Issu d'une ancienne famille de magistrats, Fortuné du Boisgobey, féru d'histoire et passionné par les affaires judiciaires, après de brillantes études à Paris, est nommé Payeur Adjoint à la Trésorerie de l'Armée d'Afrique. En 1842 il signe un texte, "Lettres de Sicile", sous le nom d'Abraham Dubois. Mais cet homme brûle la chandelle par les deux bouts. Grand amateur de "grisettes" et joueur impénitent, il dilapide l'héritage familial et à 47 ans, il se trouve fort dépourvu. Il se lance dans l'écriture et avec près de soixante dix œuvres à son catalogue et parues d'abord en feuilletons, à l'inspiration éclectique puisqu'il écrit aussi bien des ouvrages judiciaires (on ne parlait pas encore à l'époque de romans policiers) des romans populaires et des récits historiques, il est considéré comme un auteur majeur. Aujourd'hui son nom a sombré dans un anonymat quasi complet et injuste. Fortuné du Boisgobey est décédé le 26 février 1891 à Paris.

Le Rocambole, bulletin de l'Association des Amis du Roman Populaire, tente de réparer cet oubli en proposant un dossier dont le seul mérite ne réside pas dans l'inventaire complet des parutions dans les journaux d'époque, parisiens ou provinciaux, dates et numérotations à l'appui, ou leur réédition chez divers éditeurs, Dentu principalement. Y figurent également quelques chroniques signées du Boisgobey, un texte inédit datant de 1869, plus quelques autres curiosités dont un texte inconnu de Paul Féval. Le Rocambole œuvre pour le Salut Public d'une génération d'écrivains tombés en désuétude mais qui ne manquent ni de charmes ni d'attraits.


Dossier Fortuné du BOISGOBEY. Revue le Rocambole n°1, AARP N°1. Printemps 1997. 144 pages.

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14 février 2014 5 14 /02 /février /2014 07:28

Un livre de cire, Constance !

 

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Avec quatre romans à son actif, Jill Talbot est devenue un auteur de littérature policière renommée. L'avenir lui sourit d'autant qu'elle a trouvé en Nate un compagnon agréable, peintre en devenir. Son amie Tara, vedette d'une série télévisée, habite l'appartement au dessous de chez elle, dans Greenwich Village.

Un jour elle reçoit un message téléphonique puis une carte pour la Saint Valentin. Elle pense que Nate en est l'expéditeur. Devant ses dénégations, elle suppose que son beau-père, qui avait tenté de la violer alors qu'elle avait quinze ans provoquant le divorce de ses parents, se rappelle à son bon souvenir. Elle se confie auprès de son analyste et requiert les services d'un détective privé, Barnay. En épluchant le dossier de sa patiente, la psychanalyste relève un détail important. Lors de son passage à Hartley Collège Jill s'était liée avec trois étudiantes délurées.

Les trois adolescentes, Sharon, Belinda et Cass, surnommées les trois éléments, avaient tendu un piège le jour de la Saint Valentin à Victor Dimorta, avec l'aide inconsciente de Jill. Victor, affublé d'un physique disgracieux et secrètement amoureux de Jill, leur tournait autour. Sharon, en sous-vêtements sur son lit, avait incité Victor à se déshabiller, ses amies filmant la scène à son insu. Victime d'une farce cruelle, il avait été exclu du collège. Endurant depuis trop longtemps des sévices corporels assenés par un père alcoolique, la mère soumise fermant les yeux, il s'était révolté en tuant ses parents. Condamné, Victor était sorti de prison au bout de douze ans, le désir de vengeance solidement ancré dans son esprit. Grâce à un héritage providentiel, il a subi une opération de chirurgie esthétique, détail qu'ignorent la psy et le détective. Puis il s'est débarrassé de Sharon, dite la Terre, en l'enfouissant dans une clairière, de Bélinda, alias l'Air, en la jetant du haut d'un précipice, puis de Cass, le Feu, incendiant son pavillon, après les avoir séduites.

Un inconnu épie Jill de l'appartement d'en face, installe des micros sous un divan et dans l'écouteur du téléphone, la suit au cours de ses déplacements. Elle flaire cette surveillance sans pouvoir mettre un visage sur son ombre, découvrant les micros. Elle décide de se cacher chez des amis qui tiennent une résidence pour écrivains à Long Island. Elle prévient Barney, Tara et Mary son agent littéraire. Mais pas Nate dont elle est enceinte. Elle ne veut pas perturber son amant qui prépare un vernissage.

 

savage1.jpgMalgré un titre qui pourrait faire croire qu'il s'agit d'une énième histoire de règlements de compte entre truands, ce roman s'inscrit dans la lignée des œuvres de suspense façon M. H. Clark. L'épilogue est un véritable retournement de situation, prévisible car la piste du meurtrier semble trop bien balisée. Le lecteur pense suivre le coupable au fil des chapitres, l'intérêt se concentrant sur la réalisation ou non du quatrième meurtre. Mais le fantôme du passé n'a pas les traits que l'on imagine.

Tom Savage a disposé habilement ses jalons et il aurait pu, à la manière d'Ellery Queen, lancer un défi au lecteur. Des histoires de talion, on en a lu des dizaines, et bien souvent le vengeur masqué emporte la sympathie du public. Ici non, quoique la farce dont il a été victime et les mauvais traitements endurés durant son enfance eussent pu excuser la violence avec laquelle il agit.


Tom SAVAGE : Le meurtre de la Saint Valentin. (Valentine - 1996. Trad. de l'américain : Sophie Kajdan). Albin Michel, Spécial suspense. 1997. 342 pages. 18,60€

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13 février 2014 4 13 /02 /février /2014 08:40

Bon anniversaire à Max Obione né le 13 février 1944.

 

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Ce n’est pas parce qu’il ingurgite à forte d’innombrables bouteilles de bière, qu’il a perdu son esprit vindicatif et raciste. Au contraire. Essoufflé, les tuyaux de sa bonbonne d’oxygène greffés sur la lèvre supérieure en guise de moustaches, il arrive quand même à agoniser sa fille d’injures. Et il se joint au concert de récriminations de ses voisins lorsque ceux-ci vitupèrent contre les étrangers sans papiers et la lâcheté du gouvernement qui n’arrive pas à canaliser tous ces migrants en transit. Sa fille, qu’il appelle la Grosse, avec maman c’était moins pire, juste Boulette. C’était avant qu’elle décède et que les frangins ne viennent plus à la maison, parce que le père a remplacé la photo de Lénine par celle de Le Pen.

Ce soir là pourtant, le père est allé trop loin. Boulette, alors qu’elle allait procéder à une miction dans le jardin, entend du bruit. Elle est inquiète, pensant à un chenapan venu l’épier, l’espionner. Il n’en est rien. Juste un étranger, un Kurde, qui s’exprime comme il peut en anglais. Il a faim et Boulette tombe sous le charme de ce jeune homme qu’elle trouve beau. Un hélicoptère survole le quartier et les voisins sont agglutinés devant la porte d’entrée du père. Ils sont en train de fulminer contre ces étrangers qui n’hésitent pas à s’introduire chez eux, violer leurs femmes et leurs filles et je ne sais quoi d’autre.

Boulette est exaspérée et dans ces conditions là, on ne se contrôle plus. On fait des actes irréparables mais oh combien apaisants. Et avant d’inviter son nouvel ami chez elle, elle procède à un serrement de vis. M’enfin, les enfants aussi ont le droit de serrer la vis à leurs pères, surtout lorsqu’ils se montrent ignobles !

 

Max Obione s’inspire, non pas vraiment d’un fait-divers mais extrapole avec la noirceur qui caractérise ses romans sur le problème des réfugiés qui s’agglutinent autour d’un Sangatte aujourd’hui interdit. En quelques pages il nous raconte comment une vie peut basculer à cause de plusieurs éléments : le racisme de certains adultes face à des événements qui les dépassent, la pitié, l’émoi d’une jeune fille en butte à la cruauté parentale et qui découvre l’amour envers un jeune étranger, amour exacerbé par les virulences d’un père alcoolique, et d’autres facettes pas trop propres de ce racisme latent qui imprègne toutes les couches de la population, l’appât du gain aussi. En un peu plus de vingt pages Max Obione décrit en phrases courtes, en rafales staccato de mitraillette, cette histoire somme toute misérable, sauf en certains paragraphes dans lesquels les phrases s’allongent comme les langueurs océanes et les joutes amoureuses débutantes. Max Obione joue dans la sobriété, tout est dit avec force et il n’y a pas de passages superflus.

A lire de Max Obione : Gun, Le jeu du lézard, Scarelife, Ironie du short et Gaufre royale.

Voir également mon entretien en deux parties avec Max Obione.


Max OBIONE : Boulette. Collection La Porte à côté N°58. Editions Atelier In8. Parution février 2011. 32 pages. 4,00€.

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12 février 2014 3 12 /02 /février /2014 13:49

Comme disait ma grand-mère : Café bouillu, café foutu !

 

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Lorsque vous êtes en train de déguster, les yeux fermés, une tasse de café après un bon repas, pour un moment de détente entre collègues, ou en avalant la tête ailleurs votre jus matinal, vous êtes-vous demandé d'où provenait cette fragrance et ce goût, différents selon les occasions et le breuvage servi ?

Et pourquoi bon nombre d'écrivains, Balzac en tête, avaient une cafetière, l'ustensile pas la serveuse, à portée de main et de lèvres, tout en noircissant le papier ?

cafeier-chambe-2.JPGJulien n'a que vingt ans mais c'est un caféologue averti qui a de tenir car son grand-père est torréfacteur, et Julien a toujours vécu au milieu des sacs de fève et l'odeur des grains en train de chauffer à la température adéquate. Sa mère est décédée lors de son accouchement et le père n'a plus jamais remis les pieds dans l'échoppe. Ils n'étaient pas mariés, et le grand-père a élevé seul son héritier. Mais Julien n'a jamais vraiment été accepté, encaissant sans rien dire les reproches dont le plus grave se résumait en ceci : il était le meurtrier de sa mère. Puis vers huit ou neuf ans, Julien est devenu progressivement aveugle, sans qu'une possible intervention médicale puisse être envisagée. Son nez a pris la relève et il peut rien qu'en humant la subtile odeur d'un fumet citer la variété de la graine, et ses papilles ne sont pas en reste.

Mais l'univers du café il connait, du début, de la plantation de la plante, les diverses variétés, l'art de torréfier, et celui de déguster bien évidemment. Il connait aussi le côté Noir du café, pratiqué par des courtiers qui à l'aide d'artifices font monter ou baisser les cours selon leurs intérêts. Julien vient d'être mis à la porte par son grand-père car il a osé une comparaison qui n'a pas été du goût de son aïeul. Lorsqu'il a balancé devant les clients que Nespresso serait au café ce que furent les aldéhydes dans le Shalimar de Guerlain et qu'y résister serait pure folie, j'ai vu rouge. Sans ménagement je l'ai attrapé par le col et je l'ai jeté dehors avec sa sacoche et sa canne.

Alors Julien n'a eu d'autre recours que demander à son amie d'enfance Johanna de l'héberger. Ce qu'elle a accepté sans barguigner. Elle est journaliste mais elle veut changer de métier. Elle se verrait bien boulangère mais pour l'instant Julien est là et elle écoute avec un certain ravissement et beaucoup de curiosité toutes les anecdotes qu'il lui narre avec emphase.

Cela va naturellement de la légende de ce petit chevrier qui cafe1.jpgse rendit compte que ses chèvres étaient plus fougueuses après avoir ingéré des cerises de café (c'est ainsi que se nomment les baies avec leur pulpe) jusqu'à nos jours avec grand renfort de publicité pour des capsules vantées par un acteur de cinéma, vendues dans des salons luxueux bien loin des paquets de moulu pour prolétaires, en passant par l'arrivée en France, la consécration de ce breuvage d'abord chez Procope (le plus ancien café de Paris même s'il a perdu de son charme et de son aura), et les indispensables conseils perdus de vue. Par exemple même pour du café moulu emballé sous vide, il est préférable après ouverture de le conserver au réfrigérateur.

Julien et Johanna décident de s'envoler pour le Brésil et de se rendre dans une plantation, fournisseur du grand-père torréfacteur, qui demeure à taille humaine, respectueuse de la production sans utiliser toutes sortes de produits néfastes pour la santé. Pendant ce temps, le grand-père de Julien se retrouve à l'hôpital et couché sur son lit, piqué de partout avec des perfusions comme une poupée vaudou, il se remémore les vingt années passées auprès de son petit-fils, se rendant compte que peu à peu il s'est mal conduit envers lui. Mais la mort de sa fille lors de son accouchement l'a traumatisé et il ne sait plus que penser. Comme c'est si près, l'enfance, quand on a soixante-dix automnes, comme c'est si loin à quarante ans.

L'histoire du café ne fait qu'un avec l'histoire de la France : Les cafés deviennent restaurants, et le quartier du Palais Royal un immense bordel à ciel ouvert. On ne se cache plus et on consomme les baisers sous les arcades; c'est alors que Louis-Philippe ordonne la fermeture des tripots coupe-jarrets et chasse les filles à coups de cravache. Lentement, sous le voile épais du puritanisme, le quartier s'ennuie, s'endort, les clients se font rares, le déclin est proche. Les cafés ferment sous l'indifférence générale. L'histoire se répète de nos jours sous une autre forme, et l'économie dépend souvent de décisions arbitraires.

maragogypeL'histoire de Julien et de Johanna, leurs tribulations, puis celle narrée par le grand-père s'imbriquent dans celle du café. L'on ne se rend pas compte devant son bol ou sa tasse, chez soi ou au café, combien la préparation de la précieuse graine demande de soins et de manipulations.

 


Bon grain, bonne mouture, bonne préparation, méthode à dépressurisation ou extraction douce en alambic de verre... Sélectionner les grains, c'est bien, mais de la plantation jusqu'à l'extraction, une vingtaine d'étapes sont déterminantes pour la vertu du breuvage.

Il est loin le temps de ma grand-mère qui versait l'eau bouillante sur la poudre disposée sur un lit de chicorée, une chaussette servant de filtre. D'où probablement l'expression jus de chaussette pour un breuvage limite consommable, et pour celui qui était franchement à jeter, jus de chaussette de facteur rural.

Un roman doublé d'une étude très riche, très érudite sans être rébarbative, avec en annexes des conseils de préparation, de choix dans les grains, et des articles comme Les grands crus, Les femmes et le café, La santé par le café, Avec ou sans sucre, et même Les vertus et recettes du marc de café. Un ouvrage qui vous fera déguster le café autrement, et si vous passez devant l'échoppe d'un torréfacteur, humez cette odeur qui s'échappe et embaume l'atmosphère.

Après le Roman du Parfum et le Roman du Café, pourquoi ne pas rêver au Roman du Chocolat ? Tiens, je me prendrai bien un petit maragogype, moi ! Sans sucre, évidemment.


Pascal MARMET : Le roman du café. Collection Le roman des lieux et destins magiques. Editions du Rocher. 238 pages. 21,00€.

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  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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