Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 janvier 2018 5 19 /01 /janvier /2018 09:50

Le livre que toutes les bonnes bibliothèques, municipales ou non, se devraient de proposer

à leurs lecteurs.

Julien HEYLBROECK : Merhaba.

Être assistant social au sein d’une association, comme Asile et Fraternité, qui accompagne les migrants, les demandeurs d’asile, c’est être à l’écoute de ceux qui sont partis, qui ont fui leur patrie pour des raisons complexes, mais toutes valables.

Thomas Czajkowski reçoit des familles, des hommes ou des femmes isolés, les aide à effectuer leurs démarches administratives, à trouver un foyer où ils pourront dormir, se nourrir, ou tout simplement à leur trouver un endroit où se reposer la nuit. La politique du nouveau préfet est de durcir les conditions d’accueil et d’intégration. On le sait les préfets sont les commis de l’Etat, et comme tout bon commis ils sont à la botte de ceux qui les nomment, les dirigent, avec l’espoir de gravir d’autres marches dans leur administration. Mais comme l’histoire se déroule en 2011, le contexte était en faveur de ce genre d’initiative. Cela n’a pas changé d’ailleurs depuis.

En ce 22 février 2011, quelque part en France sur les bords de la Loire, Thomas est convoqué au commissariat de police. Ce n’est pas la première fois qu’il a des relations avec des policiers, mais ce jour-là c’est pour identifier le cadavre d’un migrant qui vient d’être découvert assassiné dans un squat situé dans un ancien supermarché.

Il s’agit d’Adam Tesfay, un demandeur d’asile érythréen, que Thomas accompagnait. Le reste de la chambrée s’est éparpillé, trois hommes que Thomas connait bien et qu’il suit dans leur demande d’asile. Le préfet n’apprécie pas ce fait divers sanglant, et il n’en faudrait guère plus pour le conforter dans sa décision de faire évacuer le squat et de se débarrasser de ces individus jugés encombrants.

Deux nouveaux cadavres sont retrouvés dans la Loire, égorgés. Seul le troisième des réfugiés qui occupaient le squat avec Adam Tesfay s’est évaporé dans la nature, introuvable. Mais Thomas est persuadé qu’il n’est pas coupable des forfaits, malgré les allégations des policiers. D’ailleurs le fuyard lui téléphone en pleine nuit, lui donnant rendez-vous là où ont été retrouvés ses anciens compagnons morts.

Thomas est bien embêté car il a la garde de sa fille pour le week-end, mais il s’arrange avec son ex pour récupérer la gamine. Puis il part sur le lieu du rendez-vous et il est agressé par un individu qui s’enfuit. Enfin il découvre l’homme qui lui a téléphoné mais celui-ci est en mauvaise posture. Il a les deux poignets tailladés. Il peut lui confier qu’il ne s’est pas suicidé, qu’il s’agit d’un certain Habton, puis il décède.

Peu après Thomas reçoit une enveloppe adressée à Adam Tesfay. Il l’ouvre et trouve à l’intérieur une clé USB contenant des fichiers et des photos. Il va devoir demander à un ami informaticien de l’aider à décrypter les fichiers qui sont protégés, mais sur les photos, qui représentent des personnages, il en reconnait quelques-uns.

Cela sent mauvais, très mauvais. Et ses ennuis ne font que commencer, malgré l’aide apportée par un ami, un Tchétchène qui a du répondant musculairement et s’avère un combattant efficace.

 

Julien Heybroeck nous offre une plongée particulièrement nauséeuse dans l’univers, non pas des réfugiés, mais des édiles de la République. Les réfugiés, politiques ou non, fuyant leur pays à cause de la famine, des tensions liées à des guerres intestines, à un esclavagisme qui perdure dans certains pays, sont à plaindre. Pourtant en France, ils sont traqués comme des bêtes malfaisantes. Tous les migrants ne peuvent provenir de Norvège, comme le souhaiterait Donald Trump.

Un roman terriblement d’actualité et si cette histoire est une fiction, nul doute que certains épisodes se sont déroulés réellement. Julien Heylbroeck est travailleur social, et donc il décrit avec réalisme l’univers dans lequel il est quotidiennement confronté.

Mais pour autant l’auteur ne verse pas dans l’angélisme. Si tous les hommes politiques ou entrepreneurs ne sont pas pourris, tous les migrants ne sont pas blancs moralement.

Des intermèdes nous invitent à nous rendre en Erythrée, à la découverte d’une dictature africaine et d’un esclavagisme moderne. Depuis le début des années 2000, l'Érythrée, toujours dirigé par Issaias Afewerki, adopte une attitude répressive et autoritaire envers sa population, notamment via son service militaire, qui provoque un mouvement d'émigration important et aboutit à plusieurs descriptions du pays comme une « prison à ciel ouvert ». (Source Wikipédia).

Quant au titre, Merhaba, il signifie Bienvenue en Tigrinya, langue officielle de l’Erythrée.

Une nouvelle, 14:00 – 14:40, salle 107, complète cet ouvrage.

 

Julien HEYLBROECK : Merhaba. Editions NaOH. Parution le 30 décembre 2017. 208 pages. 18,00€.

Partager cet article
Repost0
18 janvier 2018 4 18 /01 /janvier /2018 14:11

A lire confortablement installé dans un fauteuil… Voltaire !

Frédéric LENORMAND : Docteur Voltaire et Mister Hyde.

De la poussière, il en vole dans Paris et plus particulièrement dans l'échoppe d'un apothicaire. Une poudre blanche qui provoque la mort du potard. Pour les policiers arrivés sur place, il ne fait aucun doute, l'homme a été poignardé. Pour le médecin, la situation est plus grave. Le défunt avait contracté la peste. Mais il ne faut pas ébruiter cette information, afin d'éviter un vent de panique qui pourrait se transmettre comme une traînée de poudre. Il ne faut en aucun cas que les Parisiens s'affolent. Dernière petite précision, le pharmacien italien se nommait Sanofo Sanofi, un nom prédestiné.

Pendant ce temps François-Marie Arouet, plus connu des collégiens et des lycéens sous le nom de Voltaire, passe du bon temps à Cirey, propriété de la famille du Châtelet dont une représentante est Emilie, sa maîtresse avouée. La noble demeure tombe en ruines et il a toute latitude pour rénover ce château ancestral. Il ne ménage pas sa peine, ni l'argent. Emilie bientôt vient lui rendre visite. Mais ils ne s'entendent pas sur la disposition des fenêtres, des escaliers, de petits détails.

Des Anglais viennent s'immiscer dans ce bel ordonnancement foutraque. Accompagné de deux personnages qui feraient fortune dans une foire aux monstres, le sujet de la perfide Albion se présente. Hyde, gardeneur, enfin jardinier-paysagiste, baronet of Jek'Hill. Mais les incidents s'enchaînent. Voltaire manque sombrer alors qu'il s'est réfugié à bord d'un canot. Il est sauvé de la noyade par Buffon, qui se promenait dans le quartier, étudiant faune et flore. Il échappe également de peu à une poutre éprise de liberté qui tombe d'un échafaudage. Et un message codé lui est remis, signifiant à peu près qu'il est en danger, qu'il doit regagner Paris au plus vite. Signé un admirateur secret.

C'est le départ pour la capitale mais les soldats rôdent. Hyde lui conseille de se cacher dans une malle capitonnée, lubie à laquelle il se plie volontiers. Enfin presque. La cantine est emplie de ses œuvres tandis que Voltaire qui se doutait d'une manœuvre pas très catholique gagne Paris dans la voiture d'Emilie. Arrêté par les douaniers, il ne peut faire que contre mauvaise fortune bon cœur. Ses charcuteries lorraines, rillettes et saucissons sont taxés hors de prix.

- Mais c'est vu vol, s'insurgea la philosophie maltraitée.

- oui, mais c'est décidé par l'Etat, alors c'est légal, dit le douanier.

Alors que le syndrome de la peste s'est propagé comme une traînée de poudre (bis), Hérault, lieutenant de police, mande à Voltaire d'enquêter sur cette manifestation mettant en péril la vie de ses concitoyens, malgré les gens d'arme qui sont à la recherche du philosophe pour ses écrits séditieux. Voltaire, toujours accompagné de son fidèle secrétaire, l'abbé Linant, s'installe chez son frère Armand, celui-ci supposé vaquer en un autre lieu en province. Il se vêt des habits de son aîné et bientôt il va se trouver confronté à de nombreuses péripéties, en compagnie ou séparément et malgré lui, d'Armand, receveur des épices, ce qui ne veut pas dire qu'il était épicier, mais qu'il était chargé de percevoir la taxe due pour les minutes à l'issue d'un procès par écrit. Ce point d'histoire éclairci, revenons à nos moutons comme disait Panurge.

Et c'est ainsi qu'entre Voltaire et son frère Armand s'établit un chassé-croisé qui met aux prises les deux hommes à des personnages qui prennent l'un pour l'autre, et inversement.

 

Un livre réjouissant, humoristique, mettant Voltaire dans des situations périlleuses, mêlant personnages de fiction et ceux ayant véritablement existés.

Les rapports entre Voltaire et son frère, qui s'entendent comme chien et chat, leurs démêlés, les incidents, pour ne pas dire les accidents et tentatives de meurtre auxquels ils sont confrontés, l'ambiance qui règne dans un Paris pesteux, et les manigances médicales et autres, les tours de passe-passe, tout ceci fait de ce roman un livre hautement jouissif.

Voltaire est montré sous un jour facétieux, entre Louis de Funés et Rowan Atkinson (mais si, vous connaissez ! Mister Bean !), et pourtant certains épisodes sont véridiques. Pour preuve les différents documents, lettres principalement, qui sont donnés en exemple en fin de volume.

Voltaire est en avance sur son temps et certaines de ses expressions resteront dans la mémoire musicale. Ainsi s'écrie-t-il, alors qu'il est dans une barque en train de couler : Help ! I need somebody ! Help ! Des paroles dont s'empareront quatre garçons dans le vent plus de deux siècles plus tard pour forger un tube mondial, le terme planétaire devenant tellement galvaudé, et qui marquerat toute une génération.

Les petites répliques acides, les remarques non dénuées de bon sens prolifèrent comme autant de piques :

- Les gens ont du mal à comprendre que les livres sont tous différents, surtout quand ils ne les lisent pas.

Et l'auteur, Frédéric Lenormand, ne se prive pas de s'amuser avec l'actualité, qui comme nous le savons, n'est qu'une répétition d'épisodes déjà joués dans les siècles précédents.

- Alors ? Vous avez réfléchi à ma proposition ?

- J'y pense tous les matins en me rasant.

- Tiens ? Vous vous rasez vous-même ?

- Oui, je côtoie trop de raseurs dans la journée.

Frédéric LENORMAND : Docteur Voltaire et Mister Hyde. Voltaire mène l'enquête. Réédition Le Livre de Poche Policier/Thriller. Parution le 17 janvier 2018. 240 pages. 6,60€.

Première édition : Editions Jean-Claude Lattès. Parution 3 février 2016. 342 pages. 18,00€.

Partager cet article
Repost0
16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 09:19

Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place

Où la main ne passe et repasse.

Erskine CALDWELL : Le petit arpent du Bon Dieu

Pas sûr que Ty Ty Walden connaisse cette fable de La Fontaine, Le laboureur et ses enfants, pourtant depuis quinze ans il s’échine à défouir son terrain afin de mettre au jour un éventuel trésor. Il est persuadé découvrir d’éventuelles pépites d’or. Et naturellement ses arpents ressemblent plus à des champs de mines que de coton.

Des trous il y a en partout, sauf au Petit arpent réservé au Bon Dieu, terre consacrée dont le produit de la récolte doit aller à l’église, mais il existe une solution, déplacer ce lopin de terre pour à nouveau creuser. Black Sam et Uncle Felix, ses ouvriers agricoles nègres, sont réquisitionnés tout comme ses deux fils, Buck et Shaw. Quant à Darling Jill, elle préfère vadrouiller et aguicher. Et Griselda, la femme de Buck, elle prépare la popote.

Elles sont belles Griselda et Darling Jill, tout comme Rosamond, l’autre fille de Ty Ty, installée à la ville avec Will, un ouvrier à la filature. Car lorsqu’ils ne sont pas aux champs, en Géorgie comme Ty Ty et ses deux fils, ils travaillent à la filature en Caroline, l’état voisin. C’est le lot des hommes et de la plupart des femmes. Seul Jim Leslie, le fils aîné de Ty Ty, s’est installé à la ville, à Augusta, dans une riche demeure. Il est courtier en coton et est marié avec une femme insignifiante. Ce qui n’est pas à proprement parler une profession exempte de tout reproche selon Will :

Il a fait fortune en jouant sur les cotons. Il n’a pas gagné l’argent qu’il a… Il l’a volé. Vous savez bien ce que c’est, un courtier en coton. Savez-vous pourquoi on les appelle courtier ? Parce qu’ils s’arrangent toujours à ce que les fermiers soient à court d’argent. Ils leur prêtent de petites sommes et ils s’enfilent toute la récolte. Ou bien ils mettent un type à sec en faisant monter et baisser les prix pour les obliger à vendre. C’est pour ça qu’on les appelle courtier en coton.

 

Retrouvons Ty Ty sur son terrain alors que Pluto arrive en voiture. Pluto est un homme gras, parti à la pêche aux électeurs car il doit se présenter à la place de shérif. Mais il fait chaud et il est amoureux de Darling Jill alors il reste à se reposer tout en déclarant qu’il doit continuer sa récolte de voix. Et dans la discussion, l’évocation de la présence d’un albinos dans les marais intéresse fortement Ty Ty.

Il lui faut cet albinos car selon certains racontars, ces hommes tout blancs sont capables de désigner les endroits où se cache l’or. Mais il ne s’agit pas de sorcellerie, par le plus-de-parfait des enfers, c’est scientifique d’après Ty Ty. Ty Ty agit toujours de manière scientifique. Positivement comme dirait Pluto.

Donc, première chose à faire, s’emparer de l’albinos dans les marais où il s’est installé. Ensuite, se rendre en Caroline, à Scottsville, afin de convaincre Will de venir les aider à creuser. Ils se serviront du véhicule de Pluto, Griselda et Darling Jill venant avec eux. Une épopée qui se traduira par quelques événements qu’ils n’avaient pas prévus.

La filature est fermée depuis dix-huit mois et les ouvriers, Will en tête veulent rétablir le courant, malgré la Compagnie qui a décidé en représailles d’une grève, justifiée, de fermer la filature. Les ouvriers n’acceptent pas de ne toucher qu’un dollar dix alors que les propriétaires roulent dans des voitures à cinq mille dollars. De plus ils sont obligés de payer leur loyer, vivant dans des maisons jaunes toutes semblables appartenant à la compagnie. Et la Compagnie vient d’embaucher des briseurs de grèves.

Mais ce qui débutait comme une joyeuse farce quelque peu grivoise, le plus souvent par des phrases à double sens ou des sous-entendus, va se muer en drame. Darling Jill est une aguicheuse qui n’hésite pas à provoquer Pluto, et à coucher avec Will, le mari de sa sœur Rosamond. Tandis que Jim Leslie, sommé de donner de l’argent à Ty Ty qui est véritablement en manque, il va être obnubilé par Griselda.

On ne peut s’empêcher d’établir des parallèles entre ce texte fondateur publié aux Etats-Unis en 1933, et les romans publiés postérieurement mettant en scène des petits blancs des Etats-Unis, ces ruraux qui loin des grandes villes végètent ou tentent de survivre. Mais il s’inscrit dans la dépression qui suit immédiatement le crack économique de la bourse, le jeudi noir du 24 octobre 1929, laissant la plupart des ouvriers considérés comme des esclaves sur le flanc.

Fils spirituel de Zola, notamment dans le roman La Terre et dans ceux où le romancier naturaliste français décrit les conditions de travail des ouvriers, Erskine Caldwell se montre précurseur dans le roman social américain. Il existe des analogies avec les écrits de certains de ses contemporains romanciers, dont John Steinbeck, qui s’est peut-être inspiré de la mentalité de quelques personnages pour écrire Des souris et des hommes, qui sera publié en 1937, et postérieurement, en ouvrant la voie à Charles Williams pour Fantasia chez les ploucs, réédité récemment sous le titre Le Bikini de diamant, et qui date de 1956, ou Jim Thompson avec 1275 âmes, rebaptisé Pottsville, 1280 habitants.

A l’origine, ce roman avait été condamné pour obscénité, mais sous la pression de quarante-cinq écrivains américains, le juge a dû arrêter les poursuites engagées. Plus grivois qu’obscène, selon les critères actuels, ce roman est plus dérangeant pour la société américaine huppée, par la description des conditions de vie et de travail des ouvriers dans les filatures, qui malades des poumons, crachent le sang, un peu comme ceux qui de nos jours sont atteints par les méfaits de l’amiante. Mais il était plus facile de s’attaquer au côté ollé-ollé de cet ouvrage que de s’attarder sur le côté sociétal.

Première édition Gallimard 1936.

Première édition Gallimard 1936.

Ce roman a été adapté au cinéma par Anthony Mann en 1958, avec dans les rôles principaux : Robert Ryan ; Aldo Ray ; Buddy Hackett ; Jack Lord ; Fay Spain ; Vic Morrow ; Helen Westcott ; Lance Fuller ; Rex Ingram ; Michael Landon et Tina Louise.

Erskine CALDWELL : Le petit arpent du Bon Dieu

Erskine CALDWELL : Le petit arpent du Bon Dieu (God’s little acre – 1933. Traduction de M.E. Coindreau). Préface d’André Maurois. Réédition Le Livre de Poche N°66. 3e trimestre 1967. 256 pages.

Partager cet article
Repost0
15 janvier 2018 1 15 /01 /janvier /2018 09:59

Des p’tits trous, des p’tits trous, encore des p’tits trous

Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous

Des trous de première classe, des trous de seconde classe…

Daniel CARIO : Ne reposez pas en paix.

Et pour creuser des trous, il en creuse. Dimitri Kolev, d’origine polonaise, est le fossoyeur du village de Vassière, petit village minier entre Laon et Charleville-Mézières. Fils d’un ancien mineur Polonais, il travaille aussi la terre, mais s’il va au charbon, c’est dans le petit cimetière, soignant ses locataires, bichonnant leurs dernières demeures.

Il s’est marié avec Bérengère, une femme pas particulièrement belle mais aimante. Comme il aimait à dire, avec ses yeux qui louchaient, elle pouvait surveiller ses deux enfants, Grégoire et Paulin, en même temps. Grégoire est captivé par la mécanique, construire, déconstruire puis remonter les pièces, les assembler sans avoir besoin de mode d’emploi. Paulin est plus réservé, plus attiré par la nature. Grégoire va même, après l’école, chez le garagiste local et il n’a pas peur de mettre les mains dans le cambouis, rafistolant une vieille bagnole grâce aux conseils éclairés du garagiste et de son ouvrier.

Seulement Bérengère est décédée alors que Grégoire n’avait du neuf ans environ et son frère deux ans de moins. En bon fossoyeur consciencieux, Dimitri a voulu creuser la tombe de son épouse, puis lors des obsèques, il a obligé ses gamins à déposer la terre sur le cercueil. Naturellement, cela a perturbé Dimitri, ainsi que ses gamins, et son labeur terminé il fréquente de plus en plus les cafés du village. Et lorsqu’il rentre le soir, il divague.

Il a appris à Grégoire, devant l’insistance du gamin, à conduire sa vieille bagnole, et parfois cela lui est utile. Le gamin le ramène au logis, ou alors il n’a plus qu’à rentrer à pied. Il se déconnecte de plus en plus de la réalité.

D’autant qu’une drôle d’histoire lui est arrivée un jour de déterrement, et il la narre quasi tous les soirs, engloutissant les verres que lui offrent ses compagnons de comptoir. Une histoire farfelue, morbide, qui effraye et amuse en même temps. Alors qu’il devait exhumer un cercueil pour le déplacer et récupérer ainsi de la place, il s’est aperçu que le bois était entièrement pourri, ça c’est normal, mais que le couvercle avait été griffé par le mort qui lors de l’inhumation ne devait pas l’être, mort.

Depuis il a peaufiné son histoire, amusant la galerie par ses mimiques. Grégoire et Paulin, eux aussi, sont au courant de cet avatar. Et de plus en plus Dimitri s’enfonce dans sa dipsomanie, négligeant ses gamins qui au fils des mois grandissent.

Et un jour, Grégoire qui aime également vadrouiller dans la forêt et se promener près d’une grande demeure, une sorte de manoir qui sert de colonie de vacances pour fils de riches notables, oublie de rentrer. Dimitri s’aperçoit à peine de la disparition de son aîné. Grégoire revient trois jours plus tard, effrayé, mutique, se réfugiant dans le grenier, ne répondant pas aux questions de son jeune frère Paulin.

 

Un jour, un gamin est découvert à l’entrée d’une gendarmerie située à plus de cent kilomètre de Vassières, mais il ne sait pas dire qui il est, d’où il vient. Il est mutique, et probablement amnésique. La brave Delphine, lieutenant de gendarmerie, s’entiche de ce gamin perdu. C’est une forte femme, de caractère mais physiquement aussi. Elle pourrait servir de modèle à Fernando Botero, éventuellement. Célibataire, sans amours pour le moment, elle reporte son affection sur le gamin, qui peu à peu et sous l’influence d’une psychologue amie de Delphine, s’exprime par réponses courtes et sibyllines.

 

Daniel Cario nous entraîne dans un suspense montant en puissance inexorablement. Après une première partie intitulée Le Fossoyeur, dans laquelle il plante le décor et les personnages, il nous entraîne dans une seconde partie, L’amnésique, dont le personnage central est un gamin. Mais lequel ? Tout tourne autour de ce jeune ado d’une douzaine d’années, apparemment, et les gendarmes, qui au début se méfient de lui et de ce qu’il peut raconter, au fur et à mesure que Delphine l’apprivoise, vont sillonner la région dépassant le périmètre dont ils ont la charge, empiétant sur le domaine de leurs collègues, se heurtant parfois à un juge incrédule. Il indique toutefois la tombe d’un cadavre, dans la campagne.

La vérité ne jaillira pas comme un geyser islandais, et il faudra de la ténacité, de la pugnacité, une grosse dose patience pour arriver à un épilogue dramatique, dans une intrigue dont la vengeance et le pardon sont les maîtres mots.

On pourrait se croire dans une histoire concoctée par Hector Malot, par certains côtés, par Hervé Bazin ou Gilbert Cesbron, par d’autres approches, et ce qui pourrait évoquer une farce normande à la Guy de Maupassant, devient un enfer limite Kafka. J’exagère peut-être, pour Kafka.

Daniel Cario prend le temps de poser le décor, d’énoncer les tenants et les aboutissants, de camper les personnages, de leur donner de l’épaisseur sans tremper sa plume dans l’encrier gorgé d’hormones de croissance ou d’EPO. Non, il les installe dans des situations quotidiennes, remontant le passé, allant jusqu’à décrire l’arrivée du grand-père Polonais et ses mésaventures dans la mine lorsque celle-ci s’effondre, se retrouvant enfoui, comme une malédiction familiale et transgénérationnelle. Mais les autres personnages bénéficient du même traitement d’investigation psychanalytique, notamment la gironde Delphine et ses relations professionnelles ou extraprofessionnelles.

Le lecteur s’imbibe, se sent proche des protagonistes, s’invite à la table familiale, se rince le gosier en même temps que Dimitri dans les bars, s’esclaffe à ses racontars, rit jaune parfois, frémit, se sent pousser des envies d’aider ce gamin perdu parmi les adultes, avec des neurones en vrac, de lui souffler les réponses, voire se tromper dans ses déductions.

Car Daniel Cario nous entraîne dans des sentiers qui paraissent balisés mais sont constitués de trompe-l’œil, de faux-semblants, mais restant dans une logique et une construction narrative imparable.

L’un des romans les plus beaux et les plus touchants de l’auteur et de l’année avec un titre intrigant mais judicieusement trouvé.

 

Daniel CARIO : Ne reposez pas en paix. Groix éditions et diffusion. Parution novembre 2017. 384 pages. 14,90€.

Partager cet article
Repost0
14 janvier 2018 7 14 /01 /janvier /2018 09:19

Cela sent le vécu !

Jean CONTRUCCI : Le vol du gerfaut.

Obtenir le Prix Goncourt, c’est bien, c’est gratifiant pour un auteur, et pour sa maison d’édition aussi ! Mais pour certains écrivains, qui en ont fait l’amère expérience, se profile alors une sorte de blocage ou alors le succès auprès des lecteurs n’est plus au rendez-vous.

Pour Jean-Gabriel Lesparres, le phénomène se traduit autrement. Il a bien écrit un autre roman, mais il n’est pas satisfait de sa prose. Et son éditeur, le presse de lui remettre son manuscrit.

Lesparres est un écrivain de la vieille école. Pas d’ordinateur, pas de machine à écrire. Il rédige son texte sur des feuilles volantes de couleur verte, puis il retranscrit ce qu’il a écrit, après rectifications, améliorations, sur des carnets à spirales, le tout au crayon de papier, sans ratures grâce à la gomme dont il n’oublie pas se munir. C’est sa jeune femme, ancienne attachée de presse dans la maison d’édition où il publie, qui remet au propre avant présentation à l’éditeur.

Mais le manuscrit n’est pas à la hauteur de ses espérances. Il sait qu’il vaut mieux. Il est écrivain, mais également critique littéraire, et directeur littéraire, et il n’est pas imbu de lui-même. Il est lucide, et fier. Il préfère louvoyer auprès de Fontange, son ami éditeur depuis vingt-cinq ans, et lui promettre de lui remettre le manuscrit à son retour de vacances en Sicile. Dix ans se sont écoulés depuis son grand succès goncourisé, L’Ariette oubliée, puis la publication de La vie antérieure, deux ans que son inspiration déclare forfait, mais il ne peut continuellement se dérober.

Il fait part de son intention de ne plus rien publier à son ami Paul Delamare, lequel est un écrivain véritable, possédant un réel talent, mais comme certains peintres maudits, il ne sera reconnu qu’après sa mort. Peut-être. D’ailleurs ses ouvrages n’étaient tirés qu’à mille cinq cents exemplaires environ, et lorsque Fontange lui a refusé un texte, il n’a pas trouvé d’appui de la part de Lesparres. Celui-ci regrette le geste qu’il n’a pas osé faire, lui tendre la main, l’aider, obliger Fontange à l’éditer quand même. Non, il a fermé les yeux, s’est recroquevillé, malgré une amitié de cinquante ans.

Toutefois, de leur discussion jaillit une idée que Lesparres va mettre en pratique, le destin aidant. Et si son manuscrit était volé ? Il n’effectue jamais de double, et donc si ce jet unique était barboté, cela lui retirerait une épine du pied.

Le destin va le mettre, alors qu’il musarde dans la bonne ville d’Arles, en face d’un peintre qui propose ses œuvres. L’homme est jeune et comme tous les artistes, démuni. Un marché est conclu. Manuel Botero, l’artiste peintre, volera la mallette tandis que Lesparres attendra ses bagages lors de son débarquement à l’aéroport de Marseille-Provence et que Laure sera partie baguenauder. Tout se passe à la perfection, sans incident, sauf que le voleur appointé ne se conforme pas exactement selon les souhaits de l’écrivain.

Cette mallette de luxe est retrouvée non loin de l’endroit désigné, certes, quelques semaines plus tard, mais dans un état neuf, comme si elle venait d’être déposée. Botero a affirmé par téléphone avoir détruit la copie du manuscrit, mais ne pas l’avoir incinéré, à cause du risque d’incendie.

Lesparres remet sa démission à Fontanges, lors d’un entretien particulièrement houleux. Il en profite pour demander à Martine, leur secrétaire, de lui renvoyer le courrier qui arriverait à son nom. Et un jour, dans une enveloppe matelassée, lui parvient les épreuves non corrigées d’un roman écrit par une jeunette, roman intitulé Les Trophées d’après un recueil de José Maria de Herredia. Or en compulsant cet ouvrage qui sera mis en vente dans quelques semaines, Lesparres constate qu’il s’agit de Son Roman, Comme un vol de gerfaut, remanié dans deux ou trois passages dont il n’était pas fier.

 

C’en est trop et Lesparres décide de rechercher Botero, en engageant un détective qui, oh heureux hasard, habite le même immeuble que son ami Delamare auquel il a rendu visite. Delamare est bien malade, un cancer le rongeant, tandis que c’est le remord qui ronge Lesparres.

Mais l’écrivain à l’inspiration défaillante n’est pas au bout de ses surprises, le lecteur non plus. Et ce qui, dans la seconde partie, aurait pu ressembler à un vaudeville se mue peu à peu en une tragédie avec son lot de magouilles, de machinations, d’entourloupettes, de quiproquos, de malentendus, de retournements de situations, d’analyses erronées, et de mensonges.

Si la seconde partie est consacrée à l’enquête, et aux recherches de Lesparres concernant l’identité de celui, ou celle, qui lui a joué ce tour pendable, la première est une plongée dans les milieux éditoriaux et dissèque les affres d’un écrivain honnête qui se rend compte que ce qu’il vient d’écrire n’est pas de son meilleur cru. Il ne veut pas décevoir éditeurs, critiques littéraires, lecteurs. Il ne veut pas, contrairement à certains de ses confrères, être publié à tout prix, se reposant sur une gloire qui perdure, mais peut se déliter au premier accroc. Son éditeur raisonne en commercial, déclarant Mieux vaut le livre d’un médiocre qui se vend qu’un auteur de génie qui devient improductif, tandis que Lesparres réagit en esthète.

Mais il pose une question essentielle, que nous collectionneurs impénitents nous nous posons souvent sans pouvoir la résoudre avec satisfaction :

Cette bibliothèque amoureusement constituée de coups de cœur éprouvés tout au long d’une vie vouée aux écrivains et à la lecture n’avait plus d’autre valeur que celle de procurer quelque argent de poche à une bande d’étudiants qui ne lisaient plus rien d’écrit en dehors des textos.

Enfin, petit clin d’œil qui n’était pas prévu au moment de la rédaction de ce livre, et qui prend sa portée au moment où est publié, mais ça c’était prévu depuis un moment, le dernier manuscrit de Jean d’Ormesson :

A moins d’être une célébrité, le manuscrit d’un écrivain mort n’intéresse plus personne.

 

Jean CONTRUCCI : Le vol du gerfaut. Roman. H.C. éditions. Parution le 11 janvier 2018. 240 pages. 19,00€.

Partager cet article
Repost0
13 janvier 2018 6 13 /01 /janvier /2018 11:12

Vous ne regarderez plus les nævus

de la même façon…

François AVISSE : L’arracheur d’ombres.

Si ce roman débute dans une atmosphère d’angoisse indicible, il se clôt dans l’horreur, la fureur et la terreur. Une montée en puissance et un final dignes de Richard Matheson, Graham Masterton et Clive Barker. Mais en plus ramassé et en plus percutant.

Médecin légiste à la CIA, Clara Villiers, une pointure dans son domaine alors qu’elle n’est âgée que de trente ans, débarque à Londres et se rend immédiatement à Scotland Yard où elle a rendez-vous avec Bergerman, le légiste local.

Après une entrée tonitruante dans l’édifice, Clara est conviée à examiner le cadavre d’une jeune femme. Le Méticuleux a encore frappé. Une bonne demi-douzaine de meurtres à son actif, toujours dans selon le même procédé, mais d’habitude il sévit en Europe de l’Est. Pourtant, c’est Jérémy, le mari policier à Scotland Yard, qui s’accuse, car il est rentré tard d’une virée en compagnie avec une collègue. S’il avait été présent au lieu de batifoler, ce drame ne se serait peut-être pas produit. Peut-être.

Clara met les points sur les I immédiatement. Elle ne se contente pas d’autopsier, elle participe aux enquêtes, et celle-ci, quoi que ce soit Interpol qui en a la charge, elle compte bien s’y investir. Mais auparavant il faut examiner le cadavre de la jeune femme. Clara distingue une marque blanchâtre, comme si un tatouage avait été prélevé. Mais après une observation minutieuse et rigoureuse, il s’avère que c’est un nævus qui a été soigneusement décollé. Jérémy confirme la présence antérieure du grain de beauté

Et ce n’est pas le premier emprunt réalisé, des documents dignes de foi en font état. Qui peut s’amuser à dégager des grains de beauté sur la peau de défunts ? Le Méticuleux, d’accord, mais qui est cet olibrius collectionneur ? Clara trouve des affaires similaires, le soir sur son ordinateur, alors qu’elle est logée chez une amie dont le fils est son filleul. Et ces prélèvements remontent à des milliers d’années selon des reportages et documentaires historico-scientifiques.

Interpol est sur les dents, chargé de recueillir toutes informations susceptibles de dévoiler l’identité de ce Méticuleux qui se moque d’eux. Or justement, en Russie, une gamine vient d’être arrêtée, soupçonnée de meurtres, et dont le dos est orné d’une tache noire, un gros grain de beauté. Ceci s’est déroulé non loin de Novgorod, là où selon l’histoire du pays, Ivan le Terrible aurait séjourné en l’an 1564. Alors qu’il était d’un caractère assez affable, il est revenu belliqueux, tortionnaire, massacrant des milliers de citoyens, avec l’aide de ses troupes.

Une légende plane sur l’endroit, et Clara est bien décidée à enquêter sur place, en compagnie de Bergerman, et d’un invité surprise, Jérémy qui lui aussi à un compte personnel à régler. La jeune fille, Tatiana de son prénom est enfermée dans un asile. Mais qui est Tatiana, demandera le lecteur impatient. Je ne vais pas vous dévoiler son panégyrique puisque l’auteur nous la présente, dans des conditions festives qui tournent au drame dans les premiers chapitres.

Si l’intrigue débute comme une nouvelle affaire de tueur en série, collectionneur de trophées humains, avec une enquête rigoureuse, et la perpétration de massacres, peu à peu l’histoire monte en puissance, la tension croissant. Et elle se clôt dans une mise en scène élaborée que n’auraient pas reniée, ni désavouée nos plus grands Angoisseurs et Fantastiqueurs, Jean Ray en tête. Tandis que l’épilogue est prétexte à retrouver Clara dans de nouvelles aventures tout aussi trépidantes et angoissantes.

A noter qu’un personnage, seulement évoqué, un archéologue, se nomme Francis Savoise, anagramme du patronyme de l’auteur.

 

François AVISSE : L’arracheur d’ombres. Editions Terra Nova. Parution le 15 novembre 2017. 240 pages. 17,50€.

Partager cet article
Repost0
11 janvier 2018 4 11 /01 /janvier /2018 12:18

Le premier homme dans la Lune ? Adam ! Il a croqué la pomme par inadvertance…

H. G. WELLS : Les premiers hommes dans la Lune

Le comportement étrange d’un individu attifé de façon disparate attire l’attention de Bedford, jeune homme retiré dans le Kent après avoir subi des revers financiers.

Installé à sa fenêtre, bien décidé à écrire une pièce de théâtre, qui pense-t-il devrait le remettre à flot, Bedford est un homme d’affaires qui a mal géré celles-ci, trop pressé d’engranger de l’argent sans véritablement se donner le temps de réfléchir. Les problèmes boursiers sont plus complexes qu’il le supposait, et après les mois de vaches grasses se sont imposés les mois de vaches maigres. Et il se rend que l’écriture, comme la bourse, ne se maîtrise pas si facilement que cela.

Donc intrigué par le comportement de cet homme, il décide un jour de l’aborder. Le professeur Cavor est un homme d’habitudes, et cette interruption dans ses déambulations quotidiennes, dans ses pensées, le perturbent. Mais peu à peu, entre Bedford et Cavor, s’établit une relation, sinon amicale, du moins réconfortante pour les deux hommes. Et Cavor peut s’exprimer en toute quiétude sur ses aspirations, ses projets, même si Bedford ne comprend pas tout de ses élucubrations. Il est question d’éther, de tubes de force, de potentiel gravitationnel, d’énergie radiante, exemples à l’appui, ce qui est très confortable aussi bien pour Bedford que pour le lecteur.

Bedford est attiré par le projet de Cavor, et il va même l’aider. Dans son antre Cavor travaille, avec l’aide de trois compagnons aux métiers différents mais complémentaires. L’idée est de construire une sorte de capsule constituée de plaques de verre recouvertes de tôles à base d’hélium. L’hélium est un gaz qui a démontré sa capacité puisqu’il a été utilisé pour remplir les ballons et les dirigeables.

Bedford est attiré par l’appât du gain, car Cavor a dans l’idée de se propulser sur la Lune, à la recherche de matériaux rares. Et les préparatifs terminés, c’est le grand voyage organisé dans l’espace, avec à bord les deux hommes, le scientifique et le financier. Le décollage s’effectue en douceur, le voyage n’est pas perturbé, et l’alunissage est réussi. Un bon point pour la Cavorite, la capsule qui a servi a transporté les deux touristes dans l’espace.

L’atmosphère n’est guère différente que sur Terre, mais il faut s’habituer à la gravitation et les deux hommes avancent parmi les cratères par sauts de puce. Il fait froid car le soleil est de l’autre côté de la Lune et lorsqu’il darde ses rayons à l’endroit où les deux hommes se trouvent, c’est la chaleur étouffante qui prédomine. Et alors, de minuscules plantes pointent le bout de leurs folioles puis prennent de l’extension. C’est le moment pour les Sélénites bergers de sortir pâturer des espèces d’animaux qui ressemblent à des veaux sans pattes, un peu comme les veaux marins.

Cavor et Bedford vont se trouver face à des Sélénites qui ont l’aspect de gros insectes, comme des fourmis géantes, et ils connaîtront quelques démêlés, étant entraînés dans les entrailles de la Lune.

 

Véritable roman de science-fiction, Les premiers hommes dans la Lune n’est pas une anticipation, puis que l’auteur place son récit au moment où il l’écrit, ou plutôt au moment où Bedford le rédige lorsqu’il rentre sur Terre.

Mais si la science-fiction est le support de ce roman, deux autres points, au moins, permettent à Herbert-George Wells d’apporter sa vision du monde et de dénoncer certaines pratiques ou énoncer quelques réflexions sur l’avenir.

Ainsi en ce qui concerne la science, Carvor déclare :

Les prêtres et les inquisiteurs du Moyen-âge avaient raison, et les modernes ont tort. Vous risquez de petites expériences et l’on vous offre des miracles. Puis, aussitôt que vous y êtes pris, vous êtes bernés et démolis de la façon la plus inattendue. Vieilles passions et nouvelles armes… Tantôt cela bouleverse votre religion, tantôt cela renverse vos idées sociales, ou vous précipite dans la désolation et la misère !

Un roman tout à fait en prise avec l’actualité, les scientifiques veulent toujours progresser, mais n’est-ce pas au détriment parfois de l’humanité ?

Bedford est parti dans l’intention de se refaire une santé financière. Seulement, il déchante vite dans sa recherche de brevets et de concessions dans les cratères de la Lune. Car il y a de l’or sur la Lune. Mais Carvor idéaliste n’en est pas moins réaliste.

Les gouvernements feront tous leurs efforts pour venir ici. Les nations se battront entre elles pour cette conquête et extermineront ces créatures lunaires. Cela ne fera qu’étendre et multiplier les conflits.

Si Herbert-George Wells anticipe une guerre spatiale, le propos n’est en pas moins d’actualité en ce début de XXe siècle, avec la colonisation de nombreux pays africains, la recherche de matériaux précieux, le découpage des territoires, au détriment des populations qui ne demandaient rien à personne.

La société sélénite n’est pas configurée de la même manière que sur Terre. Elle pourrait se répartir en divers corps de métier, leur organisme n’étant pas formé pour être polyvalent. Or quand l’un des corps de métiers n’est pas sollicité, leurs représentants sont au repos.

Cela ne fait qu’éclairer la façon inconsidérée dont nous acquérons nos habitudes de penser et de sentir. Droguer l’ouvrier dont on n’a pas besoin et le mettre en réserve vaut sûrement beaucoup mieux que de le chasser de son atelier pour qu’il aille mourir de faim dans les rues. Dans chaque communauté sociale complexe, il y a nécessairement des interruptions dans l’emploi de toute énergie spécialisée, et sous ce rapport l’inquiétant problème des chômeurs est absolument aboli par les Sélénites.

Un roman dont le propos est plus actuel que l’on pourrait croire, un roman qui n’a pas vieilli, malgré les soixante-dix ans, ou presque, séparent l’écriture de cette histoire et le grand pas pour l’humanité en juillet 1969.

Les premiers hommes dans la Lune est un classique à lire et à relire, pour le plaisir et pour comparer la société actuelle avec celle des Sélénites et celle de l’Angleterre de la fin du XIXe et début XXe siècles. Et qui démonte que sous le couvert de la science et de la fiction, H.G. Wells s’intéressait aux problèmes sociétaux de son époque.

La recherche frénétique de la conquête de la Lune est pour l’instant calmée, mais comme Bedford on peut se demander :

Pourquoi étions-nous venus dans la Lune ? Cette question se présenta à moi comme un problème embarrassant. Quel est cet esprit qui incite perpétuellement l’homme à quitter le bonheur et la sécurité, à peiner, à courir au devant du danger, à risquer même une mort à peu près certaine ?

 

H. G. WELLS : Les premiers hommes dans la Lune (The First men in the Moon – 1901. Traduction de Henry-D. Davray). Collection Mikros. Editions de l’Aube. Parution 2 novembre 2017. 372 pages. 14,00€.

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2018 3 10 /01 /janvier /2018 09:22

Os long ? Os court ? Au secours…

La grande guerre contre les os. Collection Aventures N°12.

C’est bien joli d’extrapoler et d’imaginer ce que pourrait être l’avenir lointain, mais si de temps en temps on retournait en arrière et regardait comment nos ancêtres se débrouillaient face à l’adversité.

En l’an 11966 avant J.C., c’est précis, quelque part en Europe de l’Ouest, cela l’est déjà un peu moins, trois cycles après le crash, une déflagration violente déchirant le ciel et qui est décrite dans le prologue, le décor est installé.

En compagnie de deux femmes, une jeune et une vieille, mais l’âge importe peu, Ock revient de la pêche avec dans ses filets de quoi nourrir le clan pendant quelques jours. Car pour ce qui est de la viande et des plantes, il ne faut plus trop y compter. La famine guette les divers clans qui évoluent dans la contrée. Flore et faune dépérissent à cause d’une maladie mystérieuse, et la météorologie, un réchauffement climatique, aggrave les problèmes.

Ock est le chef incontesté du clan de la Falaise de l’Ours, de par son charisme et sa musculature qui en impose. Lors du retour au campement, Ock et ses compagnes sont attaqués par des chevaux, plutôt des carcasses de chevaux. Il n’y a même plus la peau sur les os. Juste les os qui tiennent ensembles par on ne sait quel prodige. Mais leurs mâchoires sont encore actives, et Ock a beau se battre comme un forcené, il ne peut empêcher les équidés de mordre les deux femmes.

Les dégâts sont immédiatement visibles car bientôt celles-ci sont réduites à l’état de squelettes, et malgré les coups portés par Ock, les chevaux se reconstituent immédiatement après leur démantibulation, leur dislocation. Ock fuit à travers buissons et fourrés, et lorsqu’il parvient à son campement, il ne retrouve que des restes.

Alors il lui faut fuir à nouveau, encore et encore, rencontrer d’autres clans, celui d’Orick, qu’il déteste, notamment, trouver des alliances pour combattre ces manifestations mortifères.

 

Dans une ambiance un peu vaudou, les êtres humains étant transformés en des sortes de zombis agressifs, ce roman de Thomas Geha est un hommage non déguisé à Rosny aîné et à sa production romanesque composée de récits préhistoriques.

En effet outre un personnage nommé R’ossni, un lieu se nomme Xi’p’uz, ce qui est référence au roman intitulé Les Xipéhuz, roman de 1887, ce qui ne nous rajeunit pas.

Le lecteur ne sera donc pas étonné si les dialogues sont pratiquement absents, les divers protagonistes n’ayant pas de conversation, ne s’exprimant qu’en phrases courtes, hachées. Mais cela n’est en aucun cas gênant, il s’agit même d’une forme de style quasi imposé, les paroles étant superflues. Les descriptions des décors, des actions (et réactions), des sentiments aussi, suffisent et sont assez explicites pour ne pas encombrer le texte de dialogues verbeux et souvent inutiles, sauf à augmenter une pagination superfétatoire artificiellement.

Douzième et dernier volet, pour l’instant, de la collection Aventures des éditions du Carnoplaste, l’éditeur de fascicules, ce roman nous invite à un nouveau voyage mi-fantastique, mi-aventures merveilleuses, chaque histoire étant différente aussi bien dans le contexte que dans le déroulement des intrigues imaginées.

 

La grande guerre contre les os. Collection Aventures N°12. Editions Le Carnoplaste. Parution septembre 2017. 32 pages. 3,00€.

Partager cet article
Repost0
9 janvier 2018 2 09 /01 /janvier /2018 09:19

Viens, je t’emmène…

Barry GIFFORD : Sailor et Lula

Sailor et Lula, c’est un peu l’amalgame moderne de Roméo et Juliette revus et corrigés façon Bonny & Clyde, c’est un couple d’amoureux en cavale dans le Sud des Etats-Unis.

Lui, Sailor, vingt-trois ans, vient de purger deux ans dans un pénitencier car il a assassiné un homme. Légitime défense, selon lui, mais toute erreur se paye. Elle, Lula, à peine vingt ans, qui a déjà subi des expériences sexuelles malheureuses, n’a qu’un rêve : continuer et finir sa vie avec l’élu de son cœur, Sailor.

Dans leur chambre d’hôtel, à Cap Frear, en Caroline du Nord, et tout au long de leur fugue, ils se découvrent, se racontent, se font leurs confidences. Souvenirs d’enfance et d’adolescence s’égrènent entre deux séances d’amour. Lula est avide de connaître les frasques de Sailor, de savoir comment il s’y est pris la première fois. Quant à elle, elle se dévoile, avec un certain détachement, narrant comment elle a été violée par un oncle, ou comment elle s’est retrouvée enceinte à seize ans des œuvres d’un cousin, et son avortement. Le problème ? Marietta, la mère de Lula qui espère un autre avenir pour sa fille. Bien sûr il faut se rendre à l’évidence ; un jour Lula se mariera, désertant le petit cocon familial, fondant elle-même une famille. Mais de là à ce qu’elle s’unisse à un assassin, alors ça jamais !

 

Pour Sailor et Lula, c’est la cavale, la fuite, la rupture avec la jeunesse, le passé. Marietta lance sur les traces des amants l’un de ses amis, le détective privé, Johnnie Farragut. Mais le Ciel et l’Enfer veillent sur les deux jeunes gens tout en se livrant un âpre combat. Drôle de privé ce Farragut, qui s’adonne, dès qu’il le peut, à son péché mignon, l’écriture. De La Nouvelle Orléans, où il manque de peu les tourtereaux fugueurs, il informe Marietta de son insuccès. Mais cela ne le travaille guère. Il noue des relations avec des personnages un peu hors du commun. Ainsi, Reggie, agent secret au Honduras, en transit en Louisiane avant de rejoindre un ami américain qui émarge à la CIA. Farragut préfère effectuer sa mission par téléphone. C’est moins fatigant et aléatoire. Pendant ce temps Sailor et Lula continuent leur périple.

 

Sailor et Lula est un roman construit un peu à la manière d’un puzzle, d’une mosaïque. Chaque chapitre, très court, se lit comme une nouvelle, le tout formant un récit au ton vif, allègre, dépouillé de toute fioriture, comme si Barry Gifford avait écrit son roman avec une caméra, mettant bout à bout de petits morceaux de pellicule. D’ailleurs, la part belle est faite aux dialogues.

Vous pouvez commencer la lecture de ce roman par le chapitre deux, intitulé « Cœur sauvage », le premier étant totalement insipide. Une fausse note qui ne remet pas en cause l’orchestration de cette œuvre.

David Lynch a porté à l’écran ce roman dans une version plus hard avec Nicolas Cage, Laura Dern, Willem Dafoe. Le film a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes en 1990.

 

Première édition octobre 1990. Rivages/Thrillers.

Première édition octobre 1990. Rivages/Thrillers.

Barry GIFFORD : Sailor et Lula (Wild at heart. The story of Sailor and Lula. 1990. Traduction de Richard Matas). Collection Rivages/Noirs N°107. Editions Rivages. Parution 3 janvier 2018. 292 pages. 7,90€.

Partager cet article
Repost0
8 janvier 2018 1 08 /01 /janvier /2018 08:32

Et en dépression…

Pascal JAHOUEL : Sous-pression. Une enquête de B H L.

Construit comme un quatre-quarts littéraire, ce roman est composé de quelques cuillers de San-Antonio, d’une louche d’Auguste Le Breton, de pincées d’Ange Bastiani, et d’une grosse poignée de Francis Carco. Mais pétri avec amour par Pascal Jahouel, toujours à la recherche d’un vocabulaire qui porte et touche, la patte d’un amoureux des mots et des maux. Il triture, tripatouille, patouille, malaxe, concasse, il apporte un liant entre argot ancien, français élaboré et sémantique technicienne. C’est dire si cet ouvrage sort des sentiers battus, même si, pour se conformer à une mode actuelle que je déplore, des anglicismes apparaissent de-ci de-là comme de petits cailloux dans une platée de lentilles.

BHL, Bertrand-Hilaire Lejeune, à ne pas confondre avec l’homme à la chemise blanche qui ne se salit jamais, est dans le creux de la vague. Et ce n’est pas qu’une figure de rhétorique puisqu’il est hébergé momentanément chez ses parents au Havre.

Il a envoyé sa lettre de démission à son commissaire rouennais, Chassevent, qui l’a mise dans un tiroir, et depuis il déprime. Revenir chez ses parents, c’est bien, mais pour un certain temps seulement, car les frictions ne manquent pas. Nous ne rentrerons pas dans les détails, cela relève du domaine privé, mais il lui faut trouver une porte de sortie.

Et celle-ci pourrait très bien être cette disparition en pleine mer du côté du cap d’Antifer. Un plongeur, qui n’est pourtant pas un débutant, a disparu dans les flots gris de la mer de la Manche, tandis que sa copine du moment se prélassait sur son yacht. Le temps était au beau, même chaud pour une fois, et au bout d’un certain temps, voire d’un temps certain, elle s’est inquiétée de ne pas le voir remonter à la surface, ne serait-ce que pour admirer sa plastique superbe.

Quoi que ce ne soit pas un artiste, BHL a besoin de cachets pour soigner sa dépression et donc il se rend chez un toubib, le remplaçant du médecin de famille. Le praticien est énervant à s’obstiner à s’adresser à ses patients, heureusement qu’ils le sont, à la troisième personne. Je passe sur rapidement sur les échanges savoureux échangés entre BHL et le médicastre généraliste, mais BHL sort de l’antre avec deux renseignements. Le premier, c’est que le disparu en mer amer, était un ami de longue date du toubib, s’étant fréquentés sur les bancs universitaires médicaux, et la seconde, l’adresse d’une psy, chologue ou chiatre, afin qu’elle lui déverrouille les neurones.

Rendez-vous est pris, et malgré la différence d’âge, un peu comme Emmanuel et Brigitte, il s’établit entre la spécialiste de l’essorage du cerveau une avancée dans la prise de contact d’atomes crochus. Et comme dérivatif, BHL se voit confier, voire imposer, par son commissaire rouennais, qui ne ménage pas ses coups de sang comme le canard du même nom, l’enquête sur la disparition bientôt suivie d’un nouveau noyé dans le port, non pas d’Amsterdam mais du Havre. Le tout avec la bénédiction du commissaire havrais qui va mettre à sa disposition un bureau et un équipier, Jean-Baptiste Monlouis-Bonheur, lequel, aimable, affable, et possédant un physique à la Teddy Riner, lui propose de l’héberger dans la demeure de ses parents qui sont absents pour quelques semaines.

Donc, et comme évoqué rapidement ci-dessus, un noyé a été retrouvé dans le port, ayant probablement chuté à la baille par suite de tangage éthylique et assommé par les coquilles de noix accrochées aux bites d’amarrage prévues pour empêcher les petits bateaux de naviguer sur l’eau au gré de leur convenance. C’est comme pour les ados, faut les tenir par le licol, sinon ils font n’importe quoi. Donc le noyé, j’y reviens, était également un ami du toubib, et comme si la dose n’était pas atteinte un troisième larron est découvert occis.

Mais j’anticipe. BHL se rend chez l’épouse qui est supposée la veuve du disparu (vous suivez ?) et les pistes de l’argent ou d’une vengeance quelconque de sa part, sont à écarter. C’est elle qui ramène le gros du portefeuille et les frasques de son mari l’indifférent. Il y aurait bien un petit sentier à remonter, on ne sait jamais, celui de l’appartenance politique du disparu qui émargeait au PPD, le Parti des Patriotes Debout, catalogué à tribord toute.

 

Entre joyeusetés et délire organisé sous l’influence de blondes, ambrées, rousses ou brunes, mais pas de blanches, des bières je précise, qu’ingurgite copieusement notre héros, ce roman débute dans la bonne humeur dépressive. Mais bientôt cela sombre dans le sombre, le très sombre même. Car sous une impression de légèreté stylistique, le noir prend le pas et BHL n’hésite pas à se mouiller dans les embruns havrais et les événements qui parsèment son enquête.

Et pour le scripteur, c’est une plongée dans son enfance. Du temps où le terminal d’Antifer n’existait pas et qu’il allait voir les paquebots accoster, les grues décharger les bananiers et autres cargos, qu’il remontait la côte de Montivilliers ou les escaliers longeant le funiculaire qui menait à Sanvic, alors commune à part entière sur les hauteurs du Havre, le pain de sucre et les casemates, Sainte-Adresse, Bléville, et combien d’autres images restées gravées. Mais ceci n’est que nostalgie enfantine et donc hors propos.

Pascal Jahouel est, d’après le rabat de la quatrième de couverture, architecte dans la vie civile, pourtant ce roman, même s’il est en béton, n’est pas bâti comme les édifices de la reconstruction dus à Auguste Perret qui a laissé son empreinte sur la porte océane, mais serait plutôt à rapprocher d’un autre architecte, amateur celui-ci, qui s’est investi dans le baroque naïf et son fameux palais, le facteur Ferdinand Cheval.

 

Pascal JAHOUEL : Sous-pression. Une enquête de B H L. Collection Roman policier mais pas que… Editions Lajouanie. Parution le 8 décembre 2017. 240 pages. 18,00€.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
  • Contact

Recherche

Sites et bons coins remarquables