Si les grandes métropoles ont mauvaise réputation en matière de criminalité, Paris, Marseille, Lyon et d’autres, il ne faut pas croire que nos belles campagnes soient virginales. Mais les affaires de meurtres sont plus diffuses, moins spectaculaires, moins médiatiques dans l’ensemble. Sauf cas rares ou lors de disettes journalistiques. Pourtant si l’on s’intéresse un tant soit peu aux faits-divers ruraux, d’hier et d’aujourd’hui, on peut s’apercevoir que ceux-ci constituent un véritable réservoir de source d’inspiration pour les auteurs de littérature policière.
Viviane-Janouin-Bénanti s’est forgée au cours de ses nombreuses recherches comme un auteur de premier plan dans la traque des criminels dont la petite histoire regorge, et ses ouvrages sont mi-récits, mi-fictions romanesques. Son dernier opus ne déroge pas à cette règle. Il emprunte à une histoire réelle qui s’est déroulée en Alsace, près d’Altkirch, au milieu du XIXème siècle.
Antoine Groguth vit seul, avec une servante, dans le petit village de Waldighoffen et traîne derrière lui une réputation de malandrin. Rien d’avéré, mais les rumeurs courent comme quoi il serait un contrebandier. D’ailleurs sa plus proche voisine, toujours collée derrière sa fenêtre l’a aperçut à plusieurs sortant le soir et ne rentrant que le lendemain matin, à cheval avec des musettes pleines ou vides selon les cas. Antoine n’a cure des ragots, et les remontrances du curé ne le touchent guère même s’il s’emporte rapidement. D’ailleurs il ne va jamais à confesse. Pourtant il va bien falloir qu’il se prête au bon vouloir du prêtre car il s’est mis en tête de se marier avec Madeleine, une fille simplette âgée de cinquante ans. Sa mère, madame Eglin, tient l’auberge florissante du village et c’est bien ce commerce qui attire la convoitise d’Antoine. Madeleine a été mariée, elle est veuve, mais à cinquante ans elle est restée une gamine, s’occupant de ses oiseaux dans la volière que sa mère lui a fait construire dans le jardin.
Une fois marié, le maire et le curé ayant été obligés de se résoudre à appliquer les conditions qu’il a fixées, Antoine est enfin le propriétaire de l’auberge. Pas tout à fait quand même car la mère Eglin, à soixante-dix ans passés, est vive et alerte. Il se contente de vérifier les livres de compte et d’empocher un dixième de la recette. Il ne vit pas avec sa femme, ce qui n’offusque pas celle-ci trop occupée à ses jeux de gamine. Alors il imagine un subterfuge pour éliminer sa belle-mère devenu trop encombrante. Son dessein mené à bien, et malgré l’affliction dont il fait preuve, quelques ragots ne sont pas longtemps à se propager. Mais feutrés car tout le monde se méfie d’Antoine. Et les ragots sont rapidement démentis par sa duplicité. La vie continue son bonhomme de chemin, ponctuée par un nouveau décès. Car Antoine, qui ne se contente pas de l’auberge, a des visées sur la fille du boucher d’un village voisin, et comme la jeune fille recherche activement un mari, ses vingt-huit printemps commençant à lui peser, elle n’hésite pas à lui promettre sa main et autre chose malgré les avis négatifs de son père.
A la fin des années 1840, la famine sévit. Antoine Groguth se révèle un meneur d’hommes. Il encourage quelques-uns de ses concitoyens à organiser une expédition de représailles envers une partie de la population de Durmenach. Leur but, s’emparer des biens des Juifs qui y résident et tant pis si ceux-ci résistent ou n’ont pas eu le temps de s’enfuir, ils termineront sous forme de cadavres.
Tel père tel fils affirme le proverbe. Antoine, le fils d’Antoine, quelques années plus tard prendra le même chemin que son père.
Dans ce nouveau roman, issu je le répète d’une histoire vraie, Viviane Janouin-Benanti met en scène ce genre de gredins qui sévissaient dans les campagnes, des marginaux qui n’ont pas fait grand bruit dans l’actualité mais beaucoup de dégâts. Cette histoire est narrée avec verve, avec réalisme, avec ce petit plus alerte et vivant dans le style qui fait que le lecteur passe allègrement du récit au roman et vit par procuration cette chronique ordinaire d’un village tranquille en apparence et dont les foyers couvent un feu destructeur.
Vivianne JANOUIN-BENANTI : Les Diaboliques de Waldighoffen. Editions Du bout de la rue. 226 pages. 20,00€