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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 08:32

Et Monsieur Couard ?

 

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De plus en plus, il est de bon ton pour les romanciers de faire précéder leur récit d’un prologue. Ce qui est de bon aloi, mais ces auteurs détournent le sens même du prologue en décrivant une scène postérieure au début du roman. Or le prologue est la partie d'un ouvrage dramatique où sont exposés des événements antérieurs à ceux qui se déroulent dans la pièce proprement dite, selon la définition de mon dictionnaire. Heureusement quelques réfractaires perpétuent la tradition et refusent de dévoiler tout ou partie de l’intrigue dans leur prologue. Ainsi Serge Quadruppani nous offre trois prologue pour le prix d’un. Mais quels prologues !

 

Prologue n°1 : Six jours plus tôt, vallée de Suse dans le Piémont.

La juge antimafia Simona Tavianello, accompagnée de son mari Marco commissaire principal à la retraite, enquête sur les affaires de la ‘ndranghetta et doit rencontrer Minoncelli, l’apiculteur militant dont ils ont fait la connaissance dans La disparition soudaine des ouvrières. Ils se retrouvent coincés entre des manifestants anti TAV (synonyme italien du train à grande vitesse) qui refusent le projet destiné à faire gagner une vingtaine de minutes pour les voyageurs mais dont la ligne doit traverser une montagne truffée d’uranium et d’amiante, et les policiers chargés de canaliser les protestataires. Elle récolte quelques horions dans l’échauffourée, et à la douleur physique s’ajouté la douleur morale. En effet son supérieur lui apprend qu’en faisant obstruction aux forces de l’ordre l’enquête lui est retirée et qu’elle est suspendue. Sous l’affront et comme elle d’humeur soupe au lait, Simona donne sa démission. Marco lui propose alors de passer quelques jours à Paris, le temps que la pression retombe.

 

Prologue n°2 : Six semaines plus tôt à Palerme, Sicile.

L’inspecteur Francesco Maronne possède un curieux don. Lorsqu’une affaire lui est confiée, pour la résoudre, il réfléchit. Il réfléchit tellement profondément qu’il s’endort dans son bureau. Et quand il se réveille, il ne s’exclame pas Eureka mais c’est tout comme. Ce jour là, alors que Battisti, un Milanais détaché afin d’apprendre sur le tas, doit lui être adjoint pour une affaire de drogue gérée par la Mafia, la magie opère comme d’habitude. Seulement cela va dégénérer, une bavure conclue provisoirement l’affaire mettant hors de service provisoirement Battisti et une policière. Maromme et son supérieur sont promus à la Direction nationale antimafia et Maromme se voit confier une mission à Paris.

 

Prologue n°3 : Six mois auparavant à Foussana, Tunisie.

Abdel et son frère aîné Moncef traficotent dans le bled tunisien, de l’essence et autres bricoles. Mais à cause d’un pneu usagé qui éclate, ils se trouvent immobilisés sur la route de montagne en lacet, non loin de la frontière algérienne. Alors qu’ils sont péniblement en train de changer de roue, ils sont surpris par le commandant Nabil et ses hommes. Le commandant Nabil connait Abdel, mais il a des principes. Pas d’armes lorsqu’on passe la frontière. Or Moncef a caché un vieux Beretta et des balles dans une sacoche sous le siège de son frère. Abdel déclare que l’arme lui appartient, alors qu’il n’était au courant de rien. Moncef assiste impuissant à l’exécution de son frère qui a la tête tranchée d’un coup d’épée. Moncef est embrigadé par Nabil, qui veut se conduire comme un père avec lui. Un père et plus si affinités. Moncef est docile, accepte tout sans montrer son dégoût, mais il s’est promis qu’un jour il se vengera.

 

Après ces trois hors d’œuvres, passons sans plus tarder au plat de résistance qui se trouve être un tajine d’agneau aux abricots. Lé décor : chez Yasmina, un restaurant marocain sis dans le Marais. Dans la salle, Simona et Marco s’apprête à déguster ce plat, le couscous en vertu du principe des sondages étant le plat préféré des Français, vraiment typique et synonyme de dépaysement. Soudain le regard de Simona est attiré par un jeune homme qui s’apprête à déjeuner seul. Son aspect physique lui rappelle quelqu’un mais elle est incapable de se souvenir de qui. La serveuse leur apporte les plats, puis elle se ravise, l’emmène au jeune homme seul (le lecteur apprendra qu’il s’agit de Maromme), pour enfin les déposer sur la table d’un troisième personnage de type maghrébin, bon chic bon genre, qui n’est autre que Moncef. Avec dextérité et emphase, la serveuse soulève les couvercles et posée sur le couscous surgit une main. Evidemment ce genre d’ingrédient n’est pas une composante de la tajine, et c’est un peu l’affolement général.

En attendant que la serveuse apporte les fameux plats, Maromme pense à la rencontre qu’il a faite peu de temps auparavant, la belle Maria Loriano, qui désirait le rencontrer au sujet de son enquête mais également pour lui parler de son père, décédé dans des circonstances mal définies. Ce n’est pas tant qu’elle regrette son géniteur puisqu’elle ne l’avait pas vu depuis des années, ayant fugué à son adolescence, mais à cause d’un carnet qu’elle a récupéré par la suite. Une sorte de testament sur lequel il a rédigé des lettres qu’il destinait à sa fille mais qu’il ne lui avait jamais envoyé. La dernière page ne comporte que deux mots : Madame Courage. Or c’est le surnom donné à une nouvelle drogue qui fait fureur du côté de Barbès. Quant au père, il était un entrepreneur très influent dans les états du Nord de l’Italie, et son décès pourrait être lié avec ses activités. Or Maromme qui n’a pas de nouvelles de Maria croit reconnaître la main de la jeune femme déposée sur le couscous. C’est d’un bon goût !

Moncef lui revoyait en pensée les mois qu’il a passé aux côtés de Nabil, son entrainement, ses rapports avec le commandant et à la mission qui lui a été confiée.


madame-courage-copie-1.jpgNaturellement ces trois personnages principaux, et quelques autres qui tiennent une place prépondérante, vont être amenés à se croiser, à plusieurs reprises, dans des conditions souvent hasardeuses et plus ou moins tragiques, dangereuses, et avouons le emberlificotées. Car si la drogue s’invite dans ce scénario, une drogue utilisée dans les années 90 par les commandos de l’armée algérienne durant ce qui sera surnommée la sale guerre, d’autres composantes s’infiltrent comme la finance internationale via la corruption et la violence qui régissent le comportement de notre société.

Pas question de passer une page, un paragraphe ou une ligne, sinon le lecteur risque d’être déboussolé, tant l’intrigue est complexe, foisonnante et riche en rebondissements. Serge Quadruppani qui est aussi le traducteur d’Andréa Camilleri n’hésite pas à faire référence à l’auteur sicilien, et continu son exploration des affaires véreuses italiennes dont la Mafia est l’instigatrice.


Serge QUADRUPPANI : Madame Courage. (Première édition Editions du Masque - 2012). Réédition Folio policier N° 723. parution le 13 mars 2014. 272 pages. 7,90€.

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16 mars 2014 7 16 /03 /mars /2014 13:33

La SF soviétique existe, je l'ai rencontrée !

 

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Si l’hégémonie des Etats-Unis dans le domaine de la science-fiction n’est plus à démontrer, ce genre littéraire est néanmoins universel et l’ex URSS possédait des représentants qui, s’ils produisaient des romans ou des nouvelles de qualité, restaient plus ou moins confidentiels. Rideau de fer oblige.

Et à part les frères Strougatski et quelques autres dont Emtsev et Parnov, on ne peut dire que les écrivains russes inondèrent le marché. Dans les années 1980, une tentative fut expérimentée, incitée par Pierre Barbet au Fleuve Noir. Mais la collection Best-sellers de la SF, englobant tout aussi bien Américains, Russes , Australiens ou Polonais avorta. Et c’est tout à l’honneur de Patrice Lajoye de se lancer dans cette aventure qui ne manquera pas d’inciter les lecteurs à procéder à de nouvelles découvertes. On pourra regretter que la présentation des textes et de leurs auteurs soit succincte, mais au moins elle a le mérite d’exister.

Au sommaire quatorze nouvelles, signées Valeri Brioussov, Alexandre Belaiev, Vladimir Savtchenko, Valentina Jouravliova, Dmitri Bilenkine, Karen A. Simonian (2 nouvelles), Roman Podolny, Victor Koloupaev, Vladimir Drozd, Kir Boulitchov, Valentina Soloviova, Vladimir Pokrovski et Pavel Amnouel. En prime une introduction, une postface et un portfolio comprenant vingt sept illustrations de couvertures issues pour la plupart de la revue Tekhnika Molodeji (La Technique pour les Jeunes) datant des années 1960-1970.

La plupart de ces nouvelles ont été publiées en France dans la revue Lettres soviétiques ou dans des anthologies comme le Chemin d’Amalthée à Moscou, Editions en Langues étrangères ou encore dans la revue Antarès. Si toutes ne sont pas des chefs-d’œuvre, certaines de ces nouvelles sortent toutefois des chemins battus à l’image de La Terre, Scènes des temps futurs de Valeri Brioussov, pièce de théâtre construite comme une tragédie grecque, dont la première publication russe date de 1904.

Dans Au-dessus du néant d'Alexandre Beliaev on rencontre le professeur Wagner qui s’intéresse à la pesanteur terrestre, et surtout à ce qui se passerait si cette pesanteur était annihilée. Et la première application de ce retournement de situation (au propre comme au figuré) résiderait dans des fins militaires. Dans L’éveil du professeur Berne, Vladimir Savtchenko met en scène un savant qui désire vérifier l’hypothèse que les cycles terrestres de l’humanité ne seraient qu’une succession d’évolutions et de retour à la case départ. Pour cela il se rend en Mongolie et expérimente sur lui-même une forme de cryogénisation devant durer environ 18 000 mille ans.

Bien d’autres aventures sont décrites mais il serait fastidieux de vous les retracer toutes ici. Et où résiderait alors l’intérêt de la découverte ? Si certaines se révèlent quelque peu didactiques, il ne faut pas oublier que Jules Verne, l’un de nos grands précurseurs ne dédaignait pas se montrer pédagogue et visionnaire dans ses romans. Une découverte avant peut-être une suite qui serait la bienvenue car tant de textes et d’auteurs restent à détecter.


Dimension URSS. Anthologie présentée par Patrice LAJOYE. Collection Fusée N°05 ; Rivière Blanche. 300 pages. 20,00€.

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15 mars 2014 6 15 /03 /mars /2014 10:32

Dans le cadre des 20 ans de la collection Chemins Nocturnes chez Viviane Hamy, un nouveau titre à 8,90€. Profitez-en !

 

20 ans


Prêt pour l'embarquement ?

 

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Née à Besançon mais possédant un passeport britannique, la journaliste aux yeux vairons Koré Sheffield ne voyage qu'en bateau. Elle a connu lors d'un reportage en ex-Yougoslavie Robert Vortexman, un trafiquant d'armes qui se fait rémunérer en héroïne. Elle embarque sur le même cargo que lui. Il doit livrer aux Etats-Unis des caisses d'armes et se prétend concessionnaire de voiture accompagné de précieux containers.

Elle est décidée à démasquer son ennemi malgré les conseils de son amie Susan Woolf, agent du MI5, chargée de protéger le contrebandier. A bord du navire, un couple de jeune mariés, Lloyd Wicklow et Chouchou sa femme, effectuent leur voyage de noce. Au cours d'un repas, un joute verbale oppose Vortexman à Koré, en présence des autres passagers et du capitaine. Tandis que Koré s'occupe d'un mousse qu'elle surnomme Corto, Chouchou alias Susan, vérifie les coffres des voitures-alibis du trafiquant.

Elle découvre le cadavre d'un de ses collègues et est surprise par deux matelots qui tentent de lui injecter de la drogue. Elle s'en débarrasse et se réfugie dans la cabine de Koré où elle passe la fin de la nuit.

Corso, qui a surpris une partie de la conversation lors du repas, est acquis à la cause des deux femmes. Koré demande au capitaine de vérifier le fret qu'il transporte. Ce ne sont que des machines agricoles. Elle pense que les armes, bradées par les Russes, sont restées en Angleterre. Cette traversée est la croisière du mensonge. Les hommes d'équipage s'avèrent être à la solde de Vortexman, tout comme Corso, agent de l'US Navy.


Ce roman valz-copie-1.jpgqui s'inscrit dans la plus pure tradition du roman populaire, avec sa journaliste émule de Tintin et de Rouletabille - les seules différences résidant dans sa bisexualité et son don de télépathie - avec également son méchant dont le visage peut se transformer à volonté, ses protagonistes dont l'identité et les motivations se dévoilent peu à peu, et dont les retournements de situation sont un perpétuel jeu de piste, ce roman joue également avec la proche actualité. La guerre ethnique en ex-Yougoslavie, la grande braderie militaire russe, tempèrent le côté farfelu de l'histoire. Un livre amusant dont la gravité est maquillée d'extravagance.

 

Eric VALZ : CARGO. Viviane Hamy, Chemins Nocturnes. Parution Mars 1996. 192 pages.

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14 mars 2014 5 14 /03 /mars /2014 09:14

Ce n’est vraiment pas de veine !

 

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Tous les enfants adoptés ressentent à un moment ou un autre le besoin de connaitre l’identité de leur mère naturelle et par voie de conséquence de leur géniteur.

Sara Gallagher, trente-quatre ans, une fille de six ans, Ally, et un fiancé, Evan, n’échappe pas à la règle. Elle a toujours su qu’elle avait été adoptée, et avec ses parents adoptifs, de nombreux accrochages ont perturbé son enfance. Surtout avec son père, sa mère atteinte de la maladie de Crohn étant trop souvent alitée. Et alors qu’ils ne pouvaient théoriquement avoir d’enfants, deux petites filles, Mélanie et Lauren, sont nées après son arrivée au foyer. Seulement elle a eu l’impression d’être rejetée, et Mélanie trouvait toujours le moyen de se montrer injuste à son encontre.

Evan dirige un camp de pêche sur la côte de l’ile de Vancouver et il ne rentre qu’une fois par semaine environ à Nanaimo. Sara répare des meubles chez elle et sa vie la satisfait ainsi. Le mariage est programmé dans quelques mois et il faut penser à tous les préparatifs, cependant son obsession la guide. C’est en farfouillant sur Internet qu’elle retrouve sa mère naturelle, Julia Laroche, enseignante en histoire de l’art à l’université de Victoria.

Sa mère naturelle ne veut pas entendre parler de Sara, qui malgré tout la rencontre chez elle. Elle reçoit une fin de non recevoir, Julia Laroche bottant en touche, affirmant qu’elle a rencontré son père lors d’une fête. Sara décide de ne pas en rester là. Elle engage un détective privé, un ancien policier ce qui est pour elle une référence de sérieux. Mais ce qu’elle apprend est loin d’un conte de fée. Elle est la fille du Tueur des campings !

 

En réalité Julia Laroche se nomme Karen Christianson et elle est la seule victime du tueur à lui avoir échappé. Le tueur des campings, car tous ses méfaits ont été émis dans un camping de la Colombie britannique. Au total une quinzaine de jeunes femmes ont été agressées, violées puis tuées, mais une trentaine de personnes ont été trucidées, car elles étaient accompagnées d’un petit ami ou d’un membre de leur famille. Ce que l’on appelle les dommages collatéraux. A peine remise de cette annonce, elle découvre que des forums sur Internet se sont emparés de cette affaire. Pourtant ses parents adoptifs, qu’elle continue d’appeler Papa et Maman, ainsi que ses sœurs, avaient promis de ne rien dévoiler. Cela la déboussole complètement et des crises de migraine, migraines auxquelles elle est sujette assez fréquemment, la submergent.

C’est encore pis lorsqu’elle reçoit un appel téléphonique de celui qui se revendique comme le Tueur des Campings et qu’il l’appelle Ma fille. Il se permet même de lui envoyer des bricoles. Au début un rabot, accessoire utile pour la rénovation des meubles qu’elle effectue pour le compte de particuliers amateurs d’antiquités. Elle n’y tient plus. Elle demande protection auprès des autorités et deux agents de la police montée viennent enquêter chez elle. Sandy, qu’elle n’apprécie pas beaucoup, et Billie, qui s’avère être un homme charmant, compréhensif. Une proximité qui ne plait guère à Evan, lequel lui demande de tout arrêter. Mais est-elle vraiment maitresse de son destin ? Elle se trouve prise dans un engrenage infernal qui pourrait être fatal à son mariage et pourquoi pas à sa vie, à celle de sa fille Ally qui se montre de plus en plus tyrannique, et même à Moose, son bulldog, auquel elle tient particulièrement.

 

stevens2-copie-1.jpgLe récit est décliné en vingt cinq séances de psychothérapie dont les trois dernières sont des séances de rattrapage. Entièrement écrit à la première personne du singulier, Sara s’adressant à Nathalie sa psychiatre, ce roman permet au lecteur de suivre pas à pas, en quelques semaines, les affres ressenties par Sara, sans avoir une vision extérieure de ce qu’elle peut ressentir. Le malaise, la peur, les inquiétudes, les moments d’abattement, les conflits avec Ally, Evan, ses parents adoptifs, ses sœurs et plus particulièrement Mélanie, ou encore la policière, sont décrits avec conviction. Le lecteur partage ses sentiments, ce refus d’abdiquer, cette envie de connaitre ce père, de le raisonner, de le manipuler, de comprendre ses motivations, de tenter qu’il ne recommence pas une nouvelle fois, de suivre, par les déclarations de Sara, l’enquête de Sandy et de Billie. Enquête qui débouche souvent dans des impasses avec des rendez-vous manqués. Le lecteur en même temps découvre le caractère souvent vindicatif de Sara, qui a bousculé Derek, le père d’Ally, dans les escaliers avant la naissance de leur fille. Derek qui s’est tué dans un accident. Ce qui n’a pas assagit Sara qui peut se montrer violente, agressive, tout comme sa fille, lorsque les personnes qui l’entourent ne se plient pas à sa volonté. Sauf devant son père adoptif qui sait la juguler. Mais Sara n’est pas foncièrement méchante, elle s’emporte rapidement, elle est soupe au lait comme on dit. Et c’est l’un des points forts de ce roman, cette analyse d’elle-même effectuée auprès sa psychiatre, de savoir se remettre en cause elle-même, même si elle n’en convient parfois que du bout des lèvres.

Si Séquestrée était un premier roman fort, celui-ci l’est plus encore, reprenant le même système de narration, avec toujours cette progression dans la frayeur, l’angoisse, la terreur même, ressenties par une femme qui se trouve aux abois. Un roman abouti qui marque les esprits, tant par le ton donné à la narration, par cette recherche qui devient un fardeau, que par les conflits familiaux engendrés.


Chevy STEVENS : Il coule aussi dans tes veines (Never Knowing – 2011 ; traduction de Sebastian Danchin). Première édition : Editions de l’Archipel - Janvier 2013. Réédition Pocket Thriller. Parution le 13mars 2014. 478 pages. 8,10€.

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13 mars 2014 4 13 /03 /mars /2014 16:05

Et si Charles Baudelaire avait trahi Edgar Allan Poe en tronquant ses traductions ?

 

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C'est ce que l'on pourrait penser car Auguste Dupin a exhumé de ses cartons les textes originaux et les a rétabli dans leur intégralité, c'est à dire quelques scènes érotiques qui étaient passées à la trappe.

Ces contes sont immortels et pourtant, si on les a lu, parfois il y a bien longtemps, on ne s'en souvient pas forcément. Aussi se replonger dans La Chute de la Maison Usher, qui entame le recueil, puis se délecter de Morella, de Metzengerstein, de La dame des foules, de Bérénice, et finir avec Double assassinat dans la rue Morgue, la plus connue de ces nouvelles, ravive les souvenirs et le plaisir des lectures de l'adolescence.

Dans la plupart des textes, le narrateur, Edgar Allan Poe lui même sans nul doute, narre une histoire dans laquelle le fantastique fuligineux suinte à travers les lignes, où la terreur se niche dans le poétique.

Au départ, la situation est quasiment banale, comme dans La Dame des foules. Le narrateur installé dans un café londonien passe le temps à regarder la foule déambuler, toujours plus importante dans la rue au fur et à mesure que la nuit arrive. Il plaque une profession, un gagne-pain, un état d'esprit, une qualité ou un défaut aux silhouettes qui s'empressent ou au contraire qui vagabondent. Soudain il aperçoit une femme, une physionomie qui capte son attention et aussitôt il ressent le besoin viscéral de la suivre. Bérénice est la cousine du narrateur, mais autant elle est vive et enjouée, autant lui est renfermé n'ayant pour compagnie que ses livres. Mais avec l'âge, Bérénice est atteinte d'un mal incurable tandis que le prosateur s'enferme dans un état monomaniaque. Pourtant ils doivent se marier.

Metzengerstein met en scène un jeune noble très tôt orphelin qui révèle sa nature lors de l'incendie du château des Berlifitzing, d'une noblesse moins ancienne et moins riche. Longtemps un antagonisme a divisé les deux familles, ce qui n'empêche pas le jeune baron Frederick d'avoir pour maîtresse une bâtarde du vieux Berlifitzing. Ses valets recueillent un cheval qui semble échappé des écuries du château en flammes, mais dans la salle où il se tient, une tenture représentant un cheval a subi des transformations.

Je passe sur les autres histoires pour m'attarder plus longuement sur Double assassinat dans la rue Morgue car il s'agit d'un texte fondateur du roman policier qui fournira par la suite deux genres connaîtront leurs heures de gloire, un peu délaissés aujourd'hui mais dont l'aspect ludique mériterait d'être remis à l'honneur. Le narrateur fait la connaissance du Chevalier Dupin, jeune homme qui vit de ses rentes et les deux hommes possèdent une affinité de caractère qui les conduit à devenir colocataires. Ils discutent souvent et notre prosateur se rend compte que Dupin possède la faculté, non point de lire dans les pensées, mais de déduire d'après l'attitude et les gestes de son vis-à-vis ce à quoi il vient de réfléchir ou de cogiter. Un fait-divers macabre attire leur attention. Une mère qui selon les journalistes et le voisinage serait une pythonisse, et sa fille qui recevrait parfois des hommes, ont été affreusement assassinées. Certaines personnes ont entendu des cris et des paroles mais aucunes d'elles ne peut préciser en quelle langue les voix entendues se sont exprimées. Deux ou trois mots de français mais pour le reste c'est soit de l'espagnol, de l'allemand, de l'italien ou même du russe. La mère gisait dans la cour intérieure de l'immeuble, située quatre étages plus bas que l'appartement, tandis que la fille était enfournée dans le conduit de cheminée. Et la porte d'accès au logement était fermée de l'intérieur. Nous sommes donc en présence de deux genres littéraires qui feront florès avec pour maîtres Sir Arthur Conan Doyle et John Dickson Carr : la déduction logique et le meurtre en chambre close.

 

Les scènes dites érotiques, qui ne devraient pas faire dresser les cheveux sur la tête d'un homme politique dont le nom m'échappe (c'est fou comme les patronymes s'oublient rapidement lorsque ceux qui les portent veulent attirer l'attention sur eux et ne dégoisent que des âneries !) mais qui s'est offusqué à la lecture d'un ouvrage destiné à la jeunesse qui s'intitule Tous à Poil, les scènes érotiques donc sont loin de choquer les âmes bien pensantes, sauf peut-être dans Double Assassinat dans la rue Morgue. Mais le plus intéressant est de constater combien les ajouts ont été délicatement placés dans le corps du récit et celui qui sans avoir été prévenu se plongerait dans ces historiettes serait incapable de discerner où commencent ses scènes et même serait dans l'impossibilité de se rendre compte qu'il y a eu ajout tant tout s'enchaîne de façon plaisante et naturelle.

La couverture de l'ouvrage est signée ASLAN.


Edgar Allan POE & Auguste DUPIN : Histoires extraordinaires. Traduction de Charles Baudelaire revue et augmentée par Auguste Dupin. Collection ClassX, éditions de la Musardine. 182 pages. 7,90€.

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13 mars 2014 4 13 /03 /mars /2014 10:32

Et il n'existe pas de lessive pour la nettoyer !

 

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C’est une bien sale affaire qui échoit à Sacha Duguin, promu commandant à la criminelle sous les ordres d’Arnaud Mars, lequel l’a préféré à la non moins compétente Emmanuelle Carle. Le cadavre carbonisé d’un homme a été retrouvé sous le plongeoir de la piscine olympique de Colombes dans la proche banlieue parisienne et les gendarmes se sont débarrassés promptement de l’enquête.

L’homme dont l’identité va être bientôt révélée, a été assassiné, un pneu passé au tour du cou et menotté. De l’essence, une allumette et en un rien de temps il est devenu un brasier vivant. Un meurtre qui sent, outre le caoutchouc brûlé, le souffre car Florian Vidal, tel est son nom, vivait dans l’ombre de Richard Gratien, avocat d’affaires spécialisé dans les contrats d’armement. Florian Vidal, issu d’un milieu très modeste, a débuté sa carrière comme chauffeur de Gratien, puis peu à peu est devenu son assistant, son bras droit, son ami. Sa femme Nadine, pénaliste elle-même, n’appréciait guère cette entente confinant presque parfois à des rapports père fils entre les deux hommes.

Richard Gratien, connu aussi sous le sobriquet de monsieur Françafrique, a partie liée avec Candichard, un ex-ministre dont l’espérance de se présenter aux présidentielles est annihilée par une vague histoire de rétro commission. Le portable amélioré de Vidal est retrouvé au fond de la piscine. Inutilisable, la puce s’étant volatilisée dans la nature. Mais il est bien connu que les puces n’apprécient pas le contact de l’eau javellisée. Ce qui n’arrange guère les services de police. Le meurtre de Vidal est similaire à celui de Toussaint Kidjo, un officier de police, survenu cinq ans auparavant.

Lola Jost qui a pris sa retraite depuis un an, lasse de sa fonction de commissaire, est prévenue par un de ses anciens collègues. Or Kidjo, sous un air angélique (je ne pouvais pas la manquer celle-là !) appartenait à son service et Lola n’a toujours pas digéré ce meurtre. En compagnie d’Ingrid Diesel, masseuse le jour et danseuse nue dans un cabaret la nuit, et de Sigmund, un chien dalmatien qui leur a été confié par son propriétaire parti se reposer au soleil, Lola s’immisce dans l’enquête dirigée par Sacha Deguin. Au grand dam de celui-ci.

Mais Lola est opiniâtre, persévérante. Son sens de l’enquête, elle n’a pas été commissaire pour rien, l’amène parfois à précéder Duguin dans ses recherches et ses intuitions. Bon gré mal gré ils deviennent obligés, avec l’accord tacite d’Arnaud Mars, à collaborer, à échanger leurs informations. Remontant le temps et les connaissances de Gratien et de Kidjo, ils découvrent qu’un célèbre journaliste du Congo-Kinshasa, Norbert Konaté, a été assassiné quelques mois avant la mort de Kidjo en ayant le temps de remettre à celui-ci un paquet. Konaté aurait été en possession de carnets secrets appartenant à Gratien. Et qui dit secret dit brûlot. Des carnets convoités par le juge d’instruction Sertys. Et quand la DCRI, qui est le mariage arrangé entre les RG et la DGSE, le FBI français, s’en mêle, on ne peut que s’attendre à des embrouilles supplémentaires.

sylvain2.jpgAprès un premier chapitre qui ressemble à une feuille de laurier dans un plat de poulet, feuille que l’on jette et dont on se rend compte plus tard que cet ingrédient avait son importance, Dominique Sylvain nous entraîne dans une histoire alambiquée à souhait, comme un puzzle dont toutes les pièces s’emboitent à la perfection à la fin, sauf une qui est manquante.

En effet l’épilogue est traité comme une fin ouverte laissant au lecteur le loisir d’imaginer une suite, un prolongement que l’auteure nous livrera peut-être dans un prochain roman. Les moments de décompression nous sont fournis par Ingrid Diesel, une Américaine dont le français est parfois approximatif. Ce qui nous réserve quelques dialogues savoureux. Dominique Sylvain n’est pas avare de bons mots, de petites phrases bien senties, de métaphores hautement jouissives. Ainsi : « La caste des hauts fonctionnaires a remplacé la noblesse de Louis XIV, en reprenant les mêmes mauvaises habitudes. On dépense sans compter, on ne se remet jamais en question et on gouverne de haut ». Ou encore : « Quand la vie dénichait une victime de choix, elle ne détestait pas s’acharner ». Une petite dernière pour la fin ? « Quelque chose me dit qu’une rétro commission n’a rien à voir avec le fait de faire ses courses dans les années cinquante, ajouta Ingrid ». Quant au titre, ne peut-on penser qu’il s’agit d’un pléonasme, une guerre étant par définition sale, sauf la guerre en dentelle, et encore.


Dominique SYLVAIN : Guerre sale. (Première édition Collection Chemins nocturnes. Editions Viviane Hamy). Réédition Points. Parution le 13 mars 2014. 336 pages. 7,60€.

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12 mars 2014 3 12 /03 /mars /2014 13:06

Evitez de vous faire prendre en photo, même par un ami !

 

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Ancien trader devenu libraire spécialisé en bandes dessinées dans une petite ville du New-Jersais, Jeremy Corbin évite de donner son opinion sur des romans ou des auteurs. Mais quand il est sollicité il ne sait pas mentir même si ce qu’il avance n’est pas du goût du client. Comme ce jour-là avec Greg, un fidèle de la boutique.

Jacky Walls, sa femme, ancien agent de la CIA, est devenue adjoint au shérif de la ville. Et tous deux vivent tranquillement avec Ann, leur bébé, depuis leurs précédentes et trépidantes aventures (voir Le Projet Bleiberg).

Alors que Jacky s’installe à son bureau pour taper ses rapports, elle reçoit un appel téléphonique la prévenant que des hostilités vont commencer et qu’elle doit sortir au plus vite. Au même moment des individus tirent sur les hommes présents dans le bureau et elle parvient à s’échapper en s’élançant par une fenêtre où, à moitié sonnée, elle est récupérée par un inconnu.

Concomitamment, tandis que Jeremy s’active dans la cuisine préparant le repas du soir auquel est invité Greg, celui-ci arrive et pointe une arme à feu. Ce n’est pas parce que Jeremy l’a chambré plus tôt dans la journée, mais à cause d’un danger imminent. Effectivement là encore des hommes armés s’introduisent dans la maison mais leur mission est annihilée. Ils ne peuvent s’emparer ni du bébé ni de Jeremy et de Greg, tous trois cachés dans la cave. Un sauveur providentiel est présent en la personne d’Eytan Morgensten, dit Morg.

Eytan Morgenstern, agent du Mossad, a consacré sa vie à traquer les criminels nazis ainsi qu’une organisation occulte, le Consortium dont le chef est surnommé Cyfer. Ex-agent du Mossad devrais-je écrire, car il a donné peu de temps auparavant sa démission ainsi que ses deux compagnons, Eli Karman, son compagnon de route depuis près de soixante ans, et Avi Lafner, beaucoup plus jeune et médecin auprès du Mossad. Car Morg a confondu mission officielle et intérêts privés. Et cela ne plait guère à sa hiérarchie. Mais officieusement, il a toujours le soutien de son directeur Simon Attali. Ayant appris par une taupe du Consortium, que ses amis Jeremy et Jacky étaient en danger, car l’Organisation le recherche, il a accouru immédiatement et les a protégés. La petite Ann est placée en lieu sûr, confiée à la garde de Greg et Morg peut compter sur des renforts de choc, les deux jeunes mariés n’ayant pas perdu leurs réflexes. Car la bataille continue et bientôt fait rage.

Quelques semaines plus tôt, à Washington, au Pentagone, des officiers militaires US et des représentants d’une société qui développent un programme militaire dont les Marines sont le fer de lance, sont intéressés par des photos sur lesquels apparait Morg, le géant chauve. Deux photos prises à trente ans environ de distance dont la dernière par Jacky, et qui intriguent fortement les participants à cette réunion. Morg n’a pas vieilli ! Et sa prise pourrait s’avérer fort intéressante au sujet des recherches militaires entreprises.

En 2003, au cours d’affrontements en Irak, des militaires américains procèdent à une récupération de Marines tombés dans une embuscade. Enfin pas tous, certains restent sur le carreau, d’autres vont être utilisés à des fins… militaires, une opération top secret.

Remontons le passé jusqu’en 1942 et 1943 au camp du Stutthof en Pologne. Le jeune Eytan Morg sert de cobaye, mais les résultats engendrés ne satisfont pas Reinhard Heydrich, l’instigateur des recherches. Eytan ne réagit pas comme prévu, d’autant qu’il échappe à ses tortionnaires. Encore enfant, il a déjà une carrure d’adulte, et possède quelques dons ou capacités quasi surhumaines, à cause ou grâce des expériences pratiquées les médecins de Stutthof. Il est recueilli par des résistants polonais réfugiés dans la forêt, devenant un auxiliaire précieux contre les armées nazies, et surtout celles dirigées par le colonel Dietz, chargé de le récupérer et surtout de l’éliminer.

 

Ce roman foisonnant est construit un peu comme un puzzle, une période, un endroit, puis une autre ailleurs, comme si le lecteur piochait d’abord les coins de l’image à reconstituer, puis plaçait les différentes pièces afin de constituer le noyau dur pour enfin voir le travail avancer à pas de géant et devenir plus éloquent au fur et à mesure que l’ouvrage avance. Mais l’auteur n’a pas découpé son intrigue au hasard. Tout s’emboite parfaitement, et la vue d’ensemble est d’une beauté fascinante.

 

morgenstern1.jpgCertes des esprits chagrins pourront dénoncer une certaine invraisemblance, dans des faits d’armes, des situations poussées à l’extrême, dans des programmes de recherches médicales. Mais il faut bien savoir que nous, simples pékins, ne sommes pas au courant de toutes les manigances imaginées par les états-majors militaires. L’on sait que dans certains camps, comme celui du Stutthof, des expériences scientifiques ont été menées par des savants fous… Et que l’une de leurs réalisations fut la fabrication de savon à base de corps humains. Mais l’on peut s’interroger aussi sur certaines déclarations émanant du service des armées, américaines ou autres, concernant des attaques de groupes isolés sur une poignée de soldats, et si tous en sont morts. Les progrès scientifiques et technologiques développés par des entreprises privées travaillant pour le compte du ministère des armées, quels que soient les pays, sont ensuite intégrés dans le civil, en général, et permettent à de nombreuses personnes d’en bénéficier.

Les temps morts n’existent pas et certaines scènes dans lesquelles Morg peut déployer sa force, sa vivacité, son esprit d’entreprise, sa faculté de récupération, ses coups de colère également, ne manquent pas de couleurs et de relief. Car Jeremy et surtout Jacky, l’ancienne combattante de la CIA n’en font parfois qu’à leur tête, lui désobéissant en pensant bien faire. Et ça il n’apprécie pas, reconnaissant toutefois que cela partait d’un bon principe. Celui de l’amitié.

La trilogie d’Eytan Morgenstern, après Le projet Bleiberg et Le projet Shiro, tous édités chez Critic, se clôt avec ce dernier volet, et c’est dommage. On s’était habitué à ce personnage qui semblait indestructible mais possédait ses lacunes, ses carences, ses failles. Attention, je n’ai pas dit qu’il était mort, mais l’auteur lui accorde une retraite bien méritée, et peut-être est-ce bien ainsi. Autant abandonner un personnage avant que le lecteur se lasse. Mais, je le répète, c’est dommage. Sa figure continuera à nous hanter.


David S. KHARA : Le projet Morgenstern. (Première parution Collection Thriller. Editions Critic). Nouvelle édition Domaine policier, éditions 10/18. Parution le 06 mars 2014. 408 pages. 8,10€.

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11 mars 2014 2 11 /03 /mars /2014 16:33

Attention aux éclaboussures !

 

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Après avoir effectué le grand plongeon et s'être retrouvé dans un bocal carcéral, Thomas remonte à la surface. Il a passé huit années dans cet univers grouillant de poissons prédateurs, mais il ne s'est pas laissé pêcher, ne mordant pas à l'hameçon. Malingre il a même combattu contre un requin mais celui-ci était essoufflé et n'a pas tenu la distance sur le ring. Ses codétenus et les matons pensaient que Thomas allait boire la tasse, mais c'était compter sans sa hargne et son courage. Au bout du combat, grâce aux paris engrangés, une coquette somme qui va l'aider à réaliser une sortie en beauté.

Aussitôt libéré de l'aAmfreville-sous-les-Monts_-_Convoi_porte-conteneurs_dans_l-.jpgquarium de Val de Reuil, il se rend à l'écluse de Poses non loin d'Amfreville. Il est en pays connu, d'ailleurs l'un des éclusiers le reconnait. Thomas cherche une péniche pour se rendre à Paris puis ailleurs. Les péniches, ça le connait. Ses parents étaient mariniers. Son père est mort et sa mère végète dans une maison de retraite. Les souvenirs affluent, plus particulièrement la grande gerbe d'eau qui l'a éclaboussé alors qu'il n'avait que six ans. C'était lors d'un mariage.

Les cheveux gominés, véritable rocker plus vrai que nature, son père avait rejoint sur scène le trio de musiciens. Un batteur, un multi-instrumentiste et une chanteuse. Il avait exécuté Be bop a Lola, puis avait dansé avec la chanteuse. La tempête s'est levée lorsqu'il l'a embrassée dans le cou. Il s'est retrouvé dehors avec femme et enfants. Faut dire que dans la famille Aubourg, on ne rigolait pas avec les convenances. Puis le père s'était noyé dans l'alcool, et sa femme avait trinqué.

Thomas remonte le courant, rencontre une notaire qui lui apprend que la Dandine, la péniche de ses parents, a été vendue à des membres de la famille Aubourg. Alors il décide d'aller les voir. Mais son périple en eaux troubles ne fait que commencer, et les bulles vont éclater.

 

Longue nouvelle, A fond de cale nous emmène dans l'univers des mariniers, la famille flottante un peu marginalisée car ses membres ne sont pas sédentaires et donc leur mode de vie différent de la majorité de la populatipolaro5.jpgon. Par petites touches subtiles Dominique Delahaye nous entraîne dans le sillage de Thomas Jedrzejeweski, remontant parfois le courant de ses souvenirs ou le suivant dans ses nouvelles déambulations. Le trait n'est pas appuyé, le flot est limpide et le lecteur est accroché à l'appât. 

Dominique Delahaye est à l'origine du festival Les Ancres noires, et un homme, instituteur de formation, multi instrumentiste lui même et fondateur du groupe Polaroïds Rock, qui aime la littérature noire, ne peut être foncièrement mauvais.


Dominique DELAHAYE : A fond de cale. Editions In8, collection Polaroïd. Parution 4 mars 2014. 72 pages. 11,00€.

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11 mars 2014 2 11 /03 /mars /2014 10:10

Les Nouveaux Mystères de Marseille : 1er épisode.

 

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Le quartier de la Blancarde, sis à environ deux kilomètres de Marseille, est un hameau paisible, séparé de la grande ville par la ligne du chemin de fer de Toulon, et de vergers, de prairies et de jardins. Jusqu’en ce jour du 16 décembre 1891, où un crime affreux est découvert. Madame Magnan, une riche veuve octogénaire a été assassinée.

Les soupçons se portent immédiatement sur le fils adoptif, Louis Coulon, un homme dépensier, criblé de dettes de jeu. “ On ” l’aurait aperçu franchissant le mur séparant son jardin de celui de la rentière défunte. A ses dires, il rendait visite à Adèle Cayol, la petite bonne de quinze ans, qui lui prodiguait des gâteries. Elle aussi est suspectée un temps. Mais le faisceau de preuves et les divers témoignages désignent comme seul coupable Coulon.

Raoul Signoret, jeune journaliste au Petit Provençal, a suivi l’enquête dès le début, à la faveur de ses relations privilégiées, son oncle étant sous-chef de la sûreté de Marseille. Et s’il était mieux renseigné que ses confrères, c’est aussi un peu grâce à son sens de l’observation, sa faculté d’écouter et de faire parler les témoins, de son opiniâtreté et de son charisme. Pendant le procès, Coulon se défend mal, tergiverse, et la sanction est implacable : il est condamné au bagne.

Le temps passe mais Eugène Baruteau, l’oncle de Raoul, n’est guère satisfait du dénouement de cette affaire. Quant à Raoul, il a d’autres chats à fouetter, expression triviale qui veut dire qu’il a des démêlés avec les parents, du moins le père, de Cécile, celle qu’il aime et dont les sentiments sont partagés. L’affaire qui semblait enterrée connaîtra à nouveau les feux de la justice, et des médias, lorsque, par hasard, Raoul trouvera sur son chemin Adèle, dans une rue dédiée aux activités lucratives des plaisirs de la chair.

 

blancarde2.jpgLes rebondissements, les retournements de situations, les dénégations de l’accusé principal, les nouveaux aveux d’Adèle, les différents procès, un épilogue à double facette, à double tranchant pourrait-on dire si la guillotine eut été préférée au bagne, font de ce roman une lecture plus qu’agréable. Car Jean Contrucci ne se contente pas de narrer une affaire dont il a puisé la trame dans un fait-divers réel, auquel il apporte sa vision, et sa solution, mais également il nous prouve que la société, quoiqu’on puisse croire, n’a guère évoluée. Ne serait-ce pour preuve que la dénonciation du sort des prostituées, du rôle de la justice ou encore des conditions de travail des infirmières qui sont décriées par des personnages dont les prises de position sont rétrogrades ou manquant d’humanisme.

Premier volet des aventures de Raoul Signoret mais également de ses amours avec Cécile, un heureux mélange qui ne manque pas de piquant et parfois d’humour.

 

Jean CONTRUCCI : L’énigme de la Blancarde. Le Livre de Poche, collection Policier/Thriller (première édition Jean-Claude Lattès - 2002). Parution 1er octobre 2005. 320 pages. 6,10€.

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10 mars 2014 1 10 /03 /mars /2014 17:19

Réglez vos montres...

 

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Tels trois bubons qui surgiraient inopportunément à la surface d'un corps humain, trois affaires vont concomitamment agiter le monde policier et les médias français. Mais cette éruption apparemment spontanée a mûri avant d'éclater.

D'abord à Miranshah, capitale du Waziristan au nord-ouest du Pakistan. Kamel, originaire de Marseille effectue un stage chez les djihadistes, apprenant à se servir d'une arme dans le but de perpétrer quelques forfaits en France.

A Valenciennes, Sabrina Tison, tout feu, tout flamme, attise le foyer de sa haine. Par la radio, elle a appris que Jean-Marc Ducroix, le tueur de gamines belges va bénéficier d'une liberté conditionnelle. Et cette information la révulse.

A Pleucadeuc, dans le Morbihan, Grégor Morvan est effondré. Trente ans qu'il a travaillé dans une usine du groupe Foux à éviscérer des poulets, et à cause de la mondialisation, des actionnaires voraces plument les ouvriers. Ceux-ci se retrouvent à poil à cause de volatiles d'importation brésilienne et l'usine va être fermée. Grégor est abattu mais sa femme Maëlis lui remonte les tripes et il prend sa décision.

Le 4 décembre c'est l'explosion, et le début de l'ouverture des plaies.

Dans les toilettes de la gare Saint-Charles, un militaire est sauvagement égorgé et la commissaire Aïcha Sadia se doute de l'identité du meurtrier, mais elle espère se tromper. Le soir un car de touristes israéliens est pris pour cible par un tireur qui laisse sur le carreau des femmes et des enfants. Malgré que ce soit un acte terroriste Aïcha est sur place. Ce n'est pas son affaire, les autorités le précisent bien, mais la policière n'en a cure. En compagnie de ses hommes, et de son compagnon Sébastien, un détective qui l'aide dans ses enquêtes, elle va tenter de remonter la piste et avoir confirmation de ses doutes.

Le jour même en Belgique, le corps de Nadine Richard est retrouvé, la gorge transpercée de coups de couteaux. Or Nadine Richard était la compagne de Jean-Marc Ducroix et vivait non loin, internée dans un couvent, qu'elle pouvait quitter le soir pour prendre l'air. Le lieutenant Fred Pichon, de Valenciennes, est convoqué à participer à l'enquête car près du corps, à moitié enfouie dans la boue, une petite boîte d'allumettes avec le logo du club de foot valenciennois a été découverte par les policiers Belges.

A Vannes, le lieutenant Fanny Delmonte apprend à son supérieur le capitaine Le Cam qu'une certaine dame Foux veut lui parler. Son mari, le roi de la volaille, a disparu. Le Cam a déjà rencontré cette famille deux ou trois ans auparavant pour une autre affaire.

Mais il ne faut pas oublier que les furoncles possèdent des racines, des radicelles, des ramifications qui s'étendent sournoisement et bientôt toutes ces radicules vont se rejoindre, se concentrer, bouillonner, former un nouvel abcès dont le pus va jaillir en un geyser qui éclaboussera sans regarder où atterrira cette sanie.

Le lecteur assiste alors à cette triple enquête, tant du côté des policiers dont Pichon, qui attend sa nomination à Marseille et se montre un émule de Sherlock Holmes, autant dans ses facultés de déduction que d'analyse, de Le Cam qui vient de perdre sa mère et de Aïcha Sadia, qui est atteinte dans ses sentiments familiaux.

Si on suit l'évolution de l'enquête, qui se déroulera sur trois jours, on assiste également aux tribulations de Kamel, accompagné de sa copine Dounia, anciennement Camille; de Sabrina Tison, qui n'a pas réussi à étendre le feu qui couve en elle, car Ducroix, malgré l'avertissement prodigué en la personne de Nadine, est bien décidé à bénéficier de la sortie en bracelets électroniques; de Grégor qui ne pense pas uniquement à lui mais s'érige en Robin des Bois à l'insu de ses qui travaillaient avec lui comme ouvriers d'abattage-dépouilleurs.

Tout ce petit monde va se retrouver sans s'être concerté, et si le lecteur pense que les coïncidences sont par trop parfaites, Gilles Vincent a machiavéliquement disposé ses personnages pour que justement ceux-ci soient obligés de se rendre en ce point précis.


vincent1Gilles Vincent dissèque en quelques courtes phrases pourquoi Kamel est parti s'entraîner à la guérilla au Pakistan, et les hommes politiques, ainsi que certains journalistes, devraient réfléchir à ce pourquoi du comment avant d'asséner des phrases toutes faites, et surtout comprendre pour mieux éviter les drames. Les motivations de Sabrina tiennent en peu de choses, en apparence, mais il explore sa sensibilité. Quant à Grégor, il ne faut pas chercher plus loin que la révolte, dispensée par sa femme qui l'oblige à réagir, contre cette forme de mondialisation même s'il sait qu'il ne pourra faire renoncer à des actionnaires planqués au bout du monde à l'augmentation de leurs dividendes.

Le mot de la fin revient à Grenier, l'adjoint aux dreadlocks de la commissaire Aïcha Sadia et qui lui demande si elle sait pourquoi il n'a pas eu de gosses :

- Ce qui me fait peur chez les gosses, c'est qu'on croit qu'ils nous ressemblent, mais en fait, on a tout faux.

- Et à qui ils ressemblent, alors ?

- A leurs blessures, patronne. Les gamins, c'est rien que des cicatrices maintenues en vie. Rien d'autre. Et ça, on a du mal à se le dire, parce que les blessures, c'est nous, les grands, qu'on en est responsables.

Ce nouvel opus qui met en scène Aïcha Sadia mais également d'autres enquêteurs, prend de l'ampleur par rapport aux autres ouvrages concoctés par Gilles Vincent. Le côté humaniste prend le pas sur la résolution des enquêtes et à mon avis, que je partage avec moi-même c'est le roman le plus abouti de l'auteur, par sa force, sa description psychologique des personnages, par ce tir croisé qui nous révèle bien des surprises alors que l'on pensait déjà tout était résolu dès le départ. Et il n'est point besoin d'ajouter que le lecteur reconnaîtra certains épisodes qui ont défrayé la chronique de la France ouvrière bretonne et de la Belgique.

 

A lire du même auteur : Parjures; Beso de la muerte.


Gilles VINCENT : Trois heures avant l'aube. Polar Jigal, éditions Jigal. Parution 15 février 2014. 224 pages. 18,50€.

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