Jeanne avait pourtant compris la consigne de sa mère : ne pas ouvrir la porte à un étranger tandis qu’elle effectuait ses dernières courses à la veille de Noël. Mais comment résister lorsque le Père Noël en personne se présente, appelant Jeanne et ses frères et sœur par leurs prénoms, qu’il se recommande de maman et que surtout il ne faut pas déranger papa qui travaille à l’étage, tout ceci étant une surprise. Une surprise assurément pour Patricia, la mère rentrant des emplettes, et pour Pierre, le père. Le père Noël, alias Gérard Soulier, un emprunt à la chanson immortalisée par Tino Rossi, veut s’emparer du contenu du coffre de la banque dont Pierre est directeur, car il sait que les recettes des hypermarchés de la région vont être transférées dans l’établissement. Le lendemain, il n’aura plus qu’à se servir. En attendant il faut accueillir les invités, un boucher, sa femme et son fils, un libraire, sa femme et son employée, puis le docteur Boussarin. La fête programmée tourne rapidement au cauchemar pour ces invités qui découvrent en ce Père Noël d’opérette un dangereux convive. Ancien directeur d’une société de sécurité, il a mis au point quelques logiciels et autres gadgets pour les surveiller nuit et jour. Dans sa hotte il a amené en guise de cadeaux des objets qu’il dépose sur la table, les invités devant reconnaître celui qui lui convient. Par exemple la clé d’une chambre d’un hôtel, lieu de rendez-vous réputé pour accueillir des couples échangistes. Une plume de corbeau, allusion directe à un personnage rédigeant des lettres anonymes. Un livre, crime en col blanc, écrit par un juge célèbre pour avoir instruit des affaires financières véreuses. Un journal enquêtant sur des “ tournantes ”, une pratique pas seulement l’apanage des jeunes des banlieues. Etc. J’allais oublier, autres petits cadeaux : des ceintures explosives que Soulier peut à tout moment déclencher, si l’affaire tourne mal. Et pour entretenir la tension parmi tous ces participants pris en otages, il dispose de deux armes à feu, l’une factice, l’autre bien réelle. La nuit risque d’être chaude, d’autant que les cadeaux incongrus sèment la zizanie parmi les convives.
Un suspense en huis clos entretenu savamment par Serge Quadruppani qui ne lésine pas sur les effets spéciaux. La distribution des cadeaux par exemple s’effectue en plusieurs étapes, mais chaque erreur d’appropriation non seulement peut être préjudiciable à la santé de celui qui se reconnaît à tort, mais de plus permet de dévoiler plusieurs facettes de ces invités qui pensaient passer une agréable soirée. Les enfants, surtout Jeanne, jouent un rôle prépondérant dans cette pièce de théâtre qui garde jusqu’à l’épilogue une forte tension. Un bon roman qui se lit avec plaisir et pourrait être adapté au théâtre sans pratiquement effectuer de retouches.
Serge QUADRUPPANI : La nuit de la dinde. Collection Suites N° 74, éditions Métailié, 2003. 168 pages. 9,50€.