En mars 1914, à Saint-Pétersbourg, les meurtres se suivent et se ressemblent. Presque. Deux hommes abattent froidement dans la rue un nommé Goulko, le premier utilisant un revolver, l’autre achevant le travail avec un couteau. D’autres meurtres sont ainsi perpétrés, dont celui de Yastrebov.
De nombreuses conjectures sont avancées. Le nom des soi-disant brigades combattantes du Parti socialiste-révolutionnaire, mais également les Centuries noires, des agents allemands, ou même un mari jaloux pourraient être à l’origine de ces crimes. Beaucoup d’hypothèses, mais rien de bien avéré. Les regards sont surtout tournés vers le prochain tournoi d’échec qui doit se dérouler traditionnellement dans la cité.
Rozental, considéré comme un vainqueur potentiel, mais atteint d’instabilité psychologique, devient le client du psycho-neurologue, le docteur Spethman, à la demande d’un ami commun, le violoniste international Kopelzon. Spethman est veuf depuis quelques mois et vit avec sa fille Catherine, âgée de dix-huit ans. Et ce n’est pas sans surprise que celui-ci voit débarquer un jour un policier du nom de Lychev, qui l’accuse du meurtre de Yastrebov. Le jeune homme, un étudiant, détenait parmi ses papiers une carte de visite au nom du psychanalyste. Spethman et sa fille déclarent ne pas connaître ce personnage, aussi Lychev, qui n’est pas convaincu, revient chez eux avec la tête du mort plongée dans un bocal de formol.
Commencent alors les ennuis pour le docteur et fille. Deux individus s’introduisent dans son cabinet, dérobant le dossier Rozental, puis Spethman et Catherine sont emmenés en prison, où Lychev tente de les faire parler. En vain. Ils sont relâchés mais toujours sous surveillance, malgré les interventions du père d’Anna, une jeune femme qui bientôt finit sur le canapé de Spethman. Malgré les assertions de Lychev, qu’il n’avait pas voulu croire, le docteur à la désagréable surprise d’apprendre par sa fille qu’elle couchait avec Yastrebov. Pas pour l’amour, mais pour le sexe a-t-elle soin de préciser. Débute alors pour le lecteur une passionnante mais terrible partie d’échecs, au propre comme au figuré. Spethman n’est qu’un pion entre divers adversaires qui se succèdent, ou s’interférent, se bousculent autour de cet échiquier dont les pièces représentent crime et amour, politique et psychanalyse. Et de pion il doit se transformer en grand maître pour conclure une partie acharnée, dont l’issue oscille entre les divers camps.
De ce roman dont l’histoire se déroule quelques mois avant le début de la Première guerre mondiale, et quelques années avant la chute du régime tsariste et la révolution bolchevique, on retient surtout cette aversion non déguisée des Russes pour les Juifs, et principalement envers les Juifs polonais. Une haine, une répulsion, une hostilité qui se retrouvera quelques dizaines d’années plus tard et dont nous connaissons aujourd’hui encore les méfaits par gestes et paroles, atteintes physiques à la personne et déclarations tapageuses. Une chasse aux sorcières qui se perpétue aujourd’hui, à la plus grande honte de tous. Les non initiés comme moi au jeu d’échec ne seront pas perdus, quant aux amateurs, ils se délecteront avec la partie en cours et trouveront peut-être une solution avant l’épilogue.
Ronan BENNET : Mat. (Traduction de Danièle Mazingarbe. Réédition de Sonatine Editions – 2009). Editions Pocket. 352 pages. 7,20€.