Pourquoi aller chercher loin, ce que l'on a sous la main.
Le cadavre d'un homme assassiné d'un coup dans le thorax, à l'aide d'un piolet déterminera le médecin légiste, dans un studio luxueux de la station de Chamonix met en émoi le Centre de vacances Eprax.
Le défunt se nomme Serge Michon, responsable en Vendée d'une industrie pharmaceutique. Pour quelle raison était-il rentré seul, laissant sa jeune femme Julie danser le jerk dans la vaste salle d'accueil et de restauration transformée pour l'occasion en piste de danse, lui seul pourrait le dire. En attendant il est mort et le commissaire divisionnaire Delmas, de la Police Judiciaire parisienne, qui est en vacances en famille dans la cité montagnarde de Haute-Savoie se voit confier l'enquête. Cela l'embête bien un peu car il pensait passer de bons moments avec sa femme et leurs cinq enfants (et oui, on ne chôme pas dans la police !) durant son séjour. De toute façon il n'y a pas à discuter, la hiérarchie a décidé que ce serait mieux ainsi plutôt que d'envoyer un inconnu qui pourrait froisser les susceptibilités puisque le commissaire local est en congé ailleurs.
Delmas doit donc enquêter en compagnie de l'adjudant de gendarmerie Chaumat, sosie de Noël Roquevert, célèbre comédien habitué aux seconds rôles, et entre les deux hommes s'établissent immédiatement des relations de sympathie. Pas emballé du tout, et mécontent d'avoir été réveillé en pleine nuit, Delmas ronge son frein, et soudain il pense à son ami Jo Risel. Contacté, Risel, détective privé de son état mais qui a déjà participé à de nombreuses enquêtes confiées à Delmas, accepte avec joie, content à l'idée de retrouver, en tout bien tout honneur, Monique la femme de Delmas et leurs garnements.
Le centre de vacances des Eprax est réservé à une catégorie de touristes désirant se ressourcer. Il dépend du groupe Paronex et a été créé à l'intention de son personnel, de ses principaux clients et fournisseurs. Depuis près de vingt ans le centre est dirigé par madame Sophie Duboc, pardon mademoiselle Duboc, une jeune fille prolongée, qui connait fort bien son travail mais au visage quelque peu ingrat.
La soirée n'a pas eu les faveurs de tous et Delmas préfère interroger ceux qui avaient choisi d'autres occupations, et il s'attarde également sur le cas Michon, qui n'est pas forcément fleuri. Serge Michon traînait derrière lui une sérieuse réputation d'homme à femmes et certaines de ses anciennes conquêtes sont d'ailleurs présentes en cette villégiature. Elles sont mariées et en compagnie de leurs maris, mais la page est tournée. Du moins c'est ce qu'elles affirment.
Serge était Serge, Serge faisait du Serge ; goujat vis à vis des femmes, caustique, volontiers méprisant et sans pitié pour les gens qui affichaient la moindre faiblesse, grossissant à souhait les traits, provocateur jusqu'à la querelle, parfois violent...
Bref un individu dont la fréquentation n'était pas recommandable mais que toutes ces personnes étaient obligées de fréquenter justement, par obligation.
Mais d'autres mobiles peuvent avoir incité l'assassin. La jalousie certes, mais la rancœur, le dépit, la frustration ou même des suspicions d'un meurtre perpétré quelques années auparavant. L'un des participants par exemple, qui avait fondé un laboratoire s'est vu spolié par Michon. De patron vendéen il est devenu simple collaborateur de Michon.
Comme il le déclare à l'un des suspects, le commissaire patauge un peu dans les flageolets.
Plusieurs personnes pourraient avoir commis ce crime. Certains alibis sont incertains, et la victime concentrait tant d'antipathies que les mobiles sont multiples, voire interchangeables parmi les témoins.
Delmas, Risel et l'adjudant Chaumat ont donc du pain sur la planche, et des verres à boire en ce chaud été, à interroger couples ou célibataires, hommes et femmes, à effectuer des recherches, jusqu'à Lyon au siège social de l'entreprise à fouiner dans lenceinte du camp de vacances.
Roman sympathique jouant avec l'humour, surtout lorsque c'est Risel qui s'exprime et lance des vannes approximatifs, lorgnant du côté des classiques de la littérature policières avec réunion en plein air des tous les présumés coupables pour le dénouement. Mais l'épilogue ne traîne pas en longueur, malgré la montagne escarpée que ces protagonistes doivent grimper.
Un duo d'enquêteurs un peu en marge, un policier associé à un détective privé pour résoudre une affaire apparemment complexe, ce n'est pas si courant. Chacun d'eux apporte ses connaissances, ses facultés de recherche et de déduction, légalement ou légèrement en marge de la loi. D'autant que leurs caractères diffèrent et ils en profitent jouant au bon et au méchant comme ces couples de policiers qui interrogent un présumé coupable. Delmas est bon père de famille, débonnaire, paisible, prenant son temps, ménageant les susceptibilités tandis que Jo Risel, célibataire, quelque peu infatué de sa personne, jouant les Don Juan sans scrupule au risque de se ramasser un râteau, se montre impatient, corrosif, gouailleur, toujours à la recherche d'un bon mot mais n'hésitant pas à bousculer oralement ses interlocuteurs afin de les déstabiliser.
Philippe MANJOTEL : Un piolet dans les mogettes. Collection Sang d'encre. Editions Les 2 Encres (première édition Osmonde - 17 octobre 2002). Parution le 27 novembre 2014. 172 pages. 15,00€.