Bon anniversaire à Gianni Pirozzi, né le 2 juillet 1968.
Alors que la Yougoslavie est craquelée, morcelée, brisée, les forces de l’OTAN en ce mois d’avril 1999 lâchent leurs bombes sur le Kosovo, les civils étant les premiers bénéficiaires de ces cadeaux mortels.
Cette province, coincée entre l’Albanie, la Macédoine, La Bosnie, La Croatie, la Serbie, est la proie non seulement des belligérants de l’extérieur, mais également des dissensions à l’intérieur du pays. L’UCK, l’Armée de Libération du Kosovo, règle ses comptes envers ceux qu’elle considère comme des étrangers, des imposteurs. Les Roms, les Tziganes pourtant installés depuis des générations. Les églises orthodoxes et islamistes se contentent de se partager les fidèles de chaque camp.
Nous sommes loin de cette déclaration de foi : pour un Kosovo indépendant, laïque, multiethnique. L’UCK est en partie composée de mafieux, de miliciens assoiffés de sang, de haine, de vengeance, de cupidité. Ils ne furent pas les seuls à se conduire en sauvages. Ainsi en cette journée du 14 avril 1999, lorsque des forces serbes ont évacués les Roms du quartier de la Fabrique à Mitrovica, les embarquant dans des bus pour des destinations inavouables. Et lorsque les véhicules vinrent à manquer ils enfermèrent ceux qui restaient dans un gymnase, de nuit, allumant de gros projecteurs à l’extérieur du bâtiment, en les braquant vers le ciel, fournissant une cible parfaite pour l’aviation de l’OTAN qui bombarda l’édifice sans état d’âme, et sans perte.
Mais De Santis connaissait-il cet aspect lorsqu’il demanda à Rinetti et trois autres compagnons - Craven travailleur social, Paco et Franck, qui bénéficie d’un bon de sortie malgré ses antécédents de drogué - d’acheminer un stock d’armes, confisquées par les autorités hongroises à un convoi russe qui devait les livrer en Serbie et au Monténégro, à destination des Kosovars en lutte. Pour ce faire Rinetti muni d’une importante somme d’argent afin de régler les menues dépenses, matériels de transport et autres, et ses compagnons rejoignent Budapest endossant les habits d’une organisation humanitaire.
Si le début du voyage se déroule relativement bien, le reste ne sera pas de tout repos. Les tensions entre les hommes, particulièrement avec Franck en manque et hargneux, les rencontres de hasard, hasard qui ne fait jamais bien les choses, les incidents de toutes sortes, gangrènent ce circuit qui n’a rien de touristique.
Ce roman nous plonge au cœur de faits tragiques qui prennent une dimension que ne peut rendre les reportages télévisés. Assis quiètement dans son fauteuil, devant son écran, face à des images terribles certes mais souvent sorties de leurs contextes parce que le journaliste présentateur n’est pas véritablement sur le terrain, parce que l’envoyé spécial n’est pas impliqué dans le déroulement de l’action, le téléspectateur ne perçoit qu’une faible partie du drame qui est en train de se jouer.
D’autant que souvent les images peuvent être tronquées, ou favoriser un camp plus qu’un autre. Ici le lecteur suit les pérégrinations des protagonistes, est confronté aux drames, aux fourberies, aux tragédies, aux attentats, à tout ce qu’un peuple a pu subir avec une férocité incroyable.
Une leçon d’histoire dans laquelle se greffent d’autres exactions, sur le territoire français, le déménagement sans ménagement, avec brutalité par les forces de l’ordre, d’émigrés qui espéraient pouvoir trouver un minimum de liberté, de justice, de paix, de reconnaissance, d’accueil, de compréhension envers des communautés rejetées de partout. Mais également les problèmes familiaux de Rinetti qui n’a la garde de son gamin qu’à de brèves périodes. Un livre fort, poignant, qui longtemps trottinera dans la tête du lecteur.
Gianni PIROZZI : Le quartier de la Fabrique. Rivages/Noir N°756. Editions Rivages. Parution 12 novembre 2009. 346 pages. 9,15€.