Bon anniversaire à Jean-Jacques Busino né 16 janvier 1965.
Le business de Busino
A l'origine la collection Rivages/Noirs ne devait être consacrée qu'à des auteurs noirs américains, connus ou non. Louable intention qui nous réserva de bonnes et belles surprises ou révélations telles que Chesbro, Ellroy, Willeford, Bunker, et quelques autres dont la liste serait plus fastidieuse à énumérer que de lire leurs romans, qui permit la traduction intégrale des œuvres d'auteurs cultes comme Thompson, Goodis et qui confirma de réels talents que d'autres éditeurs négligèrent, ne pouvant continuer à alimenter les éventaires des libraires à cause de difficultés financières ou jetant l'éponge par manque d'ambition.
Ainsi Tony Hillerman, Marc Behm, et des intrus comme De Wetering ou Robin Cook, qui devinrent pensionnaires à part entière. Les frontières s'ouvrirent alors sans difficulté à des romanciers dont la nationalité ne prédisposait pas de prime abord à ce genre de littérature mais qui surent s'affirmer comme de réels talents, attisant la convoitise de maisons d'éditions qui lorgnèrent vers les Amériques Centrale et du Sud. Voir Paco Ignacio Taïbo El Secundo dont la primeur de la découverte revient toutefois à l'évanescente revue Nouvelles Nuits. L'intrusion, presque sournoise, d'auteurs français se fit par la bande. Hugues Pagan ouvrit une brèche dans laquelle s'infiltra après mûre réflexion Marc Villard, bientôt suivi par Tonino Benacquista, Michel Quint ou Michel Lebrun. Que des auteurs confirmés. L'idée européenne creusait son chemin en catimini, relayée par les ardentes féministes, et Pieke Biermann marchait glorieusement sur les ruines du mur de Berlin. Coincée entre l'Allemagne, la France et un transfuge d'origine italienne, La Confédération Helvétique boudait et trouva la parade en proposant sur les fonds baptismaux de l'Europe naissante et polardeuse, un francophone inconnu: Jean Jacques Busino. Son roman Un café, une cigarette arrachant des larmes àMargot, pourtant habituée à la noirceur de ses lectures, nous avons décidé de faire plus ample connaissance avec ce personnage trublion par le truchement d'une correspondance dont parfois l'humour détonne en comparaison de la noirceur de son livre.
Retrouvailles à Naples entre André, seize ans, qui a quitté la Suisse pour revoir sa fille Poupi, et Massimo, guère plus âgé, chef de bande. Ils vont accueillir dans une maison délabrée quelque quatre-vingts orphelins, leur fournir un toit, leur donner à manger, leur apporter l'espérance de constituer ensemble une famille et contrer la toute puissante Mafia sur ses terres. Une histoire qui oscille entre les aventures d'Oliver Twist, le documentaire implacable sur le monde du crime napolitain et la révolte d'enfants confrontés à des adultes qui ne s'embarrassent ni de principes ni d'états d'âme.
Qui est Jean Jacques Busino ?
Je suis né en Suisse le 16 Janvier 1965 d'un père et d'une mère Italienne. (Concevez que cela aurait pu être autrement, peut-être pire, par exemple d'une mère noire et d'un colon Israélite). J'ai suivi une scolarité médiocre et fort peu instructive en usant mes fringues sur des bancs blancs d'où je rêvais de monde Léonien et Eastwodien.
Actuellement J.J. Busino est disquaire. Parallèlement il s'occupe de production musicale et possède un studio d'enregistrement . La littérature et la musique sont complémentaires pour Busino qui ne conçoit pas l'une sans l'autre. Il utilise la musique comme stimulateur. Mais qu'est-ce qui l'a amené à écrire ?:
Entouré de conteurs de génies, j'ai écouté des histoires d'un autre âge et d'une autre époque. Plus tard j'ai remarqué que ces conteurs étaient des pourvoyeurs de réalités. Alors je me suis demandé si ces conteurs étaient des menteurs ou des poètes... J'ai cru que mon père mentait, que les bons ne gagnaient jamais et que les faibles étaient toujours plus faibles. Les poux font des poux et les sous font des sous. Le monde qu'on m'avait fait miroiter n'était que du domaine du rêve et la réalité avait une odeur de faisandé. Dans la musique où je martyrise plusieurs instruments, j'ai recherché les sons qui expriment la rupture. J'ai toujours continué d'écrire, toujours plus, toujours plus vite. L'écriture est un vice qui vous empêche de dormir et d'aimer. Malgré ces certitudes, j'ai cédé aux charmes d'une femme et à l'attrait de la procréation. J'ai ressenti la même joie que Dieu lors de la naissance de mon fils que je n'ai pas laissé sans petite sœur. Imaginer une ville, un monde créer des humains revient à se prendre pour Dieu. Vous faites et défaites des vies en fonction de vos envies et de vos humeurs.
L'écriture pour J.J. Busino est une activité annexe qui lui prend la plupart de son temps et Un café, une cigarette n'est pas son premier roman. Il en a déjà écrit 9 ou 10 qu'il a systématiquement jeté à la poubelle.
Depuis dix ans, j'ai du faire naître des dizaines de monde différents jusqu'à ce que ma femme me demande de ne pas les jeter. Pour lui faire plaisir, j'ai fais lire le manuscrit à d'autres personnes qui y ont trouvé Dieu sait quoi. Monsieur Guerif, qui pourtant a l'air d'un homme sérieux, s'est joint au concert de voix qui m'encourageait à publier et j'ai accepté. Dorénavant, j'enverrai mes manuscrits à Rivages plutôt que de les mettre à la poubelle. Monsieur Guerif a reçu deux manuscrits, dont il dispose à sa convenance, et je finis un autre livre en travaillant sur La dette du Diable. Je ne souhaite pas à mes pires névroses de vivre le moment où il faut mettre le mot fin à quelque chose qui ne l'est jamais. Mes histoires sont de purs produits de mon "imagination" et, comme tel, sont des histoires vraies. La réalité se perd et les couleurs s'estompent. Il ne restera que le Noir. Il y aurait tellement de choses à dire. La littérature noire est un bon prétexte. Je choisis un de mes problèmes et je l'illustre par une histoire qui arriverait à quelqu'un d'autre. Après neuf mois de grossesse et d'innombrables recherches et vérifications, je tape le texte que je ne retravaille presque pas - la plupart des phrases ont été préparées à l'avance. Puis je perds le contrôle de mes écrits et si cela peut faire plaisir, rire ou amuser quelqu'un, Monsieur Guerif aura mérité sa place chez les grands.
Comment est né Un café une cigarette, comment naît un roman en général ? La question type dans un entretien et à laquelle l'auteur est parfois bien en peine de répondre.
Je ne sais pas si je peux encore me souvenir de comment est né Un café une cigarette. Je vais essayer de vous expliquer sans me poser la question si cela peut avoir un sens pour quelqu'un d'autre. J'ai commencé ce livre il y a environ cinq ans. Je cherchais deux réponses. Peut-on, au nom d'une cause, faire n'importe quoi ? Et quelles sont les motivations des personnes qui pensent faire des choses "pour les autres". L'histoire en gros m'est apparue rapidement en écoutant le Don Giovanni de Mozart. Il me manquait des détails, des certitudes, des "odeurs sonores ". Les images ne me sont rien, seules les ambiances sonores restent dans ma mémoire. Je ne me rappelle jamais d'un visage, toujours d'une voix. J'ai alors utilisé des livres sérieux sur l'histoire de la Mafia italienne. Des livres de sociologie, des traités économiques, ou des grands reportages. Devant la complexité des données, j'ai décidé de travailler sur une histoire simple entre des "petits" et une ville. Comme si la ville était une mère et les "petits" ses enfants. Comme pour tous les autres de mes bouquins, la période de recherche et de mise en forme m'a pris neuf mois (je vous laisse le soin d'interpréter, ma psychiatre favorite s'en est déjà chargé). Après neuf mois de gestation, je passe quelques mois d'insomnie complète à écrire. Les personnages deviennent un "autre moi". Je les laisse prendre la place qu'ils veulent. Les quelques mois d'écriture sont terribles, infernaux, pour tout le monde et pour moi-même en particulier. Chaque personnage est travaillé au burin et c'est seulement lorsque je les réunis sur le papier qu'ils prennent leurs formes définitives. Les personnages "d'un café une cigarette" sont logiques : le naïf, le simple, le pragmatique, le terre à terre et le play-boy. Je n'avais aucune idée du caractère des enfants et je les ai laissé "évoluer" librement. Et la nuit, lorsque je suis seul, je laisse aller, je décroche. Je cherche depuis longtemps à savoir où me mèneront mes dérives. Passé les premières angoisses, de ne pas revenir, je me promène dans un nouveau monde où j'ai le pouvoir d'anticipation. Lorsque tout va bien, les sons se transforment et la pièce se modifie. Je vois des humains évoluer et je peux même sentir leurs odeurs.
Etre édité amène-t-il un auteur à se remettre en question, à faire plus attention à son style, son écriture, à vouloir s'améliorer ?
Vous me demandez si le fait d'être édité chez Rivages change quoique ce soit à mon mode d'écriture... Je ne sais pas... Je ne sais même pas si je sais écrire et combien de temps j'aurai encore des histoires à raconter. Je mesure mal la chance que l'ai d'être entouré de si grands noms du polar. J'écris sans savoir pourquoi, mais certainement pour moi. Chaque fois que quelqu'un me parle de ce que j'écris, je ne reconnais rien. Ma seule échelle de valeur, pour arriver à mettre le mot fin à un texte, est de retrouver les sensations, en relisant, que j'ai eues en écrivant. C'est ma seule unité de mesure. Sans savoir comment, je travaille jusqu'à ce que je sente les personnages d'un livre me quitter. (Le jour se lève, je vais m'étendre un peu et je reprendrais cette lettre demain). Pour compléter ma réponse, l'édition d'une de mes petites histoires chez Rivages m'a pris de vitesse. J'ai écrit pratiquement quatre livres entre le moment où j'ai fini Un café une cigarette et sa publication chez Rivages. J'ai amélioré mon style et je maîtrise mieux les personnages. Naturellement ce n'est que mon avis et je conçois parfaitement que quelqu'un d'autre peut être d'un avis contraire. Mais malgré tout, je ne conçois l'écriture que comme une forme d'onanisme et l'avis de tiers, malgré tout le respect que je lui dois, n'a que peu d'influence sur mon écriture. Les histoires sont des cancers et l'écriture est ma chimiothérapie. Je recherche une sorte de liberté, une sorte d'absolu. Je tends à cet idéal tout en sachant que la liberté est infinie et, comme telle, inaccessible.
Si 1275 âmes de Jim Thompson reste l'univers de référence pour J.J. Busino, ses préférences littéraires sont assez éclectiques.
Tout écrivain qui raconte une histoire à laquelle je peux m'identifier m'intéresse. En vieillissant, j'ai tendance à préférer des auteurs qui soignent "aussi" la forme. Par exemple Pirandello, Sciascia ou le merveilleux livre d'étude comportementale d'Henri Laborit. Je passe aussi beaucoup d'heures dans le DSM-3R, manuel de psychiatrie qui me permet de mieux travailler sur des personnages éloignés de ma psychologie.
L'entretien est terminé. Il ne me reste plus qu'à mettre cet échange de correspondance en forme. Quant à Busino, il me confie : ... je retourne voir un Monsieur qui m'attend pour cuire le visage d'une femme qu'il vient de tuer.
Entretien publié dans la revue 813 N°47 de Juin 1994.