Embrouilles dans le Brouilly !
Alors que les vignerons s'activent dans le Beaujolais à tailler les ceps afin de les préparer à une nouvelle poussée de sève qui favorisera la pousse des branches supportant les lourdes grappes de raisin, lesquelles grappes seront ensuite coupées pour leur transformation en divin nectar, Archibald Sirauton, le bien-nommé, ancien juge et maire de Saint-Vincent-des-vignes, se rend sur les terres du vieux Martinien qui a toujours sur sa langue quelques rumeurs à colporter. Le vieux vigneron pense qu'Archi vient lui parler de sa morte retrouvée douze jours auparavant près d'un calvaire dans son vignoble. La femme gisait nue, le crâne fracassé et défigurée. Pour les recherches, va falloir que les gendarmes y mettent du leur, d'autant qu'aucune disparition n'a été signalée même si la morte était probablement de la région.
Non, ce n'est pas pour ça qu'Archi s'est déplacé mais bien du salon de l'agriculture qui va se tenir à Paris sous peu. Et il propose une place à Martinien car l'un des vignerons vient de se désister à cause sa femme qui est atteinte d'une maladie que des médicaments ne peuvent résorber : elle est jalouse. Pour finaliser ce projet, direction le Café de la Mairie, lieu de rassemblement incontournable des assoiffés quoique leur cave soit bien garnie. Mais Archi est surpris d'y retrouver Goma, le père Hyppolite, qui bien qu'originaire d'Afrique Noire a su s'adapter et se faire adopter. La conversation roule sur divers points qui n'entrent pas le secret du confessionnal, comme par exemple le cas Bougonne. Bougonne est la gouvernante et plus de la famille Sirauton depuis trente-deux ans et son péché mignon est de tirer les cartes. Elle a un sens divinatoire qui porte ombrage à la religion.
Autre fait abordé, le cas Pillorget. Eric Pillorget, le Duc du Beaujolais, gros propriétaire mais aussi exploitant avisé et commerçant mondialiste avant l'heure, il exporte notamment au Japon, Eric Pillorget a disparu depuis trois mois. Un soir il était là, le lendemain matin, plus personne. Et comme s'il n'attendait que ça, le mobile d'Archi le rappelle à l'ordre. Bougonne l'avertit qu'un individu l'attend au manoir. Ce visiteur n'est autre que Jarry, le directeur financier et comptable de la société Pillorget. Et Jarry s'inquiète, tout comme dans un autre domaine Bougonne qui a perdu son portefeuille. Jarry est dans une drôle d'impasse. La famille du disparu se déchire, les enfants désirant vendre le domaine à des Chinois, sa femme au contraire souhaitant tout garder et continuer comme si Pillorget était toujours là. Un conflit d'intérêt qui ne peut être résolu qu'en comptant les parts d'actions, content ou pas de chaque part.
Et c'est bien là que ça se complique.
Le commissaire Poussin de Lyon, un personnage prétentieux et incapable, et son adjoint Bordas, véritable dictionnaire des procédures policières, ont bien été prévenus par Edmonde Pillorget et par Jarry, mais rien n'y fait, aucune trace d'Eric et pendant ce temps les Chais risquent de prendre l'eau.
Au cœur de la Dombes, un anachorète qui vit près d'un lac recueille un chemineau et lui propose de s'installer sous une tente.
Une enquête de plus pour Archibald Sirauton, dont le lecteur a pu lire une précédente aventure dans Le Vignoble du Diable (Si ce n'est fait, n'hésitez pas à le commander chez votre libraire à défaut de pouvoir le trouver chez votre caviste), aventure qui ne manque pas de piquant. Ou plutôt de perlant comme ces fines bulles du Beaujolais nouveau qui titillent vos papilles. Archi est un personnage atypique, vêtu de bric et de broc, des vêtements que l'on trouve qu'au Pérou et autres contrées incas et des colifichets en provenance directe d'Asie. Ancien Juge, il est devenu maire à la demande générale, personne ne désirant briguer le fauteuil de l'édile ce qui permet à tout un chacun de récriminer sans cesse. Il est assisté de Bougonne, déjà présentée, de Filoche, un jeune homme qui aurait pu mal tourner si Archi ne s'était pas intéressé à lui lors d'un procès, et enfin de Tirebouchon, un aimable canin à qui il ne manque que la parole. Et pourtant parfois, il en aurait des choses à dire, mais en vieux sage il préfère se taire.
Archi va donc rencontrer la famille Pillorget en leur Chais, surnommé le Chais des Ambitieux, mais qui dit ambition ne signifie pas forcément union, et Archi sera à même de s'en rendre compte. Seuls Jarry, de par ses fonctions et son honnêteté affichée, et Maxime le filleul de Pillorget, lui semblent loyaux et peu intéressés. L'intrigue comporte plusieurs entrées, et Archi sera aidé efficacement dans certaines démarches par le capitaine de gendarmerie Fernandez, qui emploie volontiers des néologismes issus de la contraction de deux mots, tel que mervéfique, et surtout de Xa, sa compagne qui est obligée de se rendre souvent à Paris, son métier de comédienne intermittente du spectacle la réclamant souvent.
Les cadavres ne manquent pas à l'appel et à la pelle, et je vous rassure tout de suite Archi résoudra ce rébus compliqué. Mais les affaires de famille sont toujours embrouillées. L'humour, que n'aurait pas renié Charles Exbrayat, plane sur cette intrigue fort bien menée et apporte au lecteur une douce euphorie comme peut le faire une fillette, ou deux, de Beaujolais.
Philippe BOUIN : Les Chais des ambitieux. Collection Terres de France. Editions Presses de la Cité. Parution le 13 mars 2014. 324 pages. 20,50€.