Ils sont foot, ces auteurs !
Qui ne se souvient de "A mort l'arbitre" d'Alfred Draper, paru en Série Noire (N°1560) et adapté au cinéma en 1983 par Jean-Pierre Mocky sous le titre éponyme avec Michel Serrault, Eddy Mitchell et Carole Laure dans les principaux rôles. Encore Kop de Dominique Manotti chez Rivages en 1999. Moins connu peut-être "Un tueur dans la foule" de George Lafountaine qui fut également adapté par Larry Peerce en 1977 avec Charlton Heston et John Cassavetes. Ou
En cette période où le ballon rond est promu hostie du supporter, où les stades sont les nouvelles chapelles édifiées en l'honneur du football, où les matchs seront les messes largement retransmises par la télévision entièrement vouée à ce culte, il fallait bien que quelques iconoclastes sacrifient à la mode tout en s'en gaussant. En lever de rideau Jean-Michel Riou avec "Le mille-pattes" édité dans la collection Sueurs froides chez Denoël.
César National, l'avant-centre de l'équipe de France reconverti dans le journalisme pour cause de blessure grave à la jambe, doit commenter le match inaugural en compagnie de son ami Thierry Zachs, le grand prêtre des ondes de Channel A. C'est en rendant visite à ses ex-coéquipiers qu'il apprend que la France doit perdre ce match qui l'oppose à une sélection mondiale. Un chantage exercé à l'encontre de certains de ses amis, ce qui le révolte et le pousse à enquêter. En compagnie de Bill Rey, un jeune journaliste aux dents longues et à la caméra fouineuse, il se lance dans une course contre la montre car si les supporters apprennent cette défection, obligée, des joueurs français, cela risque d'entraîner une émeute susceptible de tourner en carnage. Ce n'est pas le ballon rond qui est au centre de ce roman telle l'hostie présentée en offrande mais les agissements nébuleux des officiants, hommes politiques, responsables de clubs de supporters créés à l'occasion de cette manifestation et course à l'audimat, qui sont la cible de Jean-Michel Riou. A propos, le mille-pattes évoqué par le titre n'est autre que les onze joueurs piétinant avant d'entrer sur le terrain. Vingt deux joueurs si l'on additionne les deux équipes.
"Vingt deux abrutis, sélectionnés qui plus est, suffisamment si peu sûrs d'eux-mêmes qu'ils s'entourent de remplaçants pour pallier leurs béances, et d'arbitres pour éviter les fautes". C'est pas moi qui le dis, c'est J.-B. Pouy. Surenchère : "Ils n'étaient pas loin de penser que ce sport de dégénérés du bulbe était le pire marigot dans lequel le corps social pouvait être plongé." Afin de mieux enfoncer le crampon, Pouy fait appel à certaines connaissances, philosophes émérites dont l'opinion ne peut être mise en doute et ayant pour nom Keelt, Malebranche, Wittgenstein et consorts. D'accord, c'est pour la bonne cause. Spinoza, alias Julius Puech, se repose sur ses lauriers à Bombay. Mais lorsqu'il apprend qu'Hegel est de retour, il ne tergiverse pas et reprend du service. Là-bas à Paris et en province, la baston règne, surtout autour des stades. Commandos primaires fanatiques. On ne fera pas de dessins. Bottes mauves en lézard contre chaussures de foot. Balle au centre. Pouy se fait plaisir ou plutôt fait plaisir à ses fans qui attendaient la confrontation bis entre spinozistes et hégéliens. Plus qu'une histoire, mi-polar déglingué mi-SF allumée, avec le foot comme tête de Turc, ce roman joue finement le tacle, échappe au carton jaune et propose les prolongations. Mais nous attendons de Pouy qu'il nous propose un vrai roman. Il nous a tellement habitué au spectacle que ce "match" amical ne suffit pas et nous restons sur notre faim.
Le Mille-pattes de Jean-Michel RIOU, Collection Sueurs Froides, Denoël.
A sec ! de Jean-Bernard POUY, Collection Canaille/Revolver, Baleine.