...est moins sympa que la voisine d'à côté !
Depuis leur première rencontre, le jour de son installation dans l'immeuble, Georges Lernaf n'a jamais vraiment apprécié ce voisin qui habite à l'étage au dessus de son appartement.
Octogénaire, François Saler est un homme sec, élancé, impassible, maniaque, possédant ses habitudes, affichant un air de condescendance attristée, peu aimable et dédaignant toutes relations même de voisinage. La seule personne qui accède à son appartement est la concierge, laquelle procède au ménage quelques heures par semaine, tout comme chez Lernaf d'ailleurs. Il a un fils, la cinquantaine, antithèse du père physiquement et à l'abord aimable. Selon la bignole, évidemment.
Sa voisine de palier, elle, possède tous les charmes, les atours et les atouts pour attirer son attention. Elodie est masseuse et ses clients n'ont apparemment pas à se plaindre de ses manipulations, car ils repartent enchantés, et la bourse plus vide qu'en arrivant. Je voulais dire le portefeuille, mais vous m'avez compris. Elle est souvent en combinaison de travail, petite tenue affriolante, ou nuisette entrebâillée sur ses appas et ses appâts.
Ce jour-là, alors que Lernaf s'apprête à descendre l'escalier comme s'il était pressé, il se retrouve nez à nez avec une apparition à couper le souffle, lui qui l'a déjà court. Cette délicieuse quadragénaire aux mensurations prometteuses se prénomme Nathalie, et outre qu'elle est une amie d'Elodie, elle venait précisément le rencontrer pour lui proposer une petite affaire. Une enquête si vous préférez. Et elle ne manque pas d'arguments traduits en bons billets de banque qui rejoignent illico le tiroir du bureau de Lernaf, celui-ci préférant garder par devers lui l'argent plutôt que de le confier à son banquier qui, il le sait, l'engloutirait aussitôt pour combler son trou bancaire.
Nathalie est persuadée connaître le voisin du dessus qui vient de les croiser. En fouillant dans sa mémoire, tout revient. Une vingtaine d'années auparavant, alors qu'elle travaillait dans un réseau de call-girls, sa patronne l'avait envoyée dans une soirée spéciale. Etaient présents à cette petite sauterie Français et Allemands. Et François Saler, qui à l'époque s'appelait Franz Schwanz, avait voulu jouer à la cravache avec elle. Nathalie ne s'était pas laissée faire et c'était elle qui avait fouetté l'homme complètement bourré. Elle avait perdu sa place mais pas la face. Lernaf avait un peu raison quand il avait catalogué son voisin comme un vieux collabo avec sa dégaine de pète-sec, béret et parapluie en guise d'accessoires. Il s'était tout simplement trompé de nationalité et Saler/Schwanz était un ancien nazi.
Le problème qui amène Nathalie à demander l'aide de Lernaf réside à la suite des mésaventures de la jeune femme. Virée donc, elle est présentée à un homme qui devient son amant avant d'être arrêté pour le braquage d'une bijouterie qui tourne mal. Ensuite elle fait la connaissance d'un autre homme, marié, qui la met enceinte mais meurt dans un accident d'automobile. Nathalie se retrouve une fois encore seule avec une gamine âgée aujourd'hui de huit ans. Heureusement l'homme, prévoyant et riche, avait assuré l'avenir de sa maîtresse et de sa fille et Nathalie n'est pas vraiment dans le besoin. Seulement, si elle a envoyé quelques mandats à son ex julot au début de son incarcération, peu à peu elle a tourné la page, mais il se manifeste à nouveau. Il se nomme Pierrot le Dingue, a longuement eu les honneurs des journaux et il vient d'être libéré, assigné à résidence en Bretagne. Et il est bien décidé à récupérer beaucoup d'argent. D'autant que Pierrot le Dingue était impliqué dans deux braquages de bijouteries, qu'il avait chargé un complice d'apporter le magot à Nathalie, mais qu'elle ne les avait jamais vu, ni le complice ni le magot.
Commence alors une enquête qui va mener Lernaf dans une combinaison familiale quelque peu complexe. En effet Nathalie et Elodie sont cousines mais d'autres membres plus ou moins proches de la famille gravitent autour de cette affaire alambiquée. Surtout que lorsque le lendemain matin Lernaf sort péniblement d'un sommeil profond engendré par une soirée alcoolisée. Le barouf qu'il entend à la porte n'est que le résultat des coups de poings assenés par son ami le commissaire Emile Dujardin et appuyés par sa voix de stentor. Le voisin du dessus est mort, pas de vieillesse mais d'une balle en plein front. Et dans la chambre de ce brave homme sont disposées des armes et des reliques nazies. Lernaf en profite pour demander à Dujardin de lui rendre un petit service, pas grand chose, juste localiser Pierrot le Dingue.
Si tout était facile, il n'y aurait plus besoin de détectives privés, de commissaires de police, de concierges même ou de masseuses gentillettes. Mais comme nous sommes dans un roman, l'auteur s'amuse à compliquer les situations, pour le plus grand plaisir des lecteurs, et de faire passer le goût amer de certaines situations à l'aide de grands verres de pastis, de whisky, et autres alcools qui réjouissent les papilles mais emberlificotent parfois les neurones. Exemple de situation compliquée, Nathalie, la pulpeuse Nathalie, la Vénus non démembrée, n'est autre que la fille de François Saler alias Franz Schwanz ! Elle a eu chaud lors de sa rencontre avortée vingt ans auparavant !
Dire qu'il y a des réminiscences de San-Antonio dans ce roman serait un euphémisme. Il existe de grandes ressemblances, physiques notamment entre Dujardin et Bérurier et leur goût pour la nourriture. Lernaf lui lorgne du côté du commissaire San-Antonio, avec cette attirance qu'exercent sur lui les femmes. Et puis cet humour quasi permanent, avec toutefois des passages très sombres. Mais là s'arrête la comparaison du double de Frédéric Dard, car Joseph Farnel fait du Farnel et il le fait bien. Ce n'est pas du prêt à porter mais de la haute couture.
Joseph FARNEL : Le voisin du dessus. Editions Pascal Galodé. collection Poche. Première édition Editions SAFED - 2004. Parution le 29 septembre 2014. 232 pages. 9,90€.