Franchement, Gabriel Lecouvreur, plus connu sous le surnom du Poulpe, traverse une période en dents de scie avec sa copine Cheryl, coiffeuse de son état. Elle est une fois de plus signalée aux abonnés absents, afin de parfaire son éducation capillaire.
Elle est à Liège sur l'invitation d'un vague cousin qui lui a indiqué l'adresse d'un confrère qui dispose d'un stock de produits rétro (certains journalistes surtout dans les magazines féminins préfèrent employer des anglicismes oubliant qu'il existe l'équivalent en français de vintage). Cela dure un peu trop longtemps pense le Poulpe qui se dit qu'il ne faudrait pas pousser le bouchon trop loin.
Gabriel reçoit une enveloppe contenant une carte postale ainsi qu'une coupure de journal, attention tout à fait honorable de la part de sa maîtresse. Et outre les mots doux de rigueur, elle lui signale qu'un meurtre a été perpétré dans la cité wallonne et qu'éventuellement cela pourrait l'intéresser, connaissant son faible pour la bière.
Christian Fischer, l'homicidé, était un gars tranquille, marié, père de deux enfants, travaillant dans la sidérurgie. Mais son emploi précaire, débouchant sur un licenciement possible, l'avait amené à trouver d'autres occupations. Il faut bien rembourser les traites de la maison, et son entreprise métallurgique, Arcelor Mittal pour ne pas la nommer, préfère engranger les subventions et mettre les ouvriers à la porte. Donc, il s'était associé avec Lounès, un copain qui lui travaille dans les travaux publics et possède une camionnette, et les deux hommes ramassaient les encombrants, vidaient les greniers, revendaient, du gagne-petit. C'est ce que lui apprend Cheryl lorsqu'ils dînent ensemble avant qu'elle reparte pour Paris.
Gabriel assiste à l'enterrement de Fischer, une mise en bière au cours de laquelle il lie connaissance avec le fameux Lounès, mais il remarque un personnage qui assiste de loin aux funérailles. L'homme ne se cache pas mais ne cherche pas non plus à se faire remarquer, malgré ses cheveux longs et son keffieh.
En compagnie de Julien, un jeune dont il a fait la connaissance dans le train, lui payant son billet afin de ne pas mettre le contrôleur en rogne; de Christelle qu'il a rencontrée dans la rue et avec qui il a sympathisé parce qu'elle promenait son chien Buck, référence à Jack London, en toute décontraction étant spécialiste en art martial, ce qui refroidit les ardeurs des dragueurs; et après avoir rendu visite à la veuve de Fisher, notre Poulpe entame son enquête. Seul problème Lounès est devenu invisible. Une disparition inexplicable.
Les questions concernant le meurtrier fusent dans le crâne du Poulpe malgré les différentes bières qu'il ingurgite. Soit c'est son engagement syndical, cette fibre familiale que l'avait conduit à travailler dans les hauts fourneaux, comme son père et son grand-père auparavant, soit ce sont des brocanteurs qui n'appréciaient pas cette concurrence déloyale. Ou d'autres raisons qu'il lui faut découvrir. Muni d'une liste qu'avait établie Fischer, qui n'allait pas à la pêche pour rien, Lecouvreur sillonne Liège et surtout ses environs non sans se faire repérer.
Dans ce roman, sur lequel plane l'ombre de Simenon, le titre en lui-même est déjà une référence, Dominique Delahaye ne se contente pas de raconter une histoire belge. Simenon est toujours présent, ne serait-ce que par les romans évoqués, par les lieux dont la célèbre église de Saint-Pholien et surtout de son pendu, quelques anecdotes ou les bières enfilées avec plaisir. Le Poulpe parcourt la région avec en tête le Charretier de la Providence. De même l'eau est omniprésente, la pluie, la Meuse, les bateaux, un thème cher à Dominique Delahaye.
Mais les événements politiques et sociaux prennent une grande place dans ce récit. Par exemple la dialectique employée par des tribuns engagés dans des groupuscules dont la fonction première est la déstabilisation de l'opinion publique et des revendications ouvrières.
Cette semaine, on met le paquet sur les syndicats. L'idée, c'est de montrer aux jeunes que les syndicats sont surtout des officines politiques et qu'avec leurs revendications complètement irréalistes, ils contribuent à décourager la création d'entreprises et donc d'emploi en Belgique. Finalement, ce qu'il faut faire comprendre c'est leur responsabilité directe dans le développement du chômage. Il faut prendre l'exemple de la Grèce et montrer où mène cette dictature des syndicats !
Comme quoi un épisode du Poulpe n'est jamais futile et peut faire réfléchir, si l'on lit entre les lignes !