Evaluation de la douleur !
Qui n'a jamais émis l'idée, en son for intérieur, de pouvoir évaluer et éventuellement comparer son degré de douleur, lors d'une crise de migraine par exemple, à ce ressenti exprimé par des proches. A-t-on plus mal que sa collègue de travail ? Ou, même n'avance-t-elle pas des céphalées inexistantes pour se faire dorloter et obtenir un congé de maladie?
Armand de Cardonna vit en reclus dans une imposante villa dans un quartier bourgeois de Dijon. Depuis douze ans il n'est pas sorti de chez lui. Toutes les semaines son épicier lui livre les provisions nécessaires à sa survie, recueillant sur le perron le règlement de la livraison précédente. Parfois un ouvrier qui effectue les réparations nécessaires et par deux fois le médecin est venu lui rendre visite. La douleur, plus psychique que physique de Cardonna provient de la perte dans un accident d'automobile de sa femme et de son fils unique. Douze ans à rester confiné dans cette villa. Ancien ingénieur brillant, ayant créé une usine prospère fabricant des phonographes et des postes radio, Cardonna décide un jour d'inventer pour son propre usage un appareil susceptible de mesurer la douleur.
Cette nouvelle, Le doloromètre universel, qui donne son titre éponyme au recueil nous transporte dans un univers à la limite du fantastique dans une ambiance diffuse. Les autres textes sont calqués sur ce modèle. Pas de fantastique agressif avec monstres et créatures allégoriques, mais comme un retour à l'imaginaire de notre enfance où la moindre image, le moindre ressenti pouvait entraîner l'esprit dans des mondes dont on peut se forger une perception rien qu'en regardant un nuage.
Dans Vertige, un homme se réveille avec la sensation de vivre au plafond. La maison a basculé, le plafond est devenu plancher, et il a du mal à accepter que rien n'a changé. Les docteurs consultés n'ont rien trouvé d'anormal, peut-être un revirement comportemental, un vertige positionnel paroxystique bénin. Ses amis essayent de lui changer les idées, mais cette impression de vertige demeure, comme si le ciel et l'espace étaient devenus un gouffre sans fond.
A Charenton-le-Pont existe une maison de santé psychiatrique, plus communément appelée un asile de fous. Un ami du scripteur lui remet des archives datant de son grand-père qui, journaliste dans les années 1920, avait rédigé un article à la demande de son rédacteur en chef. Celui-ci voulait du croustillant. Si un article a été réellement publié, celui des archives est resté dans un tiroir.
La Force nous entraîne dans une succession de suicides inexplicables. Les milieux scientifiques sont dans l'expectative. Un virus pourrait-être à l'origine de cette épidémie qui prend des proportions inquiétantes du jour au lendemain. Les statistiques s'affolent et des policiers sont chargés de l'enquête. Mais par quel bout la prendre ?
Le nuage nous ramène à notre enfance quand regardant le ciel, nous imaginions voir un éléphant, une tête de chien, ou autre image qui se déformait sous l'impulsion du vent. Depuis des décennies un homme se tient sur les bords d'un aérodrome scrutant le ciel avec ses jumelles. Peu à peu le narrateur parvient à lier connaissance avec cet individu au comportement bizarre. L'homme lui avoue observer des nuages, et plus particulièrement un qui ressemble à une tortue, car un pilote, dont il était le mécanicien est entré avec son avion à l'intérieur de la masse mais n'en est jamais ressorti.
Suivent deux contes dont le décor se situe à Pouilly en Auxois. Dans le premier, Sous la voûte, l'action a pour cadre le tunnel de canal de Bourgogne qui relie la Seine à la Saône. Long de plus de trois kilomètres trois-cents, il permet aux péniches de continuer leur trajet grâce à des toueurs électriques. Or il s'en passe des choses parfois dans ce tunnel. C'est ce qu'un éclusier raconte au narrateur. Quant à Thor à Pouilly, lorsque l'on vous dit d'une personne qu'elle est électrique, ce n'est pas forcément une métaphore.
Des histoires simples, mais pas simplettes entendons-nous bien, qui n'œuvrent pas dans un fantastique grandiloquent ou agressif mais qui possèdent une aura diffuse, comme une évasion de l'esprit au cours laquelle on extrapole un vécu, une image, une impression, une idée. Philippe Gontier s'inspire d'une mise en situation à l'ancienne, mettant en scène le narrateur face à des amis, des connaissances qui lui livrent des anecdotes, des documents, ou en ayant lui-même été un participant involontaire d'un épisode décrit.
Philippe Gontier est un fin connaisseur de la Littérature Populaire en animant diverses revues dont Sur les rayons de la Bibliothèque Populaire qui proposait des fiches de romans anciens mais également Le Boudoir des Gorgones, au rythme de parution aléatoire avec des nouvelles jamais rééditées d'auteurs anciens des présentations de ces auteurs, souvent méconnus.
Philippe GONTIER : Le doloromètre universel. Collection KholekTh N°23. Editions de LA Clé d'Argent. Parution Août 2013.98 pages. 6,00€.