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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 14:07

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Le titre de ce roman-document est à mon avis quelque peu réducteur, car l’auteure nous raconte l’histoire de la Roumanie depuis le début des années 1900 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en s’attachant à présenter quelques figures juives marquantes de ce pays durant ce demi-siècle. Viviane Janouin-Benanti s’attarde longuement sur leur parcours chaotique qui les amènera à combattre le régime, l’extrême-droite, à s’engager dans le parti communiste et à défendre les ouvriers en général et leurs coreligionnaires en particulier puis, pour certains, à s’exiler en France.


Ana_Pauker.jpgEn ce temps là, les Juifs étaient méprisés, vilipendés, accusés de tous les mots. Les différents pogroms comme ceux de 1801 ou de 1897 en décimèrent une grande partie. Le gouvernement rédigea même un décret excluant les juifs de toute profession. Ils ne pouvaient accéder qu’à quelques fonctions comme banquiers, prêteurs sur gages ou s’établir dans le commerce. C’est dans cette ambiance délétère qu’Hannah Rabinsohn, fille et petite-fille de rabbin grandit à Bucarest. Les écoles gratuites d’état leur étant interdites, les juifs ne pouvaient qu’entrer dans des écoles professionnelles, dont les droits d’inscription étaient exorbitants. Et les jeunes filles sont encore plus mal loties, pourtant Hannah fait des pieds et des mains pour intégrer l’une d’elle. Son grand-père obtient qu’elle puisse entrer dans l’école de la Fraternité, mais son destin bascule lorsqu’à treize ans elle est agressée dans la rue, en compagnie de sa sœur et de deux autres camarades, par une quinzaine de garçons. Ils les traitent de Jidani, une injure durement ressentie, et frottent leurs visages avec du charbon et crachant dessus. Hannah s’évanouit et lorsqu’elle sortira de son coma, au cours duquel elle délire, elle ne sera plus la même. Elle est fiévreuse et sera longue à se remettre. Mais surtout elle a décidé qu’elle ne serait plus juive. Devenue adolescente elle contribue à la fondation du parti communiste roumain lors de la scission en 1917 du parti social-démocrate roumain. En 1922 elle est élue au Comité central. En 1921 elle épouse Marcel Pauker et ont ensemble un premier enfant, Tanio, qui ne vivra quelques mois. Une perte ont elle ne se remettra guère.

 

A Baia Sprie, petite ville située dans la région des Maramures boczov.jpgaux confins de l’Ukraine et qui est encore hongroise à l’époque, vivent les Wolf. Le père, Yaakov, est prêteur sur gage, et malgré qu’il pratique un taux d’usure peu élevé, selon lui, en comparaison à d’autres (6%), il n’est pas aimé, principalement par les paysans dont la terre appartient aux Boyards. Mais c’est lui qui est l’objet de la vindicte des fermiers. Avec sa femme Esther, ils n’ont que des filles lorsqu’enfin nait en février 1906 Ferenz, un garçon. Yaakov est rigide dans ses convictions religieuses, il ne permet aucun écart et s’il aime son fils, il ne le montre guère. Pourtant il veut absolument que son fils obtienne des diplômes afin de pouvoir accéder à une position sociale reconnue. Ferenz est attiré par les armes à feu et à quatorze ans il achète son premier fusil, malgré les interdictions de son père, sur ses propres deniers et tue un loup, ce qui est un exploit. Il est envoyé à Cluj dans un internat afin de continuer ses études, devenant interne. N’ayant pas de famille à Cluj, il faut désigner un correspondant. Le choix de Yaakov se porte sur le père d’un condisciple de Ferenz, assuré que son fils aurait de bonnes fréquentations. Gheorghe Iaicu, qui est le directeur des chemins de fer, accepte cette mission de confiance. Il aime son travail et Ferenz est subjugué par les locomotives, se rendant tous les samedis matin, après l’internat à la gare avant de rejoindre son correspondant. Il devient ami avec Mihaly, un garçon de son âge préposé à l’entretien. Il s’intéresse à la mécanique et donne son point de vue sur certains détails, la longueur de la loco par rapport à celle des wagons par exemple, détails qui lui serviront plus tard lorsqu’il sera intégré dans la Résistance en France dans les FTP-MOI. Il fait la connaissance d’Ana Pauker, et devenu communiste, ingénieur chimiste spécialisé en explosif. A trente-trois-ans, il part combattre les troupes franquistes, ralliant l’Espagne à pied, en compagnie d’amis dont Mihaly. Puisque les antisémites ne cessaient de louer Franco, il fallait aider les républicains à l’abattre. Mais avant de partir il s’est fait confectionner de faux papiers au nom de Joseph Boczov. Le pacte germano-soviétique lui est resté en travers de la gorge, tout comme à ses amis, et arrivés en France, après un passage dans le camp d’Argelès, dont ils s’évadent, ils intègrent la Résistance, dans le Groupe Manouchian, formant la 4ème brigade dite des dérailleurs.

 

olga.jpgA douze ans Golda Bancic est ouvrière dans une usine de confection de Kichinev, une ancienne ville bélarusse devenue roumaine et rebaptisée Chisinau, mais s’attire les foudres de la contremaîtresse pour une couture soi-disant mal faite. Pourtant Golda est sûre que son travail est bien fait. Le début d’une rébellion sanctionnée par des coups de bâtons sur son postérieur déculotté. Elle ne supporte pas cet avilissement et le jour de ses treize ans elle décide d’entrer au syndicat local. Elle se présente comme juive roumaine à la femme qui la reçoit. Cette femme n’est autre qu’Ana Pauker, qui impressionnée par le déterminisme de l’adolescente lui confie la mission de distribuer des tracts à la sortie de la ganterie. Golda change son prénom en Olga, ce qui lui permet de masquer son origine juive. Elle est incarcérée à plusieurs reprises, maltraitée, et devient membre actif du syndicat local. En 1938 elle part pour la France, un voyage long et périlleux, épouse Alexandre Jur, dont elle a une fille, Dolorès, qu’elle confie à une famille française et rejoindra elle aussi les FTP-MOI.

 

Contrairement aux trois personnalités présentées ci-dessus, Corneliu_Zelea_Codreanu.jpgCorneliu Zelea Codreanu est profondément antisémite, comme la plupart de ses compatriotes, et en devient le porte-drapeau. Extrêmement populaire il fonde la légion de L’Archange Michel qui deviendra Garde de fer et se réclame d’obédience chrétienne. D’ailleurs il met toujours en avant, pour justifier l’ostracisme dont il fait preuve, cette appartenance religieuse soulevant les foules. A noter que pratiquement la religion chrétienne servira de support aux exactions contre les Juifs, partout où ils sont installés, alors qu’elle devrait prôner la paix, l’amour du prochain. Mais ceci est un autre débat. Plusieurs fois arrêté, car il gêne le pouvoir royaliste, à chaque fois il est libéré sous la pression populaire en qui il incarne le sauveur. Il soulève les foules par des déclarations fascistes et anticommunistes, et devient un leader politique d’extrême-droite dont se méfie le gouvernement. D’autant que son rapprochement avec Hitler et les nazis n’est pas du tout du goût de la droite traditionnelle. Ses prises de positions engendrèrent toutefois une profonde aversion pour les Juifs, qui pour les plus riches d’entre eux en vendant actions et obligations provoquèrent une crise financière préjudiciable à la Roumanie. Des nombreux ministres seront assassinés sous ses ordres.

 

Plaque_Affiche_rouge-_19_rue_au_Maire-_Paris_3.jpgLa jeunesse d’Ana Pauker née Rabinsoh, de Jospeh Boczov alias Ferenz Wolf ainsi que celle d’Olga Bancic est longuement décrite, tout comme les événements qui secouent la Roumanie durant leur adolescence. Leur engagement dans le parti communiste dont ils attendent beaucoup, les avanies qu’ils subissent de la part du gouvernement, de l’extrême-droite, mais également des ouvriers et des paysans qui de tout temps ont jetés l’opprobre sur les Juifs, les accusant de tous les maux sont minutieusement exposés tandis que les épisodes espagnols et français pour Ferenz/Joseph et Olga ne sont qu’esquissés. Si Ana Pauker joue un rôle primordial dans le gouvernement roumain après la guerre, les deux autres trouveront la mort. Ferenz fait partie des vingt-trois résistants du groupe Manouchian fusillés au Mont Valérien le 21 février 1941.

 

Viviane Janouin-Benanti après avoir exploré les faits-divers criminels, comme La séquestrée de Poitiers, Le Chéri magnifique, Le Tueur du Paris-Mulhouse, La Serpe du Maudit et quelques autres, se tourne depuis quelques ouvrages vers le roman-document historique, comme Le double visage du docteur Karl Roos. Des ouvrages solidement documentés, qui explorent les parties peu connues de la Première ou Seconde Guerre Mondiale, se révélant poignants, émouvants, tragiques, mettant en avant des figures politiques qui tendent à s’effacer peu à peu des mémoires mais qui ont joué un rôle primordial dans la lutte pour la Liberté. Joseph Boczov et Olga Bancic font partie de ces figures de l’ombre qui luttèrent pour défendre non seulement leurs coreligionnaires, mais pensaient que leur combat ne serait pas vain. Ils étaient persuadés qu’en étant membres du parti communiste, ils œuvraient pour le bien de la Roumanie, oubliant que l’ostracisme, le ségrégationnisme, l’antisémitisme étaient trop ancrés dans les esprits et les mœurs pour être effacés du jour au lendemain. Et l’on se rend compte aujourd’hui que l’antisémitisme, malgré les déclarations des hommes politiques, pèse de plus en plus dans la vie quotidienne et occasionne troubles et attentats meurtriers.


Viviane JANOUIN-BENANTI : Au nom de la liberté. Joseph Boczov et Olga Bancic, deux de l’Affiche rouge. L’Apart éditions. 320 pages. 20€.

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commentaires

A
Qu'il est important de toujours parler d'eux.
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O
<br /> <br /> Oui, il est important d'entretenir cette mémoire surtout actuellement où le pays et bien d'autres connaissent des dérives qui ne leur font pas honneur. Dans le même registre à lire Dernier convoi<br /> pour Buchenwald de Roger Martin publié juste avant il me semble.<br /> <br /> <br /> <br />

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